Etat de l’art de la mesure lidar DIAL de CO2 et CH4
Domaines spectraux d’intérêt
La mesure DIAL d’un gaz consiste à émettre un rayonnement à au moins deux longueurs d’onde sur une de ses raies d’absorption et à comparer la puissance mesurée après rétrodiffusion par l’atmosphère ou par la surface aux différentes longueurs d’onde pour en déduire sa concentration. Il est donc nécessaire de se placer dans un domaine spectral dans lequel le gaz visé présente des raies d’absorption adaptées, c’est-à-dire des raies d’intensité suffisamment forte pour qu’une différence d’absorption puisse être mesurée mais également d’intensité assez faible pour que le rayonnement émis ne soit pas totalement absorbé et qu’un signal puisse être détecté. Les raies d’absorption visées doivent être également séparées le plus possible de celles des autres espèces absorbantes. La Figure 0.5 représente le spectre absorption de l’atmosphère calculé entre 1 et 15 μm pour un trajet aller retour dans la colonne atmosphèrique. La vapeur d’eau est l’espèce qui absorbe dans la plus grande partie du spectre. Elle définit des fenêtres de transparence dans lesquelles les autres espèces peuvent être mesurées. On a représenté en pointillés sur la Figure 0.5 (a) la gamme d’épaisseur optique de 0,1 à 3 (soit une transmission entre 90 % et 5 %) qui permet d’avoir accès à des épaisseurs optiques mesurables. Pour la mesure DIAL du CO2 et du CH4 depuis l’espace, les domaines spectraux «1,6 μm » et « 2 μm » représentés en couleurs ont été reconnus comme particulièrement intéressants (Ehret et al. 2008). Ces domaines présentent en effet des raies d’absorption peu perturbés par la vapeur d’eau avec de bons différentiels de transmission pour les gaz considérés. Plusieurs études approfondies s’appuyant sur différents critères (minimisation de l’erreur aléatoire, interférences avec les autres espèces, sensibilité aux basses couches de l’atmosphère, faible dépendance à la température, maturité technologique des détecteurs…) ont été réalisées pour discuter en détail du choix des longueurs d’onde (Ehret et Kiemle 2005 ; Ehret et al. 2008 ; Caron et Durand 2009 ; Kiemle et al. 2011 ; Singh et al. 2017b). Le domaine spectral 1,6 μm a pour avantage de permettre l’utilisation des technologies optiques actives et passives développées pour les télécommunications. En particulier, les photodiodes à avalanche et les photomultiplicateurs sont aujourd’hui des technologies bien maitrisées et commercialisées dans ce domaine spectral. C’est une des raisons qui ont mené au choix du doublet de raies à 1645 nm du CH4 pour la mission MERLIN (Kiemle et al. 2011). Néanmoins, les fortes intensités de certaines raies dans le domaine spectral 2 μm permettent de positionner la longueur d’onde on sur les flancs de raie et d’avoir une concentration intégrée plus sensible aux basses couches de l’atmosphère. Des efforts de développement d’APD dans le domaine spectral 2 μm ont ainsi été effectués et ont abouti récemment à de nouveaux détecteurs qui sont actuellement en cours de test (Dumas et al. 2017 ; Sun et al. 2017).
Le CH4 peut aussi être détecté dans le moyen infrarouge (3 – 4 μm) où la force de ses raies peut notamment être adaptée à la détection à courte portée (Minato et al. 1999 ; Barrientos Barria et al. 2014a). Le protoxyde d’azote (N2O) peut également être détecté dans ce domaine spectral (Ehret et al. 2008).
Revue des systèmes existants
La technologie de la mesure DIAL est aujourd’hui bien maitrisée pour certains gaz comme l’ozone (UV) de la vapeur d’eau (principalement entre 0,7 et 1 μm) pour lesquels de nombreux systèmes et campagnes de mesures sont reportés dans la littérature (voir par exemple (Bruneau et al. 2001a, 2001b ; Sullivan et al. 2015 ; Späth et al. 2016)). Pour la mesure du CO2 et du CH4, les principaux systèmes DIAL ont été développés dans les domaines spectraux évoqués au paragraphe précédent (1,6 et 2 μm) et sont listés dans le Tableau 0.3 et le Tableau 0.4 (pp. 21 – 24). Ces systèmes ont des architectures variées incluant une source pulsée ou continue et un mode de détection direct ou cohérent. Ils ont été opérés dans des mesures intégrées (IP-DIAL pour integrated path DIAL) en utilisant la réflexion d’une cible (relief/sol/nuages) ou dans des mesures résolues (RR-DIAL pour Range Resolved DIAL) en utilisant la rétrodiffusion des aérosols.
La majeure partie des systèmes existants sont des systèmes effectuant des mesures en détection directe. Un des avantages de ce mode de détection est la possibilité d’intégrer un grand nombre de taches de speckle. En effet, la détection cohérente ne permet d’intégrer qu’un nombre limité de taches de speckle (généralement ~ 1) ce qui mène à des rapports signal à bruit instantanés de l’ordre de l’unité (Ehret et al. 2008). Cela est dû au fait que son principe de détection nécessite la cohérence spatiale entre l’onde locale et l’onde reçue et requiert ainsi l’utilisation d’un système de filtrage spatial limité par la diffraction. En contrepartie, la détection directe ne bénéficie pas du filtrage spectral du bruit opéré par la détection cohérente. Pour réduire l’influence du bruit de détection, la détection directe demande donc l’utilisation de puissances crête élevées et de détecteurs à très bas bruit. Une approche intermédiaire consiste à moduler en intensité une émission continue (à au moins deux longueurs d’onde) en combinaison avec une détection directe. Le signal utile à chaque longueur d’onde peut ensuite être isolé par démodulation dans le domaine numérique (Sakaizawa 2010 ; Dobler et al. 2013a ; Quatrevalet et al. 2017).
Domaine spectral 1,6 μm
Dans le domaine spectral 1,6 μm, la combinaison d’une diode laser à rétroaction répartie (DFB-LD pour distributed feedback laser diode) et un amplificateur à fibre dopé à l’erbium (EDFA pour erbium dopped fiber amplifier) est largement utilisée pour la détection du CO2 autour de 1752 nm (Abshire et al. 2013a ; Dobler et al. 2013a ; Johnson 2013 ; Queisser et al. 2015 ; Quatrevalet et al. 2017). La NASA a notamment mis en œuvre, dans des campagnes de mesures aéroportées du CO2, un système IP-DIAL utilisant des DFB-LD modulées en impulsions par un modulateur acoustooptique (AOM) et amplifiée par un EDFA (Abshire et al. 2013a ; Ramanathan et al. 2015). L’émetteur est capable de résoudre le profil de la raie à 1572 nm du CO2 en l’échantillonnant sur 30 longueurs d’onde. Cet émetteur est un candidat pour la mission ASCENDS. Toujours dans le contexte de la mission ASCENDS, une architecture lidar IP-DIAL, s’appuyant sur un EDFA, utilisant l’émission d’un rayonnement continu modulé en intensité à deux longueurs d’onde, a été développée et intégrée dans un système aéroporté de mesure du CO2 par la NASA (Dobler et al. 2013a ; Lin et al. 2015). Des systèmes à émission continue modulée en intensité, utilisant un EDFA, ont de même été développés à la JAXA (Sakaizawa 2010), au DLR (Ai et al. 2016 ; Quatrevalet et al. 2017) et à l’Université de Manchester (Queisser et al. 2016, 2017). Tous trois ont été mis en œuvre dans des mesures IP-DIAL depuis le sol. Le système développé par le DLR a pour particularité d’être modulé aléatoirement ce qui est susceptible d’être plus efficace que la modulation continue. Le système de l’Université de Manchester a été intégré dans une architecture portable (24 kg) et appliqué notamment à la mesure du CO2 dégagé par les volcans. Un autre émetteur à 1571 nm, couplant des DFB-DL modulées en impulsions par un AOM et un EDFA, a été développé à l’Université de l’état du Montana et opéré pour des mesures RR-DIAL.
La bande de gain des EDFA s’arrêtant vers 1580 nm, il est nécessaire de recourir à d’autres technologies comme les sources paramétriques optique pour mesurer le CH4 à 1650 nm. Le système IP-DIAL CHARM–F, réalisé par le DLR, utilise ainsi un oscillateur paramétrique optique (OPO) injecté pour mesurer le CH4 à 1651 nm. Il comprend également une voie pour la détection du CO2 à 1572 présentant une architecture OPO/amplificateur paramétrique optique (OPO/OPA) injecté. Ce système sert de démonstrateur à la mission MERLIN dont l’émetteur, développé au DLR, présente une architecture similaire : il sera constitué d’un OPO utilisant des cristaux de KTP (Titanyl Phosphate de Potassium) ou de KTA (Potassium Titanyl Arsenate) et émettra sur la raie à 1645 m du CH4 (Kramer s. d. ; Bode et al. 2016). Dans la perspective de MERLIN et de futures autres missions lidar spatiales, des efforts sont menés en parallèle au Fraunhofer Institute pour développer des lasers de pompe à très haute énergie (500 mJ, 100 Hz), (Strotkamp et al. 2017) et pour proposer une plateforme robuste pressurisée pour l’intégration des sources laser dans les satellites (Luttmann et al. 2017).
La NASA a développé plusieurs sources paramétriques (OPO ou OPA injectés) à partir de cristaux à retournement périodique dopés au magnésium (MgO:PPLN) dans le domaine 1,6 μm. Ces sources ont été intégrées dans des architectures IP-DIAL sol pour la détection du CO2, du CH4, de la vapeur d’eau et du CO (utilisation d’une onde complémentaire à 4764 nm pour le CO) (Numata et al. 2012, 2014) et ainsi que dans un système IP-DIAL aéroporté pour le CH4 (Riris et al. 2012, 2017).
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Table des matières
Introduction
Motivations scientifiques
Etat de l’art de la mesure lidar DIAL de CO2 et CH4
Démarche et plan du manuscrit
Développement d’outils numériques pour la mesure DIAL des gaz à effet de serre
Principe de la mesure lidar à absorption différentielle
1.1.1 La loi de Beer-Lambert
1.1.2 Calcul de la section efficace
1.1.3 La mesure IP-DIAL en détection directe
1.1.4 La mesure RR-DIAL en détection directe
1.1.5 Fonction de recouvrement
Sources d’erreurs de la mesure DIAL
1.2.1 Bruit de speckle
1.2.2 Bruit de grenaille
1.2.3 Courant d’obscurité du photo-détecteur
1.2.4 Bruit de Johnson
1.2.5 Bruit de la chaine électronique analogique
1.2.6 Erreur de quantification
1.2.7 Spectre du rayonnement émis
1.2.8 Autres sources d’erreurs
Traitement du signal lidar DIAL
1.3.1 Filtrage numérique
1.3.2 Estimation de la concentration pour une mesure DIAL multi-longueurs d’onde
et multi-espèces
Simulation des performances d’une mesure RR-DIAL du CO2 à deux longueurs d’onde
Conclusion
Réalisation d’un système lidar DIAL pour la mesure des gaz à effet de serre depuis le sol
L’émetteur lidar à haute énergie pour la mesure atmosphérique du CO2, CH4 et de la vapeur d’eau
2.1.1 Introduction
2.1.2 La source paramétrique optique à 2 μm
2.1.3 Mesure de la pureté spectrale de l’émetteur
2.1.4 Calibration du lambdamètre
Intégration de l’émetteur dans une architecture lidar RR-DIAL
2.2.1 Optiques de réception
2.2.2 Détecteur et amplification
2.2.3 Energie de normalisation
2.2.4 Couplage émission-réception
2.2.5 Acquisition
Conclusion
Mesures DIAL atmosphériques du CO2, CH4 et H2O à 2 µm
Introduction
3.1.1 Chronologie
3.1.2 Site de mesure
3.1.3 Domaines spectraux utilisés
3.1.4 Acquisition
3.1.5 Traitement du signal
Mesures DIAL du dioxyde de carbone atmosphérique
3.2.1 Concentrations attendues
3.2.2 Mesure avec éclairement non contrôlé de la photodiode (campagne 1)
3.2.3 Mesures avec éclairement contrôlé
Analyse des erreurs de la mesure RR-DIAL
3.3.1 Bruit de détecteur, bruit de grenaille et bruit de speckle
3.3.2 Variabilité du milieu diffusant
3.3.3 Erreur sur la normalisation
3.3.4 Dépointé
3.3.5 Réponse temporelle de la chaîne de détection
3.3.6 Linéarité de la chaîne de détection
3.3.7 Ligne de base
3.3.8 Biais spectraux
3.3.9 Erreur sur la densité volumique de l’air
3.3.10 Bilan des erreurs
Mesures DIAL multi-espèces
3.4.1 Mesure concentration de la vapeur d’eau à 2060 nm
3.4.2 Mesures simultanées de H2O et de CO2
3.4.3 Mesure du CH4 à 2289 nm
Conclusion
Perspectives pour la mise en œuvre d’un lidar spatial
Introduction
Modèle atmosphérique et environnement
Simulation d’une mesure aéroportée IP-DIAL du CO2
Simulation d’une mesure IP-DIAL du CO2 depuis un satellite
4.4.1 Modèle instrumental
4.4.2 Résultats et discussion
4.4.3 Sources d’erreur additionnelles
Simulation d’une mesure IP-DIAL simultanée de H2O et CO2 depuis un satellite
4.5.1 Modèle d’inversion
4.5.2 Fonctions de poids
4.5.3 Résultats et discussion
Vers un système spatial
Conclusion
Conclusion générale
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