Ce projet de thèse est l’aboutissement de plus de 4 ans d’observation et d’étude d’enfants qui se développent et grandissent dans un contexte culturel que j’aimerais qualifier d’hybride et complexe. Il a été initié peu après avoir été introduite à la Neuropsychologie et plus spécifiquement, à la Neuropsychologie de l’enfant, au cours de mon passage en France dans l’objectif de réaliser un Master de Neuropsychologie à l’université d’Angers en 2013. Ma rencontre avec Pr. Arnaud Roy, Pr. Didier Le Gall et leurs équipes m’a initiée à une question fondamentale à laquelle je ne m’étais jamais sérieusement et scientifiquement attardée et qui concerne la différence transculturelle du développement cognitif et comportemental des enfants. Il y a 5 ans de cela, je conceptualisais le développement cognitif comme universel, ne dépendant pas de la culture, mais uniquement de l’âge chronologique d’un enfant. Depuis, avec plus d’opportunités de côtoyer des enfants issus de différentes cultures et plus de maturité dans mon observation opérationnelle et objective d’enfants en développement, mes représentations ont évolué. Ainsi, le questionnement fondamental était de s’interroger sur le développement cognitif des enfants Libanais, étant donné que les études en la matière sont quasi absentes auprès de cette population.
Données démographiques
Le Liban est un pays Méditerranéen du Proche-Orient qui partage ses frontières avec la Syrie et l’Israël et qui se trouve le long de la côte méditerranéenne avec Chypre à l’Ouest. La capitale du Liban est Beyrouth et la langue officielle est l’Arabe bien que le Français et l’Anglais demeurent les langues employées dans l’enseignement tant privé que public et gardent une place intégrale dans le monde du commerce et dans la société. Le Liban est un pays indépendant depuis 1943, quand il a pris son indépendance après une colonisation Française qui a duré 23 ans. La langue Française, bien qu’ayant perdu son statut officiel au Liban, reste dans la constitution. Le Liban est un pays pluriconfessionnel : les religions sont réparties en 18 confessions reconnues par l’État et représentées politiquement dans l’assemblée nationale libanaise vu qu’à ce jour, le système politique Libanais est fondé sur le confessionnalisme.
Les religions sont principalement musulmanes et chrétiennes mais également Druzes. Les religions musulmanes sont en majorité des chiites et sunnites et les chrétiens sont en majorité des maronites, suivis par des grecs orthodoxes et des grecs catholiques. Les sunnites sont concentrés au centre de Beyrouth et dans le nord du pays, les chiites dans la banlieue de Beyrouth, au sud du Mont-Liban et dans le nord de la plaine de la Bekaa. Les maronites et les grecs orthodoxes sont plutôt rassemblés en périphérie (Mont Liban) et dans Beyrouth, ainsi que dans la moitié nord du Liban. Les druzes, enfin, sont regroupés au Sud du Mont-Liban.
Le statut particulier des langues
Le Liban est considéré comme un pays ayant un contexte multilangagier et multiculturel complexe (Bahous et al. 2011). La langue officielle nationale est l’Arabe et la majorité des Libanais utilisent le dialecte Libanais vernaculaire (derej ou دارج) , qui fait partie de l’Arabe Levantin, comme mode de communication au quotidien. Les Libanais sont aussi exposés à l’Arabe Moderne Standard (MSA ou فصحى) comme langue officielle dans les journaux, nouvelles télévisées, ou autres modes de communication officiels. Il est important de mentionner que les deux dialectes, bien qu’ayant certaines similarités, présentent des différences majeures au niveau syntaxique, morphologique et lexical (Holes, 2005). Ainsi, l’Arabe libanais est un modèle classique d’une langue diglossique où deux variétés d’une même langue sont utilisées dans une même communauté (Ferguson, 1959). En plus d’être exposés à deux formes d’une même langue, les Libanais, dans leur grande majorité, sont bilingues ou trilingues. Le Français et l’Anglais gardent une place majeure dans l’éducation et dans le monde du commerce au Liban. Vingt pour cent de la population Libanaise utilise une langue étrangère (Français ou Anglais) dans leur quotidien comme premier mode de communication et, avec le temps, on s’attend à un accroissement, auprès de la jeunesse Libanaise, de l’utilisation de langues étrangères et une diminution de l’utilisation du dialecte Libanais (Shawish, 2010).
La scolarité au Liban
En ce qui concerne la scolarité, l’école au Liban est obligatoire de 6 à 15 ans. Si les études après le Brevet sont facultatives, la majorité des jeunes Libanais continuent leurs études jusqu’à l’université. Les statistiques du ministère de l’éducation et de l’éducation supérieure, au cours de l’année 2018, montrent que 51.4% des écoles libanaises offrent une éducation avec le Français comme première langue d’instruction contre 48.6% pour l’Anglais (Centre de Recherche et de Développement Pédagogique, 2018). Les enfants libanais commencent à apprendre le Français ou l’Anglais, et souvent les deux simultanément, en période préscolaire dans les écoles privées et dans la majorité des écoles publiques (Shaaban & Ghaith, 1997). Les cours de Français et d’Anglais sont offerts en moyenne 8 heures par semaines dans les classes élémentaires et sont utilisés comme langue d’instruction pour l’éducation des mathématiques et des sciences, incluant tous types de sciences sociales (géographie, histoire, économie, philosophie, etc.).
Bien que la majorité des élèves Libanais reçoivent une éducation francophone, la proportion des élèves fréquentant les écoles francophones au Liban est en constante diminution, en faveur des établissements anglophones. Les examens officiels, soit le Brevet et Baccalauréat Libanais, peuvent se faire, au choix, en Français ou en Anglais, dépendamment de l’institution scolaire de l’enfant. Le Baccalauréat Français ainsi que le Baccalauréat International sont également reconnus par l’État comme équivalents au Baccalauréat Libanais. Certaines écoles privées (notamment les écoles homologuées Françaises) encouragent la passation des deux Baccalauréats, Libanais et Français. Les écoles libanaises sont soit privées soit publiques. Les écoles publiques libanaises sont financées par le ministère de l’éducation et de l’éducation supérieure. Au Liban, la majorité de l’éducation est assurée par des établissements privés. En effet, selon le ministère de l’éducation et de l’éducation supérieure, 70% des enfants libanais sont inscrits dans le secteur privé, ce qui représente donc la majeure partie de la population (CRDP, 2018). Parmi les enfants inscrits dans le secteur privé, 52.6% suivent leur éducation dans des écoles privées payantes, 13.7% dans des écoles privées gratuites et 3.4%, dans des écoles privées palestiniennes gratuites. Les écoles publiques sont relativement délaissées par l’État, ce qui fait qu’il existe un décalage important entre l’éducation privée et publique (Frayha, 2009). Cet écart contribue grandement aux inégalités, notamment face à l’afflux de réfugiés syriens qui fréquentent généralement les écoles publiques. De plus, les études nationales ont montré que les étudiants inscrits dans les écoles privées affichaient un taux de réussite nettement plus important aux examens officiels (83.1%). Ce taux baisse à 64% pour les étudiants issus des écoles publiques. Les étudiants venant du secteur privé ont bénéficié d’enseignants plus qualifié, outre un risque moindre de redoublement, par comparaison aux enfants inscrits dans les écoles publiques (PNUD Report, 2009). En effet, en 2011, une étude a montré que l’État libanais n’investissait que 1.6% du PIB national dans l’éducation publique alors que d’autres pays Arabes montraient des taux nettement plus élevés (Soueid et al., 2014).
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. CONTEXTE LIBANAIS
2.1.Données démographiques
2.2.Le statut particulier des langues au Liban
2.3.La scolarité au Liban
2.4.Les valeurs Libanaises
2.5.La psychologie de l’enfant au Liban
3. LES FONCTIONS EXECUTIVES
3.1.Définition
3.2.Développement des FE
3.3.Modélisations des FE chez l’enfant
3.4.Influences culturelles et sociodémographiques
3.5.L’évaluation des FE chez l’enfant
3.6.Clinique des troubles des fonctions exécutives chez l’enfant
4. PROBLEMATIQUE, OBJECTIFS ET HYPOTHESES
4.1.Objectifs et Problématique
4.2.Hypothèses
5. METHODOLOGIE
5.1.Participants
5.2.Matériels
5.3.Procédure
6. ETUDE 1: DEVELOPPEMENT DES FE AUPRES DE LA POPULATION LIBANAISE
7. ETUDE 2: CAS CLINIQUE: FE CHEZ UN ENFANT LIBANAIS AVEC UNE EPILEPSIE DU LOBE FRONTAL
8. DISCUSSION GENERALE
8.1.L’adaptation méthodologique du protocole FEE
8.2.Le développement typique des FE chez les enfants Libanais
8.3.L’influence des facteurs sociodémographiques sur le développement des FE
8.4.L’évaluation des FE chez un enfant Libanais avec ELF
9. LIMITES ET PERSPECTIVES
9.1.Limites
9.2.Perspectives
10. CONCLUSION
11. BIBLIOGRAPHIE
12. ANNEXES