Les travaux de thèse présentés dans ce manuscrit ont été effectués au sein du Laboratoire Prototypages et Procédés Composants (L2PC, CEA LITEN, Grenoble) et ont été cofinancés par la Direction Générale de l’Armement. La technologie étudiée au cours de cette thèse est un supercondensateur hybride au potassium (KIC), combinant une électrode de type condensateur et une électrode de type batterie. Le développement des supercondensateurs hybrides découle du besoin croissant en systèmes de stockage d’énergie pour permettre l’électrification de nos moyens de transport et l’intégration des énergies renouvelables au réseau électrique. L’objectif d’un supercondensateur hybride est de combiner les attributs des supercondensateurs (puissance et cyclabilité) avec ceux des batteries (densité d’énergie). Dans le système KIC étudié, le lithium et le cuivre communément utilisées au sein des technologies lithium-ion sont remplacés par du potassium et de l’aluminium. Cela permet d’obtenir un système peu coûteux et sans matériaux stratégiques et critiques. De plus, la formation de dendrites est impossible ce qui permet d’augmenter la sécurité du système.
Comment combiner énergie et puissance tout en utilisant des matériaux abondants ?
Les systèmes de stockage d’énergie sont utilisés dans de nombreux domaines (industrie, transports, réseau électrique, dispositifs électroniques, militaires, médicaux) et jouent actuellement un rôle majeur dans le processus d’électrification des moyens de transports et l’intégration des énergies renouvelables au réseau électrique. Il existe principalement deux types de dispositifs de stockage d’énergie électrochimique réversible. D’une part, les supercondensateurs présentent une densité de puissance et une cyclabilité élevées, mais une faible densité d’énergie.
La complémentarité des deux technologies a donc donné lieu au développement de supercondensateurs hybrides combinant une électrode de type supercondensateur et une électrode de type batterie. La technologie de supercondensateur hybride au potassium étudiée dans cette thèse est composée de la même façon. Parmi ces nouveaux systèmes, le système le plus avancé à l’heure actuelle est le supercondensateur hybride au lithium.
Avant de poursuivre, une précision est nécessaire pour les termes employés. Par convention, le terme « capacité » en mAh fait référence à un dispositif de stockage de type batterie où se produisent des réactions faradiques alors que le terme « capacitance », exprimé en farad (F), réfère au mécanisme de charge capacitif dans un supercondensateur. La conversion peut être réalisée grâce à la formule suivante :
? (??ℎ) = ? (?) × ?????? (?) (1)
Les supercondensateurs
Avec un concept établi depuis le XVIIIème siècle et un premier brevet en 1957 [1]-[2], les supercondensateurs sont des systèmes de stockage connus depuis de nombreuses années notamment avec l’essor des équipements électroniques pour le grand public dans les années 80. Cependant, l’attention autour de cette technologie s’est intensifiée dans les années 2000 avec la problématique d’électrification de nos moyens de transport (Modèle FCX chez Honda, Yaris Hybrid-R chez Toyota et d’autres modèles chez Mazda, Nissan, etc.). En effet, un supercondensateur peut venir en soutien d’une batterie dans un véhicule hybride [3] pour des applications à haute puissance (démarrage, accélération) ou de la récupération d’énergie (freinage).
Principe de fonctionnement et composition d’une cellule
Avec un temps de réponse de l’ordre de la seconde, les applications à haute puissance conviennent parfaitement aux supercondensateurs grâce à la rapidité de leur mécanisme de stockage de charge. Les supercondensateurs peuvent être divisés en deux catégories selon la nature de ce mécanisme, électrostatique ou faradique [4]. D’un côté, les supercondensateurs à double couche électrique (EDLC, Electric Double Layer Capacitor) stockent les charges grâce à l’interaction électrostatique via la formation de doubles couches électriques aux interfaces électrode/électrolyte. Bien que la théorie des doubles couches électriques sur des surfaces planes soit bien définie, la structure poreuse (taille, forme et chimie de surface des pores) des électrodes ne permet pas réellement la formation de ces doubles couches dans le cas des supercondensateurs .
A la charge, les ions présents dans l’électrolyte s’accumulent à la surface de l’électrode de polarité opposée donnant lieu à la formation de deux doubles couches électriques. Le circuit électrique équivalent à un EDLC se compose donc de deux condensateurs en série avec une résistance représentant l’électrolyte. D’un autre côté, les pseudocondensateurs stockent les charges via des réactions faradiques rapides et réversibles se produisant à la surface ou à proximité de la surface des électrodes. Se rapprochant du fonctionnement des batteries, l’énergie stockée peut être plus importante mais les densités de puissance sont généralement plus faibles à cause de la nature faradique du mécanisme de stockage. Ce type de supercondensateurs est donc moins fréquemment utilisé [6]. Les supercondensateurs les plus commercialisés sont des EDLC comprenant des électrodes en carbone activé et des électrolytes organiques à base d’acétonitrile (ACN) ou de carbonate de propylène (PC) [7] et un sel tétraéthylammonium tétrafluoroborate (TEABF4). Ces choix de matériaux permettent d’assurer une grande surface disponible pour accueillir des ions et une conductivité importante pour leur transport [8]. Comme cela a été présenté durant la conférence ISEECap 2022, les recherches actuelles ont pour objectif de s’affranchir de l’utilisation de l’acétonitrile, notamment à cause de sa nocivité et son inflammabilité [9], cependant l’utilisation de ce solvant permet d’obtenir les meilleures performances actuellement. L’électrode de type supercondensateur utilisée dans le supercondensateur hybride étudié au cours de cette thèse est en carbone activé (AC) et a un mécanisme de stockage de charge électrostatique. Pour la suite, notre attention va donc se porter sur les EDLC.
Caractéristiques – Applications
Utilisés dans les bonnes conditions de tension et de température, les principaux avantages des supercondensateurs sont la possibilité de les charger/décharger très rapidement et une cyclabilité élevée. De plus, ces systèmes montrent de bonnes performances à basse température et ne contiennent pas de matériaux stratégiques et critiques.
Mécanismes de dégradations
La capacitance d’un supercondensateur dépend fortement de l’interface électrode/électrolyte où la surface accessible et la taille des pores du matériau actif jouent un rôle majeur [13]. Les électrodes en carbone activé sont donc les plus utilisées en raison de leur structure poreuse assurant une grande surface accessible aux ions ainsi qu’un coût faible. Ce matériau hautement poreux permet de maximiser la surface de contact entre l’électrode et l’électrolyte et ainsi augmenter la capacitance obtenue. Cependant, les traitements chimiques et thermiques permettant l’activation du carbone, nécessaires pour obtenir cette structure poreuse, sont l’origine principale du vieillissement des supercondensateurs.
Essais de vieillissement
Il existe deux méthodes pour étudier les conséquences du vieillissement des EDLC, causé par les réactions décrites ci-dessus. Les essais de cyclage consistent en des cycles de charge/décharge galvanostatique à des régimes de courant élevés. Les essais de « floating » consistent à maintenir des contraintes fixes, par exemple une tension de cellule et une température d’utilisation élevées. Le premier est assez proche des conditions d’utilisation d’un EDLC alors que le second permet de réaliser un vieillissement accéléré .
Lors d’un essai de cyclage, la capacitance diminue légèrement lors des premiers milliers de cycles pour se stabiliser à une valeur proche des 90 % de la valeur initiale même après 10 000 cycles. Dans le cas d’un essai de « floating », la capacitance chute rapidement et atteint 80 % de la valeur initiale après 6000 heures. Quel que soit l’essai de vieillissement considéré, les dégradations au sein du système ont pour conséquence la diminution de la capacité et également l’augmentation de la résistance interne [20]. Les critères de fin de vie d’un supercondensateur sont une réduction de 20 % de la capacité ou un doublement de la résistance par rapport aux valeurs initiales .
L’évolution de la capacité en fonction du nombre de cycles met en évidence un phénomène de régénération des performances si un temps de pause est réalisé. Cette régénération s’accentue durant le cyclage. Comme cela sera décrit dans une partie suivante, le fonctionnement d’un EDLC entraine un échauffement au sein de la cellule. Nous pouvons donc supposer que cette régénération des performances est due au refroidissement de la cellule lors du temps de pause et également à une redistribution de charges. Pour analyser le vieillissement du supercondensateur hybride au potassium étudié dans cette thèse, les essais de cyclage ont été choisis car ils se rapprochent des conditions réelles d’utilisation. L’évolution des performances au cours des cycles ainsi que l’impact d’un temps de pause sur les performances seront donc à étudier.
Les batteries M-ion
Contrairement aux supercondensateurs, le concept des batteries M-ion (M = Li, Na, K, etc.) est assez récent. Le principe de fonctionnement, dit « rocking-chair », a été démontré pour la première fois dans les années 70 et ce n’est que 20 ans plus tard que le premier accumulateur lithium-ion (LIB) est alors commercialisé [31]. Les performances et le coût de ces batteries en font la technologie de premier choix pour le stockage de l’énergie électrique, en particulier dans les applications à grande échelle telles que les transports et les réseaux électrifiés. Pour des applications de puissance, des efforts doivent encore être faits en terme de coût et de sécurité [32]. De plus, les besoins croissants posent la question de l’épuisement des ressources. Ces préoccupations poussent la recherche à se tourner vers les technologies dites « post Li-ion » .
Les batteries Li-ion sont à un état de recherche avancé avec des produits commercialisés alors que les batteries Na-ion et K-ion sont encore à stade de développement précoce. Cependant, dans le cadre de notre étude, nous avons quand même porté notre attention sur les batteries potassium-ion (KIB) puisque le système étudié au cours de cette thèse est à base de potassium.
Caractéristiques – Applications
Comparés aux supercondensateurs, le principal avantage des accumulateurs M-ion est leur densité d’énergie importante permettant d’atteindre des coûts par kilowattheure plus faibles. La densité de puissance des LIB a d’abord été un facteur limitant mais des valeurs intéressantes (1000 – 3000 W/kg) sont désormais obtenues pour des cellules dites de puissance dont le coût est cependant plus élevé. D’un autre côté, l’une des principales limitations est l’impact de la température sur le bon fonctionnement des LIB. Les accumulateurs Li-ion présentent une plage de température de fonctionnement réduite par rapport aux supercondensateurs, notamment pour des applications de puissance, et ont également une durée de vie (en nombre de cycles) limitée par rapport à ces derniers.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Comment combiner énergie et puissance tout en utilisant des matériaux abondants ?
I. Les supercondensateurs
1) Principe de fonctionnement et composition d’une cellule
2) Caractéristiques – Applications
3) Mécanismes de dégradations
a. Essais de vieillissement
b. Tension de fonctionnement – Dégagement gazeux
c. Température de fonctionnement – Échauffement
d. Conclusions
II. Les batteries M-ion
1) Principe de fonctionnement et composition d’une cellule
2) Caractéristiques – Applications
3) Mécanismes de vieillissement
a. Création de la couche de passivation
b. Dégagement gazeux
c. Échauffement du système
d. Essais de vieillissement
e. Conclusions
III. Les supercondensateurs lithium-ion (LIC)
1) Principe de fonctionnement
2) Caractéristiques – Applications
3) Mécanismes de vieillissement
a. Essais de vieillissement
b. Création de la SEI
c. Dégagement gazeux
d. Échauffement des cellules
e. Conclusions
IV. Vers une chimie au potassium pour les supercondensateurs hybrides
1) Choix du potassium
a. Comparaison des caractéristiques du lithium, du sodium et du potassium
b. Intercalation du potassium dans le graphite
2) État actuel du développement des KIC
3) Présentation du système KIC étudié au cours de cette thèse
Chapitre 2 : Quels sont les principaux verrous liés au fonctionnement de notre système KIC ?
I. Présentation du système étudié et évaluation des performances initiales
1) Description des cellules réalisées pour étudier le système
a. Préparation des électrodes
b. Réalisation de cellules au format sachet souple
c. Définition du cœur électrochimique
2) Influence de la température de fonctionnement sur les performances du système
3) Évaluation de l’autodécharge du système
4) Performances du système KIC – Essais de vieillissement par cyclage
II. Étape de formation et première hypothèse pour expliquer les performances du système KIC
1) Description du protocole de formation – Formation à 5C
2) Détermination de la fenêtre de stabilité électrochimique de l’acétonitrile
III. Nécessité d’une électrode de référence à intégrer au système KIC
1) Recherche d’une électrode de référence compatible
a. Blanc de Prusse
b. PTMA
c. LiFePO4 (LFP)
2) Validation de la référence – Utilisation dans des systèmes symétriques
3) Utilisation de l’électrode de référence LFP dans notre système KIC
IV. Identification des phénomènes de dégradation au sein du système KIC
1) Caractérisation de l’électrode négative après le protocole de formation
2) Évolution de la SEI au cours du cyclage
3) Mesure du gonflement des cellules KIC
V. Conclusions
Chapitre 3 : Comment influer sur la formation des KIC en s’inspirant des formations de cellules Li-ion ?
I. Influence d’un changement du protocole de formation sur les performances
1) Identification des paramètres influents dans le protocole de formation des accumulateurs Li-ion
2) Influence de la densité de puissance et de la température de fonctionnement sur les performances du système
3) Évaluation de l’autodécharge du système
4) Performances du système – Essais de vieillissement par cyclage
II. Caractérisations du système KIC formé à un régime de C/2
1) Systèmes à 3 électrodes – Détermination des plages de potentiel de fonctionnement des électrodes du système
2) Caractérisation de l’électrode négative après le protocole de formation
3) Évolution de la SEI au cours du cyclage
4) Suivi du gonflement des cellules au cours du temps
III. Étude du phénomène de gonflement des cellules
1) Essais à tension constante pour identifier les plages d’instabilité du système
2) Phénomène à faible tension – Formation de la SEI
3) Phénomène à haute tension – Décomposition de l’électrolyte
4) Identification du gaz généré
IV. Conclusions
Chapitre 4 : Une étape à tension constante pour améliorer les performances?
I. Impact de l’ajout d’une étape à tension constante dans le protocole de formation
1) Définition du protocole de formation à tension constante
2) Influence de la densité de puissance et de la température de fonctionnement sur les performances du système
3) Évaluation de l’autodécharge du système
4) Performances du système – Essais de vieillissement par cyclage
II. Étude des phénomènes de dégradation suite à la formation à tension constante et stabilisation des performances sur le long terme
1) Caractérisation de l’électrode négative après le protocole de formation
2) Évolution de la SEI au cours du cyclage
3) Évaluation de la durée de vie d’une cellule KIC
III. Conclusions
Chapitre 5 : Mise à l’échelle vers un prototype empilé – quel effet sur les performances ?
Conclusion générale