INTRODUCTION
Le diabète de type 1 (DT1) est une des maladies chroniques de l’enfant les plus fréquentes et dont l’incidence ne cesse d’augmenter en France (+4.5%/ an) et de par le monde (1–5). Les données épidémiologiques françaises récemment publiées révèlent que le taux d’incidence a doublé en 30 ans chez l’enfant et l’adolescent, et est deux fois plus rapide chez les moins de 5 ans (2,3,6). Ainsi, l’incidence actuelle au sein de la population pédiatrique française est de 18/100 000 enfants, avec une disparité régionale importante (pic d’incidence en ProvenceAlpes-Côte-d’Azur (PACA) et Corse (7)) se rapprochant des taux les plus élevés du monde (8). La modalité de découverte du diabète de type 1 reste encore l’acidocétose pour 44% des enfants français (plus de 54% des moins de 5 ans) (9). Cette complication grave reste ancrée dans la mémoire des familles aussi bien lors de la formation initiale que lors du suivi au long cours. Après la découverte et l’annonce du diagnostic, la prise en charge initiale du diabète nécessite une éducation thérapeutique de l’enfant, de la famille et des aidants. Cette éducation porte sur l’acquisition des connaissances nécessaires à la gestion des situations urgentes, de l’alimentation et de l’injection d’insuline avec adaptation des doses, en fonction des contraintes quotidiennes. Cependant, si la prise en charge hospitalière permet de développer les connaissances théoriques de l’enfant et des parents, elle ne permet pas un apprentissage dans les conditions de vie réelles, propres à chaque famille, ni de former les aidants. Aussi, plusieurs expériences internationales ont rapporté la mise en place des soins à domicile, soit immédiatement après diagnostic, soit après une courte hospitalisation conventionnelle (10– 18). L’évaluation de ce type de parcours a montré que l’HAD permettait d’obtenir un contrôle métabolique et un taux de complication au cours du suivi équivalents à ceux observés après prise en charge hospitalière (12–15). Les études soulignaient une augmentation de la satisfaction globale (13,14), une diminution de l’impact global de la maladie ressenti par la famille (16), sans différence sur l’impact psychosocial ou les connaissances du diabète (17). Sur le plan sociétal, on note une diminution du retentissement professionnel et financier pour les parents, majoritairement chez les mères (13,16,19), ainsi qu’une diminution du coût global de la prise en charge de l’enfant après le diagnostic (13,15,16). En France, aucune étude n’a été publiée sur le sujet à ce jour et, à notre connaissance, aucun parcours d’HAD formalisé n’a été mis en place après diagnostic de DT1 chez l’enfant. Une modification du parcours de soins du patient, avec mise en place de l’HAD après découverte du diabète, est envisagée au sein du service de diabétologie pédiatrie de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM), avec un projet de développement territorial secondaire, soutenu par l’Agence Régionale de Santé (ARS). A cet effet, nous avons réalisé une enquête préliminaire auprès des familles et médecins traitants, afin de mieux définir les attentes ou freins au développement d’un tel projet, au sein de deux villes ayant des caractéristiques socioéconomiques différentes, mais appartenant au même territoire cible (20,21). L’objectif principal de l’étude était d’évaluer si la mise en place d’une HAD était souhaitée par les parents et médecins généralistes des enfants récemment diagnostiqués DT1, avant l’âge de cinq ans. Notre second objectif était d’identifier les attentes et freins principaux à la mise en place de ce projet.
Information et éthique
Un courrier d’information a été envoyé au domicile de chaque famille. Les familles ou médecins pouvaient refuser de participer à l’étude avant, pendant ou après l’entretien. Cette étude a été enregistrée auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) au numéro 2124840v0.
La durée d’hospitalisation conventionnelle et le support de proximité pour la gestion de l’urgence
Les familles auraient désiré, en l’absence de complication, une réduction de la durée de l’hospitalisation conventionnelle initiale à moins de 15 jours (56 / 57, 98%), 74% proposant une diminution de celle ci de 3 à 7 jours. Dans la perspective d’une prise en charge en HAD, 88% des familles (43 / 49) auraient désiré une prise en charge inferieure ou égale à trois semaines, avec un rythme de 1 à 3 visites par semaine. Toutes les familles réclamaient la présence d’un serveur téléphonique en cas d’urgence, si possible joignable 24h/24, 7j/7. Ce serveur téléphonique au sein de l’HAD était considéré comme indispensable par 96% des familles.
L’organisation du retour en milieu scolaire et extrascolaire
Les familles auraient apprécié l’intervention de l’HAD au sein de l’école de leur enfant dans 96% des cas (47 / 49), notamment via une réunion d’information auprès des professionnels scolaires : toutes les familles désiraient une intervention auprès du professeur des écoles, 96% auprès des Agents Territoriaux Spécialisés des Ecoles Maternelles (ATSEM), 89% auprès du directeur de l’école et de l’agent du service cantine. La présence du médecin ou de l’infirmière scolaire lors de cette intervention n’était demandée que par 62% des familles. La présence des autres parents et camarades à cette réunion d’information n’était pas nécessaire selon la majorité des parents. Cette demande d’information de l’équipe éducative est supportée par les difficultés rencontrées après diagnostic du diabète : 23% des familles se sont vues refuser l’accès à la garderie ou à l’école, 12% à la cantine scolaire et 35% des familles ont dû composer un panier repas. L’absentéisme scolaire ou en garderie lié au diabète, a concerné 71% des enfants ; sans que le diabète ne représente un frein à la participation aux activités scolaires des enfants (88%). Quatre enfants (12%) ont eu un absentéisme scolaire dont la durée a dépassé 10% du temps scolaire ou ont eu un impact sur leurs acquis. Concernant l’impact scolaire et social sur la fratrie, il n’y avait pas d’absentéisme scolaire secondaire ou de retentissement sur les liens amicaux dans 96% des cas (45 / 47 des fratries). Une intervention de l’HAD au sein de certaines structures extrascolaires était jugée utile par 78% des familles (38 / 49): auprès du centre aéré (84%), auprès d’assistantes maternelles formées au diabète (82%) et auprès des clubs sportifs (40%). Il n’y avait pas eu de perturbation des activités sportives ou de loisirs, ni des relations sociales, suite à la découverte du diabète dans 95% des cas (54 / 57).
DISCUSSION
Cette enquête descriptive multicentrique a permis de déterminer si le développement d’une HAD lors du diagnostic du diabète chez les enfants de moins de 5 ans était souhaité par les familles et les médecins généralistes ; et de mieux définir quelles étaient les attentes et freins principaux à la mise en place de ce parcours de soin. Notre étude rapporte que 79% des familles et 87% des médecins généralistes interrogés considéraient indispensable le développement de cette prise en charge en HAD, qui ferait suite à une hospitalisation conventionnelle écourtée. Le frein principal à la mise en place de l’HAD est social. En effet, les familles en situation de précarité étaient significativement plus enclines à refuser une prise en charge ambulatoire, par rapport aux familles non précaires (7 vs. 1, p < 0,001). Les deux centres participant à cette étude comprenaient toutefois des populations dont le niveau de précarité était différent. La difficulté de compréhension du français (p < 0,001) et le faible niveau d’étude de la mère (p < 0,001) représentaient également des freins à l’instauration de l’HAD, ces deux éléments étant principalement retrouvés dans les populations précaires. A notre connaissance, cette étude est la première évaluant l’opinion des familles et médecins traitants d’enfants diabétiques français concernant un parcours de soins ambulatoire, de type HAD. Notre étude porte sur un territoire particulièrement touché par l’augmentation de l’incidence du diabète infantile (7). Le taux de réponse au questionnaire est important réunissant 98% des familles et 97% des médecins généralistes interrogés. Notre cohorte est comparable à la population d’enfants diabétiques français de moins de 5 ans : pour le sexe ratio (7) ou par le mode de révélation du diabète (9) avec 53% de formes compliquées (24). Il est intéressant de noter que 7% des familles méconnaissaient la présence d’une complication au diagnostic. Concernant la prise en charge thérapeutique, 60% des enfants de notre étude étaient traités par l’intermédiaire d’une pompe à insuline au moment du diagnostic, soit une pratique comparable à celle récemment rapportée en France (29). La satisfaction globale des familles concernant l’encadrement par l’équipe hospitalière (84%) ou par le médecin généraliste (87%) était également similaire aux données de l’étude nationale (90%). De même, le sentiment d’être seul ou démuni face au diabète était équivalent (60% vs. 50% des familles dans l’étude sus citée) (29). Les limites principales de cette étude sont la taille de l’échantillon et quelques possibles biais d’information (biais de mémorisation, de prévarication et de compréhension). Nous avons tenté de minimiser ces biais en excluant tous les enfants dont le diagnostic était supérieur à 3 ans et en réalisant une analyse multivariée des facteurs liés au refus des familles d’une prise en charge de type HAD. De plus, devant l’âge des enfants de l’étude, nous n’avons pu utiliser un questionnaire de qualité de vie validé en France, dans sa totalité. Le questionnaire DQOLY a été également utilisé dans la cohorte française de plus de 4000 enfants entre 2009 et 2014 (33). Parmi les attentes les plus fréquentes, trois concernaient les compétences psychosociales pour lesquelles la prise en charge en hospitalisation conventionnelle répond insuffisamment : (1) faire le lien avec l’école, (2) avec les soignants de proximité et (3) connaître les aides sociales pour faciliter le quotidien. Ces problématiques ont été décrites auparavant (23,30,31). Dans notre étude, il est intéressant de noter que les parents n’attendaient pas de cette prise en charge, qu’elle les aide à rompre avec l’isolement induit par la pathologie, ni à informer l’entourage (hors aidants). Le désir du respect de l’intimité familiale a été exprimé par 72% des familles avec un refus d’intervention de l’HAD dans les relations avec l’entourage. Dans le domaine du savoir, l’attente des familles était, de manière prévisible, importante. Cela souligne la nécessité d’un transfert de la compétence, de l’hôpital vers le domicile, grâce à l’éducation par un intervenant qualifié. Quant au savoir-faire, l’attente sur l’acquisition technique restait importante pour les patients traités par une pompe à insuline mais était moins présente pour les patients traités par multi injections au stylo. Il faut toutefois garder en mémoire que le traitement par pompe à insuline reste le traitement de référence pour les enfants de moins de cinq ans (25,32–34) et que la facilitation du développement de l’HAD ne doit pas comprendre une indication préférentielle de traitement par injection au stylo. La gestion de la situation d’urgence fait référence à celle que 53% des parents de l’étude ont vécu récemment lors de la découverte du diabète associé à une complication. La plus-value attendue de l’HAD serait de délivrer 24/24h une réponse professionnelle en cas d’urgence (désirée par 100% des familles et médecins). Il serait intéressant d’évaluer si cette attente persiste en dehors d’une situation de découverte du diabète. L’analyse des principales attentes indique donc que le champ d’intervention de l’HAD ne nécessite pas de plateau technique lourd, mais doit valoriser la mise à disposition d’intervenants, couvrant des champs spécifiques, notamment éducatifs et sociaux. Par delà les attentes rapportées par les familles, notre étude montrait un impact social important après diagnostic du diabète de l’enfant ; avec notamment, un retentissement négatif sur l’exercice professionnel maternel : toutes les femmes ayant une activité professionnelle ont dû s’absenter pendant l’hospitalisation de leur enfant et 2/3 ont eu un absentéisme professionnel de plus d’un mois lors de la première année de la découverte du diabète. Cet impact professionnel, prédominant chez les mères, a été précédemment décrit (13,19) ou est en cours d’étude (29). Les familles de notre étude évoquaient le désir d’une réduction de la durée de l’hospitalisation initiale à moins de 7 jours (74%), en y associant une HAD de deux à trois semaines, à raison de deux à trois visites par semaine. Cette organisation pourrait avoir un impact sur la durée d’absentéisme professionnel maternel par la mobilisation plus précoce des aidants. Les familles soulevaient également le problème de garde de l’enfant, tant en terme d’impact financier, que par l’inquiétude induite par le manque de formation au diabète des nourrices et assistantes maternelles (seules 16% des familles y faisaient appel). De plus, les conséquences économiques pour la famille sont plus importantes lors d’une hospitalisation conventionnelle (13,15,16) et le coût de l’hospitalisation initiale est plus élevé pour les enfants issus de foyers à faible statut socioéconomique (35). Une prise en charge ambulatoire serait donc à valoriser pour les familles en difficulté financière, malgré le frein que pourrait représenter la précarité d’après notre étude. Ce frein s’explique principalement par le refus de 75% des familles d’une intervention au domicile (conditions d’habitat notamment), par l’existence d’une barrière culturelle ou linguistique fréquente, avec incompréhension des modalités de l’HAD, ou par une moindre connaissance de l’impact de la maladie sur l’enfant et des enjeux au long cours (36–38). Après le diagnostic, le retour à l’école et l’acceptabilité par l’équipe éducative est au cœur des préoccupations. Si l’absentéisme délétère à la scolarité (> 10% du temps scolaire (23)) était finalement peu important dans notre étude (12%), les familles ont malgré tout dû mettre en place des stratégies d’adaptation non anticipées ni préconisées par l’équipe médicale référente : apport d’un panier repas, exclusion de la cantine scolaire ; avec pour allégation, la nécessité d’un «régime diabétique». Les recommandations alimentaires pour l’enfant diabétique sont pourtant identiques à celles de l’enfant non diabétique et ne justifient pas ces mesures marginalisantes. Une équipe spécialisée de proximité pourrait donc supporter les équipes scolaires tout en dédramatisant la prise en charge du diabète et du port d’une pompe à insuline. L’attente principale des médecins généralistes vis à vis de l’HAD concernait le lien avec l’hôpital et l’amélioration du partage des informations et des connaissances. La prise en charge des enfants DT1 au cabinet restait une situation d’exception et était d’autant plus compliquée que l’accès au carnet de surveillance glycémique et au protocole hospitalier était difficile. Ces problématiques pourraient expliquer que la situation actuelle (en l’absence d’HAD), ne convienne pas à 47% des médecins interrogés. Ainsi, la création d’un dossier médical informatisé partagé serait appréciée par 68% des médecins généralistes.
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Table des matières
Développement de l’hospitalisation à domicile (HAD) pédiatrique après diagnostic du diabète : évaluation des attentes et freins auprès des familles et médecins généralistes
I. INTRODUCTION
II. MATERIEL ET METHODES
1. Population d’étude
2. Elaboration des questionnaires
3. Recueil de données
4. Critère de jugement
5. Analyses statistiques
6. INFORMATION ET ETHIQUE
III. RESULTATS
1. Caractéristiques de la population étudiée
1.1 Caractéristiques de la population pédiatrique étudiée (Tableau 1)
1.2 Caractéristiques des familles des enfants diabétiques (Tableau 2)
1.3 Caractéristiques des médecins généralistes (Tableau 3)
2. Le souhait d’une prise en charge par l’HAD
2.1 Par les familles (Tableau 4)
2.2 Par les médecins généralistes
3. Attentes principales vis à vis de l’HAD
3.1 Attentes des familles (Tableau 5)
3.1.1 La durée d’hospitalisation conventionnelle et le support de proximité pour la gestion de l’urgence
3.1.2 Prise en charge sociale
3.1.3 L’organisation du retour en milieu scolaire et extrascolaire
3.1.4 Le lien interprofessionnel
3.1.5 Les relations sociales
3.2 Attentes des médecins généralistes
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
VI. ABREVIATIONS
VII. REMERCIEMENTS
VII. LIENS D’INTERET
IX. BIBLIOGRAPHIE
X. ANNEXES
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