Développement de l’enfant et pédagogie

Développement de l’enfant et pédagogie 

Un premier élément de travail est venu des deux journées d’observations dans la classe de ma tutrice PEMF, professeur des écoles en école d’application de projet Montessori. J’avais alors quelques représentations sur cette pédagogie. Sa qualification de pédagogie alternative me la rendait attrayante et sa réputation de « libre » me faisait associer cette démarche au libre-arbitre de l’enfant, celle-ci ne pouvant ainsi qu’être respectueuse des sujets dans leurs singularités — donc favorisant le développement de chaque enfant. S’opposant à une pédagogie cadrante – donc bridante — et collectiviste — donc inadaptée à chacun —, elle semblait venir épouser mes aspirations pour mes élèves.

La transposition existante à l’école publique des principes pédagogiques de Maria Montessori par des professeurs des écoles

J’ai alors pu observer dans la classe de ma tutrice PEMF l’organisation d’un espace d’apprentissage inspiré des principes pédagogiques de Maria Montessori. Des meubles bas ouverts permettent la mise à disposition des élèves d’un matériel pédagogique en libre accès de plusieurs niveaux de difficultés et organisés par domaines: vie pratique, activités sensorielles, langage et mathématiques. Rangés dans des casiers et disposés en plateaux individuels, le matériel unitaire ne doit être utilisé que par un seul élève. L’organisation de l’espace et du matériel souhaite donner à l’élève la possibilité tant de choisir ses apprentissages que leurs cheminements. Dans la classe de multiple niveaux, et toujours selon la pédagogie de Maria Montessori, le professeur accompagne les élèves individuellement dans l’utilisation correcte du matériel. Enjointe par mes collègues d’établissement, ainsi que par le directeur d’école vantant les travaux du psychologue cognitif Stanislas Dehaene sur le conseil de l’inspectrice de circonscription, j’ai entamé un travail d’approfondissement de mes connaissances relatives à cette pédagogie ainsi que sa mise en œuvre à l’école publique. Le contexte médiatique m’a alors guidée vers l’expérience de l’ancienne professeur des écoles Céline Alvarez. Sur son site internet , elle donne à voir son expérience par le biais de vidéos tournées en classe, de conférences ainsi que des guides pour mettre en œuvre des changements dans sa classe au profit de la pédagogie de Maria Montessori. La mise en avant des résultats observés chez ses différents élèves — mis au regard des théories scientifiques comportementales sur le développement de l’enfant — avaient alors finis de me convaincre que cette méthode pouvait comporter des axes de travail à exploiter dans ma classe : respect du rythme et des envies de chacun, responsabilisation des élèves et travail de l’autonomie et de la concentration comme visées.

Considérations épistémologiques

Psychosociologue de formation et, jusque-là de profession, j’étais partagée face à cette méthode pédagogique : méfiance quant à l’épistémologie du sujet qui lui est sous-jacente et fascination face aux résultats. Cette posture d’attrait et de rejet a sans cesse joué quant à mon positionnement dans la mise en œuvre dans ma classe de certains des aspects pédagogiques.

La normalisation des comportements

Lorsque je travaillais dans un cabinet de conseil auprès des collectifs de soignants traversant une crise groupale, j’ai pu observer les conséquences de la standardisation des pratiques professionnelles et de l’enfermement de la relation des soignants aux patients dans des protocoles de soins. Le règlement — dans le sens d’une règle d’utilisation — des comportements de soin avait un double effet : rassurant et oppressant. Ainsi l’ambivalence exprimée par les soignants traduisait leur ambivalence interne quant aux cadres institutionnels : d’un côté la nécessité de se sentir étayé dans sa pratique et de l’autre un cadre vécu comme persécutant lorsqu’une situation de prise en charge en sortait. Tout événement non inscrit dans le protocole — un soin plus long, un patient qui a besoin d’être rassuré, le manque de matériel ou de lit — générait chez les professionnels les sentiments d’être un mauvais soignant ou de mal faire son travail. Cette dichotomie de la lecture des faits répartie entre le « bien » et « mal » classait la pratique des professionnels dans l’une de ces catégories. La rationalisation et l’objectivation des pratiques engendrent une lecture binaire par les individus de leur vécu. Cette approche va de paire à la volonté en psychologie et en neurosciences d’établir des lois scientifiques relatives aux comportements humains : à tel stimuli A tout sujet répondra B. Si le sujet répond C alors son comportement est considéré comme hors norme. S’il répond D alors il est déviant. Il s’agit d’ordonner la lecture des comportements sociaux selon des principes moraux décrétés comme objectifs. C’est alors en lisant Pédagogie scientifique de Maria Montessori que j’ai retrouvé ces notions : « montrer avec quelle rigueur absolue on devait empêcher et, peu à peu, étouffer tous les gestes indésirables, afin que l’enfant eût un clair discernement du bien et du mal ».

La pédagogie moraliste naturalisante 

Le projet pédagogique de Maria Montessori repose sur l’idée de « pouvoir aider, grâce à des méthodes scientifiques, le développement même de l’homme durant la période de la vie dans laquelle il construit son intelligence et son caractère  ». Pour mener ce projet, Maria Montessori élabore sa théorie du développement de l’enfant basée sur les observations de ses expériences pédagogiques. Il faut alors distinguer deux axes de lecture des travaux de Maria Montessori : d’une part sa conception du développement de l’enfant et d’autre part ses propositions pédagogiques au service de cette conception. Ainsi en 1926, Maria Montessori distingue le développement physiologique du développement de l’enfant en l’associant à un phénomène biologique: « les origines du développement sont intérieures […] selon le destin biologique fixé par l’hérédité ». Si la question de l’hérédité a depuis 1926 été rebattue par les sociologues la qualifiant de construction sociale, c’est à partir de ce regard sur le développement de l’intériorité de l’enfant dans un cadre socialisé que Maria Montessori construit son dispositif pédagogique : révéler les caractères naturels (Montessori, 1926) de l’enfant.

Aujourd’hui, nous pourrions opposer à cette conception du sujet les théories psychanalytiques et socioconstructivistes du développement de l’enfant rejetant toute vision naturaliste de l’âme: les contextes sociaux, culturels et psychiques façonnent les sujets et donc l’enfant. Toutefois, mon éloignement avec la théorie naturaliste — et parfois mystique — du développement de l’enfant construite par Maria Montessori ne m’empêchait pourtant pas de percevoir dans sa pédagogie des intérêts respectant les objectifs théoriques de formation que je m’étais fixés pour mes élèves : concentration, confiance, ancrage des apprentissages dans des besoins quotidiens, respect de la volonté des élèves et autonomie dans l’utilisation du matériel d’apprentissage. Apprendre pour soi et non pour faire plaisir au professeur. En concertation avec ma binôme stagiaire, nous décidons de modifier l’organisation de la classe et d’aménager l’espace de classe .

Le projet pour mes élèves

Les principes 

Afin de permettre à chacun de bénéficier de conditions d’apprentissages respectueuses de chacun et de la vie collective, je me suis appuyée sur les préconisations de Maria Montessori, de Béatrice Missant (2014), de Céline Alvarez ainsi que de ma tutrice PEMF. J’ai alors sélectionné les principes que je jugeaient les plus pertinents pour l’organisation des conditions apprentissages de mes élèves de petite section. J’ai toutefois avancé à tâtons avec ces règles car je ne pouvais pas anticiper comment allait se prendre pour mes élèves cette proposition de fonctionnement.

L’ordre mental

« L’esprit de l’enfant n’est certainement pas vide de connaissances ni d’idées quand débute l’éducation des sens  ». Partant de ce constat, Maria Montessori situe de rôle de l’école dans l’ordonnancement des images mentales. Ainsi, à la façon dont l’élève apprend à mettre « chaque chose à sa place » (Montessori, 1958), c’est la première manifestation de l’ordre de l’esprit qui se forme. Si les contenus sont l’objectif visé, ordonner son environnement matériel pour mieux ordonner la compréhension du monde qui l’entoure. J’ai alors moi-même rééduqué mes gestes avec le matériel : ranger sa chaise avec les deux mains à plats en la levant par le dossier, porter les boîtes d’activités individuelles avec les deux mains, rouler le tapis avec les mains toujours positionnées au même endroit, contourner les tapis, parler à voix basse, par exemple. Selon Maria Montessori, les élèves reproduiront mes gestes à l’identiques et ils les libéreront de l’angoisse de l’inconnu par le sentiment de maîtrise. Ainsi, je dois de manière permanente réaliser les tâches avec les mêmes gestes organisés. En proposant un modèle ordonné et normalisé, j’adresse à l’élève une proposition de manipulation du matériel et dont il pourra s’emparer puis, lorsqu’elle sera maîtrisée, il pourra se concentrer sur le cœur de l’apprentissage intellectuel. Maria Montessori propose tant de régler la question des comportements que celle des fonctionnements collectifs par l’ordonnancement des gestes moteurs afin de libérer l’élève de ces préoccupations parasitant l’accès aux apprentissages. L’ordonnancement de ses gestes favorise la construction des repères permettant à l’élève d’apaiser sa relation à son environnement : c’est la quête d’une classe normalisée, condition selon Maria Montessori des apprentissages individuels.

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Table des matières

Introduction
I – Développement de l’enfant et pédagogie
A) La transposition existante à l’école publique des principes pédagogiques de Maria Montessori
par des professeurs des écoles
B) Considérations épistémologiques
1. La normalisation des comportements
2. La pédagogie moraliste naturalisante
II- Le projet pour mes élèves
A) Les principes
1. L’ordre mental
2. Quelle place pour le professeur dans cette pédagogie ?
3. Enchaîner des tâches complexes dans un projet
4. Quel planning pour ces temps individuels ?
B) Introduction du matériel
1. Présentations collectives et individuelles
2. L’explicitation des apprentissages
C) Les difficultés rencontrées
1. Pour le professeur
2. Pour les élèves
D) Quels contours de l’autonomie dans la journée d’un élève?
1. Apprendre pour soi
2. Apprendre à faire seul
Conclusion

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