L’analyse et la caractérisation chimique des matériaux sont des enjeux majeurs dans de nombreux domaines scientifiques. Dans le domaine du nucléaire, cette analyse est de première importance tout au long du cycle de vie des installations, depuis la recherche et le développement sur de nouveaux matériaux jusqu’au démantèlement des installations. La problématique d’usure des matériaux (tribologie), de vieillissement et de réactivité (corrosion) constitue un défi majeur dans l’industrie nucléaire. Ce besoin de connaissances très fines des matériaux développés et employés concerne par exemple, les revêtements organiques ou inorganiques ou les différentes couches de matériaux multicouches. Il peut s’agir également de déterminer l’origine de la création de défauts ou de fissures, d’analyser les précipités aux joints de grains, ou encore de quantifier certaines hétérogénéités dans un matériau.
Il existe ainsi un besoin de techniques permettant une analyse élémentaire locale, in situ, et présentant une résolution spatiale de quelques dizaines de nanomètre. De plus, il est souhaitable que cette technique d’analyse soit applicable à tout type d’échantillons solides, à température ambiante et à pression atmosphérique. Il est important de noter que ce besoin ne se limite pas au domaine du nucléaire mais qu’il existe aussi pour la biologie, l’industrie de l’électronique ou encore la géologie.
L’ablation laser (AL) est une technique d’échantillonnage couvrant une large gamme d’échantillons solides allant des matériaux conducteurs jusqu’aux non-conducteurs organiques ou inorganiques. Rapide, présentant un faible risque de contamination, l’ablation laser permet, si besoin, une analyse locale sur des zones de quelques micromètres. Couplée à un détecteur spécifique et sensible comme la spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (ICPMS), ce système hybride AL-ICPMS est une technique de choix pour l’analyse élémentaire et isotopique des éléments traces dans les échantillons solides. Malgré tous les atouts de cette technique, sa résolution spatiale est limitée : en raison de la diffraction de la lumière, le faisceau laser ne peut pas être focalisé sur une région de la surface d’intérêt de dimension inférieure à la moitié de la longueur d’onde incidente. Il en résulte, dans le meilleur des cas, des tailles de cratères ainsi que des résolutions latérales de l’ordre de quelques micromètres. Cette résolution est insuffisante pour la caractérisation de « structures » de surface ayant des dimensions sub-longueur d’onde.
Il existe cependant, des outils de caractérisation de surface à l’échelle nanométrique comme le microscope électronique à balayage (MEB) et les microscopes à balayage de pointe, qui permettent d’assurer la caractérisation de surfaces à l’échelle de dizaines de nanomètres. Ces outils ont montré leur capacité à réaliser des images de surface à l’échelle de l’atome. Ces microscopes à balayage de pointe appartiennent à la famille des microscopes en champ proche. Lorsqu’une source de lumière illumine la surface d’un échantillon, deux champs optiques sont générés. Le premier, appelé champ optique lointain, correspond aux basses fréquences spatiales de l’objet. Il est constitué d’ondes propagatives qui sont détectées en microscopie conventionnelle. Le second est appelé le champ proche optique et il est constitué d’ondes évanescentes qui correspondent aux hautes fréquences spatiales (détails fins de l’objet). Ce champ est confiné dans le proche voisinage de l’objet (quelques nanomètres). En détectant cette lumière évanescente, la microscopie en champ proche optique permet d’atteindre une résolution en deçà de celle imposée par la diffraction de la lumière.
Cependant, malgré la haute résolution assurée par le MEB et par les microscopes à balayage de pointe, leur point faible réside dans le manque d’informations de la composition chimique des structures des échantillons imagés. D’où le besoin indispensable d’une technique d’analyse d’échantillons solides qui peut offrir à la fois une caractérisation de surface à l’échelle nanométrique et une information chimique avec d’excellentes sensibilité et justesse.
Depuis le début des années 2000, des études ont mis en évidence le couplage de l’ablation laser à une microscopie optique en champ proche et notamment à l’aide d’un microscope à balayage de pointe. Cette technique nommée NF-LA (near-field laser ablation ou ablation laser en champ proche) a montré la possibilité d’effectuer des analyses en s’affranchissant de la barrière de diffraction de la lumière et en réalisant l’échantillonnage à l’échelle nanométrique.
Etude bibliographique
« Il se peut que dans l’avenir, l’esprit humain découvre des processus et des forces permettant de franchir ce mur qui nous parait actuellement infranchissable. Je pense personnellement que cela se fera. Mais en même temps, je crois que quel qu’il soit, l’outil qui nous permettra d’étudier l’infiniment petit de manière plus efficace que notre microscope actuel n’aura en commun avec lui que le nom». Ernst Abbe (1842-1912).
L’Homme a toujours cherché à comprendre et à caractériser le monde qui l’entoure par ses sens et notamment par sa vision. Cependant, l’œil humain présente un pouvoir de résolution fini de 100 µm environ [1]. Afin de visualiser les objets imperceptibles à l’œil nu, l’Homme a eu recours à l’optique. Depuis l’invention du premier microscope optique, par Hans et Zacharie Hansen, à la fin du fin XVI e siècle jusqu’à nos jours, cet outil a connu une très grande évolution afin de découvrir les secrets du monde infiniment petit [2]. Chaque microscope est caractérisé par un pouvoir de résolution : c’est la capacité de l’appareil à distinguer, grâce à l’image obtenue, deux points de surface très rapprochés. Malgré le progrès apporté à la microscopie optique classique au fil des années, cette technique reste toujours soumise à une barrière fondamentale limitant son pouvoir de résolution[3].
En 1876, le physicien allemand Ernst Abbé a été le premier à évoquer la problématique de la barrière de diffraction de la lumière. Deux décennies plus tard, le physicien anglais Lord Rayleigh a reformulé l’hypothèse d’Abbé et a énoncé la limite de résolution latérale appelée critère de Rayleigh [4]. Ce critère montre qu’en microscopie optique classique et en raison de la limite de diffraction de la lumière, la perception des structures de dimensions et de distances inférieures à la moitié de la longueur d’onde de la source lumineuse n’est pas possible. Cinquante ans plus tard, le physicien irlandais E.H. Synge a décrit une hypothèse permettant de se débarrasser de la limite de diffraction de la lumière. Selon lui, des résolutions bien en deçà de celles imposées par la microscopie classique peuvent être atteintes. Ainsi, en fonction du pouvoir du microscope à dépasser ou non la limite de diffraction de la lumière, les microscopes peuvent être divisés en deux familles : microscopes classiques ou en champ lointain et microscopes en champ proche [5, 6].
L’idée de Synge est à la base de la microscopie optique en champ proche moderne. Les microscopes en champ proche ont connu un développement remarquable au fil des années.
Actuellement une caractérisation d’échantillons solides à l’échelle nanométrique est possible grâce à ces microscopes. Cependant, les besoins actuels de la recherche concernent non seulement la caractérisation des échantillons à l’échelle nanométrique mais également les analyses élémentaires et locales. De premières études de couplage des techniques d’échantillonnage par ablation laser avec les microscopes en champ proche ont montré la faisabilité du prélèvement de matière à partir d’une zone très localisée à l’échelle du nanomètre [7, 8]. L’analyse de cette quantité de matière ablatée à l’aide de détecteurs sensibles et spécifiques permettra de répondre aux besoins de caractérisation et d’analyse élémentaire à l’échelle nanométrique.
Rappels et généralités
Afin de positionner et de mieux comprendre le contexte, il est indispensable de rappeler et de définir les principales notions nécessaires à la compréhension de notre sujet.
Résolution optique et critère de Rayleigh
Lord Rayleigh s’est intéressé à déterminer la distance minimale séparant deux points dans l’espace afin qu’ils puissent être distingués séparément sur leur image. Il a montré que, en microscopie optique et en raison de la nature ondulatoire de la lumière, l’image d’une source ponctuelle correspond à une tache de diffraction appelée tache d’Airy. Selon Rayleigh, afin que les images virtuelles de deux points soient distinctes, il faut que le maximum principal d’intensité de la première tache d’Airy corresponde au premier minimum d’intensité de la deuxième tache.
Champ proche et champ lointain
En éclairant la surface d’un échantillon solide et en fonction des dimensions des structureséclairées ainsi que des distances qui les séparent, deux types de champs optiques sont générés . Selon que ces dimensions et les distances de ces structures sont supérieures ou inférieures à la distance de Rayleigh, nous distinguons le champ optique lointain et le champ proche optique.
Le premier champ regroupe les ondes propagatives qui se propagent à grande distance. Ces ondes sont reliées aux basses fréquences de surface c’est-à-dire elles contiennent l’information des structures dont les dimensions sont supérieures à la distance de Rayleigh. C’est le cas des structures observées par les techniques de microscopie optique constituant le champ optique lointain .
Le deuxième champ généré regroupe les ondes non propagatives appelées ondes évanescentes confinées à quelques dizaines de nanomètres de la surface de l’échantillon. Ces ondes, reliées au domaine des hautes fréquences de surface, contiennent l’information des détails de la surface dont les dimensions sont inférieures à la distance de Rayleigh. Ces ondes s’atténuent exponentiellement en s’éloignant de la surface de l’échantillon éclairé .
Les ondes évanescentes ne participent pas à l’acquisition de l’image obtenue par les techniques de microscopie optique classique et constituent le champ proche optique.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre I : Etude bibliographique
Partie I : Rappels et généralités
Partie II : Etude bibliographique
II. Ablation laser
II.1 Propriétés d’un faisceau laser
II.2 Interaction laser-matière
II.3 Mécanismes de formation de particules
II.4 Ablation laser couplée à la spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (ALICPMS) : avantages et inconvénients
III. Microscopie à balayage de pointe (SPM)
III.1 Microscope à effet tunnel (STM)
III.2 Microscope à force atomique (AFM)
IV. Couplage de l’AL avec la microscopie optique en champ proche
IV.1 Principe de l’ablation laser en champ proche
IV.2. Principe de l’ablation laser en champ proche en mode « aperture »
IV.3. Principe de l’ablation laser en champ proche en mode « apertureless »
Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre II : Instrumentation et Expérimentation
I. Instrumentation
I.1 Laser
I.2 Microscope à force atomique : AFM
I.3 Spectromètre de masse à plasma à couplage inductif (ICP-MS)
II. Expérimentation
II.1 Dispositif optique
II.2 Pointes AFM
II.3 Echantillons testés
II.4 Mode de fonctionnement de l’AFM utilisé
II.5 Méthodologie expérimentale
Conclusion
Références Bibliographiques
Chapitre III : Modélisation de l’ablation laser en champ proche
I. Amplification du champ électrique du laser par une pointe
I.1 Influence de la nature de la pointe
I.2 Influence de la nature du substrat
I.3 Influence de la longueur d’onde
II. Modélisation de la température du chauffage laser
II.1 Distribution temporelle de la température de chauffage laser
II.2 Distribution radiale de la température de chauffage laser
II.3 Distribution en profondeur de la température de chauffage laser
II.4 Influence de la durée d’impulsion sur la distribution de température de chauffage en champ proche
II.5 Influence du coefficient d’absorption des matériaux sur la distribution de température de chauffage en champ proche
Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre IV : Caractérisation de l’ablation laser en champ proche
I. Estimation du seuil d’ablation des matériaux d’intérêt
II. Etude multiparamétrique de l’ablation laser en champ proche
II.1 Influence des paramètres de la pointe sur la résolution latérale
II.2 Influence de la fréquence du laser et de la vitesse de balayage de la pointe sur la distribution des cratères
II.3 Influence de la fluence du laser et de la distance pointe-échantillon sur les dimensions des cratères et sur la quantité de matière ablatée
II.4 Influence du nombre de tirs laser sur les dimensions des cratères et sur la quantité de matière ablatée
II.5 Influence de la longueur d’onde du laser
Conclusion
Références bibliographiques
CONCLUSION