Ce travail de thèse s’est déroulé au sein du Laboratoire d’Instrumentation et Capteurs (LIC) dans le Département d’Imagerie, Simulation et Contrôle du CEA – LIST (Laboratoire d’Intégration de Systèmes et des Technologies) sur le plateau de Saclay. Il a été également réalisé avec le laboratoire Génie Électrique et Électronique de Paris (GeePs), une unité mixte de recherche (UMR 8507) du CNRS, de CentraleSupélec et des Universités Paris-Sud et Pierre et Marie Curie. Les travaux présentés dans ce manuscrit portent sur la conception de capteurs à courants de Foucault (CF) pour le contrôle non destructif (CND). Le CND par CF consiste en l’induction de courants de Foucault dans un milieu conducteur à inspecter à l’aide d’un champ magnétique généré par une bobine. Cette méthode est employée dans différentes applications telles que la caractérisation des métaux, la mesure d’épaisseur ou encore la détection de défauts. Les secteurs visés concernent principalement l’aéronautique, l’énergie nucléaire, l’industrie pétrochimique et la métallurgie. Technique de contrôle déjà bien établie, le CND par CF fait toujours l’objet d’études et de développements visant, par exemple, à l’augmentation de la rapidité d’un contrôle ou bien à l’amélioration de la sensibilité des capteurs CF. Ces développements s’appuient sur les outils informatiques et plus particulièrement sur les outils de simulation des phénomènes électromagnétiques qui permettent d’améliorer la compréhension des signaux mesurés ou encore d’optimiser la conception de capteurs CF. Par exemple, la plateforme de simulation CIVA développée par le Département d’Imagerie, Simulation et Contrôle du CEA – LIST, est composée de modules de simulation, d’imagerie et d’analyse permettant de concevoir et d’optimiser des méthodes d’inspection notamment en CF, ainsi que de prédire leurs performances dans des configurations réalistes de contrôle.
INTRODUCTION AU CND
Le CND est défini comme un ensemble de méthodes permettant d’inspecter une partie d’un matériau ou d’un système sans impacter son bon fonctionnement [NDTH_2004]. Cette méthode regroupe différentes techniques telles que les rayons X, les ultrasons ou encore les courants de Foucault. Le CND est couramment employé par les industriels depuis le début du XXème siècle. Il est devenu indispensable lors de la fabrication ou l’assemblage de pièces ou encore dans le cadre de la maintenance industrielle. Autrement dit, il permet un contrôle de la matière brute jusqu’au produit fini. Le CND a pour but de détecter, entre autres, la présence de défauts, de mesurer l’épaisseur d’un matériau ou d’un revêtement ou encore de déterminer des paramètres caractéristiques d’un échantillon comme, par exemple, sa conductivité électrique.
Il n’est pas possible de donner une date précise de l’apparition du CND mais la liste ci-dessous [Hellier_2001], non exhaustive, donne une idée de l’apparition des étapes clés dans le développement du CND :
● 1800 : Première observation thermographique par Sir William Herschel ;
● 1831 : Première observation de l’induction électromagnétique par Michael Faraday ;
● 1840 : Première image infrarouge produite par John Herschel ;
● 1868 : Première référence à l’inspection de défauts. Inspection de fissures longitudinales dans des tubes à l’aide d’une aiguille aimantée par Stephen Martin Saxby ;
● 1879 : Première exploitation des CF pour contrôler les alliages de métaux par David Hughes ;
● 1895 : Découverte des rayons X par Wilhelm Conrad Roentgen ;
● 1898 : Découverte du radium par Marie et Pierre Curie ;
● 1922 : Première radiographie industrielle développée par le Dr. Horace Lester ;
● 1927 : Développement d’un système de contrôle CF des rails de chemin de fer par le Dr. Elmer Sperry et Harcourt Drake ;
● 1929 : Développement d’un système de contrôle par particules magnétiques par Alfred deForest et Foster Doane ;
● 1929 : Première expérimentation des transducteurs à quartz par Sergey Sokolov;
● 1930 : Première utilisation pratique des rayons gamma via le radium par le Dr. Robert Mehl ;
● 1935-1940 : Développement des premiers systèmes de mesure par CF par Horace Knerr, Cecil Farrow, Theo Zuschlag et le Dr. Friedreich Förster ;
● 1940-1944 : Première méthode ultrasonique développée par le Dr. Floyd Firestone ;
● 1946 : Commercialisation du premier instrument portable à ultrasons par la société Branson.
Des années 1950 à nos jours, le CND s’est développé de façon importante. Son innovation s’est faite grâce au développement de l’électronique, des instruments mais surtout des outils informatiques. Ces outils informatiques ont modifié la vision du CND en introduisant la modélisation des phénomènes physiques sur lesquels reposent les différentes méthodes d’inspection. Cette modélisation permet notamment la réalisation de capteurs optimisés afin de répondre à des problématiques industrielles bien spécifiques. Le traitement des données et des images effectuées après l’acquisition de mesures a un rôle très important dans le développement du CND. En effet, le traitement des données est un plus lorsque l’on souhaite interpréter des résultats expérimentaux.
PRÉSENTATION DU CND PAR COURANTS DE FOUCAULT
Principe et applications du CND par courants de Foucault
Le phénomène des courants induits dits courants de Foucault est découvert par le physicien français Léon Foucault en 1855. Le disque en cuivre, sous l’action de la manivelle, peut atteindre une vitesse de 150 à 200 tours par seconde. Quand le disque est lancé à toute vitesse, l’alimentation de l’électro-aimant arrête la rotation du disque en quelques secondes. Afin de restituer au disque le mouvement qu’il a perdu, une certaine force doit être appliquée à la manivelle. La résistance éprouvée lors de l’action de la manivelle s’accumule sous forme de chaleur à l’intérieur du corps tournant. Cette expérience permet de démontrer la présence de courants induits au sein d’un matériau conducteur en mouvement lorsqu’un champ magnétique est appliqué. Effectivement, l’induction de courants dans le disque génère un champ qui, s’opposant au champ magnétique de l’électro-aimant, permet de freiner le mouvement du disque.
Le phénomène de courants induits dans le conducteur apparait lorsqu’un champ magnétique est variable dans le temps. Ainsi, une bobine parcourue par un courant variable à proximité d’un matériau conducteur donne lieu, dans ce conducteur, au phénomène des CF.
Compte tenu de la distance, ou entrefer, qui sépare la bobine de l’échantillon, on remarque une quasi absence de CF dans la pièce conductrice. En d’autres termes, la bobine est placée dans l’air. une réduction de l’entrefer donne lieu à l’apparition de courants induits dans la pièce conductrice. Les CF sont formés de boucles de courant, engendrant un champ magnétique dit champ de réaction. Le champ de réaction modifie la force électromotrice de la bobine et permet de fournir une information sur l’état du matériau contrôlé. En l’absence de défaut, le champ de réaction dépend, entre autres, de la conductivité électrique (σ) et de la perméabilité magnétique (µ) de la pièce. Dans le cas d’une inhomogénéité locale du matériau, par exemple un défaut de type fissure, les lignes de courants induits sont modifiées, entrainant ainsi une modification du champ de réaction.
Le principe du CND par CF repose donc sur la mesure de l’effet de la variation du champ de réaction. Pour cela, différentes méthodes et différents capteurs peuvent être employés. Une analyse des diverses configurations de capteurs CF est présentée par la suite.
L’histoire de l’apparition du CND par CF est intéressante : on constate que cette technique est employée dans de nombreuses applications. Plusieurs de ces applications, classées par ordre chronologique d’apparition, sont présentées ci-dessous.
◆ Mesure de la variation de conductivité électrique ou détection d’une variation de la perméabilité magnétique : En 1879, David Edward Hughes met en évidence l’effet de la conductivité électrique et de la perméabilité magnétique sur le champ de réaction [Hughes_1879]. Hughes met au point un dispositif, la balance d’induction, qui est employé par la Royal Mint dans le but de vérifier les alliages de métaux utilisés pour la frappe des monnaies britanniques.
◆ Mesure de l’épaisseur d’un matériau : La mesure d’épaisseur d’un matériau conducteur par les CF apparait comme application en 1926 suite aux recherches d’Hermann Ernest Kranz [Kranz_1931]. Les travaux de Kranz ont comme objectif la mesure d’épaisseur de matériaux conducteurs inaccessible aux instruments mécaniques.
◆ Détection de défauts (par exemple fissures ou trous) : L’utilisation des CF pour la détection de défauts apparait à la suite d’un accident grave aux ÉtatsUnis : le déraillement d’un train. Pour éviter une nouvelle catastrophe, la compagnie Sperry Rail Service, toujours en activité, est fondée en 1928. Le système de contrôle, monté dans une locomotive, permet la mise en évidence de discontinuités dans les rails [Drake_1932].
◆ Mesure de l’épaisseur d’un revêtement : La première référence de mesure d’épaisseur de revêtement est datée de 1945 [Dinger_1952]. Dinger développa une méthode et un appareil afin de mesurer l’épaisseur d’un revêtement de peinture sur un matériau conducteur non magnétique. Le film de peinture protège une structure métallique de la corrosion.
Modes de mesure des courants de Foucault
Les modes de mesure se réfèrent, en partie, au branchement des éléments constituant le capteur. On distingue deux modes de mesure : la mesure absolue et la mesure différentielle.
➤ Mesure absolue : Une mesure absolue se compose, dans son principe, d’un seul récepteur. Cette mesure permet d’être sensible à la fois aux paramètres électromagnétiques du matériau (conductivité électrique et perméabilité magnétique) et à l’épaisseur du matériau. Avant le contrôle d’une pièce, un équilibrage sur cale étalon peut, dans certains cas, être effectué pour compenser le signal afin d’atteindre une valeur prédéterminée, par exemple zéro [12718_2008].
➤ Mesure différentielle : La mesure différentielle se compose d’au moins deux éléments récepteurs proches. Cette mesure revient à effectuer une différence des acquisitions réalisées simultanément entre les éléments récepteurs. Cette méthode permet notamment de s’affranchir de l’influence de paramètres perturbateurs telles que les propriétés électromagnétiques (conductivité électrique et perméabilité magnétique), la température du matériau ou bien l’effet d’entrefer.
Par ailleurs, la mesure différentielle est sensible aux défauts locaux présents dans le matériau inspecté. Lors du déplacement du capteur, en cas de présence d’un défaut, un déséquilibre du signal est perçu. Ce déséquilibre apparait lorsqu’un seul des récepteurs se situe à proximité du défaut.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 – LE CONTRÔLE NON DESTRUCTIF PAR COURANTS DE FOUCAULTS
1.1 INTRODUCTION AU CND
1.2 PRÉSENTATION DU CND PAR COURANTS DE FOUCAULT
1.2.1 PRINCIPE ET APPLICATIONS DU CND PAR COURANTS DE FOUCAULT
1.2.2 DISTRIBUTION DES COURANTS DE FOUCAULT
1.2.3 CLASSIFICATION FONCTIONNELLE DES CAPTEURS COURANTS DE FOUCAULT
1.2.4 MODES DE MESURE DES COURANTS DE FOUCAULT
1.2.5 MODES D’EXCITATION DES COURANTS DE FOUCAULT
1.2.6 REPRESENTATION DES SIGNAUX COURANTS DE FOUCAULT
1.2.6.1 Plan d’impédance
1.2.6.2 Plan de tension
1.2.6.3 Acquisition 1D et 2D
1.2.7 EXEMPLES DE CAPTEURS COURANTS DE FOUCAULT
1.2.8 TECHNOLOGIES DES BOBINES
1.3 PROPRIÉTÉS ÉLECTROMAGNÉTIQUES DES MATÉRIAUX INSPECTÉS PAR CF
1.3.1 CONDUCTIVITE ELECTRIQUE
1.3.2 COMPORTEMENT MAGNETIQUE DES MATERIAUX FERROMAGNETIQUES
1.3.2.1 Courbe de première aimantation et comportement non linéaire
1.3.2.2 Différents types de perméabilité magnétique
1.4 CONCLUSION
CHAPITRE 2 – OPTIMISATION DE CAPTEURS CF POUR L’ÉVALUATION DES PARAMÈTRES ÉLECTROMAGNÉTIQUES DES MATÉRIAUX
2.1 ÉVALUATION DE LA CONDUCTIVITÉ ÉLECTRIQUE ET DE LA PERMÉABILITÉ MAGNÉTIQUE PAR MÉTHODES CONVENTIONNELLES
2.1.1 ÉVALUATION DE LA CONDUCTIVITE PAR LA METHODE A QUATRE POINTES
2.1.2 ÉVALUATION DE LA PERMEABILITE PAR LA METHODE DU PERMEAMETRE
2.1.2.1 Principe de l’hystérésigraphe
2.1.2.2 Évaluation expérimentale de la perméabilité
2.1.3 CARACTERISATION DE MATERIAUX MAGNETIQUES DE REFERENCE
2.2 CONCEPTION D’UN CAPTEUR CF POUR L’ÉVALUATION DE LA CONDUCTIVITÉ DES MATÉRIAUX NON MAGNÉTIQUES
2.2.1 ÉVALUATION DE LA CONDUCTIVITE ELECTRIQUE DE MATERIAUX NON MAGNETIQUES PAR CAPTEUR COURANTS DE FOUCAULT DOUBLE FONCTION
2.2.2 OPTIMISATION D’UN MOTIF SENSIBLE A LA CONDUCTIVITE
2.2.2.1 Étude de l’effet d’entrefer
2.2.2.2 Détermination de la configuration des bobines
2.2.2.3 Réalisation du motif sur film Kapton
2.2.2.4 Simulation du comportement en fréquence du capteur
2.2.3 RESULTATS EXPERIMENTAUX POUR L’ESTIMATION DE LA CONDUCTIVITE
2.2.3.1 Évaluation de la conductivité sur cales étalons
2.2.3.2 Test du capteur optimisé en présence de défauts
2.2.4 MISE EN ŒUVRE DU CAPTEUR SUR MATERIAUX MAGNETIQUES
2.2.4.1 Résultats expérimentaux sur différents matériaux ferromagnétiques
2.2.4.2 Application à la détection d’une zone brûlée
2.3 ÉVOLUTION DU CAPTEUR CF POUR ÉVALUER LA CONDUCTIVITÉ ET LA PERMÉABILITÉ D’UN MATÉRIAU FERROMAGNÉTIQUE
2.3.1 INTRODUCTION
2.3.2 INFLUENCE DE LA FREQUENCE SUR LA MESURE COURANTS DE FOUCAULT
2.3.2.1 Cas des matériaux non magnétiques
2.3.2.2 Cas des matériaux magnétiques
2.3.3 PROPOSITION ET EVALUATION EXPERIMENTALE D’UN RECEPTEUR BOBINE
2.3.3.1 Simulation de récepteurs inductifs
2.3.3.2 Mesures avec un récepteur bobiné
2.3.4 PROPOSITION ET EVALUATION EXPERIMENTALE D’UN CAPTEUR MAGNETIQUE
2.4 CONCLUSION
CHAPITRE 3 – DÉVELOPPEMENT D’UN IMAGEUR CF STATIQUE
3.1 PROBLÉMATIQUE DE L’IMAGERIE COURANTS DE FOUCAULT
3.2 TEST D’UN PREMIER PROTOTYPE
3.2.1 DESCRIPTION DE L’IMAGEUR
3.2.2 MISE EN ŒUVRE DU PROTOTYPE
3.3 OPTIMISATION DU MOTIF ÉLÉMENTAIRE
3.3.1 CHOIX DE LA COMPOSANTE DE CHAMP MAGNETIQUE A MESURER
3.3.2 ÉTUDE DE L’EMETTEUR
3.3.3 ÉTUDE DU RECEPTEUR
3.3.4 SPECIFICATIONS DU CAPTEUR FLEXIBLE
3.3.5 RESULTATS OBTENUS PAR SIMULATION
3.4 RÉALISATION ET ÉVALUATION EXPÉRIMENTALE DE L’IMAGEUR STATIQUE
3.4.1 REALISATION DU CAPTEUR
3.4.2 ÉTUDE D’UN MONOELEMENT POUR CARACTERISER LA ZONE DE FAIBLE SENSIBILITE DU CAPTEUR
3.4.3 ÉTUDE DE L’IMAGEUR COMPLET
3.4.3.1 Influence des dimensions d’un défaut
3.4.3.2 Influence de l’orientation d’un défaut
3.4.3.3 Détection d’un défaut de faible longueur
3.4.4 APPLICATION A L’INSPECTION DE DEFAUTS AUX ABORDS D’UN TROU DE RIVET
3.5 CONCLUSION
CONCLUSIONS