Développement de biofilms périphytiques en milieu naturel

Développement de biofilms périphytiques en milieu naturel

Les biofilms microbiens sont aujourd’hui utilisés dans de nombreux procédés industriels (épuration des eaux usées, potabilisation de l’eau des rivières, etc.). Ils font l’objet d’études dans des domaine variés en relation avec notre quotidien : par exemple dans le domaine médical, dans le cadre de recherches sur les résistances aux antibiotiques (Gilbert et al. 1997), ou encore dans l’étude des réseaux d’eau potable (Obst & Schwartz 2007). Mais le rôle des biofilms dans les milieux naturels est aussi extrêmement important. En effet, le périphyton est un producteur primaire, parfois source principale de la photosynthèse notamment dans les petites rivières (Lamberti 1996). Le périphyton est aussi à la base de la chaîne trophique et permet à toutes sortes d’organismes aquatiques de se développer : petits invertébrés, crustacés, poissons etc. (Azim et al. 2005; Burns & Ryder 2001). Enfin, les populations périphytiques jouent un rôle primordial dans les cycles du carbone et de l’azote dans les milieux aquatiques (Flipo et al. 2004; 2007; Romani et al. 2004b).

Le périphyton dans le continuum fluvial

Le périphyton est une communauté complexe et hétérogène, constituée d’un mélange d’organismes autotrophes et hétérotrophes interagissant les uns avec les autres (Figure 2). Les autotrophes (algues, cyanobactéries, etc…) sont responsables de la production primaire : ils synthétisent la MO en utilisant le CO2 ou les carbonates de l’eau comme source de carbone. Ils utilisent comme source d’énergie les radiations solaires (phototrophes réalisant la photosynthèse) ou certaines réactions chimiques de transformation de matières minérales réduites (lithotrophes), comme les produits soufrés, azotés, le méthane, l’hydrogène, le fer ou le manganèse. Les hétérotrophes dégradent et minéralisent la MO par différentes réactions d’oxydation pour se fournir en énergie : ils fabriquent leur matière vivante à partir de la MO présente dans le milieu, elle-même pouvant être d’origine autochtone (synthétisée par les autotrophes du système aquatique considéré) ou allochtone (MO apportée par le courant ou provenant de détritus, issus par exemple de la ripisylve).

Ainsi le périphyton, composé à la fois d’autotrophes et d’hétérotrophes, joue un rôle capital dans les cycles nutritifs (cycles du carbone, de l’azote, du phosphore). La thèse d’Erwann Madigou (2002) explique de façon détaillée le fonctionnement de ces trois grands cycles nutritifs et le rôle des micro-organismes dans la transformation et le recyclage des composés organiques et inorganiques en milieu aquatique.

La composition des biofilms périphytiques s’adapte au gradient physique (vitesse du courant, luminosité, température, etc.) et chimique (présence de MO grossière ou fine, turbidité, sels minéraux etc.) le long d’un cours d’eau. D’une manière générale, dans un environnement bien éclairé, le périphyton sera de nature plutôt autotrophe, dominé par des algues : chlorophytes, diatomées ou cyanobactéries. A l’opposé, dans un environnement peu éclairé, le périphyton sera à dominante hétérotrophe et donc plutôt bactérien. Les travaux de Vannote et al. (1980) montrent qu’il est théoriquement possible de définir trois grandes zones le long du continuum fluvial, c’est-àdire le long du gradient physico chimique et biologique du cours d’eau.

Ainsi, un cours d’eau :
– amont (ordre de Strahler <3), plutôt boisé, caractérisé par une vitesse d’écoulement rapide et une MO grossière d’origine allochtone (feuilles et autres débris végétaux), sera majoritairement hétérotrophe (rapport Production primaire/Respiration (P/R) <1).
– d’ordre de Strahler compris entre 4 et 6 sera caractérisé par une activité autotrophe (rapport P/R>1), favorisée par un ensoleillement supérieur de la rivière (les rives sont plus éloignées).
– enfin, un cours d’eau d’ordre de Strahler supérieur à 6 sera caractérisé à nouveau par un système majoritairement hétérotrophe (rapport P/R<1). Dans ces grandes rivières, l’apport de MO fines par l’amont est important, ce qui génère une turbidité qui réduit le développement de la biomasse algale, notamment dans le lit de la rivière (épipsammon et épilithion) (Knight & Bottorf 1981).

Le concept de continuum fluvial permet donc de mettre en relief les interactions complexes entre des paramètres physico-chimiques et des paramètres biologiques se répercutant sur la structure et le fonctionnement du périphyton. En milieu naturel, les organismes autotrophes et hétérotrophes des biofilms sont en compétition pour l’utilisation des nutriments ; par exemple, ils utilisent le phosphore en provenance de la rivière. Les hétérotrophes utilisent aussi comme source de carbone les exudats algaux ou produits de lyse cellulaire : Romani & Sabater (2000) ont ainsi montré que les activités enzymatiques hétérotrophes de biofilms de rivière étaient maximisées quand la biomasse algale était importante. De même, les autotrophes vont utiliser les nutriments issus des processus de dégradation de la MO par les organismes hétérotrophes. Il existe donc aussi une relation d’interdépendance entre les autotrophes et hétérotrophes d’un biofilm (Ylla et al. 2009), l’équilibre entre hétérotrophie ou autotrophie globale étant contrôlée par divers facteurs tels que la lumière, les concentrations en nutriments ou encore les espèces algales et bactériennes présentes dans le biofilm (Burns & Ryder 2001).

Etapes de développement des biofilms 

Le stade initial de colonisation d’une surface immergée par un biofilm est une étape au cours de laquelle quelques cellules, appartenant à une population de cellules capables de se fixer et de coloniser une surface (colonisateurs primaires), se retrouvent aléatoirement sur une surface et y adhèrent (Wimpenny et al. 2000). Le type de substrat et les charges ioniques qu’il possède en surface conditionnent, entre autres, l’adhésion de ces premières cellules. Après la phase d’attachement réversible de ces premières cellules, les cellules s’attachent de manière irréversible : elles perdent leur capacité à se mouvoir sur la surface et la formation de la matrice d’EPS est amorcée (Nikolaev & Plakunov 2007). Les cellules se développent ensuite sous forme de microcolonies. Trois modèles conceptuels, basés sur l’observation de biofilms naturels, ont été développés pour décrire le développement d’un biofilm (Wimpenny & Colasanti 1997) :
– le modèle « canal d’eau » (water channel model) dans lequel les micro-colonies, en proliférant, forment des structures en forme de cônes puis, en grandissant, en forme de champignons, peu à peu liées au substrat par des tiges d’EPS et de micro-organismes. La fusion de ces structures explique la formation de pores ou canaux permettant à l’eau de pénétrer jusqu’à la base des biofilms (Costerton et al. 1995). Ce type de structure   a été décrit pour des biofilms naturels se développant en milieu aquatique.
– le modèle des mosaïques hétérogènes (heterogeneous mosaic biofilm model) est une forme extrême du modèle water channel et a été utilisé pour décrire des biofilms se développant dans des réseaux d’eau potable. Dans ce modèle, les micro-colonies se développent de la même manière mais restent détachées les unes des autres, avec en général, un film très fin de cellules au niveau du substrat.
– le modèle des biofilms denses (dense biofilm models) permet de décrire le développement de biofilms particuliers comme la plaque dentaire. Ces biofilms se développent par association physique de bactéries sans formation de pores ou canaux.

Après l’adhésion des premières cellules et le développement des premières microcolonies, la formation d’un biofilm va dépendre de paramètres biologiques et physico-chimiques, deux micro-colonies pouvant entrer en compétition (par exemple pour la consommation d’un nutriment), coopérer ou se développer indépendamment. Si les étapes initiales de développement d’un biofilm sont très rapides et ne nécessitent que quelques minutes, la formation d’un biofilm mature nécessite quelques jours voire semaines en fonction des conditions environnementales (Figure 5). Le périphyton prélevé en rivière sur support artificiel est en général collecté au bout de 2 à 4 semaines de colonisation (Sabater et al. 2007; Tien et al. 2009).

La colonisation de supports immergés conduisant au développement de biofilms de rivière commence parfois avec des diatomées colonisatrices (Sigee 2005) qui modifient localement l’environnement de la surface, notamment par production de mucilage (Stevenson 1983), et préparent ainsi l’arrivée d’autres micro-organismes. Dans certains cas, les premiers colonisateurs peuvent aussi être des algues vertes ou des bactéries (Paule et al. 2009). Les biofilms constituent des structures dynamiques en constant changement, de nouveaux micro-organismes apportés par le courant pouvant s’attacher aux colonies pendant toutes les étapes du développement. Inversement, les processus de détachement de morceaux de biofilms réintroduisent dans l’eau des micro-organismes qui pourront à nouveau coloniser de nouvelles surfaces.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1. ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
I. LES BIOFILMS D’EAU DOUCE OU PERIPHYTON
1. Définition et caractéristiques
1.1 Définition du terme périphyton
1.2 Les biofilms
1.2.1 Une structure microbienne organisée
1.2.2 La matrice d’EPS
1.3 Développement de biofilms périphytiques en milieu naturel
1.3.1 Le périphyton dans le continuum fluvial
1.3.2 Etapes de développement des biofilms
1.3.3 Facteurs structurants pour le périphyton
1.4 Rôle du périphyton dans la dégradation de la MO
1.4.1 Dégradation enzymatique de la MO
1.4.2 L’activité β-glucosidase
2. Le périphyton comme marqueur d’une contamination
2.1 Un matériel biologique de choix pour le scientifique
2.2 Biodescripteurs du périphyton
2.2.1 Modifications de structure
2.2.2 Approches métaboliques et physiologiques
2.3 Conclusion sur l’utilisation des biofilms pour évaluer l’impact des contaminations
II. L’APPROCHE PICT
1. Phase de sélection
1.1 Complexité du phénomène de succession
1.2 Durée de l’exposition et succession
1.3 Méthodes d’évaluation de la sélection
2. Phase de détection : mise en évidence de la tolérance acquise
2.1 Evaluation de la tolérance
2.2 Notion de tolérance de base (baseline tolerance)
3. Validation d’un effet PICT
4. Exemples d’application de l’approche PICT
5. Facteurs de variation de l’induction de tolérance des communautés
5.1 Interactions de paramètres environnementaux
5.2 Phénomènes de co-tolérance
5.3 Biodisponibilité des contaminants
6. Conclusion sur l’utilisation de l’approche PICT
III. L’ARISA POUR EXPLORER LA DIVERSITE GENETIQUE DES BIOFILMS
1. Explorer la diversité biologique
1. 1 Intérêt de l’approche moléculaire
1. 2 Utilisation de l’opéron ribosomique comme outil d’identification
2. Les techniques d’empreinte génétique
2.1 Principe général
2.2 Les différentes techniques d’empreinte génétique
3. Principe et utilisation de l’ARISA
3.1 L’ARISA : exploitation du polymorphisme de taille des intergènes
3.1.1 ARISA Bactérie
3.1.2 ARISA Eucaryote
3.2 Applications
4. Biais et limites des techniques d’empreinte génétique
4.1 Biais liés à l’extraction d’ADN
4.2 Biais liés à l’amplification de l’ADN par PCR
4.3 Seuils de détection des techniques d’empreinte génétique
4.4 Conclusion sur l’utilisation des techniques d’empreinte génétique
5. Interprétation des profils ARISA
5.1 Signification d’un pic ou d’une bande sur le gel
5.2 Quantifier les abondances relatives
5.3 Méthodes d’analyse des profils ARISA
5.3.1 Calcul d’indices
5.3.2 Analyses multivariées
5.4 Conclusion sur l’utilisation de la technique ARISA
PROBLEMATIQUE
OBJECTIFS DE L’ETUDE
DEMARCHE GLOBALE
CHAPITRE 2. MESURE DE LA TOLERANCE DES COMMUNAUTES PERIPHYTIQUES EXPOSEES EN MILIEU URBAIN
I. COLLECTE DE BIOFILMS EN MILIEU NATUREL ET DESCRIPTEURS CLASSIQUES DE LEUR COMPOSITION
1. Dispositif de collecte in situ
2. Descripteurs de la composition des biofilms
2.1 Estimation de la biomasse totale
2.2 Estimation de la composition élémentaire du biofilm
2.3 Estimation de la biomasse algale
3. Suivi de biofilms prélevés in situ
II. DEVELOPPEMENT METHODOLOGIQUE DU TEST DE TOXICITE AIGUË Β-GLUCOSIDASE SUR LES METAUX
1. Choix du test de toxicité hétérotrophe
2. Protocole de mesure de l’activité β-glucosidase
3. Protocole du test de toxicité β-glucosidase
3.1 Choix du médium pour fabriquer les suspensions de biofilm
3.2 Test de toxicité
4. Tolérance et normalisation par les MES
4.1 Inhibition de l’activité β-glucosidase par les métaux
4.2 Normalisation par les MES pour obtenir une mesure fiable de la tolérance
4.3 Le cas du plomb
5. Paliers d’inhibition
6. Conclusion sur l’utilisation du test β-glucosidase pour évaluer des niveaux de tolérance aux métaux
III. DEVELOPPEMENT DU TEST DE TOXICITE AIGUË Β-GLUCOSIDASE MIS EN ŒUVRE AVEC DES CONTAMINANTS HYDROPHOBES
1. Utilisation des échantillonneurs passifs pour la contamination hydrophobe
2. Protocole des tests de toxicité avec extraits de membranes LDPE et extraits de cartouches SPE
2.1 Support de colonisation des biofilms
2.2 Exposition de LDPE in situ après purification des membranes
2.3 Extraction des contaminants au laboratoire
2.4 Choix du solvant de reprise
2.5 Test de toxicité β-glucosidase avec extraits de membranes LDPE
3. Inhibition de l’activité β-glucosidase par les contaminants hydrophobes
IV. DEVELOPPEMENT METHODOLOGIQUE DU TEST DE TOXICITE AIGUË PHOTOSYNTHETIQUE
1. Mise au point du protocole de mesure de l’activité photosynthétique de biofilms naturels
2. Tests de toxicité
CHAPITRE 3. UTILISATION DE LA TECHNIQUE ARISA : MISE EN EVIDENCE DE CHANGEMENTS DE STRUCTURE DANS LES BIOFILMS
I. UTILISATION DE L’ARISA BACTERIE SUR LES BIOFILMS
1. Mises au point méthodologiques et protocoles
1.1 Cryoconservation des échantillons
1.2 Extraction de l’ADN
1.3 Amplification des intergènes par PCR
1.4 ARISA Bactérie
2. Modifications saisonnières des populations bactériennes de biofilms prélevés à SaintMaurice en 2008
II. DEVELOPPEMENTS METHODOLOGIQUES LIES A L’UTILISATION DE L’ARISA EUCARYOTE SUR LES BIOFILMS
1. Conception d’un couple d’amorces ciblant la région ITS1-5.8S-ITS2 chez les diatomées des biofilms
2. Mises au point méthodologiques et protocoles
3. Clonage et analyse phylogénétique sur un échantillon de biofilm de Saint-Maurice
4. Modifications saisonnières des populations eucaryotes de biofilms prélevés à SaintMaurice en 2008
III. CONCLUSION SUR L’UTILISATION DE L’ARISA SUR BIOFILMS
CHAPITRE 4. VALIDATION DE LA METHODOLOGIE PICT EN CONDITIONS CONTROLEES : EXPOSITIONS EN MICROCOSMES
I. OBJECTIFS
II. DISPOSITIF EXPERIMENTAL
III. RESULTATS
1. Paramètres d’exposition
2. Caractérisation des biofilms
2.1 Accumulation des métaux dans les biofilms
2.2 Descripteurs de biomasse
2.3 ARISA151
3. Test β-glucosidase
IV. INTERPRETATION
1. Effet PICT sur biofilms exposés en microcosmes
2. Descripteurs de biomasse : paramètres classiques et ARISA
CONCLUSION

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