La fusion thermonucléaire contrôlée
Les réactions de fission nucléaire sont utilisées depuis les années 1950 pour la production d’électricité. A la même période, des travaux de recherche ont été entrepris afin d’utiliser les réactions de fusion nucléaire pour produire de l’énergie. Plus d’un demi-siècle plus tard, cet objectif est encore loin d’être atteint. Les réactions de fusion ont des sections efficaces ayant leur maximum à des températures de l’ordre de 100 keV, c’est-à-dire environ un milliard de degrés Kelvin. La réaction la plus favorable est la réaction entre deux isotopes de l’hydrogène, le tritium ³T et le deutérium ²D : ³T + ²D → He (3.5MeV ) + n (14.1MeV )
La température visée dans un réacteur tel que ITER utilisant la réaction (1.1) est entre 15 keV et 30 keV. A cette température, une fraction des particules les plus rapides va fusionner. Les atomes sont ionisés. Les électrons et les ions sont libres de circuler et forment un plasma. D’une part, un attrait fondamental de cette réaction est qu’il ne s’agit pas d’une réaction en chaîne. Les produits de chaque réaction, neutron et alpha, ne vont pas servir directement de réactif pour une autre réaction. D’autre part, la difficulté à maintenir les paramètres physiques extrêmes nécessaires à la fusion implique que tout incident va avoir pour conséquence l’arrêt des réactions. Contrairement au cas du réacteur à fission, la réaction ne peut pas s’emballer. Ce sont des atouts pour garantir la sécurité de l’exploitation d’un réacteur industriel.
La filière tokamak
Il n’existe pas de matériau pouvant résister au contact avec un plasma de 10 keV . Dans un tokamak, on utilise un champ magnétique afin de confiner ce plasma chaud dans une chambre à vide de forme toroïdale. Un champ magnétique toroïdal est généré par un ensemble de bobines disposées autour du tore. Les électrons et les ions vont suivre les lignes de champ toroïdales. Mais un champ magnétique uniquement toroïdal ne suffit pas au confinement. En effet, la courbure et le gradient du champ magnétique vont générer des dérives des particules chargées. Ces dérives seront de signe opposé pour les ions et les électrons. Cette séparation de charge va créer un champ électrique E, qui va lui-même créer une dérive E ✖ B, qui va tendre à déconfiner le plasma. Pour éviter cela, une composante poloïdale au champ magnétique est nécessaire afin de compenser cette dérive.
Dans un tokamak, le champ magnétique poloïdal est généré principalement par un courant toroïdal circulant dans le plasma. Afin de contrôler la forme et la position du plasma, on va ajouter également une série de bobines autour du tore créant une contribution au champ poloïdal s’ajoutant à celle provenant du courant toroïdal. Dans cette configuration, les lignes de champ s’enroulent en suivant des hélices autour de surfaces toriques. Le courant toroïdal est créé par induction en augmentant continument le flux magnétique dans un solénoïde central. Un tokamak peut donc être considéré comme un transformateur dont le primaire serait le solénoïde central et le secondaire le plasma. Une limitation majeure du principe apparaît : étant donné que l’augmentation du flux magnétique par le solénoïde central doit avoir une fin, le maintien du courant toroïdal par induction ne peut pas être assuré en régime stationnaire. Une décharge de tokamak est donc fondamentalement un phénomène transitoire .
Un moyen d’obtenir quand même un état stationnaire est de générer le courant toroïdal autrement que par induction. Une voie de recherche prometteuse est la création par le plasma lui-même d’un courant de bootstrap. Ce pan de la recherche en fusion est regroupé sous le sigle « advanced tokamak » [Gormezano et collab., 2007].
La configuration tokamak a été inventée en URSS à la fin des années 1950. Un jalon important est atteint en 1968 également par l’Union soviétique. Les scientifiques soviétiques atteignent des températures électroniques de l’ordre du keV dans le tokamak T3. Les tokamaks deviennent les instruments les plus prometteurs en fusion nucléaire. On constate que le transport de chaleur est « anormal », d’un à deux ordres de grandeur plus important que les prévisions théoriques néoclassiques, diminuant d’autant le temps de confinement. Ceci est probablement principalement dû à la turbulence MHD opérant dans le plasma, qui est un des principaux axes de recherches en fusion [Doyle et collab., 2007]. La corrélation empirique entre taille du tore et temps de confinement a mené à des projets de plus en plus grands. De multiples machines de taille conséquente sont construites à travers le monde dans les années 1980 : citons JT-60 au japon, TFTR aux Etats-Unis et JET en Angleterre. Le bilan énergétique est défini par le facteur Q qui correspond au quotient de l’énergie libérée par la fusion divisée par l’énergie consommée. Le tokamak JET a atteint en 1997 un rendement proche de l’équilibre entre puissance fournie et puissance produite avec Q = 0.65, le break-even correspondant à Q = 1.
Les codes numériques
Les simulations de plasma de fusion sont difficiles, car elles mettent en jeu une très large gamme d’échelles spatiales et temporelles. Le plasma des machines de fusion possède deux grands types de dynamique. Aux petites échelles, des micro-instabilités se développent et sont responsables de la turbulence qui cause une dégradation du confinement. Aux grandes échelles, c’est l’activité MHD qui prédomine. Le plasma de tokamak peut devenir instable par le développement de modes macroscopiques. Les modes croissent tout d’abord dans une phase linéaire. Ils évoluent ensuite dans une phase non linéaire sous différentes formes : saturation non linéaire, régime d’oscillations, couplage non linéaire de modes. La description de ces modes est faite en utilisant la MHD idéale ou incluant des effets additionnels (résistivité, termes diamagnétiques,…).
Les simulations 3D des instabilités MHD de tokamak telles que les tearings et les dents de scie sont des problèmes numériques difficiles. Ceci avant tout à cause de la raideur du problème à résoudre. Un schéma d’avancée temporelle explicite est limité par la condition Courant-Friedrichs-Lewy (CFL) sur les ondes d’Alfvén de compression qui évolue comme τα/h ou τα est le temps d’Alfvén et h est le pas de discrétisation. Pour des simulations de l’ordre de 5.104 5.105τα telles que réalisées dans les études physiques paramétriques [Halpern et collab., 2011a,b; Lutjens et Luciani, 2005, 2006; Lutjens et collab., 2001; Maget et collab., 2009, 2007, 2010; Nicolas et collab., 2014, 2012], c’est une approche inabordable en terme de coût CPU.
Sur les machines de calcul des années 1980-90, la quantité de calcul nécessaire à un schéma d’avancée temporelle implicite était aussi trop importante. En dépit de ce constat, plusieurs codes ont été développés durant cette période en MHD résistive 3D [Aydemir et Barnes, 1984; Park et collab., 1986; Popov et collab., 2001], plusieurs d’entre eux reposant sur une méthode semi-implicite [Charlton et collab., 1990; Harned et Kerner, 1985; Harned et Schnack, 1986; Schnack et collab., 1987]. Ce fut également le choix des premières versions des codes XTOR et NIMROD [Lerbinger et Luciani, 1991; Lutjens et Luciani, 2008; Schnack et collab., 2006]. Néanmoins, les méthodes semi-implicites sont difficiles à généraliser à des modèles physiques plus complexes tels que la MHD bi-fluide. Entre 2000 et 2010, les capacités de calculs croissantes ont permis la solution du problème 3D par des méthodes entièrement implicites. Des nouveaux codes ont été développés tels que XTOR-2F [Lutjens et Luciani, 2010], M3D-C1 [Breslau et collab., 2009] et JOREK [Huysmans et collab., 2009]. Pour la première fois, les méthodes itératives Newton Krylov « matrix-free » préconditionnées ont été utilisées afin de résoudre l’avancée temporelle implicitement [Chacon, 2004, 2008; Lutjens et Luciani, 2010]. Toutefois, cette méthode a le désavantage qu’une réduction significative du nombre d’itérations de l’algorithme Newton-Krylov dépend de façon critique de la qualité du préconditionneur. Une revue détaillée de ces développements sur les 30 dernières années est présentée dans la référence [Jardin, 2012].
Présentation du travail de thèse
XTOR-2F est aujourd’hui un code performant pour l’étude de la MHD macroscopique du centre du plasma. Il permet d’aborder sur des stations de travail des problèmes que d’autres codes ne traitent que sur des machines massivement parallèles. Néanmoins, il connaît deux limitations importantes. Une faible parallélisation due à l’utilisation d’une représentation spectrale. Elle est un obstacle à l’étude de modes demandant une résolution spectrale importante, et donc des temps de calcul aujourd’hui trop élevés sur une station de travail. L’utilisation de conditions de bord fixes : on fait l’hypothèse que le plasma est confiné dans une coque infiniment conductrice. On ne peut donc traiter que les modes situés dans le coeur du plasma afin d’éviter de subir l’impact de cette coque. De plus, on est limité à des topologies de champ magnétique d’équilibre formant des tubes de flux toriques emboités. la topologie du champ magnétique d’équilibre des grands tokamaks actuels présente une séparatrice à l’intérieur de l’enceinte du plasma.
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Table des matières
Table des matières
1 Introduction
1.1 La fusion thermonucléaire contrôlée
1.2 La filière tokamak
1.3 Les codes numériques
1.4 Présentation du travail de thèse
2 Magnétohydrodynamique dans les tokamaks
2.1 Equations magnétohydrodynamiques
2.2 Equilibre dans la configuration tokamak
2.3 Instabilités
2.4 Kink externe et RWM
2.5 Mode axisymétrique
2.6 Conclusions
3 Outils numériques
3.1 Le code d’équilibre CHEASE
3.2 Le code d’évolution non linéaire XTOR-2F
3.3 Le solveur PETSC
3.4 Les diagnostics
3.5 Conclusions
4 Parallélisation hybride
4.1 Parallélisation en mémoire partagée
4.2 Parallélisation en mémoire distribuée
4.3 Application
4.4 Conclusions
5 Géométrie à frontière libre : méthodes
5.1 Equilibre à frontière libre
5.2 Equations XTOR-2F
5.3 Coque résistive
5.4 Résolution du vide avec coque résistive par fonctions de Green
5.5 Conclusions
6 Géométrie à frontière libre : résultats
6.1 Conditions de bord de la coque résistive
6.2 Modes axisymétriques
6.3 Kinks externes et modes résistifs de bord (RWM)
6.4 Evolution non linéaire de modes tearing
6.5 Conclusions
7 Conclusions Générales
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