Deux Conceptions de la Gestion du Trafic Aérien
Le système de contrôle aérien actuel est basé sur un réseau de routes et un découpage de l’espace aérien en secteurs. Cette structuration de l’espace est indispensable pour que les contrôleurs aériens puissent garantir la sûreté du système. Elle amène néanmoins des contraintes qui réduisent aujourd’hui les performances du système d’Air Traffic Management (ATM).
Opérations basées sur l’Espace Aérien
Dans le système basé sur l’espace aérien, les éléments de base autour desquels s’organise le système sont les secteurs et les routes aériennes . Tous les outils et les procédures de l’Air Traffic Control (ATC) ont été développés autour de ces deux éléments de base afin de garantir la sûreté du système.
Une Structuration de l’Espace pour le Contrôleur
Si les outils de contrôle se sont améliorés au fil du temps, le contrôleur reste au cœur du système ATC. La structure de l’espace aérien a donc été adaptée afin de tenir compte des capacités de visualisation et de décision d’un être humain. Un contrôleur aérien ne peut pas surveiller seul le trafic sur un espace trop vaste tout en garantissant un certain niveau de sûreté pour tous les avions qui le traverse. Afin de répartir la charge de travail entre plusieurs contrôleurs, l’espace aérien est découpé en secteurs. Afin de suivre les avions traversant leur secteur, les contrôleurs disposent d’une image radar à laquelle est ajoutée, pour chaque avion, une étiquette contenant des informations telles que son altitude et sa vitesse. Les contrôleurs ne disposent donc que d’une image 2D pour visualiser un espace 3D. Une telle représentation rend les changements d’altitude des avions difficiles à percevoir. Pour limiter les risques de collisions liées aux changements d’altitude, les avions sont maintenus sur des niveaux de vol séparés d’une distance de sécurité de 1000 pieds (ft).
Tous les avions volant sur un même niveau de vol doivent être surveillés afin de prévenir tout risque de collision. Leur évolution dans l’espace est facile à suivre puisqu’elle correspond à leur trace radar. Mais prédire les trajectoires des avions afin de prévenir les collisions serait impossible sans le système de routes aériennes. Elles organisent le trafic en flux, limitant l’espace dans lequel les avions peuvent voler : il suffit ainsi aux contrôleurs de surveiller ces routes et leurs intersections. La prédictibilité du trafic est améliorée par l’utilisation de plans de vol, que les compagnies aériennes s’engagent à respecter. Ils permettent aux contrôleurs d’anticiper le trafic qui traversera leur secteur.
Les Points Faibles de cette Structuration
D’après les prévisions d’Eurocontrol, le trafic aérien en 2050 devrait représenter entre 1,1 et 2,7 fois le trafic actuel. Or le système actuel atteint déjà ses limites, en terme de capacité (nombre d’avions pouvant voler dans une zone donnée), de fiabilité (retards), mais aussi de coûts.
Capacité Limitée et Retards
Près de 35% des vols en Europe arrivent à destination avec plus de cinq minutes de retard. Certains d’entre eux semblent inévitables : même avec le meilleur des systèmes, une tempête de neige induira forcément des retards, voire des annulations de vol. Mais les mauvaises conditions météorologiques ne représentent pas plus d’un quart des retards en Europe (voir Figure 1.3). Les autres ne sont pas dus à des imprévus, mais à l’incapacité du système à absorber le trafic. Les méthodes et outils actuels de gestion des compagnies aériennes, des aéroports et du contrôle en-route (Airline, Airport et En-Route de la Figure 1.3) ne permettent pas une utilisation optimale de l’espace aérien. Autant de points sur lesquels le système peut être amélioré.
Mais le pire ennemi du système ATM est l’effet « boule de neige ». Tous les retards cités précédemment en entraînent d’autres : un avion ne peut pas décoller avec ses nouveaux passagers tant qu’il n’a pas atterri et débarqué les anciens. Un équipage arrivant plus tard que prévu peut avoir dépassé son quota horaire de travail et devoir être remplacé. Tous ces retards « induits » (Reactionary delays de la Figure 1.3) peuvent représenter à eux seuls jusqu’à de 50% des retards du système ATM européen.
Vers une Amélioration du Système
Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui d’envisager une réforme de la gestion du trafic aérien. Deux grands projets, SESAR en Europe et NextGen aux États-Unis explorent toutes les pistes d’amélioration possibles. Parmi les propositions avancées, on trouve l’utilisation de l’Automatic Dependent Surveillance Broadcast (ADS-B) exploitant les données GPS pour le suivi des avions (à la place des systèmes radars), ce qui permettrait notamment une localisation en survol océanique. La mise en place de communications numériques (data-link) permettra à terme un meilleur échange de données de vol et météorologiques. Parmi les nombreux concepts développés par SESAR, nous nous intéressons plus particulièrement à ceux étudiés dans le cadre du Work Package (WP)4 (En-route Operations) et du WP7 (Network Operations).
Opérations basées sur la Trajectoire
Le Trajectory Based Operations (TBO) est une des idées majeures proposées par SESAR consistant à mettre la trajectoire au cœur du système ATC. La trajectoire d’un avion ne serait ainsi plus gérée morceau par morceau (secteur par secteur), mais dans sa globalité, depuis le décollage de l’avion jusqu’à son atterrissage. L’objectif du TBO est de réduire le temps de vol, et d’améliorer les performances ainsi que la prédictibilité du trafic. Certains problèmes pourront ainsi être détectés plus tôt et leur impact sur le système global réduit. Il sera également possible d’augmenter la capacité du système, que ce soit sur la phase en-route ou dans les aéroports, tout en maintenant le niveau de sûreté actuel. Du point de vue des compagnies aériennes, le TBO permettra d’optimiser leurs opérations. Les avions pourront en effet suivre leur route préférentielle au niveau de vol souhaité, réduisant ainsi la consommation de carburant et le temps de vol. Le TBO évitera le plus souvent l’envoi en circuit d’attente (hippodromes) pour l’atterrissage. Il en résultera naturellement une diminution des émissions polluantes.
Le TBO repose sur plusieurs éléments clés :
✈ Reference Business Trajectory (RBT) : Trajectoire 4D (voir Section 2.1) négociée entre les différents acteurs du système. Les utilisateurs de l’espace aérien acceptent de la suivre avec précision et les ANSP et aéroports s’engagent à la faciliter.
✈ Merging point : Point situé à proximité d’un aéroport vers lequel convergent tous les avions souhaitant atterrir sur une piste donnée. Le merging point doit permettre de séquencer le trafic afin d’assurer une durée optimale entre deux atterrissages.
✈ Controlled Time of Arrival (CTA) : Contrainte temporelle imposée à un avion à son arrivée et associée au merging point de sa piste d’atterrissage.
Le processus de négociation de la RBT permettra de réduire considérablement le nombre de conflits avant même que les avions ne décollent. Ces RBT peuvent être planifiées de manière coordonnée afin de réduire au maximum le nombre de conflits susceptibles d’avoir lieu, à condition que les avions suivent ces RBT avec précision. La tâche de contrôle des contrôleurs sera donc facilitée puisque le nombre de conflits sera réduit et qu’ils auront accès à plus d’informations sur les vols.
Le Concept de Trajectoire 4D (WP4)
Le but de la trajectoire 4D est de permettre à un avion de s’affranchir du réseau de routes aériennes, et ainsi de suivre une trajectoire optimale. En échange, l’avion s’engage à respecter des heures de passage (de manière très précise) à des points donnés de la trajectoire. Le terme trajectoire 4D vient donc de l’idée que la trajectoire est connue en 3D (niveau de vol et position dans le plan) et qu’une quatrième dimension est ajoutée pour représenter le temps (heure de passage précise à certains points de la trajectoire). Ainsi un retard déformera la trajectoire de la même façon qu’un changement de vol ou un changement de cap.
Mise en Œuvre Opérationnelle
La mise en œuvre opérationnelle de la trajectoire 4D est prévue en deux étapes. La première est appelée initial 4D (i4D) et la deuxième Full 4D. La i4D consiste simplement à imposer un CTA aux merging points pour tous les avions, afin d’assurer le meilleur séquencement possible du trafic à l’arrivée. Cette première phase ne pose aucun réel défi technique, puisqu’elle peut être implémentée dans tous les aéroports et pour tous les avions disposant de l’équipement adéquat. La deuxième, Full 4D, représentera le véritable challenge puisqu’elle nécessite la mise en place du concept de secteurs free-route que nous présentons dans la Section 2.2 de ce chapitre. Une première expérience de trajectoire i4D a été menée le 10 février 2012, entre Toulouse, Copenhague et Stockholm. Ce test a permis de vérifier la viabilité de l’échange automatique de données entre l’avion et le sol par data-link et de valider la façon dont les informations partagées entre le sol et le bord apparaissaient sur les écrans des contrôleurs et des pilotes. Dans le cadre de la Full 4D, les avions ne seront plus astreints à suivre les routes aériennes. Les conflits qui apparaissaient auparavant aux intersections des routes pourront ainsi avoir lieu n’importe où dans le secteur. Et même si leur nombre sera réduit par une planification coordonnée des trajectoires et par l’utilisation de la totalité de l’espace aérien disponible, leur détection et leur résolution seront moins aisées pour les contrôleurs. Des procédures et outils adéquats de détection, visualisation et proposition de résolution devront donc être mis en place pour les aider dans leur travail.
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Table des matières
Introduction
Trafic Aérien, Problématique et État de l’Art
Chapitre 1 Deux Conceptions de la Gestion du Trafic Aérien
1 Opérations basées sur l’Espace Aérien
1.1 Une Structuration de l’Espace pour le Contrôleur
1.2 Les Points Faibles de cette Structuration
2 Opérations basées sur la Trajectoire
2.1 Le Concept de Trajectoire 4D (WP4)
2.2 Le Concept de Free-Route Airspace (WP7)
3 Une Automatisation du Système Nécessaire
Chapitre 2 La Problématique de la Thèse
1 Cadre Opérationnel
1.1 Les Trois Phases de Régulation du Trafic
1.2 Un Vol Contrôlé de la Porte de Départ à la Porte d’Arrivée
1.3 Les Techniques de Contrôle En-Route
2 La Planification de Trajectoires : Hypothèses et Objectifs
2.1 Hypothèses
2.2 Objectifs
Chapitre 3 Méthodes de Planification de Trajectoires
1 Terminologie
1.1 Planification de Chemin ou de Trajectoire ?
1.2 Complétude des Planifications de Trajectoire
1.3 Espace de Travail, Espace de Configuration et Espace Libre
2 Planification d’une Trajectoire pour un Mobile
2.1 Décomposition Chemin-Vitesse
2.2 Méthodes Géométriques
2.3 Contrôle Optimal
2.4 Champ de Potentiel
2.5 Conclusion
3 Planification pour Plusieurs Mobiles
3.1 Séquencement
3.2 Méthodes Itératives
3.3 Système Multi-Agents (SMA)
3.4 Mouvement Coordonné
3.5 Conclusion
4 Choix de la Méthode de Planification de Trajectoires
Champs de potentiel
Chapitre 4 Planification d’une Trajectoire : Champs de Potentiel et Fonctions Harmoniques
1 Les Champs de Potentiel
1.1 Champ de Potentiel Proposé par Khatib
1.2 Développement des Champs de Potentiel et Applications
1.3 Défauts des Champs de Potentiel
1.4 Méthodes de Résolution du Problème des Minima Locaux
2 Solution pour les Minima Locaux : les Fonctions Harmoniques
2.1 Les Champs de Potentiel Harmoniques
2.2 Avantages et Inconvénients des Champs de Potentiel Harmoniques
3 Pistes de Recherche pour la Planification de Trajectoires d’Avions
3.1 Deux Méthodes pour la Construction de Champs de Potentiel Harmoniques
3.2 Solution au Problème du Coût en Temps de Calcul
3.3 Solution au Problème de la Forme des Trajectoires
Chapitre 5 Planification d’une Trajectoire : Fonctions Biharmoniques
1 Les Fonctions Biharmoniques pour la Planification d’une Trajectoire
1.1 Principe de la Méthode : Analogie avec la Mécanique du Solide
1.2 Théorie de l’Élasticité, Équation Biharmonique et Champ de Contraintes
1.3 Discussion sur la Méthode de Masoud et al
2 Nouvelle Méthode
2.1 Nouveau Système et Méthode de Résolution
2.2 Redressement du Champ de Vecteurs Propres
2.3 Garanties Théoriques
3 Étude du Champ de Navigation Biharmonique
3.1 Lignes de Discontinuité dans le Champ
3.2 Zones de Convergence
3.3 Influence de la Taille de l’Espace Libre
4 Étude des Trajectoires Biharmoniques
4.1 Impact des Lignes de Discontinuité et des Zones de Convergence
4.2 Trajectoires de Dirichlet, de Neumann et Biharmonique
5 Conclusions et Perspectives sur la Méthode Biharmonique
5.1 Conclusions
5.2 Perspectives
Conclusion