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Détermination régionale de la richesse en matière organique d’une roche-mère
Contexte
Après avoir déterminé les champs de température dans le bassin pétrolier au cours de son histoire géologique, il est nécessaire de connaître le potentiel pétrolier initial des roches-mères (richesse de la matière organique) pour calculer les quantités d’hydrocarbures générées puis expulsées vers les réservoirs pétroliers.
Le potentiel pétrolier, c’est-à-dire la capacité maximale de production d’hydrocarbures par unité de roche-mère, est généralement caractérisé par deux valeurs : son contenu en carbone organique (TOC, exprimé en gramme de carbone par gramme de roche) et son indice d’hydrogène (IH, exprimé en mg d’hydrocarbures par gramme de carbone). Le produit de ces deux valeurs donne ce que l’on appelle traditionnellement le S2 (en mg d’hydrocarbures par gramme de roche). Cette valeur, qui caractérise le potentiel pétrolier massique d’une roche, est facilement utilisable pour déterminer un potentiel pétrolier régional à partir de l’épaisseur et de la densité de la roche.
A l’échelle d’un bassin pétrolier, qui peut atteindre plusieurs dizaines à centaines de milliers de kilomètres carrés, le TOC et l’IH peuvent fortement varier car ils dépendent en partie de la morphologie du bassin, de son paléoclimat et des conditions chimiques lors du dépôt de la roche-mère. Les hydrocarbures, sous l’effet de la poussée d’Archimède et des gradients de pression, ont tendance à remonter de la roche-mère vers la surface. Les puits de forage s’arrêtent ainsi souvent au niveau des réservoirs et ne parviennent que rarement jusqu’aux roches-mères. De ce fait, hormis dans les bassins ayant fait l’objet d’une vaste exploration des ressources non-conventionnelles, souvent localisées dans des roches-mères, les modélisateurs de bassin ne disposent généralement que de peu de puits ayant échantillonné la roche mère. En conséquence les incertitudes sur la distribution régionale de la matière organique et de son potentiel pétrolier sont généralement élevées et peuvent conduire à de grandes incertitudes lors de l’analyse du système pétrolier (Bagirov et Lerche, 1999).
Markwick (2011) décrit deux approches principales pour estimer la distribution de la richesse de la matière organique à l’échelle des bassins sédimentaires. D’une part les méthodes basées sur des bases de données volumineuses, sur des concepts de paléogéographie et sur des analogues (Scotese et al., 2006, Bohacs et al., 2008). Et, d’autre part, les modèles numériques 2D ou 3D (Schwarzkopf, 1993; Mann et Zweigel, 2008; Chauveau et al., 2014 ; Granjeon et Chauveau, 2014). Ces derniers sont des outils puissants capables de prendre en compte les processus physiques de transport des sédiments, chimiques de dégradation de la matière organique et biologiques de production de cette matière organique. Par exemple, DionisosFlow, un outil de modélisation stratigraphique développé à IFPEN (Granjeon et Joseph, 1999; Chauveau et al., in prep), est capable de traiter les processus de transport et de dépôt à la fois des sédiments et de la matière organique.
Leur usage par des modélisateurs de bassin reste toutefois limité du fait de leur complexité, du temps nécessaire pour réaliser les modèles et des connaissances en sédimentologie et en stratigraphie qu’ils requièrent. Par conséquent, les méthodes effectivement utilisées pour l’estimation du potentiel pétrolier régional sont souvent basées sur des quantités de données limitées et des approches mathématiques simples. Il s’agit par exemple de considérer la valeur moyenne en TOC des différents puits de forage ou d’utiliser des méthodes de krigeage sans dérive externe pour extrapoler les valeurs à l’ensemble du bassin sédimentaire. Ainsi, sauf dans les cas où la densité des données est suffisante (ce qui n’arrive pour ainsi dire jamais), l’estimation du potentiel pétrolier initial des roches-mères dans les modèles de bassin ne tient aucunement compte des processus en lien avec sa distribution régionale, ce qui peut conduire à l’utilisation de données d’entrée fortement erronées.
Nous proposons une nouvelle approche pour fournir des cartes de potentiel pétrolier initial des roches-mères déposées en domaine marin en entrée des modèles de bassin. Cette approche n’utilise que des données déjà requises pour construire ou contraindre les modèles de bassin. Elle utilise des concepts de biologie (production de matière organique), de chimie et de géologie (dégradation de la matière organique avant enfouissement supérieur à quelques mètres) synthétisés par Chauveau (in prep.) et rappelés dans la section suivante. L’idée principale de cette méthode, qui a fait l’objet du dépôt d’un brevet (Ducros et Chauveau, 2015), repose sur un modèle inverse qui assure la calibration aux données de puits et permet l’extrapolation des résultats à l’échelle du bassin sédimentaire. Elle utilise pour cela des cartes de bathymétrie de dépôt et de vitesse de sédimentation de la roche mère. La méthode est illustrée sur un intervalle de deux millions d’années, riche en matière organique, de la formation Montney dans le bassin ouest canadien. Cette formation, riche en réservoirs non-conventionnels, a récemment fait l’objet d’une intense prospection pétrolière facilitant l’accès à des données de forage dans les roches-mères.
Méthode
Mécanismes de dépôt et de préservation de la matière organique dans les sédiments Les valeurs de TOC et d’IH de la matière organique préservée dans les roches sédimentaires résultent d’un ensemble de processus biologiques, géochimiques et géologiques. Ils commencent dans la zone de production de la matière organique dans les océans et s’étendent jusqu’à la préservation de la matière organique dans les sédiments, après la fin des processus de dégradation contrôlés par la présence d’oxygène ou de sulfates. La méthode d’estimation du potentiel pétrolier régional intègre les lois empiriques proposées par Chauveau et al. (in prep.) que nous rappelons ci-dessous. La production de matière organique marine s’effectue principalement dans la zone photique où l’on trouve à la fois de la lumière et des nutriments. Du fait des processus de recyclage et d’oxydation de la matière organique dans la colonne d’eau, seule une petite partie de cette matière organique parvient à sédimenter. Plusieurs équipes de recherche telles que celles de Martin et al. (1987) ou Armstrong et al. (2002) ont déterminé une loi empirique reliant ce flux de matière organique Forg (en g/m²/an) à la productivité primaire de matière organique dans la zone photique (PP0, en g/m²/an) et à la bathymétrie (z, en m) à partir de mesures dans les océans actuels (figure 11). Chauveau et al. (in prep.) ont ensuite proposé une amélioration de la loi empirique afin de tenir compte de la production primaire (équation 3) : Forg(z) 0.409 PP01.41 z 0.858.
Modèle inverse local et extrapolation à l’échelle du bassin
Il existe des outils, tels que le Rock-Eval, développé à IFPEN et couramment utilisé dans l’industrie pétrolière, qui permettent de mesurer les valeurs de TOC et d’IH actuels des échantillons de roche prélevés sur des affleurements ou dans des puits de forage. Ces échantillons peuvent avoir subi, au cours de leur histoire géologique, des transformations thermiques aboutissant à la génération des fluides hydrocarbures et par conséquent à la diminution des valeurs de TOC et d’IH par rapport à leurs valeurs initiales avant transformation thermique. Les données acquises sont utilisées pour estimer la distribution locale du potentiel pétrolier par les modélisateurs de bassin après correction de l’effet de maturation thermique. Cette correction est généralement effectuée sur la base d’un bilan carbone et d’une hypothèse sur l’HI0 de la matière organique (ex : Jarvie, 2012; Romero-Sarmiento et al., 2013). Il est ainsi possible de calculer une valeur de TOC à partir de l’équation suivante :
Équation 10: TOC0 TOCPD (S1 TOCPD HIPD ) %CHC 1 HI0 %CHC.
où:
TOC correspond à la valeur de TOC initial (g de carbone organique /g de roche) .
TOC correspond à la valeur mesurée de TOC (g de carbone organique /g de roche) ; S1 est la quantité d’hydrocarbures piégés dans la roche (g d’hc /g de roche) .
%C est la teneur en carbone des hydrocarbures (g de carbone organique /g d’hc) ; HI est l’indice d’hydrogène initial de la matière organique (g d’hc/ g de carbone) ; HI est l’indice d’hydrogène mesuré (g d’hc / g de carbone).
Cette méthode d’estimation locale du potentiel pétrolier initial nécessite une hypothèse sur la valeur de l’HI0. L’originalité de la méthode est de s’appuyer sur le cadre général de dépôt et de préservation de la matière organique décrit à la section précédente pour améliorer l’estimation du potentiel pétrolier local des roches-mères marines sur la base des données de Rock-Eval. Elle permet, par la suite, de l’extrapoler au reste du bassin sédimentaire en utilisant l’information géologique régionale. Comme les modèles de bassin utilisent la description de la bathymétrie et de la vitesse de sédimentation des couches sédimentaires au cours des temps géologiques pour modéliser les systèmes pétroliers, nous disposons des informations nécessaires au calcul du potentiel pétrolier initial local et à son extrapolation régionale.
En utilisant l’approche décrite à la section précédente, si l’on dispose d’un couple (PP0,Ox0), on peut estimer une valeur de HI0 en chaque endroit du bassin. Il est alors possible d’injecter cette valeur dans l’équation 10, pour en déduire une valeur de TOC0 en accord avec le bilan carbone que l’on peut comparer à la valeur simulée de TOC0 obtenue avec les concepts de dépôt et de préservation de la matière organique marine. Dans cette dernière approche, les valeurs de hauteur de colonne d’eau et de vitesse de sédimentation sont directement issues du modèle géologique du bassin sédimentaire et sont donc considérées comme des données « dures ». Il est alors possible de modifier les valeurs de PP0 et de Ox0 afin de faire converger les deux valeurs de TOC0, calculé et simulé, vers une même valeur. On met donc en œuvre une boucle d’optimisation sur les valeurs de PP0 et Ox0 afin de minimiser l’écart entre les TOC0 calculé et simulé sur l’ensemble des puits pour lesquels on dispose de mesures. On fait l’hypothèse que PP0 et Ox0 sont constants sur l’ensemble du bassin, c’est-à-dire que la modification des valeurs de PP0 et Ox0 est effectuée pour tous les puits à la fois dans la procédure d’optimisation. Cette hypothèse permet, par la suite, d’extrapoler les résultats à l’ensemble du bassin et ainsi déterminer le potentiel pétrolier initial à l‘échelle du bassin sédimentaire. La fonction coût à minimiser pour obtenir les valeurs de PP0 et Ox0 cohérentes à la fois avec les informations géologiques et les données de puits est la suivante :
Mathieu Ducros – Approches intégrées de construction et d’analyse des modèles de systèmes pétroliers –29– nb _ puits Équation 11: OF (TOC0S TOC0C )2.
où :
OF est la fonction coût à minimiser .
TOC0S est simulé par la méthode génétique décrite à la section précédente .
Modèle inverse local et extrapolation à l’échelle du bassin
Il existe des outils, tels que le Rock-Eval, développé à IFPEN et couramment utilisé dans l’industrie pétrolière, qui permettent de mesurer les valeurs de TOC et d’IH actuels des échantillons de roche prélevés sur des affleurements ou dans des puits de forage. Ces échantillons peuvent avoir subi, au cours de leur histoire géologique, des transformations thermiques aboutissant à la génération des fluides hydrocarbures et par conséquent à la diminution des valeurs de TOC et d’IH par rapport à leurs valeurs initiales avant transformation thermique. Les données acquises sont utilisées pour estimer la distribution locale du potentiel pétrolier par les modélisateurs de bassin après correction de l’effet de maturation thermique. Cette correction est généralement effectuée sur la base d’un bilan carbone et d’une hypothèse sur l’HI0 de la matière organique (ex : Jarvie, 2012; Romero-Sarmiento et al., 2013). Il est ainsi possible de calculer une valeur de TOC à partir de l’équation suivante :
Équation 10: TOC0 TOCPD (S1 TOCPD HIPD ) %CHC 1 HI0 %CHC.
où:
TOC correspond à la valeur de TOC initial (g de carbone organique /g de roche).
TOC correspond à la valeur mesurée de TOC (g de carbone organique /g de roche) ; S1 est la quantité d’hydrocarbures piégés dans la roche (g d’hc /g de roche) .
%C est la teneur en carbone des hydrocarbures (g de carbone organique /g d’hc) ; HI est l’indice d’hydrogène initial de la matière organique (g d’hc/ g de carbone) ; HI est l’indice d’hydrogène mesuré (g d’hc / g de carbone).
Cette méthode d’estimation locale du potentiel pétrolier initial nécessite une hypothèse sur la valeur de l’HI0. L’originalité de la méthode est de s’appuyer sur le cadre général de dépôt et de préservation de la matière organique décrit à la section précédente pour améliorer l’estimation du potentiel pétrolier local des roches-mères marines sur la base des données de Rock-Eval. Elle permet, par la suite, de l’extrapoler au reste du bassin sédimentaire en utilisant l’information géologique régionale. Comme les modèles de bassin utilisent la description de la bathymétrie et de la vitesse de sédimentation des couches sédimentaires au cours des temps géologiques pour modéliser les systèmes pétroliers, nous disposons des informations nécessaires au calcul du potentiel pétrolier initial local et à son extrapolation régionale.
En utilisant l’approche décrite à la section précédente, si l’on dispose d’un couple (PP0,Ox0), on peut estimer une valeur de HI0 en chaque endroit du bassin. Il est alors possible d’injecter cette valeur dans l’équation 10, pour en déduire une valeur de TOC0 en accord avec le bilan carbone que l’on peut comparer à la valeur simulée de TOC0 obtenue avec les concepts de dépôt et de préservation de la matière organique marine. Dans cette dernière approche, les valeurs de hauteur de colonne d’eau et de vitesse de sédimentation sont directement issues du modèle géologique du bassin sédimentaire et sont donc considérées comme des données « dures ». Il est alors possible de modifier les valeurs de PP0 et de Ox0 afin de faire converger les deux valeurs de TOC0, calculé et simulé, vers une même valeur. On met donc en œuvre une boucle d’optimisation sur les valeurs de PP0 et Ox0 afin de minimiser l’écart entre les TOC0 calculé et simulé sur l’ensemble des puits pour lesquels on dispose de mesures. On fait l’hypothèse que PP0 et Ox0 sont constants sur l’ensemble du bassin, c’est-à-dire que la modification des valeurs de PP0 et Ox0 est effectuée pour tous les puits à la fois dans la procédure d’optimisation. Cette hypothèse permet, par la suite, d’extrapoler les résultats à l’ensemble du bassin et ainsi déterminer le potentiel pétrolier initial à l‘échelle du bassin sédimentaire. La fonction coût à minimiser pour obtenir les valeurs de PP0 et Ox0 cohérentes à la fois avec les informations géologiques et les données de puits est la suivante :
Mathieu Ducros – Approches intégrées de construction et d’analyse des modèles de systèmes pétroliers –29– nb _ puits Équation 11: OF (TOC0S TOC0C )2 k 1.
où :
OF est la fonction coût à minimiser .
TOC0S est simulé par la méthode génétique décrite à la section précédente .
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Table des matières
1 NOUVEAUX OUTILS POUR LA CONSTRUCTION DE MODÈLES DE BASSINS
1.1 CALIBRATION THERMIQUE DES MODÈLES DE BASSIN
1.1.1 CONTEXTE
1.1.2 PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA CALIBRATION D’UN MODÈLE 3D DE BASSIN
1.1.3 APPLICATION AU BASSIN DE BERKINE
1.1.4 RÉSULTATS ET DISCUSSION
1.1.5 SYNTHÈSE
1.2 DÉTERMINATION RÉGIONALE DE LA RICHESSE EN MATIÈRE ORGANIQUE D’UNE ROCHEMÈRE
1.2.1 CONTEXTE
1.2.2 MÉTHODE
1.2.3 MODÈLE INVERSE LOCAL ET EXTRAPOLATION À L’ÉCHELLE DU BASSIN
1.2.4 APPLICATION AU CAS DE LA FORMATION MONTNEY (BASSIN OUEST CANADIEN)
1.2.5 RÉSULTATS ET DISCUSSION
1.2.6 SYNTHÈSE
2 NOUVEAUX OUTILS POUR L’ANALYSE DE SENSIBILITÉ ET DE RISQUES
2.1 ANALYSE DE SENSIBILITÉ À L’ÉCHELLE RÉGIONALE
2.1.1 CONTEXTE
2.1.2 MÉTHODE DE QUANTIFICATION DES INCERTITUDES SUR DES CARTES
2.1.3 APPLICATION À UN INTERVALLE SÉDIMENTAIRE DU GOLFE DU MEXIQUE
2.1.4 RÉSULTATS ET DISCUSSION
2.1.5 SYNTHÈSE
2.2 MÉTHODE DE DÉTERMINATION DE CARTES DE RISQUE EN EXPLORATION PÉTROLIÈRE
2.2.1 CONTEXTE
2.2.2 MÉTHODE DE CARTOGRAPHIE DES RISQUES
2.2.3 RISQUE DE PRÉSENCE D’UN RÉSERVOIR SABLEUX
2.2.4 DÉTERMINATION DES RISQUES DE MATURITÉ DE LA ROCHE-MÈRE
2.2.5 SYNTHÈSE
3 CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
4 RÉFÉRENCES
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