Détérioration des matériaux poreux par les sels
Comportement des systèmes sel-eau
Un sel est défini comme étant le produit formé par la neutralisation d’acides et de bases. Une des caractéristiques fondamentales des sels est d’être des composés ioniques, c’est-à-dire formés d’une combinaison d’anions et de cations, de telle sorte que le sel soit électriquement neutre. A l’état solide, les ions sont organisés suivant une structure cristalline et reliés entre eux par des liaisons ioniques .
Dissolution et humidité relative d’équilibre
Quand un sel est dissous dans l’eau, les liaisons de son réseau cristallin sont rompues et ses ions vont se dissocier pour former d’autres types de liaison avec les molécules d’eau. La présence des ions va avoir de nombreux effets sur les propriétés de l’eau. La modification de l’équilibre eau liquide-eau vapeur induite par la présence du sel est particulièrement pertinente par rapport au phénomène de cristallisationdissolution qui est au cœur des problèmes de détérioration des matériaux poreux par les sels. Lorsqu’un volume d’eau pure est placé dans un milieu fermé, un équilibre, qui dépend de la température, s’établit entre les phases liquide et gazeuse. On appelle pression de vapeur saturante, la pression de la vapeur d’eau à l’équilibre. On définit alors l’humidité relative (HR) de l’air comme étant le rapport entre la pression partielle de vapeur d’eau contenue dans l’air (Pvap) et la pression de vapeur saturante, c’est-à-dire la pression partielle de vapeur d’eau contenue dans l’air saturé (Psat).
Lorsqu’une solution saline est placée dans un milieu fermé, le rapport des masses volumiques de sa phase vapeur et sa phase liquide est tel qu’un changement dans la phase vapeur n’a pratiquement aucun impact sur le système. La solution conditionnera donc la phase vapeur. C’est pourquoi on utilise des solutions salines pour imposer des humidités relatives dans des volumes confinés [Arno91]. En revanche, dans un milieu non confiné un faible volume de solution saline sera en contact avec une masse d’air que l’on peut considérer comme illimitée. C’est par exemple le cas lorsque l’on considère une solution saline présente dans le mur d’un bâtiment. C’est alors la phase vapeur, c’est-à-dire l’humidité de l’air, qui va conditionner la solution et contrôler la dissolution-cristallisation du sel. On peut alors définir pour chaque sel une humidité relative d’équilibre (HReq) caractéristique, qui est l’humidité relative de l’air en équilibre avec la solution saline saturée.
Lorsque HRair>HReq, la solution saline devient de plus en plus diluée lorsque l’humidité relative augmente. Lorsque HRair<HReq, l’eau s’évapore, la solution devient de plus en plus concentrée jusqu’à arriver à saturation, le sel précipite alors en cristaux. Par de simples variations de l’humidité relative de l’air, on peut ainsi induire des cycles de cristallisation-dissolution du sel.
La présence de plusieurs sels dans un même milieu va affecter le comportement de chacun des sels présents. Ainsi, la solubilité du gypse et de ses composés est très fortement influencée par la présence d’autres sels [Char07]. Les valeurs théoriques des humidités relatives d’équilibre et des solubilités sont connues pour la plupart des sels purs présents communément dans l’environnement. Cependant ces dernières ne sont pas directement applicables aux systèmes salins réels qui sont des mélanges, parfois compliqués, d’espèces ioniques. Ainsi un mélange de sels n’aura pas, à une température donnée, une seule humidité relative d’équilibre mais une plage de HReq, plage qui n’est pas nécessairement comprise entre les valeurs des HReq des sels individuels [Pric94]. L’existence de cette plage de HReq augmente donc le potentiel de destruction des mélanges salins.
Pendant longtemps, il n’existait pas de méthode de calcul thermodynamique capable de prédire dans quel ordre et à quelle valeur d’humidité relative les sels précipiteront d’une solution contenant de multiples ions. De telles données ne pouvaient être obtenues qu’empiriquement par des observations sur le terrain [Arno91]. Au milieu des années 1990, le projet de recherche européen Control of salt damage a porté ses efforts sur le développement d’un modèle thermodynamique qui puisse décrire le comportement de telles solutions salines. Le résultat fut la mise au point d’un système expert (ECOS) pour prédire le comportement à l’équilibre de mélanges de sels et donc pour déterminer les conditions environnementales nécessaires pour éviter la détérioration par les sels des matériaux poreux [Stei96, Pric00]. Le program ECOS est désormais utilisé par les praticiens dans des cas réels de conservation (voir par exemple [Nunb96, Sawd05a, Pric07]). Ces exemples pratiques ont mis en évidence les limitations du modèle dont les calculs ne correspondent pas toujours aux observations de terrain. Des recherches sont maintenant en cours pour améliorer ce système expert, en s’attaquant en particulier aux situations de nonéquilibre des systèmes salins, mais aussi, en intégrant les phénomènes de transport des solutions à l’intérieur du matériau poreux, ce qui nécessite une approche à la fois thermodynamique et cinétique [Stei05a].
Hydratation
L’hydratation désigne plusieurs phénomènes différents liés à l’eau. Dans le domaine de la chimie inorganique qui nous préoccupe ici, l’hydratation est l’incorporation de molécules d’eau à la structure cristalline d’un minéral, un sel par exemple. Les molécules d’eau (appelée eau d’hydratation ou eau de cristallisation), dont le nombre est fixe pour un hydrate donné, sont liées au réseau cristallin par des liaisons faibles. Le composé minéral sans molécule d’eau sera appelé anhydride. Un sel donné peut n’exister que sous forme anhydre ou posséder un ou plusieurs hydrates qui seront stables à différentes conditions de température, d’humidité relative et de pression. Les sels hydratés étant plus volumineux que leurs homologues anhydres, on verra par la suite que l’hydratation a longtemps été tenue en partie responsable de la détérioration des matériaux poreux par les sels, mécanisme qui est désormais remis en question.
Parmi les sels communs, on notera en particulier que le chlorure de sodium (NaCl) ne s’hydrate qu’à une température inférieure à 0,1°C pour former un dihydrate (NaCl•2H2O) [Lube06a]. On considéra donc dans le cadre de cette recherche qu’il n’existe que sous sa seule forme anhydre. A l’inverse, le système des composés du sulfate de sodium est plus complexe. Ce sel possède deux phases stables à température ambiante, l’anhydre NaSO4 (thénardite) et le décahydrate NaSO4•10H2O (mirabilite). Une phase métastable, l’heptahydrate NaSO4•7H2O, est également connue [Brai71] et a récemment fait l’objet d’observations par résonance magnétique nucléaire [Rijn05, Said08]. Cependant, il semblerait que ce système soit plus compliqué que son diagramme de phase (Figure 1.3) ne le laisserait supposer et que d’autres phases puissent également exister [Genk07, Hami08]. La complexité de ce système, couplée à l’observation déjà ancienne [Scha32] que les pierres contenant du sulfate de sodium présentent souvent de très sévères détériorations, a fait de ce sel l’un des plus étudiés, aussi bien du point de vue théorique que du point de vue expérimental.
Hygroscopicité
L’hygroscopicité est la capacité que possède une substance à attirer les molécules d’eau de l’air ambiant par absorption ou adsorption. Certains sels sont non-hygroscopiques, ou plus justement, très faiblement hygroscopiques, comme les composés du sulfate de calcium (gypse) [Char07]. D’autres sels, au contraire, condensent facilement la vapeur d’eau de l’atmosphère couvrant ainsi les cristaux de sel d’un film d’eau du fait de la faible pression de vapeur existant au-dessus de leur solution saline saturée. Si ces cristaux absorbent une quantité d’eau suffisante, ils pourront alors passer en solution, c’est le phénomène de déliquescence. L’humidité relative à laquelle un sel déliquesce est d’autant plus basse que le sel est soluble. Pour la plupart des sels, l’humidité de déliquescence décroît lorsque la température augmente car leur solubilité augmente [Stei05a].
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. Etat de l’art
1. Détérioration des matériaux poreux par les sels
1.1. Comportement des systèmes sel-eau
1.1.1. Dissolution et humidité relative d’équilibre
1.1.2. Précipitation et morphologie de croissance des cristaux de sel
1.1.3. Hydratation
1.1.4. Hygroscopicité
1.2. Transport de l’eau et des sels dans les matériaux poreux
1.2.1. Transport de l’eau
1.2.2. Transport des sels
1.3. Mécanismes de détérioration proposés
1.3.1. Pression de cristallisation
1.3.2. Pression d’hydratation
1.3.3. Dilatation thermique différentielle
1.3.4. Dilatation hydrique différentielle
1.3.5. Synergie entre la présence de sel et d’autres facteurs de détérioration
1.3.6. Taille des pores et cristallisation des sels
1.3.7. Localisation de la cristallisation des sels dans un matériau poreux
1.4. Sels dans les matériaux inorganiques poreux du patrimoine architectural
1.4.1. Nature et origine des sels
1.4.2. Distribution des sels dans les maçonneries
1.4.3. Morphologies d’altération des matériaux par les sels
1.4.4. Concentrations de sel provoquant des détériorations
2. Dessalement par compresses des matériaux inorganiques poreux du patrimoine architectural
2.1. Introduction
2.1.1. Méthodes de traitement des sels
2.1.2. Principe du dessalement par compresse
2.1.3. Compresses de dessalement et compresses de nettoyage
2.1.4. Compresses de dessalement traditionnelles et mortiers dessalants
2.1.5. Eléments d’un système de dessalement par compresse
2.2. Compresses
2.2.1. Introduction
2.2.2. Compresse mono-composant – composés cellulosiques
2.2.3. Compresse mono-composant – argiles
2.2.4. Autre type de compresse mono-composant
2.2.5. Compresse multi-composant
2.2.6. Mélanges commerciaux
2.2.7. Additifs
2.2.8. Evaluation des propriétés des compresses
2.3. Substrat
2.4. Sels
2.5. Procédure de dessalement par compresse
2.5.1. Préparation du substrat et la question du mouillage
2.5.2. Mise en place de la compresse sur le substrat
2.5.3. Environnement pendant le dessalement
2.5.4. Nombre et durée des applications
2.6. Suivi du dessalement en temps réel
2.7. Evaluation de l’efficacité d’un dessalement
2.7.1. Méthodes analytiques de quantification des sels
2.7.2. Echantillonnage du substrat
2.7.3. Echantillonnage de la compresse
2.7.4. Critères d’arrêt du dessalement
2.7.5. Suivi à long-terme du dessalement
2.8. Bilan des expériences de dessalement par compresse
2.9. Pistes pour des études futures
Chapitre 2. Matériaux utilisés, méthodes de caractérisation et procédures expérimentales
1. Matériaux utilisés
1.1. Matériau poreux modèle
1.2. Solution saline d’imprégnation des échantillons
1.3. Compresses de dessalement
1.3.1. Constituants des compresses
1.3.2. Formulation et fabrication des compresses
2. Méthodes de caractérisation et procédures expérimentales
2.1. Porosité des échantillons
2.1.1. Définitions
2.1.2. Gammadensimètrie
2.1.3. Porosimètrie à intrusion de mercure
2.1.4. Porosité par imbibition à l’eau
2.2. Coefficients de montée capillaire (B) et d’absorption capillaire (W)
2.2.1. Principe théorique
2.2.2. Procédure expérimentale
2.3. Imagerie par résonance magnétique nucléaire
2.3.1. Principe de mesure
2.3.2. Instrumentation
2.3.3. Remarques expérimentales
2.4. Cryomicroscopie électronique à balayage
2.4.1. Principe de mesure
2.4.2. Préparation des échantillons
2.5. Perméabilité des compresses
2.5.1. Principe théorique de mesure
2.5.2. Calcul expérimental de la perméabilité intrinsèque
2.5.3. Instrumentation et procédure expérimentale
2.6. Quantification du sel par titrage volumétrique
2.6.1. Principe général des méthodes de titrage
2.6.2. Détection par conductimètrie
2.6.3. Procédure expérimentale de titrage des ions chlorure
2.6.4. Avantages et limitations
2.7. Chromatographie ionique
2.7.1. Principe de la méthode
2.7.2. Préparation des échantillons et instrumentation
2.8. Cinétique de séchage
2.8.1. Cinétique de séchage des échantillons poreux
2.8.2. Cinétique de séchage des compresses
Chapitre 3. Matériaux poreux modèles
1. Propriétés physiques du matériau poreux modèle
1.1. Porosité
1.2. Autres propriétés physiques
2. Séchage d’échantillons poreux modèles
2.1. Cinétique d’évaporation
2.1.1. Echantillon saturé d’eau déionisée
2.1.2. Echantillon saturé d’une solution de chlorure de sodium
2.1.3. Echantillon saturé d’une solution de sulfate de sodium
2.1.4. Nombre de Peclet
2.2. Profils de saturation et images par IRM
2.2.1. Echantillon saturé d’eau déionisée
2.2.2. Echantillon saturé d’une solution de chlorure de sodium
2.2.3. Echantillon saturé d’une solution de sulfate de sodium
3. Distribution du sel cristallisé dans les échantillons en fin de séchage
3.1. Chlorure de sodium cristallisé à la surface des échantillons
3.2. Chlorure de sodium cristallisé au sein des échantillons
3.3. Distribution du sulfate de sodium dans les échantillons
4. Conclusion
Chapitre 4. Compresses de dessalement
1. Microscopie électronique à balayage
1.1. Mise en œuvre
1.2. Compresse kaolin-sable-eau
1.3. Compresses kaolin-cellulose-sable-eau
2. Cinétique de séchage
2.1. Introduction
2.2. Mélanges granulat-eau
2.2.1. Définition des grandeurs étudiées
2.2.2. Granulats de diamètre moyen variable et de dispersion relative constante
2.2.3. Granulats de diamètre moyen constant et de dispersion relative variable
2.3. Compresse kaolin-granulat-eau
2.4. Compresse kaolin-cellulose-granulat-eau
2.5. Profils IRM des compresses au cours du séchage
3. Etude du temps de relaxation longitudinale T1
3.1. Introduction
3.2. Constituants seuls et compresses kaolin-granulat-eau
3.3. Fibres de cellulose et compresses kaolin-cellulose-granulat-eau
3.4. Evolution du T1 au cours du séchage des compresses
3.4.1. Mise en œuvre
3.4.2. Spectres en T1 des compresses pendant le séchage
3.4.3. Corrélation entre les valeurs en T1 et la teneur en eau de la compresse
4. Perméabilité
4.1. Mise en œuvre
4.2. Constituants seuls et compresses kaolin-granulat-eau
4.3. Compresses kaolin-cellulose-granulat-eau
5. Conclusion
Conclusion
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