La détection dans le domaine spectral infrarouge trouve de nombreuses applications, aussi bien civiles que militaires, comme la vision nocturne, la thermographie ou encore l’imagerie spatiale. Les applications les plus exigeantes en terme de performances nécessitent des détecteurs refroidis, généralement basés sur les alliages semi-conducteurs InSb ou CdxHg1-xTe (CdHgTe). Leur principe de fonctionnement repose sur la conversion photovoltaïque. L’absorption de photons infrarouges par ces semi-conducteurs génère des paires électron-trou à l’origine d’un courant électrique. Ce photocourant est alors collecté à travers une photodiode et sera ensuite exploité par un circuit de lecture. La photodiode qui constitue le cœur du détecteur est formée d’une jonction p-n. Dans cette zone, le dopage du monocristal passe du type n au type p. La maitrise du dopage est alors fondamentale pour obtenir des performances de détection optimales.
Le composé ternaire CdHgTe est le semi-conducteur le plus utilisé pour la réalisation de photodétecteurs infrarouges refroidis. Ce succès est dû à l’ajustement possible des longueurs d’ondes détectées par variation de la composition de l’alliage. Cette propriété remarquable a entrainé de nombreux travaux qui ont permis la maitrise du dopage intrinsèque de ce matériau, ainsi que de son dopage extrinsèque de type n par incorporation d’indium. Seul le dopage extrinsèque de type p demeure mal compris. Or ce type de dopage devient primordial pour adresser la prochaine génération de détecteurs infrarouges. Il devrait en particulier permettre d’augmenter les températures de fonctionnement pour des performances équivalentes. Pour un composant dont la température de fonctionnement est de 80 K, l’objectif est d’obtenir les mêmes performances de détection à plus de 150 K.
L’arsenic est aujourd’hui l’élément le plus utilisé pour réaliser le dopage extrinsèque de type p du CdHgTe. Il présente notamment l’avantage d’avoir un coefficient de diffusion compatible avec les recuits technologiques nécessaires à la réalisation des détecteurs. Malgré de nombreuses études, et son utilisation dans différents produits commerciaux, la qualité du matériau dopé n’est pas optimale et limite les performances des détecteurs. La compréhension des mécanismes du dopage par arsenic est donc une étape essentielle pour améliorer leurs performances.
Problématique du dopage du CdHgTe
Détection infrarouge refroidie par CdHgTe
L’architecture classique des systèmes de détection infrarouges actuels à base de CdHgTe est appelée détecteur matriciel au plan focal ou FPA pour l’abréviation de focal plane array. Ce type de détecteur est en effet constitué d’une matrice de photodiodes positionnées dans le plan focal d’une lentille. C’est la partie active du détecteur qui va convertir les photons infrarouges en signal électrique. La lecture de ce signal est réalisée par un circuit dédié, réalisé en technologie silicium. Ces deux parties sont connectées via un réseau de microbilles d’indium qui assurent l’interconnexion électrique et mécanique de cette structure hybride.
Dans le cadre de ces travaux, c’est la partie active du détecteur qui nous intéresse. Elle est constituée de deux matériaux : un substrat de l’alliage CdyZn1-yTe (CdZnTe), transparente au rayonnement infrarouge, et une couche de CdHgTe. L’absorption de photons d’énergie supérieure au gap de ce semi-conducteur provoque la création de paires électron-trou, appelées photo-porteurs. Ces dernières sont à l’origine d’un photocourant lorsqu’elles sont créées au voisinage d’une photodiode. En effet, comme une diode classique, elle est formée par une jonction p-n qui consiste en une variation du dopage du monocristal, qui passe du type n au type p. Cette transition entraine une variation locale de champ électrique, provoquant la diffusion des porteurs minoritaires à travers la jonction.
Différentes architectures de photodiodes existent pour le CdHgTe. En France . Dans cette architecture, le dopage p est réalisé de façon homogène sur l’ensemble de la couche par lacunes de mercure. Le dopage de type n est principalement créé au voisinage de la surface par le comportement donneur des défauts liés à l’implantation ionique de bore [2]. La majorité de l’épaisseur du matériau étant dopée de type p, la création de paires électron-trou est principalement réalisée dans cette zone. Ce sont donc les propriétés électriques de cette zone qui vont définir certaines propriétés de la diode et de façon plus générale du détecteur. Parmi les propriétés les plus importantes, la durée de vie des porteurs minoritaires de cette zone va impacter le courant d’obscurité de la diode et la mobilité des porteurs majoritaires va influencer la résistance série du détecteur. Comme la mobilité des électrons est généralement supérieure d’un facteur 100 à celle des trous [1], le matériau de type n est souvent favorisé pour réaliser la couche absorbante comme dans la structure p sur n . Dans ce cas, le dopage est réalisé par incorporation d’indium, lors de la croissance, pour la partie n et par implantation ionique d’arsenic pour la partie p. L’utilisation de dopants extrinsèques induit une durée de vie des porteurs minoritaires plus importante que dans le cas du dopage intrinsèque [1]. Ce gain est nécessaire pour réduire les courants d’obscurité des détecteurs infrarouges et ainsi augmenter le rapport signal sur bruit afin de permettre l’augmentation de la température de fonctionnement du détecteur, sans dégrader ses performances.
Le dopage extrinsèque de bonne qualité est donc fondamental pour la réalisation de détecteurs de haute performance. Afin de bien comprendre les enjeux autour de la réalisation de ce dopage, nous allons tout d’abord nous intéresser aux propriétés de l’alliage CdHgTe.
Propriétés du CdHgTe
L’alliage ternaire CdxCd Hg1-xCdTe (CdHgTe) est le principal matériau utilisé pour la détection infrarouge. En variant la fraction molaire xCd de CdTe de 0 à 1, le gap varie entre -0.3 et 1.6 eV, ce qui permet de réaliser des détecteurs ayant une réponse spectrale ajustable sur une grande gamme de longueurs d’onde infrarouge.
Le tellurure de mercure et de cadmium est un alliage des composés CdTe et HgTe qui se décrit selon la formule CdxCdHg1-xCdTe, où xCd représente la fraction molaire de CdTe. C’est un cristal de type blende qui appartient au groupe d’espace F¯43m. Sa structure peut être décrite comme deux sous réseaux cubiques faces centrées décalés l’un par rapport à l’autre d’un quart de la grande diagonale du cube. L’un des sous réseaux est composé des anions tellure ; l’autre est composé des cations mercure et cadmium . Il est important de noter que ce cristal appartient à une classe de symétrie non centrosymétrique autorisant la piezoélectricité. D’autre part, la présence de plusieurs types d’atomes implique différentes polarités des surfaces cristallines. Par convention, les faces terminées par les anions tellure sont indexées par un nombre impair d’indices de Miller négatifs souvent complétés par la lettre B comme la face (¯1¯1¯1)B par exemple. Inversement, les faces terminées par les cations mercure et cadmium sont indexées par un nombre pair d’indices de Miller négatifs ainsi que par A [3].
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Table des matières
Introduction
1 Problématique du dopage du CdHgTe
1.1 Détection infrarouge refroidie par CdHgTe
1.2 Propriétés du CdHgTe
1.3 Techniques de croissance du CdHgTe
1.3.1 Epitaxie en phase liquide
1.3.2 Epitaxie par jets moléculaires
1.4 Propriétés électriques et dopage de CdHgTe
1.4.1 Dopage intrinsèque
1.4.2 Dopage extrinsèque
1.5 Le dopage de type p par As : revue de littérature
1.6 Conclusion
2 Techniques expérimentales
2.1 Implantation ionique
2.1.1 Modification du matériau
2.1.2 Distribution des ions implantés
2.1.3 Distribution des défauts
2.1.4 Equipement utilisé
2.1.5 Implantation ionique du CdHgTe
2.2 Recuits sous pression de mercure
2.2.1 Principe et spécificités du recuit
2.2.2 Procédure de recuit et domaine de stabilité de l’alliage
2.2.3 Caractérisation de la diffusion induite
2.3 Spectroscopie de rétrodiffusion Rutherford
2.3.1 Principe
2.3.2 RBS en configuration canalisée
2.4 Mise en œuvre du calcul des profils de dommages
2.4.1 Equipements utilisés
2.5 Microscopie électronique en transmission
2.5.1 Méthode de préparation des échantillons
2.5.2 Modes d’imagerie utilisés
2.6 Mesures électriques
2.6.1 Principe
2.6.2 Echantillons étudiés
2.6.3 Mesures différentielles
2.7 Conclusion
3 Dopage du CdHgTe par implantation ionique d’arsenic
3.1 Dommages structuraux résultant de l’implantation ionique
3.1.1 Comportement électrique des dommages
3.1.2 Estimation par RBS-c de la densité de dommages
3.1.3 Étude des défauts étendus
3.1.4 Confrontation des différentes mesures
3.2 Correction des dommages par recuit
3.2.1 Evolution des profils de dommages avec le temps de recuit
3.2.2 Microstructure des échantillons recuits
3.3 Diffusion de l’arsenic lors du recuit d’activation
3.3.1 Revue de la littérature
3.3.2 Processus de diffusion en fonction de la composition de l’alliage
3.3.3 Influence des dommages d’implantation ionique
3.4 Mesures électriques
3.5 Conclusion
4 Dopage du CdHgTe par implantation des élements du groupe 15
4.1 Dommages d’implantation ionique
4.1.1 Localisation des défauts étendus selon la masse du dopant
4.1.2 Estimation par RBS-c de la densité de dommages lors de l’implantation d’antimoine
4.2 Diffusion des dopants implantés lors des recuits
4.2.1 Revue de la littérature
4.2.2 Diffusion de l’azote et du phosphore
4.2.3 Diffusion de l’antimoine
4.3 Microstructure après recuit
4.3.1 Couche implantée azote
4.3.2 Couche implantée phosphore
4.3.3 Couche implantée arsenic
4.3.4 Couche implantée antimoine
4.4 Mesures électriques
4.5 Conclusion
Conclusion