La réalisation de laboratoires sur puce ou « Lab on a chip » (concept introduit dans les années 1990) constitue l’objectif majeur d’un nombre grandissant de projets pluridisciplinaires dans les domaines de la physique, de la chimie ou de la biologie. L’ambition de ce type d’études est d’intégrer sur une puce de quelques centimètres carrés une ou plusieurs fonctions qui pourraient être réalisées en laboratoire. Les dispositifs déjà existants sont par exemple utilisés à des fins de diagnostics et accomplissent de nombreuses analyses biologiques sur des petits volumes d’échantillons sanguins ou sur des cellules humaines. Les objectifs se résument ainsi à l’exécution successive, rapide et contrôlée de protocoles multi-étapes pour lesquels il peut être nécessaire de tester instantanément une multitude de conditions opératoires. L’enjeu de cette thématique est donc la miniaturisation des procédés et des appareillages qui s’accompagne notamment d’une réduction des coûts, d’une amélioration de la portabilité et d’un indispensable gain de temps.
Dans ce contexte, la microfluidique a connu un développement rapide. Elle s’inspire de techniques et de phénomènes que la nature maîtrise déjà parfaitement, à l’image de la sève qui s’écoule dans les capillaires micrométriques des feuilles d’un arbre ou de l’araignée qui produit, pour former sa toile, une fibre de l’épaisseur d’un cheveu. La microfluidique englobe la compréhension, la manipulation et l’exploitation d’écoulements à petites échelles. L’emploi des écoulements assure, outre une diminution des quantités d’échantillons utilisés, une amélioration de la vitesse et du contrôle des processus et surtout une augmentation du rapport surface sur volume qui favorise les transferts de chaleur et les réactions aux interfaces. Cette discipline inclut également les outils nécessaires à la fabrication des systèmes aux dimensions micrométriques.
Parmi les écoulements rencontrés et suivant leurs particularités, la microfluidique se décompose en deux grandes familles. Il existe ainsi la microfluidique continue qui fait intervenir des écoulements monophasiques et la microfluidique digitale ou discrète qui fait intervenir des micro-gouttes. Dans le deuxième cas, l’écoulement est le plus souvent diphasique. Il est considéré comme segmenté. La différence majeure entre ces deux domaines résulte de la présence ou de l’absence de phénomènes de diffusion/dispersion des espèces présentes dans les canaux microfluidiques. Cet aspect conditionnera au regard des performances recherchées les champs d’application.
Microfluidique
Malgré des principes anciens basés notamment sur les travaux expérimentaux de Jean Louis-Marie Poiseuille [13] ou théoriques de Navier puis Stokes, la microfluidique est une discipline dont le développement est relativement récent. En effet, c’est dans les années 90 que sont apparus les premiers dispositifs d’analyses intégrés sur puces microfluidiques, nommés communément microTAS pour Micro Total Analysis System [14]. Les premières revues portant sur la microfluidique sont publiées en 2002 [15, 16]. La possibilité de fabriquer des microsystèmes dans un temps très court et à faible coût à l’aide de techniques de lithographie douce, inspirées des techniques de l’industrie microélectronique, a été un élément déterminant dans l’avènement et le développement de cette thématique [12, 16-19].
Grandeurs caractéristiques des écoulements
Les dimensions micrométriques des canaux microfluidiques leur confèrent des propriétés particulières. Un rapport surface sur volume élevé et le confinement permet de favoriser le transport de masse ainsi que les phénomènes de capillarité. Des revues très complètes rassemblent toutes les notions physiques utiles à l’étude des écoulements microfluidiques [20, 21]. De nombreuses grandeurs adimensionnées sont définies pour décrire les différents phénomènes intervenant lors de l’écoulement de fluide. Trois d’entre elles sont retenues pour appréhender plus facilement les caractéristiques d’un système microfluidique.
De plus, si l’écoulement est assuré de manière externe par une différence de pression, de part et d’autre des extrémités du canal, alors le profil de vitesse présente une allure parabolique de type Poiseuille. La condition de non-glissement permet de considérer une vitesse tangentielle nulle aux parois. La vitesse sera maximale au centre du canal.
Modes d’écoulement
Compte tenu des développements importants de la microfluidique digitale, il est raisonnable de se poser la question du choix de la technique microfluidique à mettre en œuvre suivant l’objectif de l’étude considérée.
La microfluidique continue
La microfluidique continue, qui met en jeu des écoulements laminaires, présente l’avantage d’une modélisation du transport d’espèces facilitée. En revanche, l’absence de turbulence limite l’efficacité du mélange de solutés. Dans un tel système, les espèces se déplacent suivant le sens de l’écoulement du fluide mais elles sont également soumises aux phénomènes de diffusion suivant les trois directions de l’espace du canal microfluidique. Ces phénomènes de diffusion sont mis à profit dans certaines applications.
Diffusion transverse
La diffusion transverse est la diffusion perpendiculaire au sens d’écoulement du flux, sur la largeur du canal (cas d’un canal à section rectangulaire). Elle a pour effet d’homogénéiser la composition de la solution dans le canal d’étude et de favoriser les mélanges.
Dans le cas de canaux sous forme de Y, deux solutions initialement homogènes mais différentes en composition sont introduites simultanément dans un canal principal suivant des écoulements à co-courant (ou co-flux) (Figure 1.1 A). La diffusion transverse a lieu à l’interface entre les deux écoulements. Le suivi de ce phénomène permet la détermination de coefficient de diffusion [22, 23], l’étude de cinétiques réactionnelles [24], ou la séparation d’objets [25, 26].
Un autre exemple est celui d’un réseau microfluidique composé d’une série de diluteurs bien choisis, de façon à obtenir en sortie un gradient d’espèces chimiques perpendiculairement au sens de circulation du fluide (Figure 1.1 B) [27, 28]. La diffusion transverse permet alors de lisser en aval la variation de concentration. La génération d’un gradient linéaire de concentration dans un canal microfluidique constitue un enjeu important dans de nombreuses applications. La plupart d’entre elles concerne des problématiques biologiques [29, 30], mais également la fonctionnalisation de surface [31, 32], la fabrication contrôlée de matériaux inhomogènes [33, 34], la titration potentiométrique [35] ou encore des applications physiques visant à créer un guide d’onde en jouant sur l’indice de réfraction du liquide [36].
Si le seul objectif est celui de mixer, un mélange par diffusion reste relativement lent et peut être considéré comme critique. Différentes approchent peuvent être envisagées [12, 37] : mélange par diffusion seule, mélange chaotique avec un canal en forme de zigzag (Re elevés) ou encore mélange avec des chevrons (Re faibles). Dans ce dernier cas, les chevrons induisent des phénomènes de cisaillement au passage de deux flux laminaires en écoulement à co-courant (Figure 1.2) [38]. Une méthode active consiste quant à elle à mettre en place une perturbation mécanique [39].
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Etat de l’art
1 Microfluidique
1.1 Grandeurs caractéristiques des écoulements
1.2 Modes d’écoulement
1.2.1 La microfluidique continue
1.2.2 La microfluidique digitale
1.3 Microfluidique de gouttes
1.3.1 Génération de gouttes
1.3.2 Profils de vitesse à l’intérieur des gouttes
1.3.3 Manipulation et caractérisation de gouttes
1.3.4 Applications des gouttes en microfluidique
2 Couplage de la microfluidique et de l’électrochimie
2.1 Transport de masse au voisinage d’électrodes
2.1.1 Rappels théoriques
2.1.2 Cas d’une seule électrode de travail
2.1.3 Cas d’un couple d’électrodes
2.2 Détection d’espèces électroactives en écoulement diphasique
2.2.1 Systèmes et géométries d’électrodes
2.2.2 Détermination de la fréquence et de la taille de gouttes
2.2.3 Détection d’espèces contenues dans une goutte
3 Bilan
Chapitre 2 : Génération et détection électrochimiques de gradients de concentration en régime transitoire
1 Concept
2 Approche théorique
2.1 Système à deux dimensions
2.2 Conditions hydrodynamiques et géométriques
3 Comportements théoriques
3.1 Caractérisation des pics et plots de concentration
3.2 Analyse des durées Δτgrad et courants Ψc max
3.2.1 Variations de grad en fonction de g
3.2.2 Variations de Ψc max en fonction de g
3.2.3 Généralisation des comportements suivant g
3.3 Bilan des prévisions théoriques
4 Validation expérimentale
4.1 Conditions expérimentales
4.1.1 Description du dispositif microfluidique
4.1.2 Choix des conditions
4.2 Réponses des électrodes génératrice et collectrice
4.2.1 Exemples de réponses
4.2.2 Caractéristiques des réponses
4.2.3 Quantités de charge générées et collectées
5 Conclusion
Chapitre 3 : Génération et détection électrochimique du contenu de gouttes en écoulement diphasique
1 Mise en œuvre de la stratégie choisie
1.1 Conditions requises
1.2 Dispositifs microfluidiques
1.3 Génération des gouttes
1.4 Caractérisation des gouttes générées
1.5 Disposition des électrodes
2 Faisabilités des mesures
2.1 Caractérisation des gouttes
2.2 Mesures électrochimiques
2.2.1 Voltamétrie cyclique
2.2.2 Chronoampérométrie
2.3 Bilan
3 Transport de masse à l’intérieur d’une goutte
3.1 Influence de la longueur de la goutte
3.2 Influence de la vitesse de déplacement de la goutte
3.3 Influence de la taille des électrodes
3.4 Prévisions des courants stationnaires
3.5 Bilan sur la convection locale
3.6 Comparaison entre courants stationnaires et charges détectées
3.7 Conclusion
4 Electrolyse du contenu d’une goutte
4.1 Mise en œuvre de la stratégie choisie
4.1.1 Conditions requises
4.1.2 Présentation du dispositif microfluidique
4.2 Faisabilité des mesures
4.2.1 Conditions opératoires
4.2.2 Caractéristiques des chronoampérogrammes
4.2.3 Caractéristiques des gouttes
4.3 Electrolyse du contenu d’une goutte
4.3.1 Influence du nombre d’électrodes
4.3.2 Quantités de charge collectées Qc
4.4 Conclusion
Conclusion générale
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