Ces dernières années, le domaine de la physique mésoscopique a révélé de nombreuses analogies entre le transport électronique cohérent et l’optique quantique. Ceci a été rendu possible par le contrôle de la fabrication de conducteurs quantiques balistiques comme les gaz bidimensionnels d’électrons (2DEGs) ou les nanotubes de carbone (NTs) et par l’accès aux très basses températures. Les effets d’interférences de l’optique classique ont pu être mis en évidence dans des expériences de fentes d’Young [4, 5, 6] ou avec des interféromètres de type Mach Zehnder [7, 8]. Ces derniers reposent sur la réalisation de contacts ponctuels quantiques (QPC), analogues électroniques des lames semi-réfléchissantes en optique. Les QPC sont de véritables barrières tunnel ajustables permettant le contrôle du nombre de modes transmis et de leur transmission (D). Ces propriétés ont été mises en évidence par la quantification de la conductance en unités de G0 = e²/h [9, 10].
L’optique quantique électronique commence réellement avec l’observation du bruit de partition et de sa dépendance en transmission dans les QPCs [11, 12] et plus récemment dans les Fabry-Pérots à nanotube de carbone [13]. Ces expériences révèlent l’aspect probabiliste du transport quantique. Les expériences de type Hanbury-Brown et Twiss avec des particules uniques sont les développements récents de l’optique quantique. Elles permettent de mettre directement en évidence les effets de la statistique d’échange liés à l’indiscernabilité des particules, et leurs éventuelles modifications par les interactions dans le cas des électrons. Par la suite, nous expliquerons pourquoi elles nécessitent une résolution temporelle à l’échelle du temps de cohérence, . ~/kT qui est de l’ordre de la subnanoseconde à basse température. Des expériences de ce type sont en cours d’élaboration au laboratoire dans les 2DEGs [14, 15]. Une étape importante a été la réalisation d’une source d’électron unique utilisant une boîte quantique commandée par des pulses subnanosecondes. A cette échelle temporelle, l’électronique standard réalise la détection en temps réel des charges mais avec une résolution limitée à une centaine d’électrons par le bruit des préamplificateurs. Il y a donc un besoin de détecteurs rapides plus sensibles pour améliorer la résolution de ces expériences et idéalement pouvoir atteindre une détection électronique monocoup. L’objet ce cette thèse est de promouvoir l’intérêt des transistors à nanotube de carbone pour cette physique électronique résolue en temps, et au-delà, pour une physique électronique cohérente. Dans une première partie nous introduirons l’état actuel de la physique dans le domaine de la détection de charges résolue en temps ainsi que les principes de détection en montrant l’intérêt des nanotubes de carbone. Ensuite, nous rappellerons la structure de bande électronique des nanotubes de carbone pour introduire par la suite les thèmes importants de la physique du transport quantique tels que la quantification de la conductance et le bruit électronique. Enfin nous introduirons les différents aspects de la dynamique du transport quantique dans de tels systèmes. Ces aspects dynamiques du transport quantique ont été discutés dans les années 90 mais mis en évidence expérimentalement seulement récemment dans les 2DEGs. Nous nous attarderons sur l’importance des notions de capacité quantique, de résistance de relaxation de charge et d’inductance cinétique en prenant pour exemple les nanotubes de carbone.
La détection d’électrons uniques
C’est bien entendu un enjeu important en physique mésoscopique de pouvoir résoudre le courant circulant dans les conducteurs quantiques à l’échelle de l’électron unique. Pour réaliser cet objectif il faut des détecteurs combinant sensibilité et vitesse. On connaît des électromètres sensibles à l’électron unique existent qui fonctionnent en continu. Le problème de résolution apparaît avec la bande passante et la puissance du bruit électronique qui lui est proportionnel. Pour une bande GHz on estime la résolution atteinte par une technique d’amplification classique à la centaine d’électrons. Pour les gammes de fréquences intermédiaires, des progrès importants ont été réalisés récemment avec l’utilisation des transistors à un électrons (SETs) basés sur le principe du blocage de Coulomb. Un autre voie explorée est celle des nano-transistors avec les transistors à contact ponctuel quantique (QPC FET). Nous étudions dans ce travail la voie des nano transistors à nanotube de carbone (NT-FET). La démonstration de l’efficacité de cette solution sera développée tout au long du manuscrit.
Position du problème
Les temps de cohérence
Le transport des électrons cohérents dans les gaz bidimensionnels est souvent observé dans la limite de l’effet hall quantique (EHQ), dans un régime où le transport électronique à lieu sur des canaux de bords quasiment unidimensionnels. Les températures expérimentales sont de l’ordre de 10 à 100mK.
Dans les 2DEGs, la vitesse des électrons étant établie à environ 10⁵m.s−1 on obtient des longueurs de cohérence de l’ordre de 10 à 100µm. Ces longueurs de cohérence ont pu être mesurées récemment en comparant la visibilité en température d’interféromètres MachZehnder de dimensions différentes en référence [8] ; elles vérifient la loi empirique Lφ.T ≈ 0.4 (µm.K), ce qui correspond à Lφ = 20 µm (pour un nombre de canaux de conduction égale à 2) à 20 mK. Cette valeur est comparable aux chiffres tirés des lois d’incertitudes. Même si la géométrie du Mach-Zehnder permet de s’affranchir des effets thermiques, le bon couplage à un environnement électronique lui-même soumis au brouillage thermique conduit à des temps de cohérence finalement limités par la température. Pour les nanotubes de carbone la physique est sensiblement différente puisque, et nous allons le voir en détail par la suite, les températures expérimentales sont souvent de l’ordre du Kelvin, voir la dizaine de Kelvin ce qui limite les temps de cohérence à 1 à 10 ps. Ces temps rendent évidement difficiles les expériences résolues en temps en régime cohérent. Pour autant on peut voir des manifestations de la cohérence quantique des nanotubes à 1K, par exemple dans l’observation d’un régime Fabry-Pérot [13] qui suppose un transport balistique cohérent entre 2 barrières localisés aux deux contacts. L’avantage des nanotubes de carbone est la vitesse de Fermi des électrons qui est de l’ordre de 10⁶ m.s −1 , ce qui amène des longueurs de cohérence de 1 à 10 µm. Il est donc parfaitement envisageable d’implémenter des expériences d’électrons cohérents en combinant des nanotubes de carbones.
Les sources d’électrons uniques et la résolution en temps
Les expériences d’optique électronique quantique peuvent se faire avec différents types de sources. Les contacts polarisés en tension constituent des sources naturelles pour lesquelles l’émission électronique est non bruyante mais reste spontanée. Récemment, il a été montré au Laboratoire la possibilité d’injecter de manière contrôlée en temps et en énergie des paquets d’onde mono-électroniques dans des canaux de bord [14]. Ces expériences n’ont pas encore été reproduites dans les nanotubes de carbone. La détection monocoup résolue en temps est nécessaire pour l’étude du transport cohérent avec des sources naturelles. Pour les sources commandées, une détection classique peut suffire, puisque la résolution temporelle est assurée par les sources, mais le gain en sensibilité apporté par les détecteurs monocoup est de nature à améliorer considérablement la statistique de mesure. Idéalement le capteur monocoup pourra détecter l’électron au vol, par couplage capacitif par exemple. Pour atteindre le régime cohérent, les dimensions doivent rester inférieures à la longueur de cohérence de phase (≃ qqs10 µm à 10 mK dans les 2DEGs) ce qui correspond une résolution temporelle subnanoseconde pour des vitesses de Fermi vF ∼ 10⁵ m/s. On peut envisager une situation moins exigeante pour la mesure dans laquelle les électrons sont capturés dans des boîtes quantiques où ils résident un temps suffisant pour pouvoir être détectés avec une bonne résolution. C’est le cas de la plupart des expériences résolues en temps réalisées à ce jour comme on le verra par la suite.
Sensibilité de charge
Le principe de détection monoélectronique peut être différent dans le détail mais à l’heure actuelle le système de détection le plus utilisé reste qualitativement le même quelque soit le système étudier, c’est celui du transistor à effet de champ. Pour ce système, on détecte des différences de charges sur le même composant du transistor : la grille. Pour le transistor à effet de champ, il fut imaginé dans les années 20 par Lilienfield, l’idée est repris théoriquement par Shockley en 1945 mais en pratique, c’est seulement en 1959 avec le travail de J. Attala et al., que ce dernier apparaît. Il occupe maintenant une place prédominante dans l’électronique actuelle et en particulier pour la détection de charge. Une description générique du transistor peut permettre de mieux comprendre son fonctionnement. Le transistor à effet de champ est constitué d’un canal et d’une grille. Le canal est constitué d’une partie centrale connectée à deux contacts externes. La grille, qui constitue un troisième contact, est couplée de manière capacitive à la région centrale du canal.
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Table des matières
Introduction
1 Détection d’électrons uniques et transport quantique dynamique
1.1 La détection d’électrons uniques
1.1.1 Position du problème
1.1.2 Les transistors à électron unique : SET et RF-SET
1.1.3 Les transistors à contact ponctuel quantique : QPC-FET
1.1.4 Les transistors à nanotube unique : NT-FET
1.1.5 Quelques démonstrations de détection d’électrons uniques
1.2 Propriétés électroniques des nanotubes de carbone
1.2.1 Structure de bandes
1.2.2 Densité d’états
1.3 Transport électronique basse fréquence dans les nanotubes de carbone
1.3.1 Régime balistique
1.3.2 Régime diffusif
1.3.3 Bruit électronique dans les nanotubes de carbone
1.4 Transport quantique dynamique
1.4.1 Capacité mésoscopique
1.4.2 Inductance mésoscopique
1.4.3 Dynamique de conducteurs mésoscopiques élémentaires
2 Le transistor à nanotube de carbone
2.1 Revue des expériences
2.1.1 Les différentes géométries
2.1.2 Propriétés statiques : transconductance et capacité grille
2.1.3 Propriétés dynamiques : fréquences de coupure et bruit
2.2 Revue des modèles
2.2.1 Le nanotransistor balistique
2.2.2 Le nanotransistor diffusif
2.2.3 Simulations numériques
2.3 Modèle de transistor mésoscopique
2.3.1 Réseau d’admittances
2.3.2 Inductance mésoscopique et temps de transit
2.3.3 Cas du transistor à nanotube unique
3 Les principes expérimentaux
3.1 Nano-Fabrication
3.1.1 La croissance CVD
3.1.2 Du nanotube au transistor
3.2 Techniques microondes
3.2.1 La propagation d’une onde dans une ligne coaxiale
3.2.2 Les paramètres de diffusion
3.2.3 Transmission d’un transistor
3.3 Dispositif de mesure RF sous pointes
3.3.1 Les mesures en continu
3.3.2 La mesures RF
3.4 La chaîne de mesure RF cryogénique
3.4.1 La chaîne de mesure
3.4.2 Le porte échantillon
4 Propriétés dynamiques à température ambiante
4.1 Mesures en régime continu
4.1.1 Propriétés générales
4.1.2 Comparaison entre grilles recouvrante, latérale et arrière
4.1.3 Conductance, transconductance et gain en tension
4.2 Mesures haute fréquence
4.2.1 Propriétés générales
4.2.2 Transistors à grille longue
4.2.3 Transistors à grille courte
4.2.4 Synopsis des données mesurées
4.3 Transconductance : comparaison aux modèles
4.4 Fréquence de transit
5 Bruit de grenaille et résolution en détection de charge
5.1 Mesures en régime continu
5.2 Transmission haute fréquence
5.2.1 Calibration des mesures RF
5.2.2 Mesures de transconductance à 4K
5.3 Bruit haute fréquence
5.3.1 Bruit de grenaille en mode actif
5.3.2 Saturation du bruit de grenaille en mode ouvert
5.4 Sensibilité en détection de charge
Conclusion
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