Importance et difficulté de la désoxygénation du protoxyde d’azote (N2O)
Les émissions de N2O, une fuite dans le cycle de l’azote
Déstabilisation anthropique du cycle de l’azote
L’élément azote (N) est très abondant dans l’atmosphère (78% de sa composition), les sols et les eaux (4 ×10²¹ g en tout). Cet élément est essentiel à la synthèse des deux macromolécules les plus importantes du vivant, les acides nucléiques et les protéines ; toutefois, 99% de l’azote est présent sur Terre sous forme de diazote N2 qui n’est pas utilisable tel quel par 99% des organismes. Pour le rendre assimilable, il est nécessaire de l’activer en cassant la triple liaison N≡N très énergétique (945 kJ.mol–1 ). Dans la nature, cette liaison est rompue soit de manière catalytique par des enzymes (nitrogénases) produites par les bactéries fixatrices d’azote, soit en présence de puissantes sources d’énergie comme la foudre ou les volcans .
Les formes azotées résultantes sont dites « activées », terme englobant sans discernement les formes réduites comme l’ammoniac NH3 et les formes oxydées comme l’acide nitrique HNO3 ou le protoxyde d’azote N2O . La nécessité d’activer l’azote pour le rendre utilisable par le vivant fait de cet élément abondant le nutriment limitant pour la production alimentaire dans les systèmes terrestres.
Avant l’ère industrielle, les formes activées de l’azote ne s’accumulaient pas dans les réservoirs biogéochimiques car les phénomènes de dénitrification suffisaient à contrebalancer le flux d’azote activé : l’élément azote circulait dans un cycle fermé. Au XIXème siècle, cet équilibre commence à être déstabilisé : la compréhension du rôle de l’azote dans les processus agricoles conduit à l’utilisation d’intrants azotés comme le salpêtre (KNO3), le guano, la tourbe pour fertiliser les sols. En 1898, Sir William Crookes alerte la communauté scientifique britannique sur la nécessité de développer un procédé permettant d’activer l’azote moléculaire de l’air pour pouvoir répondre à la demande alimentaire mondiale croissante. Quelques années plus tard en 1908, le chimiste allemand Haber brevète un procédé de « synthèse de l’ammoniac à partir de ses éléments ». Il s’agit de réaliser l’activation du diazote moléculaire par hydrogénation à haute température au moyen d’un catalyseur au fer .
Ce procédé est ensuite monté en échelle par Carl Bosch ; c’est aujourd’hui un procédé industriel de grande envergure (150 Mt/an en 2021), consommant 1.4% de la production énergétique mondiale. L’ammoniac produit est utilisé pour synthétiser l’acide nitrique (procédé Ostwald) qui permet de former le nitrate d’ammonium (NH4NO3), un engrais courant . Au cours du XXème siècle, la mise en œuvre du procédé Haber-Bosch s’accompagne d’un accroissement important de la population . On estime que sans l’invention ce procédé, la population mondiale serait deux fois moindre. Le recours actuel à l’agriculture intensive, à faible efficacité en azote, pour répondre à une demande alimentaire sans cesse croissante, stimule d’autant plus la production d’azote activé.
Après l’enrichissement des sols, les formes activées de l’azote sont dispersées dans la « cascade de l’azote » formalisée par Galloway . Celle-ci s’oppose au concept traditionnel de cycle élémentaire fermé. Il s’agit d’un réseau de réservoirs biogéochimiques dans lesquels l’azote activé se transforme, s’accumule ou circule. Cette cascade prend en compte les phénomènes d’interconversion entre les divers degrés d’oxydation des formes activées de N, notamment les processus de dénitrification en N2, seul moyen naturel (hors photolyse stratosphérique dans le cas de N2O) de les neutraliser. En pratique, la production anthropique excessive d’azote activé ne peut pas être contrebalancée suffisamment rapidement par les bactéries dénitrifiantes présentes dans les sols et les eaux, ce qui conduit à leur accumulation dans certains réservoirs où ils peuvent perturber les écosystèmes présents ou détruire l’environnement. Ainsi, les formes solubles de N activé comme les nitrates NO3– viennent eutrophier les nappes phréatiques ; les NOx (NO et NO2) polluent l’air, provoquant des maladies respiratoires. Le protoxyde d’azote (N2O), issu d’une dénitrification incomplète des oxydes d’azote (NO3- , NO2- , NO) par les bactéries dénitrifiantes, est émis dans l’atmosphère où il vient contribuer à l’effet de serre et à la destruction de la couche d’ozone.
Les émissions anthropiques de protoxyde d’azote, un problème environnemental
Le protoxyde d’azote N2O est un gaz à effet de serre 298 fois plus puissant que CO2. Ses émissions accrues depuis l’ère industrielle ont fait augmenter sa concentration atmosphérique de 2% par décennie depuis 150 ans, pour parvenir à un taux de 332 ppb en 2019. Les sources anthropiques principales de N2O sont principalement l’agriculture, l’industrie, la combustion de ressources fossiles, la combustion de biomasse. Si la concentration atmosphérique de N2O est plus faible que celle de CO2, son fort pouvoir de réchauffement le rend responsable de 5% de l’effet de serre anthropique et en fait un contributeur majeur du réchauffement climatique.
Leviers de diminution des émissions de N2O
La transformation de N2O en N2 est réalisée dans la nature de manière catalytique par les réductases de N2O lors de l’étape finale du processus de dénitrification dans les sols ou les rivières . Avec des sols trop riches en nitrates, la dénitrification peut être incomplète. La nitrification contribue également aux émissions de N2O, lorsque l’oxydation de NH3 est incomplète. Cette fraction des émissions de N2O (70% des émissions totales) s’accumule fatalement dans l’atmosphère. Les solutions pour endiguer ces flux reposeront donc sur l’optimisation de l’efficacité en azote des procédés agricoles. En revanche, les émissions industrielles de N2O comme déchet des procédés de synthèse des acides nitrique, adipique et glyoxylique peuvent être endiguées à la source. Des procédés ont été mis au point à cet effet à partir des années 1990 ; aujourd’hui, 95% des effluents industriels de N2O sont transformés en N2 et O2 soit par craquage thermique, soit par décomposition catalytique à des températures comprises entre 400 et 850 °C.29, Les émissions de N2O en France ont ainsi considérablement diminué depuis la mise en place progressive de ces procédés . Une feuille de route de décarbonation de la filière chimie éditée en 2021 prévoit de diminuer encore les émissions françaises annuelles de N2O de 0,8 Mt équivalent CO2 (MtCO2,eq) d’ici à 2030 pour atteindre un taux d’abattement de 98/99%. Les leviers envisagés pour atteindre cet objectif sont le doublonnage des installations existantes ainsi que le développement de nouvelles technologies de catalyse.
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Table des matières
Chapitre I – Introduction générale
Chapitre II – Désoxygénation photocatalytique du protoxyde d’azote (N2O) et d’oxydes d’azote organiques
Chapitre III – Mécanisme de la désoxygénation photocatalytique de l’oxyde de pyridine
Chapitre IV – Désoxygénation photocatalytique des sulfoxydes
Chapitre V – Conclusion générale
Annexes
I – La photolyse éclair
II – Signatures spectrales des complexes évoqués au Chapitre III
Chapitre VI – Partie expérimentale