Design des revêtements durs
Les revêtements durs actuellement employés
Les nouveaux challenges et marchés s’ouvrant aux industries de la mécanique entraînent progressivement le remplacement de revêtements durs épais (comme le chrome dur électrolytique d’épaisseur > 100 µm) par des revêtements durs à structure complexe. Actuellement, trois grands types de structure sont fréquemment rencontrés dans les revêtements durs employés en production .
La plupart des revêtements commerciaux sont des céramiques de type monocouches à base de nitrure ou carbure de métaux de transition. Les revêtements à base de titane (TiC et TiN) ont connu un rapide essor industriel, compte tenu de leurs propriétés excellentes de dureté et de tenue à l’usure. Mais les revêtements à base de titane sont également connus pour leur fragilité à la corrosion et à l’oxydation, dû à la formation d’une couche d’oxyde de titane qui, ne présentant pas de propriétés mécaniques exceptionnelles, devient fragilisante pour la pièce revêtue. Rapidement, les revêtements à base de chrome (CrN, Cr7C3) ont pris une place non négligeable pour leurs propriétés de résistance à l’usure mais aussi à la corrosion et à l’oxydation. D’autres applications de pointe demandent des revêtements à propriétés encore plus performantes. D’où l’intérêt suscité par les revêtements duplex constitués de revêtements de nature différente et donc combinant les propriétés de chaque revêtement pris séparément. Les revêtements obtenus par CVD haute température, composés de trois couches TiC-Al2O3-TiN peuvent être cités comme exemple [1]. La couche TiC, par son fort caractère covalent, apporte la propriété de dureté, la couche d’alumine la résistance à l’usure et la couche superficielle de TiN l’aspect extérieur de la pièce. Enfin, les revêtements à gradient de propriétés sont obtenus par traitements superficiels des aciers outils. La nitruration ou la carbonitruration permettent ainsi d’ajuster en surface de la pièce outil les propriétés de dureté, de résistance à l’usure et à la corrosion [2].
Les revêtements durs de demain
Intérêt des revêtements nanostructurés
Les revêtements nanostructurés suscitent de plus en plus d’intérêt et sont capables de protéger des aciers outils opérant dans des conditions extrêmes d’usure et des environnements agressifs [3]. Ajuster les paramètres de la microstructure des revêtements à l’échelle nanométrique permet d’obtenir d’excellentes propriétés fonctionnelles. Deux approches ont été envisagées (Figure I.2) : la première consiste à former une monocouche comprenant un matériau à base de nitrures de métaux de transition sous forme de grains de taille nanométrique dispersés dans une matrice amorphe covalente. Ces revêtements sont qualifiés de nanocomposites. Verprek et coll. [4] montrent que tels revêtements type ncTiN/a-Si3N4 présentent des duretés supérieures à 40 GPa (nc-pour nanocristallin, a- pour amorphe). La seconde approche dans le design de revêtements durs consiste à empiler de manière périodique deux couches de nature différente, possédant donc des caractéristiques différentes. C’est cette seconde approche que nous allons développer.
Revêtements multicouches
Du point de vue fonctionnel, il est intéressant de combiner des matériaux présentant des comportements différents en tenue à l’usure, corrosion et ayant des utilisations limitées sous forme de monocouches. Un certain nombre de revêtements multicouches peuvent être agencés pour des applications très diverses et peuvent posséder de nouvelles propriétés ou montrer un comportement amélioré par rapport aux revêtements monocouches. Leurs applications vont de l’optique, du magnétisme, de l’électronique à la corrosion, ou à la tribologie. Koehler [5] figurent parmi les premiers en 1970 à évoquer de tels agencements pour des revêtements durs. Il répertorie les conditions nécessaires à la réalisation d’un tel revêtement multicouche composés de deux matériaux A et B. Parmi ces conditions, A et B doivent être non miscibles, doivent posséder des modules d’élasticité différents et doivent être de préférence empilés de façon épitaxique afin d’éviter des contraintes localisées aux interfaces (c’est-à-dire que la liaison entre A et B doit être de même ordre de longueur que les liaisons A-A ou B-B). Les coefficients de dilatation thermique de A et B doivent être proches pour éviter la disparition des interfaces au moindre changement de température. Enfin, les épaisseurs de A et B doivent être fines, pour ne pas générer de mouvement de dislocations à l’intérieur de chaque couche. Il faut que la couche de A (ou B) soit égale au plus à 100 couches atomiques et la couche B doit avoir la même épaisseur que la couche A. La multiplication des interfaces va également fortement influencer les propriétés fonctionnelles du revêtement ainsi agencé [6]. La périodicité de l’empilement distingue donc les revêtements multicouches des revêtements « sandwich » évoqués avant et utilisés dans l’industrie mécanique pour protéger les outils de coupe. Deux classes de revêtements multicouches se distinguent : les multicouches isostructurales et non isostructurales [7]. Parmi le premier groupe se distinguent les revêtements multicouches superréseaux à base de nitrures de métaux de transition, développés à la fin des années 80 pour des applications en tribologie.
Multicouches isostructurales
Ces revêtements sont composés généralement de deux nitrures de métaux de transition (TiN, VN, NbN) car ces matériaux possèdent naturellement une grande dureté lorsqu’ils sont agencés en monocouches. Ces multicouches isostructurales sont constituées de couches nanométriques empilées (épaisseur e = 2-10 nm), à base de nitrures métalliques possédant des structures cristallographiques comparables avec un faible désaccord de maille. Ces revêtements sont constitués de couches individuelles d’épaisseur comparable à la distance interréticulaire du réseau cristallin caractérisant chaque couche et sont souvent qualifiés de superréseau. En effet, si on confond les deux types d’atomes métalliques des couches A et B, on obtient une « super maille » de paramètre la bipériode Λ, c’est-à dire l’épaisseur de la couche A plus celle de la couche B. Ce terme de superréseau est cependant employé de manière abusive pour désigner des empilements de couches nanométriques, sans qu’il y ait une accommodation épitaxique aux interfaces de deux couches successives. La signature du superréseau peut être caractérisée par diffraction des RX et apparaît sous la forme de pics aux petits angles (Low-Angle X Ray Diffraction ou LAXRD) et des pics satellites de part et d’autres des pics principaux des phases cristallisées en présence (High Angle XRD ou HAXRD) [7]. Le paramètre influençant le plus les propriétés mécaniques telles que la dureté est d’ailleurs la bipériode Λ du super réseau. Généralement, cette bipériode doit être comprise entre 5 et 10 nm pour pouvoir observer des propriétés fonctionnelles exacerbées. En 1987, Helmerson et coll. [8] reportent l’obtention de multicouches TiN/VN épitaxiques superréseaux présentant un saut de dureté à 5560 kg/mm2 pour une bipériode de 5,2 nm, soit une dureté 2,5 fois plus importante que l’alliage Ti0.5V0.5N (de même composition globale) et largement supérieure aux duretés des revêtements monocouches TiN et VN .
Les duretés de tels revêtements superréseaux peuvent donc aller jusqu’à 5000 kg/mm2 (50 GPa), comparables aux duretés du DLC ou du BN cubique. Le fort accroissement des duretés n’est cependant observé que pour certaines combinaisons de matériaux et des orientations cristallographiques particulières [7].
Multicouches non-isostructurales
Ces revêtements résultent de l’empilement de couches de structure cristallographique différente. Ils peuvent être constitués de couches alternées, respectivement de nature métallique et à base de nitrures de métaux de transition : Ti/TiN [9, 10], W/WN, Hf/HfN [9], CrN/Cr, CrC/Cr (Chapitre I, section 2.2.2). La couche métallique apporte une certaine ductilité à la structure composite alors que la phase nitrure apporte la dureté. Ces revêtements peuvent encore être constitués de couches alternées de nitrures métalliques possédant des structures cristallographiques différentes : TiN/TaN [11, 12], TiN/CrN [11, 13, 14], TiN/ZrN [11], TiN/MoN [15], TiN/AlN [16-18], TiN/Cr2N [19] ou CrN/AlN [20]. Même si le revêtement multicouche n’est pas constitué de couches épitaxiques, ses propriétés fonctionnelles, comme la dureté, l’adhérence ou la tenue à l’usure vont être fortement dépendantes de la bipériode Λ de la nanostructuration [21, 22] .
Empiler des matériaux de structure cristalline différente sous forme de couches fines peut conduire dans certains cas particuliers à la formation de phases métastables pour une des couches afin de former des interfaces cohérentes. C’est le cas des empilements TiN/AlN : la structure cristallographique d’AlN, initialement würzite, devient cubique faces centrées (cfc) pour de faibles épaisseurs (quelques nanomètres) sur une couche nanométrique de TiN cfc [16, 18]. Ce phénomène est aussi observé pour les empilements nanométriques type AlN/CrN [20] ou pour TiN/Cr2N [19] et TiN/TaN [15]. Les propriétés de ces phases métastables sont généralement peu connues et il est difficile de prédire les propriétés mécaniques du revêtement multicouche correspondant. Mais si la phase métastable obtenue possède des propriétés accrues (ce qui est le cas pour AlN cubique par rapport à AlN hexagonal), le revêtement multicouche peut présenter une dureté accrue par stabilisation d’une nouvelle structure cristallographique et création d’une interface cohérente, par comparaison avec la dureté du même empilement avec des bipériodes plus grandes. Ce phénomène, appelé stabilisation épitaxique, se produit quand l’énergie interfaciale domine celle du matériau massique. Ce qui est le cas dans ce genre de revêtements où les zones interfaciales sont multipliées. La combinaison de deux couches à structure cristallographique différente sous forme de couches d’épaisseur nanométriques mène à des systèmes thermodynamiquement instables. Et cette instabilité thermodynamique peut leur conférer, en plus des propriétés inattendues en terme de dureté, des tenues remarquables à l’oxydation à haute température, comparées au comportement des monocouches prises séparément [20].
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : Synthèse bibliographique
1 Design des revêtements durs
1.1. Les revêtements durs actuellement employés
1.2. Les revêtements durs de demain
1.2.1. Intérêt des revêtements nanostructurés
1.2.2. Revêtements multicouches
i Multicouches isostructurales
ii Multicouches non-isostructurales
2 Les revêtements métallurgiques à base de chrome
2.1. Les revêtements monocouches à base de chrome
2.1.1. Revêtements de chrome métallique
2.1.2. Carbures, nitrures et carbonitrures de chrome
2.2. Les revêtements multicouches à base de chrome
2.2.1. Multicouches associant les composés du chrome à ceux d’un autre métal de transition
2.2.2. Multicouches tout à base de chrome
i Propriétés mécaniques
ii Propriétés tribologiques
3 Procédés d’élaboration des revêtements durs à base de chrome
3.1. Les procédés de dépôt en bain
3.2. Les procédés par voie sèche
3.2.1. Procédés CVD haute température
3.2.2. Procédés PVD
3.2.3. Procédés MOCVD
4 Conclusion de la synthèse bibliographique
Chapitre II : Procédé DLI-MOCVD et solutions injectables
1 Procédé DLI-MOCVD
1.1. Motivations
1.2. Etat de l’art des techniques DLI-CVD
1.3. Description technique
1.3.1. Procédé MOCVD atmosphérique « classique »
1.3.2. Procédé DLI-MOCVD
2 Solutions injectables
2.1. Critères de sélection
2.1.1. Précurseurs organométalliques de chrome
i Le précurseur Cr(CO)6
ii Le précurseur bis(benzène)chrome
2.1.2. Solvant
2.2. Caractéristiques des solutions injectables
2.2.1. Détermination des concentrations à saturation
2.2.2. Réactivité et stabilité des solutions injectables à base de BBC
2.3. Alternative aux solvants organiques : les fluides supercritiques
2.3.1. Intérêt des fluides supercritiques
2.3.2. Etat de l’art de la CVD supercritique
2.3.3. Détermination de concentrations en milieu supercritique
2.3.4. Réactivité du CO2 en conditions de dépôt
Chapitre III: MOCVD et DLI-MOCVD à partir de Cr(CO)6
1 Introduction
1.1. MOCVD à partir de Cr(CO)6
1.2. Oxycarbures et oxynitrures de chrome
1.2.1. Aspect Thermodynamique
1.2.2. Oxycarbures de chrome CrCxOy
1.2.3. Oxynitures de chrome CrNxOy
2 MOCVD à partir de Cr(CO)6
2.1. Détails expérimentaux
2.2. Caractérisations chimiques et structurales
2.2.1. Dépôt sous atmosphère N2
2.2.2. Dépôt sous atmosphère H2
2.2.3. Dépôt sous atmosphère NH3
2.3. Stabilité thermique des revêtements
2.3.1. Revêtements d’oxycarbures de chrome
2.3.2. Revêtements d’oxynitrures de chrome
3 DLI-MOCVD à partir de Cr(CO)6
3.1. Détails expérimentaux
3.2. Caractérisations des revêtements
3.2.1. Croissance à partir de Cr(CO)6 en solution dans le THF
3.2.2. Croissance à partir de Cr(CO)6 en solution dans le toluène
3.2.3. Croissance à partir d’une solution de Cr(CO)6 dans le toluène en présence de NH3
3.3. Effet du solvant
4 Propriétés mécaniques et tenue à la corrosion (préliminaires)
4.1. Nanoindentation
4.1.1. Revêtements d’oxycarbures de chrome CrCxOy
4.1.2. Revêtements MOCVD CrNxOy et DLI-MOCVD CrNxOyCz
4.2. Tests de rayure
4.2.1. Revêtements CrCxOy
4.2.2. Revêtements MOCVD CrNxOy
4.3. Tenue à la corrosion en milieu NaCl
4.3.1. Tests potentiométriques
4.3.2. Observations des échantillons après polarisation
4.3.3. Spectroscopie d’impédance électrochimique
5 Conclusion du chapitre III
Conclusion