Description quantique d’un mode du champ électromagnétique

La mécanique quantique est née au début du siècle dernier à la suite d’un formidable effort conceptuel visant à expliquer les derniers mystères non résolus par la mécanique classique et l’électromagnétisme : le rayonnement du corps noir, la stabilité et le spectre des atomes, l’effet photoélectrique sont autant d’énigmes qui ont été résolues par la nouvelle théorie. Notre compréhension du monde microscopique a été révolutionnée par l’avènement de la mécanique quantique, ouvrant la voie à de vastes domaines d’application : du transistor au laser en passant par les nanotechnologies, la quasi-totalité des avancées technologiques modernes sont basées sur la mécanique quantique. La chimie moderne et la bio-chimie n’ont pu se développer que grâce à l’existence d’un socle solide permettant d’expliquer le phénomène des liaisons moléculaires. Si jusqu’à présent, aucune expérience n’a pu mettre en défaut cette théorie, elle a pourtant dérangé, et continue de heurter les plus grands esprits par son caractère contre-intuitif et profondément déroutant.

L’état quantique : un objet probabiliste Dans un célèbre article de 1935[1], Einstein, Podolsky et Rosen formulaient pour la première fois très clairement une attaque contre la théorie quantique. Il ne remettaient pas en cause l’exactitude de la théorie, mais posaient la question de sa complétude. En effet, contrairement à toutes les autres théories physiques, la mécanique quantique ne suppose pas que les valeurs des quantités mesurables préexistent à la mesure. Elle se contente d’associer à un objet une quantité mathématique |Ψi appelé vecteur d’état. Cet objet mathématique ne permet pas de prédire de façon certaine le résultat de toute mesure mais donne une description probabiliste des résultats possibles. Les auteurs font appel à un état quantique délocalisé pour prouver par l’absurde que sous certaines hypothèses (localité), la théorie ne peut être complète. En effet, en faisant interagir deux particules pour un certain temps, on peut les préparer dans un état intriqué. Le destin des deux particules reste alors étroitement lié, même si ces dernières sont éloignées l’une de l’autre à des distances arbitrairement grandes. Le résultat d’une mesure effectuée sur la première particule, incertain par nature, est parfaitement corrélé au résultat de la mesure sur la seconde particule. Les auteurs concluent alors que puisque les particules ne peuvent plus interagir à cause de leur séparation spatiale, c’est que les résultats obtenus préexistaient à la mesure. Et de conclure que l’état  Ψi n’est pas une description complète de la réalité physique des deux particules. Le débat est resté à un niveau purement abstrait et spéculatif jusque dans les années 1960 où John Bell [2] montre qu’une théorie réaliste locale, c’est à dire une théorie pour laquelle des « variables cachées » associées à chacune des particules expliqueraient les corrélations entre les résultats, ne peut pas reproduire les corrélations prédites par la mécanique quantique. La violation des inégalités de Bell en 1982 dans une expérience d’Alain Aspect [3] tranche le débat en excluant toute théorie réaliste locale. La résolution expérimentale de cette controverse nous assure donc que le vecteur d’état |Ψi est la description physique la plus complète du système : aussi étrange que cela puisse paraître, un seul objet mathématique décrit donc une réalité physique non-locale. Ainsi, on a prouvé que le caractère probabiliste des prédictions quantiques ne peut pas se ramener à la simple méconnaissance d’une réalité physique plus profonde.

Reconstruction d’états quantiques Afin d’éclairer le problème de la mesure en mécanique quantique, nous allons tenter de préparer un système physique dans un état similaire à celui du chat de Schrödinger. Afin de caractériser l’état produit, nous reconstruirons expérimentalement l’état quantique du système. Le résultat d’une mesure étant par nature aléatoire, une seule mesure ne peut pas suffire à déterminer l’état |Ψi. De plus, à cause du postulat de projection, une mesure affecte irréversiblement le système mesuré. Ainsi, après une mesure de von Neumann d’une observable O, la valeur de O est parfaitement déterminée et le système ne livrera donc pas plus d’information sur l’observable. Cela montre qu’il faut impérativement disposer de plusieurs copies du système pour déterminer complètement son état. En fait, il est nécessaire de disposer d’un grand nombre de copies du système, non seulement pour mesurer la variabilité statistique des résultats de mesure d’une observable donnée, mais également pour mesurer différentes observables sur le système. Pour espérer reconstruire un état quantique, on doit donc disposer d’un système physique permettant de préparer répétitivement un état quantique et de mesurer un grand nombre d’observables incompatibles entre elles sur le système.

Les progrès récents de la physique expérimentale ont permis de réaliser de telles reconstructions dans un certain nombre de systèmes physiques. L’utilisation de champs électriques oscillants permet de confiner des particules chargées au dessus  d’un jeu d’électrodes. On peut alors à la fois manipuler l’état interne et l’état vibrationnel des ions ainsi piégés. Des faisceaux lasers focalisés permettent d’adresser un seul des ions piégés dans une chaîne contenant quelques ions. Plusieurs groupes dans le monde ont pu reconstruire à la fois l’état vibrationnel [7] d’un ion piégé dans le potentiel confinant ainsi que l’état du registre quantique formé par l’état interne d’une chaîne d’ions [8]. Ce système est très prometteur dans la perspective de l’information quantique [9, 10, 11, 12]. En effet, chaque ion forme un quBit dont l’état interne permet de stocker une combinaison arbitraire de deux états |0i et |1i avec un temps de cohérence extrêmement long, tandis que le degré de liberté de vibration forme une sorte de bus quantique permettant d’effectuer des opérations entre les différents ions du piège[13]. Les progrès dans le domaine de l’optique quantique ont également permis récemment de préparer des faisceaux lumineux se propageant dans l’espace libre dans des états fortement nonclassiques [14, 15, 16]. La lumière d’un faisceau Laser impulsionnel a même été préparée dans un état similaire à celui de l’expérience de pensée du chat de Schrödinger dans le groupe de Philippe Grangier [17]. L’état quantique du faisceau propageant peut être reconstruit en mesurant par détection homodyne différentes quadratures du champ. La connaissance de ces observables incompatibles entre elles permet de remonter à l’état quantique du champ [18]. Ces états non-gaussiens sont extrêmement prometteurs en cryptographie quantique où ils pourraient être utilisés pour transmettre l’intrication à travers des fibres optiques, rendant ainsi possible la cryptographie quantique à longue distance [19].

Piéger la lumière pour mieux l’étudier L’électrodynamique quantique en cavité est un formidable outil pour réaliser les expériences de pensée qui ont éclairé les débuts de la mécanique quantique. A l’aide d’un dispositif expérimental complexe, on arrive à manipuler deux systèmes physiques très simples et parfaitement contrôlés pour mettre en évidence les phénomènes les plus fondamentaux de la mécanique quantique. Les matériaux supraconducteurs à basse température sont extrêmement réfléchissants pour la micro-onde. L’utilisation de miroirs supraconducteurs permet ainsi de réaliser des résonateurs micro-onde de très grand facteur de qualité, on parvient alors à piéger la lumière pour des temps extrêmement longs [20]. Le champ interagit avec des atomes excités dans les états de Rydberg circulaires. Ces états très stables malgré leurs nombres quantiques élevés permettent de former un système à deux niveaux. L’extrême sensibilité au champ micro-onde des atomes de Rydberg permet de raccourcir la durée de l’interaction. On parle alors de régime de couplage fort : pour une interaction résonnante, l’atome et le champ ont le temps d’échanger de façon cohérente un quantum d’énergie de nombreuses fois avant que l’un des deux systèmes ne relaxe. Ce régime permet de sonder les propriétés quantique du champ piégé.

 Description quantique d’un mode du champ électromagnétique

Notre système expérimental prend le contre-pied de la plupart des expériences d’optique quantique. En effet, plutôt que de piéger des atomes et de les étudier grâce à des faisceaux lumineux, nous sommes parvenus à piéger un champ lumineux suffisamment longtemps pour pouvoir le manipuler et l’interroger à l’aide d’un faisceau d’atomes. Nous accédons ainsi à un système d’étude beaucoup plus riche que celui de l’atome à deux niveaux. En effet, un mode du champ lumineux est formellement analogue à un oscillateur harmonique, il présente une infinité de niveaux énergétiques équidistants et peut être préparé dans une grande variété d’états quantiques. Cette thèse porte sur la reconstruction complète de différents états quantiques du champ piégé. L’état quantique d’un système est un concept statistique et par conséquent, ne peut être reconstruit qu’en réalisant un grand nombre de mesures quantiques à l’aide d’un ensemble de copies du système. Dans ce chapitre, nous allons d’abord nous concentrer sur la description quantique d’un mode isolé du champ électromagnétique. Dans un premier temps, nous rappellerons brièvement le formalisme du champ quantifié, puis nous expliciterons le concept d’état quantique d’un système, ainsi que ses différentes représentations mathématiques. Nous verrons ensuite le formalisme permettant de décrire la mesure sur un système quantique et nous étudierons différentes techniques pour reconstruire l’état quantique d’un système à l’aide d’un grand nombre de mesures quantiques. Finalement, nous introduirons la description quantique d’un atome à deux niveaux et son couplage au champ par le Hamiltonien de Jaynes-Cummings.

Le champ quantifié

La description quantique du champ électromagnétique repose sur la décomposition du rayonnement classique sous forme de modes. La dynamique de chaque mode est celle d’un oscillateur harmonique.

État quantique d’un système

L’état quantique d’un système est un objet mathématique qui contient toute l’information dont on dispose sur le système. En particulier, il permet de calculer les probabilités de résultat pour n’importe quelle mesure effectuée sur le système. Les résultats d’une mesure sur un système quantique sont incertains par nature. Cependant, on peut distinguer deux sources expliquant la dispersion des mesures effectuées sur des copies successives du système : lorsque le système est préparé systématiquement dans le même vecteur d’état (préparation complète), la dispersion des résultats n’est due qu’au caractère quantique de l’état, et on peut décrire les différentes probabilités de résultats à l’aide du vecteur d’état. En pratique, il est souvent difficile de travailler dans un régime où la seule source de dispersion est le caractère quantique de l’état, le système est en général préparé dans différents vecteurs d’état selon une loi statistique. On parle alors de « mélange statistique ». Cette fois, les sources de dispersions sont à la fois quantiques et classiques. Afin de pouvoir tout de même faire des prédictions quantitatives dans ce cas, on introduit un nouvel outil formel : l’opérateur densité.

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Table des matières

Introduction
I Description théorique du système atome-champ
I.1 Description quantique d’un mode du champ électromagnétique
I.1.1 Le champ quantifié
I.1.1.a Opérateur déplacement et états cohérents
I.1.2 État quantique d’un système
I.1.2.a États purs et mélanges statistiques
I.1.2.b L’opérateur densité
I.1.2.c Entropie d’un système
I.1.2.d Ambiguïté des mélanges statistiques
I.1.3 Représentation de l’état du champ dans l’espace des phases
I.1.3.a Les fonctions caractéristiques
I.1.3.b La fonction Q
I.1.3.c La fonction de Wigner
I.1.3.d Quelques propriétés des fonctions Q et W
I.1.3.e Quelques exemples
I.1.4 Description théorique de différents types de mesures quantiques
I.1.4.a Mesure quantique idéale de Von Neumann
I.1.4.b Mesure généralisée
I.1.4.c Mesure Quantique Non-Destructive
I.1.5 Principe de la reconstruction complète de l’état
I.1.5.a Principe général
I.1.5.b Reconstruction par Entropie maximum
I.1.5.c Reconstruction par Maximum de vraisemblance
I.2 Atomes à deux niveaux
I.2.1 La sphère de Bloch
I.2.2 Evolution du spin atomique libre dans un champ classique
I.2.3 Interférométrie de Ramsey
I.3 Interaction atome-champ quantique
I.3.1 Le Hamiltonien de Jaynes-Cummings
I.3.2 Régime résonnant
I.3.2.a Les états habillés
I.3.2.b Oscillations de Rabi du vide
II Le système expérimental
II.1 Schéma général du dispositif expérimental
II.2 Les atomes de Rydberg circulaires
II.2.1 Description
II.2.2 Un grand dipôle
II.2.3 Un grand temps de vie
II.2.4 Le champ électrique directeur
II.2.5 Un atome à deux niveaux
II.3 Cavité micro-onde de grande finesse
II.3.1 Une cavité Fabry-Pérot
II.3.2 Un grand facteur de qualité
II.3.3 Le régime de couplage fort
II.4 Le choix de n
II.5 Le dispositif expérimental
II.5.1 Contrôle des atomes
II.5.1.a Préparation des atomes de Rydberg circulaires
II.5.1.b Contrôle spatio-temporel des atomes
II.5.1.c Contrôle de l’état interne : les zones de Ramsey
II.5.1.d Contrôle de la fréquence atomique
II.5.1.e Détection des atomes de Rydberg
II.5.1.f Préparation d’atomes uniques
II.5.1.g Franges de Ramsey expérimentales
II.5.2 Contrôle de la cavité
II.5.2.a Contrôle de la fréquence du mode
II.5.2.b Préparation d’états classiques du champ dans la cavité
II.5.3 L’environnement cryogénique
II.5.4 Récapitulatif
III Mesurer le champ avec des atomes
III.1 L’interaction dispersive
III.1.1 Le déplacement lumineux
III.1.2 Déphasage d’un dipôle atomique par un état de Fock
III.2 Principe de la mesure Non-destructive du nombre de photons
III.2.1 Une horloge atomique pour compter les photons
III.2.2 Mesure d’une composante arbitraire du vecteur de Bloch
III.3 Imperfections expérimentales
III.3.1 Contraste fini de l’interféromètre
III.3.2 Décalage des franges
III.3.3 Effets du nombre aléatoire d’atomes
III.4 Différents types de mesures QND
III.4.1 Exemple de mesure de von Neumann : mesure de 0 et 1 photons
III.4.2 Cas de la mesure de parité
III.4.3 Mesure faible : Interférométrie atomique dans le cas général
III.4.4 Mesure projective vue comme la limite d’un grand nombre de mesures
faibles
III.4.4.a POVM à plusieurs atomes
III.4.4.b Résultats expérimentaux
III.4.4.c Trajectoires Monte-Carlo et moyenne d’ensemble
III.4.4.d Reconstruction des populations par un procédé itératif
IV Préparation et reconstruction d’états non-classiques du champ
IV.1 L’expérience de pensée de Schrödinger revisitée
IV.1.1 Déphasage du champ cohérent par un atome
IV.1.2 Préparation de l’état chat de Schrödinger
IV.1.3 Lien avec la mesure de parité
IV.1.4 Effet des imperfections expérimentales
IV.1.4.a Non-linéarité du déphasage par photon
IV.1.4.b Contraste fini de l’interféromètre
IV.2 Reconstruction des états par entropie Maximum
IV.2.1 Mesure directe d’une fonction de Wigner Généralisée
IV.2.2 Reconstruction de l’état « chat de Schrödinger »
IV.2.3 Reconstruction des états de Fock
IV.2.3.a Préparation
IV.2.3.b Reconstruction
IV.3 Méthode du maximum de vraisemblance
IV.3.1 Reconstruction sur les données réelles
IV.3.2 Mesure du nombre de photons déplacé
IV.3.3 Choix des paramètres pour la méthode du maximum de vraisemblance
IV.4 Comparaison entre les deux méthodes
IV.4.1 Etat à reconstruire
IV.4.2 Influence du nombre de points de mesure
IV.4.3 Influence de l’erreur statistique
Conclusion

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