Le problème du changement climatique est devenu une préoccupation majeure depuis la fin des années mille neuf cent quatre-vingt-dix. La communauté scientifique s’accorde à dire que le climat mondial se dérègle et se réchauffe. Les observations personnelles directes et indirectes ne manquent pas : le niveau des mers monte, la saison sans gel s’allonge, la faune et la végétation se modifient et s’adaptent, les glaciers reculent, des événements météorologiques extrêmes (canicules, sècheresses, cyclones et inondations) se succèdent et marquent les esprits, bousculant la vision classique et proverbiale d’une certaine immuabilité du climat. Au-delà du point de vue scientifique et naturel, par sa dimension globale et son caractère spectaculaire, l’évolution climatique est devenue un enjeu médiatique, économique, politique et social majeur. De façon symptomatique, s’appuyant sur une caution scientifique hypothétique ou réelle, cinéma, presse à sensation, émissions spéciales et romans d’anticipation ayant pour thème un changement catastrophique du climat, suivent et amplifient le mouvement. La recherche scientifique nourrit et se nourrit de ces débats.
Malgré l’augmentation et l’amélioration des observations, des mesures directes et indirectes, des moyens techniques, matériels et financiers, la diversité des scénarios de changement climatique et les écarts importants entre les prévisions du climat futur soulignent notre actuelle incapacité à prévoir le climat avenir. Cet état de fait illustre l’extrême complexité du système climatique. La difficulté réside dans la prise en compte et la représentation des différents paramètres climatiques et leurs interactions dans les modèles de circulation générale (GCM). Le soleil étant le moteur principal du climat terrestre, on peut par analogie classer et comparer, par leur capacité à modifier le climat global, les différents facteurs extérieurs (naturels ou anthropiques) influant sur le système climatique, en utilisant la notion de forçage radiatif. Cette grandeur, donnée en watt par mètre carré traduit la propension d’un paramètre à modifier le bilan énergétique du système climatique. Un facteur climatique ayant un forçage radiatif positif a tendance à réchauffer le système. Ainsi, le forçage radiatif dû à l’augmentation de la quantité de gaz à effet de serre depuis le début de la période industrielle est estimé à 2,43 W/m² (Rapport IPCC, 2001). Ceci est à comparer à l’énergie solaire incidente au sommet de l’atmosphère terrestre qui est en moyenne annuelle de 340 W/m².
Le Stratocumulus
Description générale du stratocumulus
Le stratocumulus est l’un des genres de nuages les plus communs sur la planète. Pas moins de 25% de la surface de la planète en est recouverte à tout moment (Charlson et al., 1987 ; Randall et al., 1985). Classifié dans la catégorie des nuages bas, ou nuages de couche limite atmosphérique, sa base se situe entre 0,6 et 1,5 km d’altitude et son extension verticale est comprise entre 100 et 800 m. L’atlas international des nuages en donne la définition suivante : « Banc, nappe ou couche de nuages gris ou blanchâtres, ou à la fois gris et blanchâtres, ayant presque toujours des parties sombres, composés de dalles, galets, rouleaux, etc., d’aspect non fibreux (sauf virga), soudés ou non ; la plupart des petits éléments disposés régulièrement ont une largeur apparente supérieure à cinq degrés ». Ce type de nuage présente donc de nombreux aspects ou structures, qui semblent invalider l’hypothèse d’homogénéité horizontale souvent utilisée pour en paramétrer les propriétés radiatives. Cette variabilité de petite échelle, associée à la grande extension horizontale du nuage, rend complexe la prise en compte de ses propriétés radiatives dans les modèles de grande échelle.
Formation et occurrence des stratocumulus
On trouve le genre stratocumulus principalement dans les zones de haute pression, en limite de zone polaire et surtout dans les régions subtropicales où l’on trouve les branches descendantes des cellules de circulation générale de l’atmosphère, comme les cellules de Hadley (Bretherton et al., 2004 ; Klein et Hartmann, 1993). Ces zones de subsidence d’air chaud et sec confinent les arrivées d’air humide et froid dans la couche limite. Ces phénomènes climatiques rendent les stratocumulus très présents sur les zones maritimes au large des bords ouest des continents. La figure 1.1.1 illustre la prévalence régionale de ce type de nuage sur la planète. La faible convection générée par le contact avec l’océan, source de chaleur et d’humidité, entraîne la formation de cumulus de beau temps qui, sous l’action de la subsidence s’étalent et forment le stratocumulus. Celui-ci se morcelle de nouveau et disparaît lorsque la subsidence s’arrête ou que la masse d’air se réchauffe suffisamment. Les stratocumulus sont ainsi principalement maritimes. Ils sont surmontés d’une couche d’inversion, transition abrupte entre la masse d’air inférieure constituant la couche limite, et la masse d’air supérieure, subsidente, constituée d’un air plus chaud et plus sec, et qui marque le début de la troposphère libre.
Les processus déterminants pour le développement du stratocumulus
Un champ de stratocumulus est le fruit d’un équilibre subtil entre de nombreux processus couplés qui conditionnent l’apparition, le maintien, et la dissipation du nuage, ainsi que ses caractéristiques morphologiques, macrophysiques et microphysiques. Nous entendons par propriétés macrophysiques, les propriétés de la scène nuageuse considérée comme un champ tridimensionnel de contenu en eau liquide, à l’intérieur du système couche-limite. La façon dont le contenu en eau est réparti entre les gouttelettes nuageuses constitue les propriétés microphysiques du champ nuageux, et sera présentée à la section suivante. Bien que les propriétés microphysiques et macrophysiques dépendent étroitement les unes des autres, nous n’abordons dans cette section que les processus susceptibles d’influer directement sur les propriétés macrophysiques du champ de stratocumulus. Nous pouvons ainsi recenser :
➤ la circulation de grande échelle.
➤ le rayonnement, solaire d’une part et infrarouge d’autre part.
➤ les processus d’entraînement/mélange.
➤ les flux de surface.
➤ les précipitations.
Influence de la circulation de grande échelle
L’advection de grande échelle et la subsidence sont les deux phénomènes principaux liés à la circulation de grande échelle et susceptibles d’influer sur le champ de stratocumulus. La subsidence désigne le mouvement descendant d’une masse d’air chaud et sec de la troposphère libre. Elle conditionne l’apparition du stratocumulus en créant la zone d’inversion de température et d’humidité située juste au-dessus du champ nuageux. Il est très difficile de mesurer directement cette subsidence, qui est typiquement de l’ordre du cm par seconde (Stevens et al., 2003). On peut néanmoins calculer indirectement sa valeur en la déduisant de la divergence du vent horizontal à grande échelle. Cependant, sa détermination est d’autant plus incertaine que la subsidence est affectée d’un cycle diurne (Gareaud et Muñoz, 2004 ; Ciesielski et al., 2001). L’influence de l’advection de grande échelle sur l’évolution du stratocumulus dépend de l’humidité et de la température de la masse d’air advectée. Plus facilement mesurable que la subsidence, et traduite en terme de tendance sur l’humidité et la température de la couche limite, l’advection peut soit renforcer soit affaiblir le système nuageux. C’est un élément important du cycle diurne du stratocumulus.
Influence du rayonnement
Dans un stratocumulus la production d’énergie turbulente qui entretient les échanges verticaux est principalement due aux phénomènes de refroidissement et réchauffement radiatifs de la couche nuageuse. On distingue l’influence du rayonnement solaire visible (0.4-0.8 µm) et proche infra-rouge (0.8-3 µm)), de l’influence du rayonnement infra-rouge thermique (3-80 µm). Le rayonnement infrarouge est l’élément prépondérant dans le déclenchement et l’entretien de la convection dans un stratocumulus (Nicholls, 1989). Le sommet du nuage (de forte émissivité) émet plus de rayonnement infrarouge vers la troposphère libre (de faible émissivité) qu’il n’en reçoit en retour. Cette perte d’énergie se traduit par un refroidissement net, typiquement de l’ordre de 10 à 15 °K par heure, de la couche sommitale du nuage (typiquement les 10 à 20 derniers mètres). L’intensité de ce refroidissement dépend du contenu en eau liquide de cette couche et augmente avec lui. La couche sommitale du nuage, devenue plus froide, donc plus lourde, descend vers la surface (en entraînant au passage une fraction variable d’air de la couche d’inversion), et elle est remplacée par de l’air provenant des niveaux inférieurs de la couche limite. Ce phénomène assure un mélange efficace de la couche limite avec une profondeur des mouvements convectifs de l’ordre de son épaisseur. Notons que dans une moindre mesure, l’absorption à la base du nuage du rayonnement infrarouge issu de la surface, traduite par un faible réchauffement de la base, peut induire l’apparition d’une seconde circulation, interne à la couche nuageuse. Le couplage entre le rayonnement infra-rouge et le contenu en eau liquide, via l’émissivité, constitue une boucle de rétroaction positive sur la production d’eau condensée. Son influence est particulièrement sensible la nuit, où la couche nuageuse a tendance à s’épaissir. Le rayonnement solaire est un élément déstabilisateur du stratocumulus. L’absorption de l’énergie solaire se fait principalement dans la masse de la couche nuageuse et provoque son réchauffement, de l’ordre de quelques degrés par heure. De manière bien plus efficace que le réchauffement infra-rouge à la base du nuage, ce phénomène entraîne l’apparition d’une circulation secondaire dans la couche nuageuse. Par conséquent, le réchauffement radiatif solaire stabilise le profil de température de la couche nuageuse et il peut amorcer le découplage du stratocumulus de la surface, supprimant ainsi l’alimentation en humidité du nuage, premier pas vers sa dissipation (Bougeault, 1985; Turton and Nicholls, 1987; Duynkerke, 1989; Ciesielski et al., 2001). Ce phénomène dépend grandement de la nature et de la charge d’aérosol dans la couche limite. L’eau liquide absorbe peu le rayonnement solaire en comparaison des éléments constitutifs des aérosols non marins, particulièrement le carbone suie, que l’on rencontre dans les aérosols d’origine anthropique. La présence de ce type d’aérosol peut donc augmenter considérablement la quantité d’énergie solaire absorbée dans le nuage, et suffire à dissiper à terme la couche nuageuse (Chýlek et al., 1996; Ackerman et al., 2000; Nenes et al., 2002; Sandu et al., 2005). Le couplage entre le rayonnement solaire et le contenu en eau liquide constitue une boucle de rétroaction négative sur la production d’eau condensée et la couche nuageuse a tendance à s’amincir et se dissiper au cours de la journée.
Cet entraînement peut avoir plusieurs sources : entraînement par cisaillement de vent sur la verticale, entraînement par refroidissement radiatif du sommet du nuage, entraînement par refroidissement par évaporation de l’eau nuageuse. Ces sources sont en compétition pour la détermination du taux d’entraînement dans la couche limite. L’entraînement dû au cisaillement vertical du vent horizontal est un phénomène relativement secondaire, étant donné que la valeur du cisaillement reste généralement faible à travers l’inversion dans les couches limites nuageuses. Cependant, plus le cisaillement est fort, plus le taux d’entraînement augmente, et la structure du champ nuageux peut en dépendre (e.g. formation de nuages en rouleaux) (Kim et al., 2003; Pino et al., 2003). En l’absence de cisaillement de vent significatif, l’entraînement est entièrement piloté par les deux phénomènes générateurs de flux de flottabilité au sommet du nuage : le refroidissement radiatif et le refroidissement par évaporation de l’eau condensée. Ces deux processus sont concurrentiels et antagonistes. Lorsque l’entraînement augmente, l’efficacité du refroidissement radiatif à maintenir la circulation convective diminue, ce qui tend à réduire le taux d’entraînement. C’est une rétroaction négative. À l’inverse, si le taux d’entraînement augmente, le refroidissement par évaporation du nuage augmente, ce qui peut accroître encore le phénomène d’entraînement. C’est une rétroaction positive. Ces deux processus ayant lieu en même temps, et dépendant chacun de plusieurs autres facteurs, il est difficile de les quantifier; et donc de déterminer le taux d’entraînement. On peut cependant dire que d’une manière générale, lorsque l’entraînement par refroidissement radiatif domine, la couche nuageuse tend à se maintenir, alors que si le taux d’entraînement est principalement déterminé par le refroidissement par évaporation, le champ nuageux a tendance à se dissiper (Moeng et al., 1995).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 BASES THÉORIQUES ET ÉTAT DE L’ART
1.1 Le Stratocumulus
1.1.1 Description générale du stratocumulus
1.1.2 Formation et occurrence des stratocumulus
1.1.3 Les processus déterminants pour le développement du stratocumulus
1.1.4 La microphysique du stratocumulus
1.2 Le transfert radiatif
1.2.1 Les sources de rayonnement
1.2.2 Nature de l’interaction particules/rayonnement
1.2.3 Propriétés optiques des particules
1.2.4 Équation du transfert radiatif
1.2.5 Propriétés optiques des nuages d’eau liquide
1.2.6 Conclusion
1.3 Hétérogénéité du champ nuageux et problème direct dans les GCM
1.3.1 Représentation des stratocumulus dans les GCM
1.3.2 Le biais plan-parallèle
1.3.3 Conclusion
1.4 Hétérogénéité du champ nuageux et problème inverse
1.4.1 Longueurs d’ondes utilisées pour la restitution
1.4.2 Restitution du rayon effectif et de l’épaisseur optique
1.4.3 Restitution de l’épaisseur géométrique et de la concentration
1.5 Conclusion
Chapitre 2 LA BOÎTE À OUTILS
2.1 Le modèle Méso-NH
2.1.1 Présentation
2.1.2 Le système d’équations
2.1.3 Les Flux de surface
2.1.4 Le schéma microphysique
2.1.5 La turbulence dans Meso-NH
2.1.6 Schéma de condensation sous-maille
2.1.7 Schéma de transfert radiatif
2.1.8 Conditions de simulation
2.2 La microphysique du modèle
2.2.1 Le schéma microphysique β ²
2.2.2 Paramétrisation du mélange
2.2.2.1 Mélange Homogène
2.2.2.2 Mélange Hétérogène
2.3 Le modèle SHDOM
2.3.1 Présentation du code de transfert radiatif
2.3.2 Conditions de simulation
2.3.3 Précision des simulations
2.4 Conclusion
Chapitre 3 VALIDATION DES SIMULATIONS
3.1 La Campagne ACE-2
3.1.1 Présentation générale
3.1.2 Le 9 Juillet 1997
3.1.2.1 Mesures in-situ (Merlin IV)
3.1.2.2 Mesures par télédétection (Dornier)
3.2 Simulation du 9 juillet 1997
3.3 Validation du modèle de stratocumulus
3.3.1 Présentation générale
3.3.2 Validation des simulations par les mesures in-situ
3.3.2.1 Validation de l’épaisseur géométrique
3.3.2.2 Distribution verticale de LWC dans le nuage
3.3.2.3 Distribution de LWP
3.3.2.4 Résumé
3.3.3 Validation des échelles caractéristiques
3.3.3.1 Description de l’hétérogénéité d’un champ nuageux
3.3.3.2 Propriétés d’échelles du champ nuageux simulé
3.3.3.3 Propriétés d’échelles du champ nuageux observé
3.3.4 Comparaison des champs de réflectances
3.4 Conclusion
Chapitre 4 PRODUCTION DE SCÈNES NUAGEUSES RÉALISTES
4.1 Comment « contrôler » l’aspect du champ nuageux?
4.1.1 Hétérogénéité et fraction nuageuse
4.1.2 Épaisseur géométrique
4.1.3 Taille des structures
4.2 Présentation des modèles de champs nuageux retenus
4.2.1 Initialisation et champs instantanés
4.2.2 Épaisseur géométrique et LWP
4.2.3 Structure des champs et fraction nuageuse
4.2.4 Résumé
4.3 Détermination des propriétés microphysiques, optiques et radiatives correspondantes
4.4 Conclusion
CONCLUSION