Bien qu’ayant toujours existés, les violences dans le couple demeurent relativement cachées jusqu’aux années 1970 qui marquent le début des prises de position publiques des féministes surtout aux Etats-Unis et en Europe. Au Sénégal, le sujet est encore tabou. Il relève de la sphère privée ou familiale. La revue de la littérature montre que le sujet est peu étudié. La question des violences conjugales connaît actuellement un intérêt dans la littérature médicale internationale, tant sur le plan épidémiologique que psychopathologique : ces violences utilisent un ensemble de facteurs à la fois sociaux, juridiques, et médicaux. Elles constituent une problématique complexe et délicate [1]. La violence conjugale est un processus évolutif au cours duquel un partenaire exerce, dans le cadre d’une relation privilégiée, une domination qui s’exprime par des agressions physiques, psychiques ou sexuelles. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) la violence à l’égard des femmes est représentée par « tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». Par violence d’un partenaire intime, on entend tout comportement qui, dans le cadre d’une relation intime (partenaire ou ex-partenaire), cause un préjudice d’ordre physique, sexuel ou psychologique, notamment les actes d’agression physique, les relations sexuelles forcées, la violence psychologique et tout autre acte de domination [2]. Par violence sexuelle, on entend tout acte sexuel, toute tentative d’acte sexuel ou tout autre acte exercé par autrui contre la sexualité d’une personne en faisant usage de la force, quelle que soit sa relation avec la victime, dans n’importe quel contexte. Cette définition englobe le viol, défini comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. [Code pénal sénégalais].
La violence conjugale se distingue des simples conflits ou même des conflits de couples en difficulté ou « conjugopathie », par le caractère inégalitaire de la violence exercée par l’homme qui veut dominer, asservir, humilier son épouse, mais aussi par le caractère univoque et destructeur : une même personne subit toujours les coups et cède toujours lors des altercations. La violence est toujours destructrice, il s’agit d’une situation d’emprise de l’un sur l’autre. [2,3]
DESCRIPTION DES VIOLENCES CONJUGALES
Complexité et enjeux d’une définition
L’étude de la violence et de certaines de ses formes plus particulières souffre de sa difficulté à définir son objet tant celui-ci est stigmatisé [5]. Etudier la violence en général, ou les violences envers les femmes en particulier, implique également de s’intéresser à un domaine de recherche relativement éclaté à cause du nombre de professionnels travaillant dans ce champ et de la variété de leurs affiliations. Cela se traduit malheureusement souvent par une focalisation extrême sur une forme de violence ou un type de victime, focalisation dont le corollaire malheureux est l’exclusion des formes ou des types qui ne lui correspondent pas. La pluralité des terminologies ajoute de la complexité dans ce domaine au vu des nuances, parfois infimes, qui les distinguent. Cela d’autant plus que des domaines particuliers ont également construit leurs propres définitions.
L’organisation mondiale de la santé insiste, dans son rapport mondial sur la violence et la santé (Krug et al., 2002), sur le fait que la définition de la violence renvoie à l’acte en lui-même, quelles que soient les conséquences. Il n’est alors pas nécessaire que l’acte produise effectivement une conséquence dommageable pour qu’il soit considéré comme violent : « La menace ou l’utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne ou risque fortement d’entraîner, un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un maldéveloppement ou des privations ».
A l’heure actuelle, il n’est pas illogique de se demander si l’on ne trouve pas davantage de recherches traitant de la complexité qu’il existe à définir les violences envers les femmes que les recherches qui définissent réellement ce phénomène. Dès les premiers travaux sur les violences envers les femmes, les chercheurs ont été confrontés à la difficulté de définir leur objet d’étude. Les premières définitions ne sont que peu développées, et surtout peu consensuelles.
La problématique définitionnelle elle-même est abordée plus tardivement, dès les années 1980, et il est alors essentiellement question de décider quels types de violences doivent être englobés et si le système légal peut faire office de réfèrent définitionnel. La décennie suivante est caractérisée par un changement de perspective, lorsque les violences envers les femmes commencent à être considérées, non pas uniquement comme un problème relevant de la justice criminelle, mais également comme un problème de santé publique [6]. De par les nombreux domaines concernés et leur constante évolution, il apparaît impossible de donner une définition exhaustive des violences envers les femmes. La définition des sociologues ou des criminologues n’est pas la même que celles des médecins ou des psychologues ; tandis que les premiers choisissent des définitions étroites, car opérationnelles, les seconds semblent préférer des définitions incluant de nombreuses formes d’abus. Plus spécifiquement, les définitions des violences envers les femmes se distinguent généralement selon trois perspectives : la perspective juridique ou criminologique, la perspective de santé publique et la perspective humanitaire [7].
La perspective criminologique ou juridique
Traditionnellement, adopter une perspective criminologique ou juridique des violences envers les femmes équivalait à recourir à une définition considérée comme « étroite », englobant uniquement les actes de violence déclarés illicites ; les actes de négligence, les abus émotionnels et certaines formes de harcèlement n’étant pas compris dans cette approche. Ce type de définition est alors intrinsèquement lié à l’environnement et la culture de référence. Les actes de violence tolérés dans l’environnement ou la culture de référence ne sont pas inclus ; par exemple, l’excision serait considérée comme une forme de violence dans un sondage suisse, mais ce ne serait pas nécessairement le cas dans d’autres parties du monde. Plus récemment des efforts ont été entrepris avec pour objectif de réformer les définitions légales existantes en leur donnant une orientation dite « plus féministe ». Les travaux de Schneider (Dalton & Schneider, 2001 ; Schneider, 2000) constituent une excellente illustration de cette envie de réforme, même s’ils se focalisent sur la violence domestique davantage que sur les violences envers les femmes en général. L’auteure insiste sur la relation existante entre la loi et les mouvements sociaux. Partant de la conception historique des violences conjugales comme un problème de sexisme et de domination masculine dans les relations hétérosexuelles, Schneider revient sur les critiques de cette définition. Insistant sur les rapports existants entre violence, genre et égalité, l’auteure affirme la nécessité de développer des définitions larges du concept de « battering » remis en cause par l’apparition, sur le devant de la scène, de problématiques comme les violences domestiques entre partenaires de même sexe. Schneider discute la redéfinition des violences domestiques comme un problème de pouvoir et de contrôle, et non uniquement une question de domination masculine.
La perspective de santé publique
Le domaine de la santé publique considère que l’ensemble des actes entraînant une souffrance psychologique, tout comme les actes de négligence, doivent être inclus dans la définition de la violence en général et des violences envers les femmes en particulier. Cela inclut des actes non-criminels ou non-criminalisés, ainsi que des actes de violence psychologique considérés comme non-violents et n’étant pas pris en compte par le droit pénal. Cette approche rend compte de l’existence d’un continuum sur lequel se répartissent différentes formes de violence selon leur nature ou leur gravité : les violences envers les femmes sont alors une sous-catégorie de la violence interpersonnelle en général. La prise en compte du contexte de la violence interpersonnelle est beaucoup plus évidente et plus importante dans l’approche de santé publique comparativement aux différents codes criminels, notamment la question de la relation existante entre victime et agresseur (parents, partenaires, connaissances, inconnus…). La perspective de santé publique considère que la prise en charge de la violence domestique devrait être prioritaire ; cependant, il paraît évident que si cette dernière se focalise exclusivement sur la violence domestique, elle aussi négligera d’autres formes de violence.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITE
1. DESCRIPTION DES VIOLENCES CONJUGALES
1.1. Complexité et enjeux d’une définition
1.1.1 La perspective criminologique ou juridique
1.1.2. La perspective de santé publique
1.1.3. La perspective humanitaire
1.2. Les formes de violence conjugale
1.2.1. Les violences physiques
1.2.2. La violence sexuelle
1.2.2.1. Le viol conjugal
1.2.2.2. Autres formes de violence sexuelle en contexte conjugal
1.2.3. La violence psychologique
1.2.4. La violence économique
1.3. La dynamique de la violence dans les relations de couple
1.3.1. Facteurs déclencheurs de la violence domestique
1.3.2. La spirale de la violence
1.3.2.1. La phase de montée de la tension
1.3.2.3. La phase de repentir et d’attention – phase de latence (« lune de miel »)
1.3.2.4. Le rejet de la responsabilité
1.4. Les réalités épidémiologiques
1.4.1. Revue de la littérature internationale
1.4.2. Etat des recherches au Sénégal
1.4.3. Un véritable problème de santé publique
1.4.3.1. Les conséquences de la violence conjugale sur la santé des femmes
1.4.3.1.1. Les effets sur la santé physique
1.4.3.1.1.1. Les blessures physiques immédiates ou aigues
1.4.3.1.1.2. Les maladies et problèmes de santé chroniques
1.4.3.1.1.3. Le meurtre ou féminicide
1.4.3.1.2.1. Les traumatismes et les maladies gynécologiques
1.4.3.1.2.2. Grossesses non planifiées et non voulues
1.4.3.1.2.3. Avortement et avortement non assisté
1.4.3.1.2.4. Le VIH et les autres infections sexuellement transmissibles
1.4.3.1.2.5. La mortalité maternelle et les autres complications de la grossesse
1.4.3.1.4. Les effets sur le cout et la fréquence d’utilisation des services de santé
2. LES FACTEURS DE RISQUE ET CAUSES DE LA VIOLENCE CONJUGALE
2.1. Les théories explicatives
2.1.1. La théorie féministe
2.1.2. La théorie des caractéristiques individuelles
2.1.3. La théorie de la socialisation et des valeurs sociétales
2.1.4. La théorie de l’apprentissage social
2.2. Les facteurs de risque de la violence conjugale
2.2.1. Les facteurs au niveau individuel
2.2.1.1. Expérience de violences familiales vécues dans l’enfance
2.2.1.2. La consommation excessive d’alcool ou d’autres stupéfiants
2.2.1.3. Comportement antisocial et délinquance
2.2.1.4. Stress et stratégies de gestion du stress
2.2.2. Facteur au niveau de la relation de couple
2.2.2.1. Répartition du pouvoir dans le couple
2.2.2.1.1. Comportement de domination et de contrôle
2.2.2.1.2. Répartition des ressources socioéconomiques et différence de statuts
2.2.2.1.3. Répartition des tâches dans le couple
2.2.2.2. Conflits, stratégies de gestion des conflits, situations de vie pesantes
2.2.3. Facteurs au niveau de la communauté
2.2.4. Facteurs au niveau de la société
2.2.5. Autres facteurs : Caractéristiques sociodémographiques, socioéconomiques et socioculturelles
3. CONTEXTE POLITIQUE JURIDIQUE ET RELIGIEUX DU SENEGAL
3.1. Textes législatifs
3.2.Violence et religions (chrétienne et musulmane)
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
1. CADRE D’ETUDE
1.1.Cadre géographique
2.MATERIELS ET METHODES
2.1. Le type d’étude
2.2. La population étudiée
2.2.1. Les critères d’inclusion
2.2.2. Les critères de non inclusion
2.3. Description du questionnaire
2.4. Méthode de saisie et d’analyse statistique
3. RESULTATS
3.1. La répartition selon la tranche d’âge
3.2. Répartition selon la situation matrimoniale actuelle
3.3. Répartition selon le type de d’union
3.4. Répartition selon la durée du couple
3.5. Répartition par nombre d’enfant
3.6. Répartition selon l’âge du premier enfant
3.7. Répartition selon l’utilisation d’une méthode de planification familiale et selon que le conjoint est d’accord ou non
3.8. Répartition selon le nombre de personnes vivant avec le ménage
3.9. Répartition selon la distance avec le voisin le plus proche
3.10. La répartition par rapport au niveau d’étude et selon le niveau d’étude par rapport au conjoint
3.10.1. La répartition par rapport au niveau d’étude
3.10.2. La répartition selon le niveau d’étude par rapport au conjoint
3.11. Répartition selon l’exercice d’un travail salarié et selon le niveau de revenu par rapport au conjoint
3.11.1. Répartition selon l’exercice d’un travail salarié
3.11.2. Répartition selon le niveau de revenu par rapport au conjoint
3.12. Répartition selon l’autorité financière dans le couple
3.13. Répartition selon les témoins des violences conjugales
3.14. Répartition selon l’utilisation de substance psycho active par le conjoint
3.15. Répartition selon l’intervention de la police du SAMU ou des sapeurs-pompiers sur place
3.16. Répartition selon que la victime a parlé de ces violences ou non à une ou plusieurs personnes
3.17. Répartition selon le type d’aide sollicitée par la victime de violence conjugale
3.18. Répartition selon la prise en charge médicale
3.19. Répartition selon la prise en charge judiciaire
3.20. Répartition selon les conséquences de la violence conjugale sur la vie de la femme
CONCLUSION