L’irrigation localisée ou micro-irrigation est apparue il y a une trentaine d’années. Cette méthode consiste à apporter l’eau d’irrigation non pas sur l’ensemble de la surface mais au pied de la culture ou sur le rang pour limiter les pertes parasites. Elle a d’abord connu un développement faible par rapport à l’irrigation par aspersion, essentiellement pour des raisons techniques liées à la complexité de sa mise en œuvre, et ce malgré ses avantages : permettre d’économiser l’eau, nécessiter peu de main d’œuvre une fois installée, maintenir de bonnes conditions phytosanitaires pour la culture et consommer peu d’énergie du fait de faibles besoins de pression. La performance de ce type d’application et les possibilités de contrôles sont telles que l’on peut appliquer sans difficultés les engrais au moyen du système d’irrigation (fertigation), voire certains types de traitement phytosanitaire. Dans le même ordre d’idées, l’application d’effluents de stations d’épurations traités par irrigation localisée pour l’agriculture ou les espaces verts est répandue dans certaines zones arides (Tunisie, Chypres, Israël, Californie) et semi-arides. Du fait des tensions croissantes sur les ressources en eau de bonne qualité, elle tend à se répandre dans le monde entier.
Cependant, le développement de la micro-irrigation reste encore limité à certaines régions et à certaines cultures (principalement arboriculture et cultures de légumières). La raison principale est que l’irrigation localisée coûte cher et reste plus difficile à maîtriser que les techniques classiques. Pour les cultures annuelles comme pour les cultures pérennes, étant donné le coût des installations et leur rôle central dans la performance d’ensemble de la production, la durabilité des équipements de micro-irrigation est une préoccupation constante des agriculteurs. Le colmatage progressif des goutteurs d’irrigation localisée cause des pertes économiques importantes. Il justifie souvent le recours à des systèmes annuels jetables (ou gaines), dont le coût à l’hectare est finalement très supérieur à celui de solutions plus pérennes, sans parler de la consommation indirecte de carbone. Lorsque l’agriculteur constate une variation des débits de quelques goutteurs du fait d’un début de colmatage, il compense les déficits locaux d’apport d’eau en augmentant les durées d’irrigation. Le colmatage n’étant pas forcément homogène, les quantités d’eau apportées en moyenne sont finalement soit excédentaires soit déficitaires suivant les endroits dans les parcelles. Ces excès d’eau peuvent entraîner du lessivage des solutés présents dans le sol, voire des problèmes locaux d’hydromorphie où le sol sera saturé et les racines plongées dans une zone anaérobie. Les conséquences pour l’environnement sont aggravées par le fait que la plupart des agriculteurs pratiquent l’irrigation fertilisante. Finalement, le phénomène de colmatage a pour conséquence de raccourcir la durée de vie d’un équipement à la parcelle déjà coûteux par rapport aux autres systèmes techniques, donc cela limite le revenu des agriculteurs, en plus de l’éventuelle augmentation des consommations d’eau.
Même si les principales causes du colmatage sont connues (Nakayama; Gilbert et al., 1979), on n’arrive pas toujours à le contrôler correctement, parce que les mécanismes en jeu sont mal connus. Les procédés à mettre en œuvre pour le limiter augmentent le coût des équipements et de la maintenance. Ceci explique que cette méthode soit parfois abandonnée au profit de méthodes moins efficaces mais mieux maîtrisées par les agriculteurs, en particulier dans les pays en développement, où les problèmes de ressources en eaux sont les plus aigus. Au Maghreb comme dans certaines zones de l’Europe, les pouvoirs publics soutiennent l’irrigation localisée par une politique de subventions massives. Mais faute d’actions suffisantes pour accompagner ou former les agriculteurs, on observe souvent une augmentation des consommations d’eau plutôt que des économies, comme en témoignent les résultats d’enquêtes effectuées sur certains périmètres en Tunisie et au Maroc (Mailhol, 2004, Molle, 2005). En région PACA les organismes d’appui technique constatent une durée de vie moyenne du matériel de trois à sept ans suivant les endroits, alors qu’on peut atteindre 10 ans à 15 ans avec une bonne maîtrise sur des sites voisins. Ces exemples justifient les efforts investis dans la compréhension des causes et des mécanismes conduisant au colmatage des goutteurs. En effet, comprendre et prédire le risque de colmatage permettrait de proposer des solutions en amont lors de la conception des goutteurs, des méthodes de maintenance plus performantes et assurerait véritablement une irrigation économe en eau, en main d’œuvre et en énergie, permettant un meilleur retour sur investissement.
Description des différentes Méthodes d’irrigation
Irrigation à la raie
L’irrigation gravitaire (Figure I-1), encore appelée irrigation de surface, est la méthode d’irrigation la plus répandue dans le monde (75% des surfaces). Dans le sud de la France, l’irrigation à la raie reste pratiquée en raison de sa bonne adaptation à certains contextes locaux de basses vallées alluviales (plaine de Crau). Souvent accusée de gaspiller l’eau, l’irrigation gravitaire peut être efficiente si elle est bien maîtrisée et modernisée.
Irrigation par aspersion
L’irrigation par aspersion, en France, s’est développée rapidement après la deuxième guerre mondiale. Ce mode d’irrigation est pratiqué sur environ 90% de la surface irriguée en France, au niveau mondial celle-ci représente un peu moins de 20% des surfaces irriguées. L’évolution technique des systèmes d’irrigation par aspersion a été influencée en permanence par le souci d’économiser de la main d’œuvre et de diminuer la pénibilité du travail. On peut classer les équipements d’irrigation par aspersion en deux types : les couvertures d’asperseurs et les machines à irriguer. Alors que dans le cas d’une installation d’irrigation par couverture d’asperseurs, les appareils goutteurs d’eau sont en position fixe durant leur fonctionnement, les machines à irriguer (enrouleurs, pivots, rampes frontales) ont la faculté de déplacer le ou les goutteurs d’eau durant l’arrosage. L’apparition des machines à irriguer trouve son origine dans le souci de réduire le travail de déplacement manuel des éléments d’arrosage ou de baisser l’investissement par rapport à la couverture intégrale d’asperseurs. L’installation d’une couverture d’asperseurs mobilise un grand nombre d’appareils goutteur d’eau si bien que l’adéquation de l’installation au parcellaire est en général bonne. De même la conduite des arrosages peut être rigoureuse sur la base de données agronomique et technique avérées.
Couverture d’asperseur
Les premiers réseaux d’irrigation par aspersion furent équipés d’asperseurs disposés en ligne le long d’une rampe mobile (Figure I-2), qu’on démontait et déplaçait à la main, de poste en poste, pour irriguer l’ensemble de la parcelle. Peu couteux en investissement, ce système est exigeant en main d’œuvre. Pour cette raison il a évolué vers la couverture intégrale, qui consiste à disposer sur la parcelle irriguée l’ensemble des asperseurs. Une fois posé, le réseau ainsi conçu reste fixe pendant toute la saison d’irrigation.
Cette méthode présente l’avantage de réduire le besoin de main-d’œuvre, d’obtenir une répartition homogène de l’eau sur l’ensemble de la surface irriguée, elle est adaptable à toutes les formes de parcelle (topographie du site), à toutes les natures de sol, et à toutes les cultures.
L’enrouleur
L’enrouleur est le matériel d’irrigation par aspersion le plus utilisé en France : 55% des surfaces irriguées sous pression. Ce succès provient de sa grande souplesse d’utilisation, des faibles contraintes de main-d’œuvre et des investissements modérés qu’il nécessite. Bien utilisé, l’enrouleur peut dispenser un arrosage de qualité tout à fait satisfaisant. Toutefois, des enquêtes ont montré que les utilisateurs d’enrouleurs manquaient souvent des informations nécessaires pour bien choisir leur équipement et effectuer les bons réglages pour un arrosage homogène. La généralisation de l’utilisation de régulations électroniques d’enroulement a considérablement amélioré les performances de ces appareils. Il est composé d’un canon d’arrosage monté sur un traîneau ou sur un chariot tracté par le tuyau d’alimentation en eau en polyéthylène, qui s’enroule sur une bobine disposée sur un châssis et entraînée par un moteur hydraulique .
L’arrosage se fait par bandes rectangulaires successives dont la largeur dépend de la portée du canon qui équipe l’enrouleur. Le canon est un asperseur à grande portée (25 à 70m). Le canon nécessite une pression entre 5 à 8 bars, soit une pression à l’entrée de l’enrouleur de 7 à 10 bar. La pluviométrie est relativement peu intense en moyenne : 8 à 12mm/h, mais l’apport se faisant sous forme d’un jet dirigé au cours de passage très brefs (quelques secondes par minute), l’énergie cinétique apportée peut être néfaste pour certain type de sols limoneux par exemple à faible structuration. Pour fournir une bonne homogénéité d’arrosage, le canon doit fonctionner dans une plage de pression relativement étroite, avec un écartement entre passage spécifique et un angle de balayage adapté aux deux paramètres précédents.
Le pivot (rampe pivotante)
Le pivot également appelé rampe pivotante est un appareil d’irrigation mobile, arrosant en rotation une surface circulaire ou semi-circulaire (Figure I-5). Il est en général à poste fixe, mais il peut être conçu pour être déplacé entre parcelles voisines.
L’irrigation par rampe d’arrosage inventée aux USA vers la fin des années 40, a débuté en France au cours des années 60. Convenant bien à l’irrigation des grandes surfaces, le pivot s’est d’abord développé dans des zones plates des Landes, sur des parcelles de grande taille jusqu’à 200 ha. Il se développe de plus en plus dans des zones où son utilisation semblait moins évidente, sur des parcelles plus petites, où il permet l’épandage de fertilisants et de pesticides, et s’adapte à des pentes pouvant atteindre localement 15%. La longueur « idéale » d’un pivot (investissement, charges d’entretien, risque) se situe aux alentours de 400m, soit une parcelle de 50 ha environ. L’intérêt essentiel de ce type de matériel est sa simplicité de mise en œuvre, ses possibilités de fonctionnement automatique et ses performances en terme d’uniformité et d’apport d’eau y compris en conditions ventées.
Diffuseurs et micro-asperseurs
Les micro-asperseurs arrosent de petites surfaces de sol par aspersion, sous forme de tache ; c’est une technique intermédiaire entre le goutte à goutte et l’aspersion. Elle permet de s’affranchir de contraintes liées aux caractéristiques hydrodynamiques du sol (forte conductivité et faible capillarité) ou à la présence de macropores dues à la fissuration ou à la faune du sol. Lorsque des contraintes de ce type ne permettent pas un fonctionnement acceptable du goutte à goutte ou nécessitent une trop forte densité du goutteur la microaspersion fournit une bonne alternative. Elle permet en outre d’avoir un développement racinaire dans un volume de sol plus important.
Les mini-diffuseurs
Les mini-diffuseurs fonctionnent comme de petits asperseurs statiques ne couvrant qu’une partie de la surface du sol au voisinage des cultures. Du point de vue hydraulique, ils sont tous à cheminement court. Ils sont constitués d’une base comportant un orifice calibré au travers duquel l’eau passe sous forme de jet et d’une tête formant un déflecteur sur laquelle le jet vient éclater .
Le débit nominal est compris entre 20 l/h et 150 l/h mais les valeurs les plus couramment utilisées sont 20, 30 et 40 l/h. Pour un même fabriquant chaque modèle est généralement repéré par une couleur différente. La portée est limitée à 1 ou 2 mètres et la forme des surfaces arrosées varie selon le type de tête utilisée (plein cercle, demi-cercle, pinceau, etc.). Les mini-diffuseurs sont toujours placés en dérivation. Ils sont fixés directement sur la rampe (rampe suspendue) ou reliés à celle-ci par un tube conducteur. Dans ce cas, ils sont attachés à un support vertical ou suspendus tête en bas, et stabilisés en position verticale par une masse d’alourdissement (Tiercelin .1998).
Les ajutages calibrés
Les ajutages sont constitués d’orifices calibrés (1,2 à 2,1 mm de diamètre) fixés en dérivation sur la rampe à intervalles réguliers (2,5 à 6,5 m) et recouverts d’un manchon brise-jet. L’eau distribuée par les ajutages ne s’infiltre pas ponctuellement mais s’écoule dans une rigole cloisonnée constituant une série de petits bassins au fond de laquelle est placée la rampe. Selon le diamètre de l’ajutage, le débit varie de 35 à 100 l/h, sous une pression de 1 bar. Ces systèmes ne peuvent pas être assimilés à du goutte à goutte mais restent de l’irrigation localisée, même s’ils fonctionnent avec de forts débits.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I
I.1. Description des différentes Méthodes d’irrigation
I.1.1. Irrigation à la raie
I.1.2. Irrigation par aspersion
I.1.2.1 Couverture d’asperseur
I.1.2.2 L’enrouleur
I.1.2.3 Le pivot (rampe pivotante)
I.1.2.4 Diffuseurs et micro-asperseurs
I.1.3. Le goutte à goutte ou micro-irrigation
I.1.3.1 Principe de la micro-irrigation en agronomie
I.1.3.2 Principe de fonctionnement des goutteurs en irrigation localisée
I.1.3.3 Courbe de variation du débit en fonction de la pression d’un goutteur
I.1.4. Détermination du coefficient de variation technologique (CV)
I.2. Les différentes formes de colmatage
I.2.1. Le colmatage physique
I.2.2. Le colmatage organique ou biologique
I.2.3. Le colmatage chimique
I.2.4. Le colmatage mécanique
I.2.5. Synthèse
I.3. La qualité et l’origine de l’eau d’irrigation
I.3.1. Origine de l’eau
I.3.2. Température et pH
I.3.3. Concentration en sel
I.3.4. Concentration en colloïde
I.3.5. Cas des eaux marginales
I.3.6. Tableau de Synthèse du lien qualité d’eau et risques de colmatage
Chapitre II
II.1. Matériels et méthodes
II.1.1. L’installation pilote sur le terrain
II.1.2. Caractéristique du goutteur
II.1.2.1 La loi débit-pression
II.1.2.2 Modélisation de l’écoulement
II.1.3. Mode opératoire
II.1.3.1 Le protocole de mesure et d’échantillonnage hebdomadaire
II.1.3.2 Analyse granulométrique
II.1.3.3 Protocole de mesure de granulométrie par diffraction laser
II.1.3.4 Principe de la diffraction des rayons X
II.2. Résultats
II.2.1. Uniformité de la distribution de débit dans les goutteurs
II.2.2. Variation du débit
II.2.3. L’effet de la filtration sur le colmatage des goutteurs
II.2.4. L’effet de la purge sur l’intensité du colmatage
II.2.5. Mesure granulométrique
II.2.5.1 Variabilité de la qualité des eaux d’irrigation après filtration
II.2.5.2 Analyse granulométrique des particules
II.2.5.3 L’influence de la purge sur la granulométrie des particules
II.2.6. Caractérisation des espèces en suspension dans l’eau
II.3. Conclusion
Chapitre III
III.1. Conditions de stabilité colloïdale
III.1.1. Les forces de Van der Waals
III.1.2. La polarité
III.1.3. Répulsion des double-couche électriques
III.2. Théorie DLVO et concentration critique de coagulation
III.2.1. La théorie DLVO
III.2.2. La concentration critique de coagulation (CCC)
III.3. Probabilité de chocs efficaces
III.4. Les fréquences de collisions : cas pour le modèle rectilinéaire
III.4.1. Le mouvement Brownien
III.4.2. Agitation mécanique du solvant
III.4.3. Sédimentation différentielle
III.5. Bilan de population
III.5.1. Agrégation irréversible
III.5.2. Agrégation réversible
III.5.2.1 Fréquence de rupture
III.5.2.2 Taille maximale de croissance
III.5.2.3 Prise en compte de la sédimentation
III.5.3. Initialisation d’un modèle cinétique
III.5.3.1 Principe de discrétisation
III.6. Modélisation de l’agrégation et estimation de la taille des particules argileuses
Chapitre IV
IV.1. Stabilité colloïdale des argiles vis-à-vis du cisaillement et de la force ionique
IV.1.1. Minéralogie des argiles par diffraction des rayons X
IV.1.2. Potentiel électrique de surface mesuré par mobilité électrophorétique
IV.1.3. Effet couplé de la force ionique et du cisaillement sur agrégation des particules
IV.1.3.1 Principe du réacteur de Taylor-Couette
IV.1.3.2 Mélange argilo-calcaire
IV.1.3.3 La bentonite
IV.1.4. Effets de la concentration en sel et du cisaillement sur la cinétique d’agrégation de la bentonite
IV.1.5. Approche numérique de la cinétique d’agrégation
IV.2. Étude du colmatage des goutteurs en laboratoire
IV.2.1. Méthodes pour caractériser la cinétique de colmatage des goutteurs à long terme
IV.2.2. Influence de la charge en particules sur les débits à court terme
IV.2.3. Résultats pour le mélange argilo-calcaire
IV.2.3.1 Effet de la durée quotidienne de fonctionnement sur le colmatage par le mélange argilo-calcaire
IV.2.3.2 Influence de la température sur le colmatage
IV.2.3.3 Influence de la charge en particules sur les débits dans les goutteurs
IV.2.4. Résultat pour la bentonite
IV.2.4.1 Comparaison de différentes concentrations en NaCl
IV.2.5. Bilan sur les trois lignes
Conclusion