Début décembre 2019, Wuhan, une ville de 11 millions d’habitants, capitale de la province du Hubei située dans la région centrale de la Chine, a été le siège d’une recrudescence du nombre de pneumopathies (1,2). La communauté scientifique a identifié le microorganisme qui en est à l’origine le 08 Janvier 2020. Il s’agit d’un virus de l’ordre des Nidovirales, de la famille des Coronaviridae, de la sous-famille des Orthocoronaviridae et du genre des Betacoronavirus initialement nommé 2019n-Cov (pour 2019 novel Coronarivus), puis renommé SARS-COV2 (Severe Acute Respiratory Syndrom Coronarivus 2) .
En population générale, les symptômes les plus fréquemment rencontrés sont la fièvre (83- 89%), la toux (59-82%), l’asthénie (44-70%), l’anorexie (40-84%) et la dyspnée (31-40%) (4). L’organisation mondiale de la santé a défini 4 stades de sévérité. Les formes légères désignent les personnes symptomatiques qui ne présentent ni pneumopathie, ni hypoxie. Les formes modérées concernent les femmes présentant une pneumopathie sans signe de gravité (fréquence respiratoire >30 par minute, saturation pulsée en oxygène inférieure à 90% en air ambiant). Les formes sévères se caractérisent par la présence d’un signe de gravité, enfin les formes critiques sont définies par la survenue d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë, d’un sepsis, d’une thrombose aiguë ou d’une inflammation multi-systémique chez l’enfant. Les données collectées par l’organisation mondiale de la santé dans le rapport du 27/05/2020 ont déclaré 40% de formes légères, 40% de formes modérées, 15% de formes sévères et 5% de formes critiques en population générale (5). Chez la femme enceinte, la physiologie respiratoire est modifiée, notamment au cours du troisième trimestre. Les modifications hormonales entrainent une relaxation ligamentaire qui majore l’angle sous-costal (angle formé entre les 8ème,9ème et 10ème côtes et le sternum), qui passe en moyenne de 68° à 103°. Le diaphragme est rehaussé en moyenne de 4 centimètres et le diamètre thoracique inférieur est majoré de 5 centimètres. Il en résulte une diminution du volume de réserve expiratoire et de la capacité respiratoire fonctionnelle. Cependant la capacité pulmonaire totale est conservée grâce à une majoration de la capacité inspiratoire et la ventilation minute est augmentée de 50% pour répondre à la demande métabolique (6,7). Des modifications interviennent également sur le plan immunitaire avec le développement de l’immunité humorale via le recrutement de lymphocytes T-helper de type 2 et de lymphocytes B au détriment de l’immunité cellulaire dépendante de la voie des lymphocytes T-helper de type 1. La diminution de l’immunité cellulaire semble expliquer la susceptibilité des femmes enceintes à présenter des infections virales, bactériennes ou parasitaires (8). C’est pourquoi les pneumopathies restent une cause de mortalité maternelle majeure (9,10). L’analyse de l’épidémie de SARS-COV (Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus), survenue entre 2002 et 2003 en Chine, a retrouvé une augmentation significative de la sévérité de la maladie chez les femmes enceintes, de la mortalité maternelle et du taux de fausses couches spontanées (9,11,12). La létalité de l’infection à SARS-COV a été estimée entre 28 et 30% chez la femme enceinte (13,14) versus 11% en population générale (15). Les données épidémiologiques disponibles sont faibles en ce qui concerne l’infection à MERSCOV (Middle East Respiratory Syndrom Coronavirus). Il a été constaté un taux de létalité chez la femme enceinte similaire à la population générale (23%) (16), mais une augmentation du nombre de morts fœtales in utero et de la prématurité. De même, en 2009, la pandémie de grippe A H1N1 s’est révélée plus sévère chez la femme enceinte avec un risque relatif d’admission en soins critiques de 13,2 (IC 95% ; [9,6-18,3]) et un taux de mortalité de l’ordre de 11% (17). De nombreuses études ont été réalisées concernant l’infection à SARS COV2 depuis le début de la pandémie, chez la femme enceinte, avec des effectifs variables et des méthodologies différentes diminuant considérablement la validité externe de celles-ci.
Discussion
Les femmes enceintes dans les départements du Calvados, de la Manche et de l’Orne ont été relativement épargnées par la COVID-19 puisque seuls 39 cas incidents sont décrits. Dans leur très grande majorité (87%), les femmes étaient asymptomatiques ou avaient des formes bénignes de la maladie. Néanmoins, 1 forme sévère et 2 formes critiques ont été décrites dont une a nécessité une hospitalisation en unité de soins continus, réanimation. On ne dénombre aucun décès chez les femmes infectées ou leur(s) nouveau-né(s). Le taux d’hospitalisation des femmes incluses était de 38%, légèrement moins élevé que celui décrit par Vivanti et al, au mois de mars 2020 (23) mais plus élevé qu’aux États-Unis sur une étude rétrospective intéressant 8207 femmes enceintes où le taux d’hospitalisation s’élevait à 31,5% (24). Le taux d’admission en soins continus et en réanimation n’est pas interprétable du fait du faible nombre de cas ayant justifié de telles prises en charge. Il se rapproche néanmoins des 4% retrouvés par Allotey et al dans une récente revue de la littérature (19). L’analyse des caractéristiques des femmes infectées par le SARS-COV2 dans notre cohorte semble faire émerger les facteurs de risque d’infection suivants chez la femme enceinte, l’âge, l’obésité, le diabète, l’origine géographique et l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle défavorisée.
L’incidence cumulée de l’infection à SARS-COV2 chez la femme enceinte dans les centres investigateurs est superposable à l’incidence cumulée des cas de COVID-19 en France et en Normandie dans la population générale sur la période étudiée (25). Les deux premiers pics d’incidence en mars et en juin 2020 et leur amplitude respective sont pondérés par les modifications des politiques de test par RT-PCR. La faible disponibilité de ceux-ci au début de la pandémie nous a probablement conduit à surestimer la mortalité et les morbidités maternelles et fœtales relatives à cette infection. Nos données suggèrent que les femmes de plus de 35 ans seraient plus à risque d’être infectées par le SARS-COV2, et que les moins de 20 ans en seraient protégées. Ces résultats concordent avec l’étude de cohorte populationnelle réalisée au Royaume-Unis (26). Il semble que la grande majorité des infections à SARS-COV2 surviennent au cours du troisième trimestre de la grossesse comme cela a été le cas dans notre étude (94%) et dans la cohorte populationnelle au Royaume-Unis (81%) (26) et que celles-ci soient plus souvent symptomatiques au troisième trimestre comme le relèvent Allotey et al (19). Une proportion plus importante de femmes asymptomatiques au cours des deux premiers trimestres de la grossesse pourrait expliquer leur sous-représentation dans notre étude. Les modifications du système immunitaire au cours des deux premiers trimestres de la grossesse, notamment l’orientation de celui-ci vers les lymphocytes T helper de type 2 qui diminue l’immunité à médiation cellulaire, pourrait expliquer ces observations (8,27). Il semble que l’incidence de l’infection à SARS-COV2 chez la femme enceinte ait été plus élevée chez les femmes migrantes qui représentaient 26% des cas versus 12,8% des femmes ayant accouché au CHU de Caen en 2014 (28). Cela corrobore les résultats d’Ellington et al, et de Knight et al, qui retrouvaient plus de cas dans les populations non blanches. Les études réalisées en population générale, en France, par l’INSEE montrent une séroprévalence à SARS-COV2 plus élevée chez les personnes nées à l’étranger et une mortalité environ deux fois plus élevée (24,26,29-31). De même les catégories sociales les plus défavorisées semblent avoir été plus affectées avec 11 (32%) employés et seulement 7 (21%) professions intermédiaires versus respectivement 25,1% et 32,4% selon Eslier et al. Plusieurs éléments semblent en mesure d’expliquer ces différences. Les femmes nées à l’étranger sont plus souvent en situation de précarité et vivent dans des espaces plus réduits que les populations plus aisées, ce qui contribue à augmenter les contacts intrafamiliaux et le risque de contamination au sein de leur foyer. Les professions qu’elles exercent sont moins souvent compatibles avec le travail à distance et plus souvent source de promiscuité. Elles utilisent plus souvent les moyens de transport en commun et vivent dans des zones urbaines de forte densité. Les différences de séroprévalence retrouvées entre les personnes nées à l’étranger et les personnes nées en France disparaissaient si l’on tenait compte des différentes conditions socio-économiques selon l’étude française EpiCOV menée par la Direction de la Recherche des Études de l’Évaluation et des Statistiques (DRESS) (29). L’augmentation de la sévérité de l’infection, du taux d’admission en unité de soins continus ou de réanimation et de la mortalité décrite par Allotey et al, chez les femmes migrantes, pourraient eux aussi être biaisés par l’absence de prise en compte des conditions socio-économiques et il conviendrait d’envisager des études dédiées pour déterminer si ces femmes doivent bénéficier d’une prise en charge diagnostique ou thérapeutique spécifique .
Par ailleurs, un Indice de Masse Corporelle (IMC) élevé, une hypertension artérielle gravidique ou un diabète gestationnel semblent être des facteurs de risque d’infection à SARS-COV2. Ces mêmes facteurs ont été décrit par Allotey et al(19). Par ailleurs, Villar et al ont retrouvé, dans une étude de cohorte internationale, un risque accru de prééclampsie chez les femmes infectées par le SARS-COV2 (RR 1,76 (IC95%, [1,27-2,43])) (32). Le récepteur à l’Enzyme de Conversion de l’Angiotensine 2 (ECA 2) auquel vient se lier la protéine Spike (S) du SARSCOV2 semble être impliqué dans l’association de ces comorbidités à l’infection et à sa sévérité. En effet, la quantité d’ECA 2 est normalement augmentée pendant la grossesse et participe à maintenir en équilibre le système rénine, angiotensine, aldostérone (SRAA) (33). Lumbers et al, ont mis en évidence une dérégulation du SRAA dans le cas de la prééclampsie qui participe à la dysfonction endothéliale et à la constitution du syndrome (34). La liaison du SARS-COV2 à l’ECA 2 pourrait déséquilibrer la balance du SRAA comme cela a été mis en évidence pour le SARS-COV (35) et participerait ainsi à la dysfonction endothéliale chez ces femmes prédisposées.
Nous avons observé une augmentation de la prévalence de menace d’accouchement prématuré à 12% versus 5,4% en population générale sur les données de l’enquête périnatale nationale de 2016. Néanmoins, les taux d’accouchement prématuré et d’accouchement par césarienne, respectivement de 9% et de 25% dans notre étude sont plus bas que ceux décrits dans les revues de la littérature disponibles. Dans la revue PregCOV-19LSR (36), ils sont effectivement de 17% pour la prématurité et de 54% pour le taux de césarienne. Ces différences s’expliquent en partie par le fait que les revues de la littérature les plus pertinentes n’incluent pour l’heure que des données issues de cohortes hospitalières réalisées au début de la pandémie, dans lesquelles les femmes asymptomatiques sont moins représentées qu’ici, ce qui contribue à surestimer ce risque. Concernant les nouveau-nés, le taux d’hospitalisation dans un service autre que les suites de naissance, évalué à 14% se rapproche de celui retrouvé par l’enquête nationale périnatale de 2016 qui l’évaluait à 10,4% (21). Il n’a pas été décrit de différence concernant les poids de naissance, la durée de séjour, ou la survenue de malformation fœtale entre nos résultats et les données de l’enquête nationale périnatale (21). De la même façon que dans l’étude PregCOV19LSR (36), nous n’avons pas mis en évidence d’augmentation de la mortalité néonatale précoce chez les enfants des femmes enceintes infectées par le SARS-COV2. La transmission verticale du SARS-COV2, qui semble possible, intéresserait un nombre limité de nouveau-nés et ses conséquences n’en sont pour l’heure pas décrites de façon exhaustive .
Par son caractère multicentrique, cette étude a permis un recensement exhaustif des cas incidents sur les trois départements étudiés. Les infections asymptomatiques survenues au moment de l’accouchement ont ainsi pu être précisément étudiées. La durée d’inclusion a permis d’étudier l’impact de plusieurs pics d’incidences de la pandémie, de plusieurs variants, et d’apprécier l’importance des stratégies de dépistage et de diagnostic du SARS-COV2. Parmi les limites, nous rapportons la petite taille de l’échantillon que nous n’avions pu définir puisqu’aucune donnée disponible au moment de la rédaction du protocole ne permettait d’estimer l’incidence qu’aurait le SARS-COV2 sur notre territoire. Le caractère rétrospectif du recueil des données explique la présence de données manquantes puisqu’elles étaient indisponibles dans les dossiers consultés. Le nombre de perdues de vue a diminué la taille de notre échantillon et a contribué à diminuer la puissance de l’étude. Celui-ci s’explique en partie par le recrutement initial de femmes enceintes dont les résidences principales se trouvent en Île-de France et pour lesquelles il n’a pas été possible d’obtenir de suivi jusqu’au terme de la grossesse. Nous avons fait le choix d’analyser que les femmes ayant accouché au 31/01/2021 afin de ne pas sous-estimer les morbidités maternelles, fœtales et néonatales précoces. La compréhension des mécanismes immunitaires expliquant l’absence de symptôme chez la majeure partie des femmes enceintes infectées par le SARS-COV2 permettrait d’envisager des immunothérapies dans le but d’orienter la réponse immunitaire des cas symptomatiques. Les premiers vaccins ont été mis sur le marché et bien que leur profil de sécurité n’ait pas été évalué pendant la grossesse, les recommandations internationales et le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens de France (CNGOF), dans son communiqué du 8 mars 2021, plaident pour une administration du vaccin selon le rapport bénéfice risque de chaque femme (38,39). Des données de pharmacovigilance rassurantes devraient permettre de généraliser celle-ci dans les prochains mois. La réalisation d’études de cohorte incluant de grands effectifs et qui testeraient systématiquement les femmes enceintes au cours de leur suivi permettrait d’obtenir des informations plus précises quant aux morbidités chez les femmes enceintes et leur(s) nouveau-né(s) en particulier pour les femmes infectées au cours des deux premiers trimestres, faiblement représentées dans cette étude et dans la littérature chez qui la transmission verticale pourrait être plus fréquente .
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Table des matières
Introduction
Matériels et méthodes
Résultats
Discussion
Conclusion
Bibliographie
Annexes