Description des biofilms bactériens
Les biofilms
Définition
Le concept de biofilms a été proposé, en 1978, par Costerton et ses collaborateurs , et défini comme une communauté de microorganismes enchâssés dans une matrice et adhérés à une surface (Costerton et al. 1978; Costerton 1995). Cette matrice extracellulaire est fortement hydratée (jusqu’à 97% d’eau) et comprend un ensemble de polysaccharides, de protéines, de lipides et d’ADN extracellulaires, regroupés sous le terme de substances polymériques extracellulaires (SEP ou EPS, Extracellular Polymeric Substances) (Sutherland 2001; Branda et al. 2005; Flemming and Wingender 2010). D’après Flemming et Wingender (2010) les cellules bactériennes représentent environ 10% de la masse sèche d’un biofilm, le reste correspondant à la matrice extracellulaire (Flemming and Wingender 2010). De façon plus large, le terme biofilm est également utilisé pour décrire les structures qui se forment à des interfaces liquideair, on parle alors de pellicules, ou en milieu liquide, parlant alors de flocs ou granules (Flemming et al. 2016). Les micro organismes qui composent le biofilm peuvent être très divers : bactéries, champignons microscopiques, algues ou protozoaires (Figure 1). De plus, un biofilm peut être formé d’un seul type de micro-organismes ou de plusieurs, ce dernier cas étant largement le plus fréquent dans les écosystèmes naturels (Wingender et al. 1999). Dans la nature, le mode de vie en biofilm est nettement majoritaire puisqu’on estime que de 95 à 99% des microorganismes sont organisés sous cette forme (Nikolaev and Plakunov 2007). Les biofilms sont ubiquitaires ; ils peuvent se développer sur n’importe quel type de surface biotique ou abiotique (Dunne and Dunne 2002). Ils sont ainsi retrouvés dans de nombreux écosystèmes naturels (eaux de rivières, racines des plantes, peau, tractus intestinal …), dans le domaine industriel (canalisations, systèmes de filtration) ainsi que dans le domaine médical (plaies chroniques, prothèses, cathéters, sondes urinaires…). Ces deux derniers domaines sont concernés par le développement de biofilms dits indésirables (biofilms négatifs) entrainant des sérieux problèmes économiques et de santé publique. Ainsi, dans le domaine médical, des études estiment que 65% des infections bactériennes impliquent des biofilms (Lewis 2008). Ces infections peuvent notamment être liées à l’implantation de dispositifs médicaux tels que les cathéters vasculaires, les sondes des voies urinaires, les valves cardiaques ou les prothèses orthopédiques (Donlan 2001; Lebeaux et al. 2014; Römling et al. 2014) (Figure 1). Dans le secteur agroalimentaire, la présence de biofilms est à l’origine de la persistance de bactéries pathogènes dans les environnements industriels pendant de longues périodes, pouvant être à l’origine de sources de (re)contamination des aliments. Des études estiment que 60% des infections alimentaires sont liées à des contaminations croisées dues à un transfert de microorganismes adhérés sur des surfaces ou des équipements (Bridier et al. 2015). En plus des problèmes sanitaires, ces contaminations peuvent entrainer des modifications des qualités organoleptiques ou de la durée de conservation des produits finis (Van Houdt and Michiels 2010).
Formation des biofilms
Le processus de formation des biofilms est un processus complexe qui dépend de nombreux facteurs environnementaux (disponibilité en nutriments, teneur en oxygène, pH) ainsi que des propriétés intrinsèques des micro-organismes (Nikolaev and Plakunov 2007). De plus, les propriétés des surfaces (topographie, composition chimique, charge et hydrophobicité) influent sur les capacités d’adhésion bactérienne (Song et al. 2015). Bien que les mécanismes mis en jeu lors du passage des bactéries de la forme planctonique (libre en solution) à la forme sessile (attachée à une surface) varient en fonction des espèces et des conditions environnementales, les biofilms partagent tous les mêmes étapes de développement.
– Transport des bactéries et film conditionnant
Dans les conditions naturelles, les surfaces immergées sont recouvertes de molécules organiques (protéines, glucides, lipides…) formant un film appelé film conditionnant ou primaire. Selon les propriétés chimiques et physiques du support, ce film primaire change les propriétés de la surface, favorisant plus ou moins l’adhésion bactérienne (Flemming 2014). Les molécules adsorbées représentent également une source de nutriment pour les bactéries, favorisant ainsi leur transfert vers la surface par chimiotactisme. L’approche des bactéries vers la surface à coloniser peut-être active ou passive. Dans le cas des bactéries mobiles, le déplacement vers la surface à coloniser se fait par un mécanisme actif dû à la présence de flagelles. Le transport passif quant à lui dépend du milieu environnant (viscosité par exemple) et des mouvements de ce dernier (écoulement, sédimentation, …) (Song et al. 2015).
– Adhésion sur le support
Lorsque les conditions sont favorables, les cellules en état planctonique se fixent à la surface. Cette adhésion est dans un premier temps réversible, de faibles forces mécaniques peuvent détacher les bactéries. Les liaisons mises en jeu sont des liaisons faibles de type van der Walls, stériques ou électrostatiques (Dunne and Dunne 2002). Les appendices cellulaires tels que les pili et les flagelles contribuent également à cette adhésion cellulaire (Persat et al. 2015). L’adhésion devient ensuite irréversible, lorsque les forces d’attraction sont plus fortes que celles de répulsion. Dans cette étape, les cellules perdent leur capacité de mouvement , adhèrent entre elles, et commencent à sécréter des EPS (Nikolaev and Plakunov 2007).
– Développement du biofilm
Une fois que les bactéries ont adhéré au support, elles vont se multiplier activement afin de former un biofilm mature. L’augmentation de la biomasse cellulaire et l’agrégation des cellules entre elles conduisent à la formation de microcolonies. Ces changements induisent l’expression de gènes spécifiques, avec notamment une sécrétion abondante d’EPS pour former la matrice extracellulaire (Gupta et al. 2016). Les interactions entre les exopolymères, entre les cellules et entre les cellules et les EPS permettent de maintenir la cohésion de l’ensemble. Les bactéries coordonnent leur comportement cellulaire grâce à l’émission et la réception de signaux extracellulaires en fonction de leur densité (mécanisme du quorum sensing, QS) et de la perception de paramètres environnementaux (Papenfort and Bassler 2016). De plus, le second messager intracellulaire, di-GMP cyclique (di-guanosine monophosphate cyclique) joue un rôle central pour le passage en mode de vie biofilm (Maunders and Welch 2017). La formation de cavités et de canaux permet le transport des substances nutritives, de l’eau, des signaux de communication cellulaire et de l’oxygène à travers la structure du biofilm. Ces canaux jouent également un rôle dans l’élimination des sous-produits du métabolisme dont l’accumulation pourrait être nocive pour les bactéries (Donlan 2002; Allison 2003). La structure s’épaissit au fur et à mesure, et peut atteindre une épaisseur de plusieurs centaines de µm (Gupta et al. 2016). Des structures spécifiques se forment parfois, comme, par exemple, des formes en champignons (mushroom) dans le cas de certaines souches de P. aeruginosa (Ghafoor et al. 2011). Un biofilm a donc une organisation spatiale tridimensionnelle, permettant des échanges (information génétique, nutriments) et une coopération entre les micro-organismes présents. La capacité des bactéries à croître reste limitée par la disponibilité et la diffusion des nutriments et de l’oxygène à travers la matrice extracellulaire.
– Détachement et dispersion des bactéries
Lorsque les conditions environnementales deviennent défavorables, un détachement passif peut survenir par des phénomènes d’érosion (Coughlan et al. 2016). La dispersion peut aussi être active, sous le contrôle du quorum sensing. Des modifications génétiques sont induites, entrainant le retour à la forme planctonique, avec expression des appendices moteurs, flagelles et pili (McDougald et al. 2012; Solano et al. 2014). La sécrétion d’enzymes lytiques qui dégradent les constituants de la matrice (protéases, DNases) contribuent à faciliter cette dissémination par déstructuration des composés cohésifs de la matrice. Les cellules planctoniques et/ou des agrégats libérés du biofilm peuvent ensuite coloniser de nouvelles surfaces.
Composante matricielle des biofilms
La matrice du biofilm est un système complexe et dynamique dans le temps et l’espace qui représente de 50% à 90% de la masse organique carbonée du biofilm. Cette matrice est fortement hydratée et peut contenir jusqu’à 97% d’eau. En plus de l’eau, la matrice est constituée d’une association complexe de molécules sécrétées, les EPS, mais aussi de nutriments, de métabolites, de produits de lyse cellulaire et d’autres éléments du milieu environnant (Allison 2003; Coughlan et al. 2016). Les EPS sécrétées par les cellules bactériennes ont un rôle essentiel dans la formation et l’architecture du biofilm. Ces EPS peuvent être de différentes natures : des protéines extracellulaires (ePN), des exopolysaccharides (ePS), de l’ADN extracellulaire (eDNA) ainsi que des lipides (Branda et al. 2005). La nature des EPS peut considérablement varier selon les microorganismes et l’environnement dans lequel se trouve le biofilm. De plus, bien que de nombreuses études lui soient consacrées, la matrice est encore parfois nommée la « matière noire » du biofilm (Flemming and Wingender 2010), du fait de la très grande variété de polymères qui la constituent ainsi que des difficultés expérimentales pour leur extraction et leur analyse.
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1-Revue bibliographique
1 Description des biofilms bactériens
Les biofilms
Définition
Formation des biofilms
Composante matricielle des biofilms
Exopolysaccharides
Exoprotéines
ADN extracellulaire
Composante cellulaire des biofilms
Structure de l’enveloppe bactérienne
La croissance cellulaire
A. En mode planctonique
B. En mode biofilm
Persistance des biofilms
2 Décontamination par les technologies Plasma froid et LED UV-C
Les plasmas froids
Description générale
Plasmas froids à la pression atmosphérique
Domaines d’application des plasmas froids
2.1.3.1 Mécanismes d’action des plasmas froids sur les bactéries
2.1.3.2 Inactivation des micro-organismes sous la forme planctonique
2.1.3.3 Inactivation des micro-organismes sous la forme de biofilm
Les diodes électroluminescentes (LED) dans les ultraviolets C
Les ultraviolets
Les diodes électroluminescentes (LEDs)
Applications des ultraviolets C pour la décontamination
2.2.3.1 Les mécanismes d’action des UV-C
2.2.3.2 Limitations de l’effet bactéricide des UV-C
2.2.3.3 Applications des LED UV-C sur des bactéries planctoniques
2.2.3.4 Application des LED UV-C sur des biofilms
3 Méthodes d’analyse de l’efficacité anti-biofilms
Méthodes d’analyse de la composante cellulaire
Dénombrement des cellules viables par culture
Kit Live & Dead® (Propidium iodide et SYTO 9)
Méthode moléculaire de viabilité qPCR (v- qPCR)
3.1.3.1 Principe des méthodes moléculaires qPCR et viabilité qPCR
3.1.3.2 Les marqueurs EMA/PMA et leur chimie
3.1.3.3 Paramètres à contrôler pour les applications de l’EMA/PMA vqPCR
3.1.3.4 Application de la viabilité q-PCR sur biofilms
Méthode basée sur l’activité métabolique – Résazurine
3.1.4.1 Chimie de la résazurine
3.1.4.2 Paramètres à contrôler lors de l’essai résazurine
3.1.4.3 Application aux biofilms modèles mono-espèces
4 Souches modèles
Pseudomonas aeruginosa
Taxonomie et caractéristiques physiologiques
Habitat et pouvoir pathogène
La souche P. aeruginosa ATCC 15442
Leuconostoc citreum
Taxonomie et caractéristiques physiologiques
Habitat et utilisation
Conclusion générale