En 2020, la pandémie du coronavirus SARS-CoV-2 a frappé le monde, contraignant les populations à se confiner chez elles. Mais comment rester à la maison lorsqu’on n’a pas ou plus de chez soi ?
Le sans-abrisme favorise les épidémies : surpeuplement des lieux d’hébergement (chambres multiples dans les foyers d’hébergement, squats, bidonvilles), manque d’hygiène, vulnérabilité somatique, maladies chroniques, prévalence des troubles psychiatriques et addictions, difficultés d’accès aux soins, éloignement des services d’aides… Dans ce contexte, une étude s’est construite autour de l’hypothèse que l’infection COVID-19 pourrait entraîner une morbi-mortalité importante parmi la population sans-abri de Marseille : l’étude COVID-homeless, menée par un groupe de chercheurs et d’investigateurs de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM), en partenariat avec Médecins du Monde, qui a été financée par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) et a débuté en juin 2020.
DEFINITION DU SANS-ABRISME
Les sans-abris forment une population hétérogène aux contours extrêmement variés, faiblement définis juridiquement et difficilement quantifiables. Ils ne forment pas un groupe social homogène distinct du reste de la population. Les termes utilisés pour aborder le phénomène sont nombreux. Les enjeux de définition sont donc importants, tant méthodologiques que politiques (pauvreté, logement, sécurité, santé publique, immigration, …). Il y a cependant un point commun à ces citoyens : l’hébergement est déficient ou inadapté. Dans le cadre de l’enquête menée en 2012 auprès des personnes fréquentant les lieux d’hébergement ou de restauration gratuite, l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) qualifie une personne de « sans-domicile » un jour donné si la nuit précédente elle a eu recours à un service d’hébergement ou si elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune) (1). Ainsi, la population sans-abri n’est pas superposable à la population sans-domicile, car cette définition, en plus de s’appuyer sur un critère temporel immédiat, ne prend pas en considération les personnes vivant dans des conditions de grande précarité (hébergées par un tiers, squats, logements particulièrement dégradés ou insalubres, hôtels, …). On comprend aisément qu’un sans-abri soit sans domicile fixe mais il n’est pas évident d’admettre qu’un sans-domicile fixe ait un abri, qu’un marginal puisse travailler, qu’un mendiant ait un revenu, qu’un vagabond ait une adresse, etc.
Utilisé par des chercheur(e)s en sciences sociales, par des hommes et femmes politiques ainsi que par des associations et fédérations associatives, le terme de « sansabrisme » reste encore nouveau et fait parfois l’objet d’incompréhensions. S’il se veut être la traduction littérale du terme « homelessness », il ne correspond pas à une « super notion » qui engloberait l’ensemble des nombreuses catégories disponibles pour décrire, expliquer et comprendre le phénomène en France. Selon l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) dans la Lettre de Novembre 2018 (2), le terme de « sans-abrisme » rend compte d’un choix théorique qui ne vise pas un type particulier de population mais qui identifie une situation problématique, celle de la « vulnérabilité de l’habiter » des personnes, et les diverses façons dont ce problème est, dans une société donnée, défini, pris en compte et pris en charge (que ce soit par les pouvoirs publics ou la société civile). En cela, ce terme, sans préjuger des types de groupes concernés par ce problème, bien qu’ils soient majoritairement issus des classes populaires, désigne des situations liées à l’expérience des « habitats précaires ». En particulier, les personnes qui sont hébergées dans des institutions d’urgence ou d’insertion ou qui vivent dans des abris précaires peuvent donc être désignées comme en situation de sans-abrisme. Cette acception du terme de « sans-abri » est donc beaucoup plus large que celui de l’INSEE qui le mobilise pour désigner les personnes qui dorment « dans un lieu non prévu pour l’habitation ». Par ailleurs, le sans-abrisme, à la différence de la catégorie de « mal-logement », ne met pas seulement l’accent sur l’absence de logement mais sur la question de l’habiter et sa fragilité spatiale, matérielle et temporelle.
Une définition du sans-abrisme est cependant nécessaire pour servir de cadre à l’interconnaissance et aux débats, aux initiatives de collecte de données, à la recherche et à l’élaboration de politiques de lutte contre l’exclusion liée au logement (3). Le problème est la multiplicité des situations du sans-abrisme, propre à chaque pays, avec des dispositifs d’aide et des normes socio-culturelles interagissant sur le phénomène de sans-abrisme (3).
C’est pour cela que la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri (FEANTSA) propose une typologie plus qu’une définition, qui évalue le rapport de la personne avec son hébergement, qu’il soit pérenne ou non pérenne, en adéquation ou pas. C’est une fédération d’organisations à but non lucratif qui participent et contribuent à la lutte contre l’exclusion liée au logement en Europe. Il s’agit du seul grand réseau européen qui se concentre exclusivement sur le sans-abrisme. Il réalise des études transnationales sur le sans abrisme et l’exclusion liée au logement. La FEANTSA distingue les sans-abris (dormant à la rue), les sans logement (avec un abri mais provisoire), les en logement précaire (menacé d’exclusion sévère en raison de baux précaires, d’expulsions, de violences domestiques) et les en logement inadéquat (dans des caravanes sur des sites illégaux, en logement indigne, dans des conditions de surpeuplement sévère).
Ces distinctions ont été explicitées au travers de la typologie européenne du sansabrisme et de l’exclusion liée au logement (ETHOS), afin de fournir un cadre commun pour discuter du sans-abrisme (4). Elle dérive d’un concept de logement composé de trois domaines (physique, social, légal/juridique), dont l’absence d’un d’entre eux pourrait constituer une forme d’exclusion liée au logement. En effet, le fait d’avoir un logement peut être interprété comme :
• avoir une habitation adéquate qu’une personne et sa famille peuvent posséder exclusivement (domaine physique) ;
• avoir un lieu de vie privée pour entretenir des relations sociales (domaine social) ;
• avoir un titre légal d’occupation (domaine juridique).
ETHOS classe donc les personnes sans domicile en fonction de leur situation de vie ou de logement. Ces catégories conceptuelles sont divisées en 13 catégories opérationnelles qui peuvent être utiles sur le plan de l’élaboration, du suivi et de l’évaluation de politiques de lutte contre l’exclusion liée au logement. Cette classification « situationnelle » rend compte d’un premier niveau d’hétérogénéité des sans-abris. Le sans-abrisme se caractérise également par une mobilité entre ces catégories : cette description met en lumière les situations d’hébergement qui peuvent changer rapidement dans un sens comme dans l’autre. L’ETHOS a été traduite dans la plupart des langues de l’Union Européenne et est utilisée et acceptée par de plus en plus de gouvernements, chercheurs et organisations un peu partout en Europe.
QUANTIFICATION DU SANS-ABRISME
Il n’existe aucun chiffre précis et récent concernant les sans-abris, car ils sont souvent exclus des statistiques (5). D’après les données de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les personnes sans domicile représenteraient moins de 1% de la population des 35 pays inclus dans son rapport, ce qui concerne de fait un total important de 1,9 millions de personnes (6).
L’INSEE et l’Institut National d’Études Démographiques (INED) ont publié « L’Enquête Sans-domicile 2012 » réalisée en janvier-février 2012 auprès de personnes sans domicile vivant dans les agglomérations d’au moins 20 000 habitants de France métropolitaine et usagers de services d’aide (centres d’hébergement, hôtels et logements payés par une association, gymnases plan grand froid, communautés de travail, centres maternels, halte de nuit, distribution de repas) (1). L’enquête a dénombré :
– dans les agglomérations de 20 000 habitants ou plus : 81 000 sans domicile parmi les 103 000 adultes utilisateurs des services d’hébergement ou de restauration, dont 36 000 nés en France et 45 000 nés à l’étranger ; 30 000 enfants
– dans les agglomérations de moins de 20 000 habitants : 8 000 sans domicile
– 22 500 personnes en centre pour demandeurs d’asile Soit au total 141 500 sans domicile, ce qui représente une augmentation de 50% depuis 2001.
La Fondation Abbé Pierre publie chaque année un rapport présentant une estimation du nombre de personnes mal logées en France, à partir de chiffres issus de l’enquête de l’INSEE de 2012 et de l’actualisation de données administratives. Au total, la France compterait 4,1 millions de personnes mal logées ou sans logement personnel en 2020 (7). Parmi les 1 068 000 personnes privées de logement personnel, la Fondation Abbé Pierre estime à 300 000 le nombre de personnes sans domicile, qu’elles vivent en hébergement généraliste, en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA), à l’hôtel, en abri de fortune ou à la rue ; un chiffre qui a triplé par rapport à 2001 et doublé par rapport à 2012. Le recensement de la population dénombrait en outre, en 2017, 100 000 personnes en habitations de fortune tandis que 24 733 personnes vivaient à l’hôtel en 2013 par leurs propres moyens. Parmi les personnes privées de logement personnel apparaissent enfin 643000 personnes hébergées chez des tiers de manière très contrainte. Ensuite, les mal-logés se composent de 2 819 000 personnes vivant dans des conditions de logement très difficiles du point de vue du confort et 934 000 personnes vivent en surpeuplement dit « accentué », c’est-à-dire qu’il leur manque deux pièces par rapport à la norme de peuplement. On peut ajouter à ces chiffres 23 000 résidents de foyers de travailleurs migrants en attente de rénovation, dans des conditions de vétusté parfois dramatiques. Enfin, on estime que 208 000 personnes en habitat mobile vivent dans de mauvaises conditions.
A Marseille en 2016 (8), on estimait à 14 063 le nombre de personnes différentes qui se sont retrouvées au moins une fois en situation d’être sans abri dans l’urgence et ont eu accès à un lieu d’accueil ou de soin à bas seuil d’exigence où leur situation a été reconnue comme telle. Cette population était composée de 73,9% d’hommes majeurs, 18,5% de femmes majeures et 7,6% de mineurs. Parmi la population adulte, plus de la moitié (51,4%) avait moins de 40 ans et 8,72% avaient plus de 60 ans.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
A. DEFINITION DU SANS-ABRISME
B. QUANTIFICATION DU SANS-ABRISME
C. MORTALITE DES SANS-ABRIS
1. DONNEES INTERNATIONALES
2. DONNEES FRANÇAISES
D. PERCEPTION DE L’ETAT DE SANTE PAR LES SANS-ABRIS
E. RENONCEMENT AUX SOINS
F. PARCOURS DE SOINS
G. COMORBIDITES FREQUENTES DES SANS-ABRIS
1. TROUBLES PSYCHIATRIQUES
2. ADDICTIONS
3. INFECTIONS
4. PATHOLOGIES CARDIO-VASCULAIRES
H. MULTIMORBIDITE
II. MATERIEL ET METHODE
A. TYPE DE L’ETUDE
B. POPULATION DE L’ETUDE
C. LIEU D’ETUDE
D. CRITERES D’INCLUSION
E. CRITERES DE SORTIE D’ETUDE
F. DEROULEMENT DE L’ETUDE
1. ENREGISTREMENT DES PARTICIPANTS
2. RECUEIL DU CONSENTEMENT DU PATIENT : VOIR CI-APRES
3. TEST COVID
4. ÉVALUATION INITIALE A L’INCLUSION ET RECUEIL DES DONNEES
5. PROCEDURES DE SUIVI DES PARTICIPANTS
6. DUREE DU SUIVI
G. CRITERE D’EVALUATION PRINCIPAL
H. CRITERES SECONDAIRES
I. TAILLE ET REPRESENTATIVITE DE L’ECHANTILLON
J. TRAITEMENT DES DONNEES
1. RECUEIL ET SAISIE DES DONNEES, SUIVI DE L’ETUDE, MONITORING
2. GESTION DES DONNEES
3. ANALYSES STATISTIQUES
K. GOUVERNANCE
L. GESTION DES EVENEMENTS INDESIRABLES GRAVES
M. ASPECTS LEGAUX ET ETHIQUES
1. INFORMATION ET NON OPPOSITION
2. LOI INFORMATIQUE ET LIBERTES
III. RESULTATS
IV. DISCUSSION
A. REPRESENTATIVITE DE L’ECHANTILLON
B. ANALYSE DES COMORBIDITES
1. TROUBLES PSYCHIATRIQUES ET ADDICTIONS
2. TABAC
3. DIABETE
4. OBESITE
5. DYSLIPIDEMIE
6. HTA
7. PATHOLOGIES CARDIO-VASCULAIRES
8. INFECTIONS
9. DERMATOLOGIE
10. BRONCHO-PULMONAIRE
11. MUSCULO-SQUELETTIQUE
12. CANCER
C. MULTIMORBIDITE
D. COVID-19
E. POINTS FORTS DE L’ETUDE COVID-HOMELESS
F. POINTS FAIBLES DE L’ETUDE COVID-HOMELESS
V. CONCLUSION
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