Les soins de santé primaires (« soins de premier recours », « primary (health) care») ont été définis, par l’Organisation mondiale de la Santé à Alma-Ata en 1978, afin de répondre à un objectif de justice sociale et doivent garantir à tous un accès égal aux soins (1). Ils viennent d’être réaffirmés par la déclaration d’Astana en 2018 comme la pierre angulaire de tous les systèmes de santé. (2) En France, les soins primaires trouvent leur définition en 2009 dans la loi Hôpital Patient Santé et Territoire(HPST)(3). Ils englobent plusieurs domaines :
– la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients ;
– la dispensation et l’administration des médicaments, produits et dispositifs médicaux, ainsi que le conseil pharmaceutique ;
– l’orientation dans le système de soins et le secteur médico-social ;
– l’éducation pour la santé.
Cette loi aboutit alors à la création des Agences Régionales de Santé (ARS). Dans la continuité de la Loi HPST, la Loi de modernisation de notre système de santé de 2016 (4) a redéfini les soins primaires et organisé les soins sur de nouveaux territoires avec de nouvelles instances, en instaurant notamment le service territorial de santé au public, avec par exemple les Plateformes Territoriales d’Appui (PTA). La perspective actuelle est donc de considérer les soins de santé primaires comme le premier niveau de contact de la population avec le système de santé sur un territoire de proximité.
La Stratégie nationale de santé 2018-2022 appelée Ma Santé 2022 (5) et la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (6) affichent clairement leur intention d’organiser l’articulation entre la médecine de ville, le médico-social et la médecine hospitalière pour mieux répondre aux besoins de soins de proximité. Les dispositifs comme les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), les équipes de soins primaires (ESP) et les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) (7) sont autant de modèles d’exercice coordonnés et sont de nature à concrétiser cette démarche, avec le soutien des PTA.
Ces dispositifs regroupent des professionnels de santé exerçant en ambulatoire en équipe de soins pluriprofessionnelle, dans un lieu unique ou non, autour d’un projet de santé commun afin d’assurer la continuité des soins. (8) L’exercice coordonné des soins de premier recours favorise les échanges et la coordination entre les professionnels de santé, pour une meilleure prise en charge du patient. (9) Ce mode d’exercice offre également un cadre d’exercice attractif pour les professionnels de santé, et notamment dans les territoires caractérisés par une faible densité de professionnels. Il permet enfin de garantir l’accès aux soins dans ces mêmes territoires. Les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé sont une des formes d’exercice coordonné qui existe en France. Une CPTS regroupe les professionnels d’un même territoire qui souhaitent s’organiser, à leur initiative, autour d’un projet de santé pour répondre à des problématiques communes. Elle privilégie une approche populationnelle, le projet de santé visant à organiser les réponses à un ou plusieurs besoins de santé repérés au préalable sur le territoire d’exercice. Elle est constituée de l’ensemble des acteurs de santé : professionnels de santé de ville, qu’ils exercent à titre libéral ou salarié, établissements de santé, servicessociaux, établissements et services médico-sociaux, acteurs de la prévention ou de la promotion de la santé. La CPTS a trois missions socles. La première est de faciliter l’accès aux soins des patients à travers deux leviers : faciliter l’accès à un médecin traitant et améliorer la prise en charge des soins non programmés en ville. La deuxième porte sur l’organisation des parcours des patients en vue d’assurer une meilleure coordination entre les acteurs, d’éviter les ruptures de parcours et de favoriser autant que possible le maintien à domicile des patients. La troisième concerne la prévention en santé, et englobe un ensemble d’actions de prévention sur un territoire. Elle a également d’autres missions annexes telles que la mise en place de démarches sur la qualité et la pertinence des soins, ainsi qu’un travail sur l’attractivité de son territoire .
La création d’une CPTS commence par une réflexion sur le projet de santé de celle-ci. Il précise le territoire d’action de la CPTS, les besoins identifiés, les actions proposées pour y répondre, les modalités de travail pluriprofessionnel et les modalités d’évaluation. Ce projet est un prérequis à la contractualisation entre les professionnels et l’ARS.(10) La CPTS peut juridiquement prendre toute forme d’organisation, bien le plus souvent il s’agit d’une association (loi 1901). (11) Elles trouvent leur financement avec l’Accord Conventionnel Interprofessionnel signé en 2019, qui varie en fonction de la taille de la communauté de patients. Il s’agit d’un accord entre la CPTS, l’assurance maladie et l’ARS. Il existe 4 tailles de CPTS selon le nombre d’habitants sur le territoire défini. À titre indicatif cette somme annuelle peut varier de 220 000€, pour une communauté de moins de 40 000 patients, à 450000€ pour celle de plus de 175 000 habitants. (12)
La CPTS n’est pas une offreuse de soins, mais a pour vocation d’améliorer la coordination entre les professionnels et les structures de soins du territoire. En effet, nous constatons actuellement une augmentation du nombre de MSP (174 en 2012 contre 910 en 2017). (13) Parallèlement, le taux de patients déclarés en Affection Longue Durée en 2017 s’élève à 17% des affiliés au régime général de l’Assurance Maladie. (14) Le besoin d’un parcours fluide et coordonné par des professionnels de santé décloisonnés est plus que jamais d’actualités. Les CPTS ont pour objectif de répondre à ce besoin.
CPTS l’inconnue
Pour tous les MG interrogés, la définition d’une CPTS est floue. La plupart ont bien reçu l’information de la création de cette dernière sur leur territoire. Pourtant au fil des entretiens nous comprenons que la CPTS est une inconnue. Il leur est difficile d’exprimer les attentes et les craintes vis-à-vis de celle-ci puisqu’ils n’en comprennent pas le fonctionnement. Médecin B « Je sais pas trop de quoi ça va parler, CPTS c’est un peu … »
Il ressort des entretiens trois principales interrogations sur les CPTS.
• A-t-on le choix de sa CPTS ?
La première est de savoir si le médecin peut choisir sa CPTS. Ils ne sont pas informés qu’une CPTS correspond à un territoire donné. En faisant partie de ce territoire ils pourront adhérer à la CPTS correspondante. Médecin B « C’est local de toute façon, t’as pas le choix de ta CPTS ? » Médecin F « est-ce que simplement le fait d’être installé sur le territoire euh fait qu’on est finalement automatiquement adhérent à la CPTS ? »
• Comment fonctionne le réseau ?
Les médecins s’interrogent sur le fonctionnement global de la CPTS et sur la manière dont ils vont avoir accès aux outils proposés. Médecin C « je pense que je serai pas complètement fermée à ce genre de chose hein. Après je sais pas du tout comment ça peut marcher, comment ci, comment ça, voilà »
Médecin D « C’est une euh … on fait partie d’un espèce de réseau en fait, les gens pourront euh picorer tout ce qu’ils veulent à un moment où ils veulent. (Petit rire) »
• A-t-on des obligations vis-à-vis de cette CPTS ?
Les MG s’interrogent sur les obligations qui vont découler de leur adhésion au projet. Médecin F « Je sais pas est-ce qu’il faudrait être adhérent, faire une demande d’adhésion à la CPTS ? Est-ce que cette adhésion impliquerait des obligations vis-à vis de cette CPTS ? (…) Oui là il y a des interrogations, qu’elles sont nos obligations vis-à-vis de cette organisation ? » Ils sont principalement craintifs vis-à-vis d’une obligation à participer aux gardes dans une maison médicale de garde en cours de création sur ce territoire. Ils ne veulent pas se voir imposer des gardes supplémentaires à celles qu’ils font déjà pour la permanence de soin sur leur commune. Ils n’aiment pas l’idée de devoir intégrer un lieu inconnu et un logiciel médical différent du leur. Médecin A « tiens, y a une maison à Carpentras qui va se créer et j’irai surement pas ! Je veux pas faire de l’abattage euh prendre des gens qui sont là et en plus non. Moi j’ai mon cabinet je paye le loyer du cabinet pourquoi j’irai là-bas me déplacer euh pffff non non ! Dans des conditions et des horaires qui me conviennent pas, non. Avant, je sais pas ce qui vont leur donner comme salle mais bon a priori c’est pas forcément avec le soleil avec la nature et avec euh voilà…. Et puis mon système informatique ça marche tout seul, je vais pas aller m’emmerder encore avec des systèmes… voilà » Médecin C « je pense que si on allait là-bas ce serait quand même des gardes peut être moins nombreuses, mais euh beaucoup plus chargées. Donc je pense qu’il y en a qui ont pas envie de faire ça non plus. Moi je sais pas, je crois que je ferai ce qu’on me dira de faire, je suis adaptable et puis point barre.
Chronophage
Les médecins pensent que l’implication dans un nouveau projet peut être chronophage. Leur temps est précieux et ils ne veulent pas en perdre avec cette organisation qu’ils ne comprennent pas et qui semble sans grand intérêt au vu des informations reçues. Médecin B « Au niveau du temps que ça va prendre ? Peut être, j’attends de voir. Bah en fait j’aurais tendance à me dire je me méfie de là ou je mets les pieds à partir de maintenant parce que je sais que effectivement, je connais ma situation actuelle, je sais pas vers ou je vais, si je veux m’engager » Médecin C « oui, mais ça veut dire quand même une implication hors le cabinet un peu plus importante. Un temps plus important à faire autre chose, ce qui peut être bien hein, mais voilà c’est encore du temps. Parce que notre temps il est un peu compté » Avec cette nouvelle organisation, ils pensent qu’une charge administrative de plus pourrait s’ajouter. Médecin E « Pour moi, si vous voulez et pour beaucoup de gens, tout ce qui est gestion ARS c’est de l’administration, c’est de l’administration euh … administrative tout simplement » Et les médecins généralistes n’apprécient pas les tâches administratives. Médecin A « moi j’ai pas fait médecine pour faire du secrétariat médical ! » Médecin B « ça c’est vraiment le truc j’ai pas envie d’y consacrer du temps parce que … l’administratif comme ça, ça me gave ! ».
|
Table des matières
I. Introduction
II. Méthodologie
III. Résultats
A. Description de l’échantillon de médecins interrogés
B. Les freins
1. CPTS l’inconnue
2. Chronophage
3. La fin du libéral
4. Qu’est-ce qu’on nous propose de nouveau ?
C. Les leviers
1. Améliorer l’organisation entre médecins généralistes
2. Améliorer la communication entre professionnels
3. Trouver un successeur
4. Une aide pour améliorer la prise en charge des patients
IV. Discussion
A. Forces et limites de l’étude
B. Discussion des résultats
1. Les freins
2. Les leviers
V. Conclusion
VI. Bibliographie
VII. Annexes
Télécharger le rapport complet