Selon la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP [1]), les soins palliatifs consistent en « des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire, en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. » Ils sont à destination de «patients atteints de maladie grave, chronique, évolutive ou terminale mettant en jeu le pronostic vital, en phase avancée ou terminale, quel que soit l’âge du patient» ainsi qu’à leur famille et proches. Ainsi, l’accompagnement en soins palliatifs vise avant tout à traiter les symptômes et préserver la qualité de vie du patient jusqu’à sa fin de vie, en considérant ses volontés et souhaits dans le projet de soins.
Les soins palliatifs font partie intégrante des prises en charge dans les Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD). Un volet « soins palliatifs » est d’ailleurs présent dans 68 à 82 % des projets d’établissement, moyenne variant selon les caractéristiques des structures (public hospitalier ou non, et privé à but lucratif ou non) [2]. Ces institutions sont un lieu de vie mais également un lieu de fin de vie. En effet, avec près de 150 000 décès par an dans les EHPAD en France et plus de 585 000 résidents pour 7400 établissements (enquête EHPA de la DREES – année 2015) [2,3], la question de la fin de vie est indissociable du projet de soins global au sein de ces structures en vue d’une meilleure qualité des soins. Trois-quarts des résidents décèdent dans leur EHPAD, avec une durée moyenne de séjour de 3 ans et 6 mois .
Les résidents d’EHPAD présentent en moyenne 7,9 pathologies, souffrent d’une maladie chronique non stabilisée dans 37 % des cas, et sont dépendants dans 9 cas sur 10 (53 % dans les catégories GIR 1 – 2 et 34 % dans les catégories GIR 3 – 4) [5]. Concernant les pathologies des résidents, 79 % ont au moins une maladie cardiovasculaire, 10 % présentent un cancer et 50 % sont atteints de démence telle que la maladie d’Alzheimer. Cette prévalence des troubles neurocognitifs majeurs est probablement sous-estimée, ce diagnostic étant omis chez plus d’un patient sur deux [6]. En effet, d’autres études rapportent une prévalence de la démence en EHPAD de l’ordre de 80 % [7]. En se basant sur ces éléments et en considérant les trajectoires de fin de vie décrites par Murray [8], on peut rattacher le profil des résidents d’EHPAD à la troisième trajectoire, à savoir un déclin lent et progressif des capacités fonctionnelles jusqu’au décès, dans un contexte de fragilité, de polypathologies et de troubles neurocognitifs majeurs. Pour autant, en raison des comorbidités associées, les trajectoires de fin de vie 1 (déclin rapide et brutal dans le cancer) et 2 (insuffisance d’organe chronique et décompensations aiguës) peuvent également être décrites.
Méthodologie
Critères d’inclusion
Cette étude rétrospective descriptive portait sur les résidents d’EHPAD adressés aux urgences du CHU de Rouen et décédés précocement durant leur séjour hospitalier. Les critères d’inclusion des patients étaient : être résident d’un Établissement d’Hébergement pour Personnes âgées Dépendantes, être décédé dans un service du CHU de Rouen entre le 01 janvier 2017 et le 31 décembre 2019 après une admission aux urgences (site de Charles-Nicolle à Rouen et site de Saint-Julien à Le Petit-Quevilly), être décédé précocement, c’est-à-dire moins de soixante-douze heures après le début de l’hospitalisation. La définition du décès précoce n’est pas consensuelle dans littérature. Quelques études rapportent une proportion élevée (32,6 à 53,8 %) de décès en moins de 3 jours parmi les résidents d’EHPAD décédés au cours d’une hospitalisation [9,17]. Notre hypothèse était que la plupart de ces décès précoces seraient survenus quelle que soit la prise en charge proposée, hospitalière ou non. Ainsi, le transfert aux urgences depuis l’EHPAD aurait été potentiellement évitable.
Recueil des données
Les résidents d’EHPAD ont été sélectionnés à partir de la liste de l’ensemble des décès intra-hospitaliers à la suite d’une admission aux urgences du CHU entre 2017 et 2019. Pour cela, l’adresse du domicile renseignée dans les données administratives de chaque patient (dossier médical informatique) a été comparée à l’adresse des différents EHPAD de la région (avec l’aide de la base de données FINESS – Fichier National des Établissements Sanitaires et Sociaux).
Le délai de survenue du décès a ensuite été calculé par la différence entre la date d’entrée aux urgences (jour et heure d’entrée) et la date du décès. Les patients décédés en moins de soixante-douze heures ont été inclus dans l’étude et classés en trois catégories : décès en moins de vingt-quatre heures (< 24h), décès entre vingt-quatre heures et moins de quarante-huit heures (24 – 48h), décès entre quarante-huit heures et moins de soixante-douze heures (48 – 72h).
Les données suivantes ont été recueillies dans l’observation médicale des urgences ainsi que dans le dossier médical informatique de chaque patient (logiciel CDP2 du CHU de Rouen regroupant les comptes rendus des hospitalisations et consultations antérieures) :
– Les antécédents médicaux ciblés sur les principales pathologies chroniques et / ou évolutives : maladies neurodégénératives (démence / troubles neurocognitifs majeurs, maladie de Parkinson, autre maladie neurodégénérative), cancer ou hémopathie maligne évolutifs, pathologies cardio-vasculaires (hypertension artérielle, AVC, artériopathie oblitérante des membres inférieurs, coronaropathie, fibrillation atriale, troubles de conduction cardiaque, valvulopathie), insuffisance d’organe chronique (cardiaque, rénale, respiratoire), BPCO, cirrhose hépatique, diabète.
– L’existence d’une dénutrition considérée sur des paramètres biologiques (dosage sanguin de l’albumine récent et inférieur à 35 g/L [18]) ou sur la notification d’une dénutrition dans le dossier clinique.
– Le niveau de dépendance selon la classification GIR, avec une valeur comprise entre 1 et 6. Plus le score GIR se rapproche du chiffre 1, plus la dépendance est importante : les patients GIR 1 et 2 sont fortement dépendants, les patients GIR 3 – 4 sont partiellement dépendants et les patients GIR 5 – 6 faiblement dépendants à indépendants [Annexe 2].
– Le motif d’hospitalisation, l’horaire d’arrivée aux urgences, la cause et le lieu de décès (urgences ou service hospitalier d’aval).
– L’évaluation de la douleur à l’arrivée au SAU avec le recours aux échelles d’autoou hétéro-évaluation.
– La prise en charge médicale aux urgences, à savoir : manœuvres de réanimation cardio-respiratoire, ventilation (intubation orotrachéale, ventilation non invasive, oxygénothérapie), remplissage vasculaire, usage d’amines vasoactives, antibiothérapie, orientation vers une prise en charge symptomatique exclusive d’emblée et les molécules utilisées à visée symptomatique (antalgiques, sédatives et / ou anxiolytiques, antisécrétoires).
– La réflexion sur les objectifs de soins, anticipée ou non : réflexion sur une limitation de soins tracée dans l’observation médicale des urgences, avis de l’équipe mobile de soins palliatifs ou de gériatrie durant le séjour, existence de directives anticipées ou fiche Urgence Pallia rattachée au dossier informatique (fiche d’orientation des soins à destination du SAMU afin de guider une prise en charge urgente chez un patient en soins palliatifs).
Facteurs associés à une limitation de soins
Les caractéristiques des patients ayant une limitation de soins tracée dans l’observation médicale des urgences ont été comparées à celles des patients n’ayant pas de limitation notifiée.
Analyses statistiques
Les variables descriptives qualitatives et quantitatives ont été recueillies dans un tableur Microsoft Excel® et présentées soit en nombre (pourcentage), soit en moyenne +/- déviation standard. La comparaison des caractéristiques des patients ayant ou non une limitation de soins tracée dans l’observation médicale a été réalisée par un test t pour les variables quantitatives et un test du Khi2 pour les variables qualitatives (ou test de Fisher si les conditions du Khi2 n’étaient pas remplies). Afin d’identifier les facteurs indépendamment associés à une limitation de soins, une régression logistique a été réalisée incluant l’âge, le sexe, la présence de troubles neurocognitifs, d’un cancer et le niveau de dépendance. Les résultats sont présentés en odds-ratios (OR) et intervalle de confiance à 95%. Les valeurs de p ont été considérées comme significatives si inférieures à 0,05. Les statistiques ont été réalisées sous R Studio Version 1.4.1106®.
|
Table des matières
I. Abréviations
II. Introduction
III. Méthodologie
1- Critères d’inclusion
2- Recueil des données
3- Facteurs associés à une limitation de soins
4- Analyses statistiques
IV. Résultats
1- Description de la population
a) Critères généraux épidémiologiques
b) Pathologies chroniques et niveau de dépendance
2- Motifs et conditions d’admission aux urgences
3- Causes et lieux de décès
4- Évaluation de la douleur à l’arrivée au service d’admission des urgences
5- Principaux soins pratiqués aux urgences
6- Réflexion sur les objectifs de soins et anticipation
7- Comparaison des caractéristiques des patients selon l’existence d’une limitation de soins notifiée dans le dossier médical
8- Facteurs indépendamment associés à une limitation de soins
V. Discussion
VI. Conclusion
VII. Bibliographie
VIII. Annexes
Annexe 1 : Les trajectoires de fin de vie
Annexe 2 : Classification GIR
Annexe 3 : Fiche Urgence Pallia (ou SAMU Pallia)
Annexe 4 : Liste des EHPAD référencés parmi les séjours aux urgences entre 2017 et 2019 et nombre de décès en fonction de l’EHPAD de provenance