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Hétéro, proprio, boulot
En s’installant là où elles ont grandi, et où on les a vu grandir, ces jeunes vendéennes ne perpétuent pas uniquement la présence de telle ou telle famille dans le coin ; elles reconduisent également des modes de vie avec toutes les valeurs que cela comporte. Les carrières professionnelles sont ainsi très valorisées dans ce département qui compte l’un des taux de chômage les plus faibles de France46. Les normes de mise en couple sont elles aussi très présentes à travers le rôle traditionnel qui incombe aux femmes : en l’occurrence, être une épouse et une mère. Il s’agit donc de saisir l’articulation qui est faite entre l’allongement de la durée des études (et du capital scolaire qui va avec) et les valeurs traditionnelles au sein de l’espace social dans lequel s’insèrent ces jeunes femmes.
S’adapter au marché de l’emploi local
Une analyse des catégories socioprofessionnelles des enquêtées révèle qu’elles sont environ 11 % à être artisans, commerçants, chefs d’entreprises, 22 % exercent dans les professions intermédiaires, 45 % sont employées et 22 % sont inactives (étudiante, sans-emploi). Par ailleurs, l’intégralité des jeunes femmes actives exerce dans le secteur du tertiaire. Très important en Vendée, ce secteur d’activité recrute majoritairement chez les femmes. En 2014, elles représentaient ainsi 75,5 % des salariés de l’administration publique, l’enseignement, la santé et l’action sociale, ou encore 48,8 % des salariés du commerce, des transports et des services divers47. Bien qu’elles soient largement diplômées dans ces domaines grâce à une offre scolaire importante, l’insertion professionnelle locale de ces jeunes femmes ne se fait pourtant pas sans difficulté.
Lorsque le taux de chômage national était de 8,9 % au quatrième trimestre de 2017, il était, dans le même temps de 6,8 % en Vendée.
Les frontières de la Vendée
Si les frontières vendéennes constituaient un impératif majeur pour bon nombre de ces jeunes femmes lors de leurs choix d’orientation, il est redoublé lorsqu’il s’agit de trouver un emploi. Tandis qu’une installation en Vendée semble aller de soi pour celles qui ont réalisé leurs études au sein du département, elle est également formulée très clairement chez celles qui ont accepté de partir pour un temps ; le temps d’étudier. Ainsi, Mathilde est la seule jeune femme rencontrée dans cette enquête qui ait exprimé le désir de s’installer hors de la Vendée du fait de ses aspirations professionnelles initiales. La démarche de quête d’emploi dans laquelle se trouvent ces Vendéennes les amène donc à établir un traçage des offres d’emplois afin de ne s’en tenir qu’aux postes effectifs en Vendée.
Émilie – Nan j’ai regardé qu’en Vendée. Voilà je voulais pas partir de la Vendée parce que… enfin voilà on est très famille ! Donc du coup… enfin je me voyais pas en fait partir hors Vendée. Mais j’ai fait quand même toute la Vendée. Enfin même si c’était limitrophe des autres départements.
La frontière vendéenne semble donc jouer un symbole puisque Émilie ne définit pas les offres d’emplois potentielles en fonction du nombre de kilomètres entre celui-ci et son domicile, mais selon le caractère intra-départemental du poste, acceptant ainsi de balayer l’intégralité de la Vendée. Ainsi, une offre d’emploi nécessitant quelques 5 ou 10 kilomètres de plus devient problématique dès lors qu’il se situe derrière la frontière – y compris dans des périodes de difficultés d’accès à l’emploi. À partir du moment où elles ont terminé leurs études, aucune de ces jeunes femmes n’a exercé d’emploi en dehors de la Vendée. Mieux, elles occupent un emploi proche de la commune où elles ont grandi et qui abrite toujours le domicile familial (leurs parents ayant eux-mêmes eu une faible mobilité géographique). Elles sont ainsi trois à exercer directement dans la commune de résidence de leurs parents, trois à moins de 10 kilomètres du domicile familial, et enfin, deux à compter entre 15 et 25 kilomètres de chez leurs parents. « En bref, dans l’ensemble, les premiers pas sur le marché du travail de ces jeunes femmes principalement d’origine populaire, ne se traduisent ni par une mobilité sociale ni par une mobilité géographique notables. »48 Si elles se disent donc prêtes à chercher un emploi dans « toute la Vendée », c’est à proximité de leur aire géographique d’origine et dans un périmètre spatial relativement restreint qu’elles exercent actuellement leurs emplois.
Surqualifications scolaires pour emplois du coin
Un tel maintien local sur le plan professionnel impose cependant quelques réajustements pour ces jeunes femmes souvent surqualifiées au vu des emplois proposés dans le coin. Si la Vendée est un département bien pourvu professionnellement, il concentre néanmoins des offres d’emplois bien spécifiques dont les plus fréquentes sont : agents d’entretiens de locaux, ouvriers agro-alimentaires, aides-soignants ou encore chauffeurs routiers49. Ces offres sont également très dépendantes des bassins d’emplois vendéens ; dans la zone de La Roche-sur-Yon (dans laquelle se situe le premier groupe d’enquêtées), ce sont les formateurs qui sont particulièrement recherchés, tandis qu’aux Herbiers ce sont les professionnels de l’animation socioculturelle et de l’hôtellerie, et qu’à Fontenay-le-Comte ce sont l’agriculture et la viticulture qui recrutent le plus. Ces offres d’emplois démontrent bien le manque d’emplois féminins en milieu rural, mais pour lesquels ces jeunes femmes ont poursuivi leurs études, et qui, par conséquent, conduisent les plus qualifiées à s’installer en ville50. Spécialisées dans les domaines du service, les choix d’orientations de ces Vendéennes ont tendance à pénaliser leur insertion professionnelle du fait de leur importante concentration sur ce marché du travail. D’autant plus que les offres d’emplois du tertiaire se trouvent plus exposées à des contrats précaires et dans lesquels les qualifications scolaires acquises sont moins reconnues. Ainsi, « dans le même temps que ces diplômes permettent de prétendre à beaucoup d’emplois et de rentrer plus facilement sur le marché du travail rural, ils sont peu prisés et assez dévalués. »51 Le parcours d’Émilie est assez révélateur de ces difficultés d’insertions professionnelles ; ayant tenté de valoriser son BTS Assistante de gestion durant plusieurs années, en vain.
Après voilà j’arrivais pas à trouver dans ce que je voulais. C’était… J’aimais moins le secrétariat, je préférais plus le commerce ou la compta. Et du coup après j’ai travaillé à la Sécurité sociale. À La Roche. Donc j’ai eu plusieurs CDD à la suite, mais qui débouchaient jamais sur un CDI : on me l’avait dit ! Donc voilà c’était clair depuis le début, sauf que bon bah au bout d’un moment, je recherche quand même un CDI… Donc du coup après j’ai arrêté et puis je trouvais pas dans mon domaine. Enfin j’ai arrêté et pourtant ça me plaisait bien hein, mais c’est que voilà tant qu’il y avait pas de débouchés…
Toujours célibataire, et vivant encore chez ses parents à ce moment-là, l’obtention d’un CDI est d’autant plus importante pour Émilie. Durant ces périodes de chômage, elle est même prête à « faire quelque chose [qu’elle] aimait moins au début, pour trouver mieux après ». Et c’est dans cette perspective qu’elle accepte – tandis qu’elle est toujours au chômage – la proposition d’une amie l’invitant à participer à une « sortie » avec le centre de loisirs dans lequel cette dernière travaille. Petit à petit, elle participe à plusieurs journées de ce type, avant de décider de se réorienter vers cette profession (classée cinquième au « Top 10 des projets de recrutement » en Vendée). Cependant, Émilie ne peut valoriser son bagage scolaire et doit reprendre une formation afin d’obtenir le Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur (BAFA). Le projet professionnel de Mathilde, qui souhaitait devenir soigneuse pour animaux au sein d’aquariums, semble lui aussi compromis dans ce marché de l’emploi local ; tant par le choix de la profession, que par le niveau scolaire requis (Bac+5). Tout comme Émilie, elle va elle aussi effectuer une réorientation à partir d’une formation courte de huit mois dans les finances publiques. Et si certaines d’entre elles comme Laure réussissent à trouver un emploi dans le secteur souhaité, les surqualifications scolaires sont toujours présentes. Tandis qu’elle dispose d’un BTS Tourisme, et d’un Bachelor Marketing et communication, elle souhaite pouvoir « bosser pour tout ce qui est événementiel, tourisme, tout ce qui est séminaire » dans l’œnologie. Mais lorsqu’elle a dû trouver un emploi en Vendée, Laure a fait face à plusieurs refus de candidatures et s’est vu accepter un « petit boulot de réceptionniste » au sein d’un camping de la côte vendéenne. Malgré ses trois années d’études après le Bac, elle se voit donc contrainte d’exercer à temps plein le même emploi que lorsqu’elle faisait des saisons pour financer ses études, dont la qualification minimum requise est le Bac. Pour autant, il ne s’agit pas uniquement de constater que ces jeunes femmes sont régulièrement contraintes d’opérer des réajustements dans leurs parcours professionnels, souvent en s’éloignant de leurs volontés originales, mais également de voir les biais qu’elles empruntent afin de pouvoir concilier vie professionnelle et vie vendéenne.
Le poids des normes de couple
Une mise en couple revisitée
L’insertion dans le marché de l’emploi n’est pas la seule modalité d’intégration locale pour ces jeunes femmes qui doivent désormais prouver qu’elles sont adultes. Cette nouvelle tranche d’âge s’accompagne d’un « nouveau » rôle pour ces Vendéennes. Si elles ont largement incorporé, depuis qu’elles sont petites, leur devoir d’être une épouse et une mère, elles ont pu le mettre entre parenthèses le temps de leurs études. Désormais actives sur le plan professionnel, il appartient à chacune de ses jeunes femmes de se mettre en couple ; première étape dans la réalisation de leur rôle. Devant la norme de mise en couple, celles qui ne le sont pas après plusieurs années de célibat sont considérées comme déviantes. « Passé 16 ans, il devient suspect de n’avoir jamais eu de (petit-e) copain ou copine. C’est afficher la forte probabilité d’un non-accomplissement (…) ».52 C’est le cas d’Émilie, âgée de 28 ans, et célibataire depuis l’âge de 20 ans. Cette position lui confère souvent le statut de « bonne poire » auprès des autres femmes constitutives du groupe d’amis.
Delphine – Puis Émilie elle les emmenait en boîte quand ils [les garçons] avaient plus personne. Elle t’a pas raconté ça Émilie ?
Les garçons semblaient donc profiter du statut matrimonial d’Émilie pour lui demander des faveurs ; chacun sachant qu’elle n’aura pas de comptes à rendre auprès d’un possible conjoint. Si ces faits remontent à plusieurs années – et durant une période où Delphine ne côtoyait pas encore le groupe d’amis – cette dernière n’hésite pourtant pas à mobiliser ces anecdotes pour démontrer ce qui sépare les deux jeunes femmes : l’une emmenant les garçons, tandis que l’autre se fait emmener par les garçons. Elle suggère ainsi qu’Émilie concède cette place au vu de son statut de célibataire, et n’hésite pas à mobiliser ces récits de soirées comme un rappel à la déviance opérée. L’image que Delphine porte sur son amie se trouve en réalité partagée par bon nombre des jeunes femmes constituant la bande. Cela tient au fait qu’en plus d’être célibataire, et de ne pas avoir eu de relation depuis longtemps, Émilie n’affiche pas de signes annonciateurs d’une prochaine mise en couple. En effet, il s’agit pour ces jeunes femmes célibataires de pouvoir montrer aux autres qu’elles sont capables d’être en couple. Si Fannie est seule elle aussi, elle utilise cependant les réseaux sociaux pour afficher ses recherches de relations sentimentales, et par la même se rapprocher de ces congénères déjà en couple. Ainsi, le 14 février, jour de la Saint-Valentin, Fannie n’hésite pas à poster une photographie sur Snapchat53 illustrant les cadeaux reçus en ce jour et à propos desquels elle demande en légende qui les lui a envoyés – se doutant pourtant qu’ils proviennent du garçon qu’elle fréquente depuis quelques semaines. Par cette action, Fannie rappelle donc à ses amis qu’elle dispose de liens avec des garçons et qu’elle quittera probablement prochainement son statut de célibataire. Mais surtout, elle montre qu’elle fête elle aussi la Saint-Valentin – comme si elle était en couple – et minimise ainsi son écart à la norme.
Dans un souci d’éviction de ce genre de situation, nombreuses sont celles qui ont anticipé leur mise en couple en trouvant un conjoint alors qu’elles étaient toujours étudiantes. Souvent, il s’agit d’un homme plus âgé qui a lui-même terminé son parcours scolaire et dispose ainsi de ressources financières. D’autant que l’intégralité des conjoints de ces jeunes vendéennes exerce en tant qu’ouvrier du bâtiment. Ces derniers ont réalisé des études courtes travers des CAP, BEP, ou BP, et travaillent depuis l’âge de leurs 20 ans (tandis qu’ils étaient en apprentissage auparavant). Se mettre en couple permet alors aux jeunes filles d’échapper au regard parental54. Pour ce faire, les cercles de sociabilité prennent alors toute leur importance. Ainsi, les rencontres sont souvent motivées par des connaissances ou des fêtes communales : « par exemple la soirée du foot, ou les mariages, ou les soirées du basket », explique Émilie. C’est à travers l’un de ces évènements (le mariage de sa cousine) que Mathilde a pu rencontrer Aymeric.
Donc on était chacun d’une famille. On s’est pas parlé le jour du mariage [elle rigole ]. C’est que le lendemain qu’il a été prendre un verre – après avoir ramassé toute la salle – qu’il a demandé à mon cousin comment je m’appelais. Et de là il a commencé à m’écrire, on s’est rencontrés et puis voilà.
Si la famille paternelle de Mathilde est originaire de la commune voisine de celle d’Aymeric, les parents de cette dernière ont déménagé sur la côte vendéenne avant sa naissance, ne lui laissant que peu d’occasions de fréquenter Chaillé-sous-les-Ormeaux. Cependant, sa cousine est quant à elle restée dans leur commune d’origine où elle a rencontré le frère d’Aymeric avec qui elle se marie quelques années plus tard. L’organisation de ce mariage est donc l’occasion pour Mathilde de revenir dans cette commune le temps d’un week-end, et de rencontrer certaines personnes qui la composent. Dans le même registre, et bien qu’elle ne soit pas originaire de Vendée où elle réside maintenant, on peut prendre le cas de Clémence qui rencontrera Romain pour la première fois à l’anniversaire de l’une de ses meilleures amies – tandis qu’il s’agit de la cousine de ce dernier. Ou encore à Fannie, qui, si elle n’est plus en couple actuellement, a passé quatre années avec Alexis rencontré par le biais du conjoint de l’époque de sa petite sœur (les deux garçons étant amis). Au-delà des connaissances familiales, les cercles amicaux jouent également un rôle important. Ainsi, Delphine a pu rencontrer Bastien par le biais de son meilleur ami de l’époque. Si ces jeunes femmes peuvent compter sur leurs cercles de sociabilité pour rencontrer leurs conjoints, cela leur rappelle également l’importance de la mise en couple. Ainsi, lorsque Mathilde m’explique les raisons pour lesquelles elle a fait le choix de venir s’installer en Vendée (alors qu’il ne s’agissait pas de son projet initial), elle met en avant ses activités de pompier basées dans la commune de ses parents : « et du coup j’avais envie de garder cette attache de pompier », expliquant qu’elle est très liée à cette caserne. Pour autant, lorsqu’il est question de partir vivre en dehors de la Vendée (sous réserve que son conjoint l’accompagne), Mathilde ne fait aucunement état de cette activité, et se dit alors prête à partir. Cet épisode illustre bien l’incorporation des normes de couples qui a été faite par Mathilde, et qui, après plusieurs échecs sentimentaux, choisit de privilégier cette nouvelle relation avec Aymeric même si cela implique l’arrêt de ses études, et le choix d’un nouveau métier réalisable en Vendée.
Le maintien de ces normes de couples doit tout de même être relativisé face aux évolutions qui les traversent. Tandis que pour la génération de leurs mères l’obtention d’un emploi stable allait de pair avec l’acquisition d’un logement et le début de la vie en couple 55, les jeunes Vendéennes interrogées semblent prendre davantage leur temps entre chacune de ces étapes. Alors qu’elles ont entre 23 et 30 ans, seules Lucie et Julie ont chacune un enfant (qu’elles ont respectivement eues à 22 et 24 ans). Ce sont également les deux même qui sont respectivement en instance de mariage et déjà mariée. La lecture de ces évènements doit être faite au regard du nombre d’années de relation de ces deux jeunes femmes. Lucie est en couple depuis cinq ans avec Dylan, tandis que Julie vient de débuter une seizième année de relation avec Fabien. Or, il s’agit là des plus longues relations observées parmi ces jeunes femmes ; toutes les autres étant en couple depuis moins de quatre ans. Ces pratiques doivent également être mises en perspective des évolutions qui se jouent à l’échelle nationale et territoriale. La natalité a ainsi fléchi de 11,6 % en Vendée entre 2010 et 2015 – à titre comparatif, cette baisse était de 8,5 % dans les Pays de la Loire, et de 5,3 % en France métropolitaine56 – plaçant ainsi le département dans une zone fortement touchée. La région des Pays de la Loire subit également un report progressif des naissances : tandis que le taux de fécondité atteignait son paroxysme à l’âge de 23 ans en 1975, il l’était à l’âge de 30 ans en 201457.
Prégnance de la religion et des traditions dans les projets futurs
Qu’elles soient en couple ou non, toutes ces Vendéennes sont unanimes dans la formulation de leurs projets. Si elles souhaitent se marier et avoir des enfants, le facteur religieux semble être une mesure importante à considérer. Ainsi, le mariage est envisagé sous l’angle du passage à l’église, tandis que l’on projette de faire baptiser les enfants. Pour autant, les jeunes femmes tendent à décrire ces pratiques comme relevant davantage de la tradition, que par affect religieux.
Bon moi après je suis pas hyper chrétienne, hyper catholique, maintenant je suis malgré tout chrétienne et je me voyais pas ne pas me marier à l’église. Pour moi c’était… Bon la mairie c’est pas autant de charme. Et puis la mairie c’est un papier en fait. C’est vraiment je signe le papier, demain je veux divorcer, je signe le même et terminé ! L’église, déjà l’église de toute façon c’est à vie ! C’est la… Enfin il ne pourra vivre ça qu’avec moi. Quoiqu’il se passe demain il pourra jamais être avec quelqu’un d’autre à l’église que moi. Donc la symbolique était plus… voilà.
Si les propos de Julie mettent en lumière la « logique » du mariage à l’église, ils sont à considérer au regard de l’éducation reçue par ces jeunes femmes. La Vendée dispose d’une histoire forte avec la religion catholique, se trouvant fortement marquée par les guerres de l’Ouest et de la Chouannerie58. Ainsi, en 2012 le département dénombrait 15 % de catholiques pratiquants59 parmi sa population et comptait parmi les taux les plus importants. En plus de cet héritage, les jeunes femmes ont pu (re)découvrir la religion par le biais des écoles privées qu’elles ont fréquentées dès leur plus jeune âge. En ne s’en tenant qu’au discours, toutes décrivent la religion comme ayant peu d’importance : elles affirment ne pas être pratiquantes, et seules certaines reconnaissent être croyantes – bien que cela ne passe pas toujours par une définition stricte d’un « Dieu », mais parfois simplement par l’existence de « quelque chose » comme l’explique Fannie. En prenant maintenant en compte les pratiques de ces jeunes femmes, principalement à travers la rédaction de leurs carnets de bords, il est alors fréquent de constater des activités religieuses dans leurs emplois du temps. Ainsi, après avoir reçu une éducation religieuse de la part de son père – l’amenant à être baptisée, inscrite en école privée, et à réaliser ses communions – Mathilde se définit aujourd’hui comme n’étant ni croyante ni pratiquante : « parce qu’en grandissant je me rends compte que je crois pas ce qui est pas prouvé. Et comme on peut pas me prouver que la Bible, Jésus, tout ça, ça a existé, j’ai du mal… » Pourtant, le jour de la Toussaint, Mathilde s’est rendue à l’église afin d’assister à une messe du souvenir pour une grande tante de [sa] mère » décédée une semaine plus tôt. Elle profite également de cette journée pour se rendre sur les tombes de ses deux grands-pères afin d’y déposer des fleurs, ainsi que sur celle d’un membre de la famille de son conjoint.
Ce détour par les croyances et les pratiques religieuses des enquêtées, mais également par l’éducation qui leur en a été faite, permet ainsi de mieux saisir ce qui les pousse à se marier à l’église ou à faire baptiser leurs enfants. D’autant qu’à la tradition de se marier à l’église, se mélange celle de la préparation du mariage. Des « réunions de préparation », ainsi que des enterrements de vie de jeunes filles et de garçons (chacun passant la journée séparément), ou encore des soirées dédiées à la « plantation des houx » ou la « fabrication des roses » sont ainsi organisés. C’est dans cette globalité qu’il faut donc considérer les aspirations religieuses du mariage éprouvées par ces jeunes vendéennes – finalement bien moins désarticulées à leurs croyances qu’elles ne le suggèrent.
Des aspirations sociales aux ambitions immobilières
En plus d’un emploi dans le coin, et de la construction de leur famille, ces Vendéennes émettent un autre souhait : être propriétaire. Si la maison individuelle représente un idéal, elle l’est d’autant plus lorsque ces jeunes femmes accèdent au statut de propriétaires. Parmi les enquêtées n’habitant plus chez leurs parents, elles sont ainsi les trois quarts à résider dans une maison, dont les deux tiers sont propriétaires. Par ailleurs, il est pertinent de constater que les périodes de location par lesquelles sont passées ces jeunes femmes avant de devenir propriétaires se sont souvent révélées très brèves ; chacune ayant déjà pour objectif d’acquérir son propre bien immobilier. Ce projet s’inscrit dans la continuité de la mise en couple marquant généralement le départ du domicile familial. Ainsi, Lucie, Mathilde, Julie et Delphine sont parties de chez leurs parents pour s’installer directement avec leurs conjoints, tandis que Laure et Alicia – toujours installées dans la maison familiale – sont en passe de trouver un logement avec leurs conjoints. Si ce projet semble dépendre de la mise en couple, il s’en trouve alors impacté par le renouvellement qui en est fait. La formation des couples devenant plus tardive et n’allant plus de pair avec l’obtention d’un emploi, certaines jeunes femmes se trouvent suffisamment dotées financièrement et professionnellement pour quitter le domicile de leurs parents, alors même qu’elles sont toujours célibataires. À défaut d’acheter une maison avec leurs conjoints, ces quelques célibataires (moins d’un tiers des enquêtées) ont toutes fait le même choix : s’installer seule. Tandis que certaines jeunes femmes en couple résident toujours chez leurs parents, l’intégralité des célibataires dispose cependant de son propre logement. Si ces situations semblent paradoxales, elles expriment en réalité la nécessité d’exister socialement malgré un statut matrimonial inadapté aux attentes qui pèsent sur ces jeunes femmes. Faute de disposer d’un « capital matrimonial », elles choisissent de développer leurs situations immobilières ; parfois même en allant jusqu’à devenir des célibataires propriétaires un rendez-vous donc pour choisir sa cuisine. Et j’ai rencontré donc la société LMP donc qui faisait construire sa maison. Et on a parlé, et il s’est avéré que cette personne est très amie avec ma chef actuellement. Et on a parlé comme ça, et j’ai soumis l’idée de faire construire, mais c’était une idée que j’avais depuis des années, mais comme tout le monde a envie quoi. Et je me suis dit bah je vais prendre rendez-vous avec lui, on va voir quoi. Et sachant que maman et Pascal [son beau-père] me disaient depuis un petit moment : « mais si t’as ton CDI c’est maintenant qu’il faut que tu le fasse, c’est la bonne période, machin… » Sauf que moi faire construire toute seule au début c’était pas possible. C’est beaucoup de choses à gérer, je savais pas si j’avais les épaules faites pour ça. Enfin… au début c’était… Et après j’ai accepté ce premier rendez-vous, je me suis dit ça va me donner une idée. En fait le premier rendez-vous a eu lieu ; ça s’est très bien passé, le monsieur m’a mis en confiance. Donc après j’ai enchaîné toutes les démarches. Tout a suivi, et puis bah j’ai signé mon permis de construire comme ça… presque du jour au lendemain. Fin en deux mois c’était fait quoi !
Les propos de Fannie illustrent bien l’obstacle que pouvait représenter son célibat dans un projet de construction. Si elle a finalement pu s’accommoder de cette situation, c’est parce qu’elle a su mobiliser d’autres ressources dans son entourage – contrairement à l’idée d’un projet « venu de nulle part » qu’elle laisse sous-entendre. Ainsi, l’inter-connaissance dont elle bénéficie par le biais d’un chef de projet ami avec sa responsable (dont elle est très proche par ailleurs), ainsi que la valorisation de l’achat immobilier opérée par sa mère et son beau-père (n’oubliant pas de rappeler à Fannie qu’après avoir obtenue son CDI, elle doit maintenant faire construire) la conduisent à considérer elle-même qu’il est socialement bon de faire construire une maison. Pour Fannie, sa situation matrimoniale ne semble plus constituer un frein dans l’élaboration de ce projet. Sa mère, son beau-père, mais également son frère et sa sœur, ou encore Manuella (qui se trouve désormais très familière de ce genre de projet depuis qu’elle a soutenu sa mère) seront de la partie dans la construction de la maison ; à la fois en l’aidant dans ses travaux, mais également en la mettant en contact avec des personnes ressources dans le bâtiment, voire même en lui organisant des rendez-vous. Fannie raconte ainsi le soutien qu’elle a reçu de la part de son amie Manuella – elle même célibataire et résidant seule en location dans la même commune que celle où elle fait construire – qui n’a pas hésité à participer aux réunions de chantier avec elle, et qui semble même plus au courant des démarches administratives à réaliser. À travers ce projet, Fannie cherche donc à prouver – malgré son célibat – qu’elle peut être « comme tout le monde » et à se rattraper socialement en accédant au sommet de la « hiérarchie immobilière », puisque propriétaire d’une maison individuelle. Encore une fois, les réseaux sociaux se révèlent être un allié dans cette démonstration ; du début de la construction à son emménagement, Fannie publiera ainsi régulièrement des photos de l’avancée de son projet en rappelant à chaque fois combien elle est fière « d’avoir réussi à réaliser ce projet seule ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : « JE SUIS UNE PURE VENDÉENNE ! »
Chapitre 1 – Des études sous influences
I – L’école du coin
II – (In)suffisance scolaire en Vendée
i) Des prédispositions au départ
ii) Partir pour mieux revenir
iii) « Choisir » son orientation ; un premier pas dans le maintien local
III – Quelles études pour quelle mobilité sociale ?
Chapitre 2 — Hétéro, proprio, boulot
I – S’adapter au marché de l’emploi local
i) Les frontières de la Vendée
ii) Surqualifications scolaires pour emplois du coin
II – Le poids des normes de couple
i) Une mise en couple revisitée
ii) Prégnance de la religion et des traditions dans les projets futurs
III – Des aspirations sociales aux ambitions immobilières
Chapitre 3 – Une Vendée dans la Vendée : des territoires spécifiques
I – Un espace géographique restreint
II – « J’ai toute ma vie ici ; j’ai ma famille »
i) Des attaches maternelles locales
ii) Le domicile familial comme lieu de repli
III – Être du coin ; ou la valorisation d’un capital d’autochtonie
PARTIE 2 : DES SOCIALISATIONS AMICALES COMME LIEU DE POUVOIR
Chapitre 4 – Structuration et restructuration des amitiés
I – Construction et évolution des cercles amicaux
II – Forger l’amitié
i) Des lieux de socialisation
ii) Des démonstrations numériques de l’amitié
III – Quand les amitiés se défont
Chapitre 5 – Prises de pouvoir
I – De la distinction à la valorisation de soi
i) « Manuella c’est peine perdue »
ii) « Laure elle parle que de cul »
II – Du groupe d’amis à la formation de bandes
III – Privé-public : jeu de rôles amicaux
i) Se montrer en public
ii) Les commérages comme mode de réaffirmation de soi
3PARTIE 3 : LA PLACE DES FEMMES EN MILIEU RURAL
Chapitre 6 – La revendication d’une féminité
I – Les dictats de la beauté
II – Se montrer aux autres : afficher sa féminité
Chapitre 7 – La résistance à la domination masculine
I – « Se débrouiller toute seule » ; ou l’importance d’une gestion financière
II – Maintenir la maison sous surveillance
III – Les loisirs et engagements comme moment à soi
i) Des loisirs féminins à (re)considérer
ii) L’appropriation d’engagements masculins
iii) S’inscrire dans les loisirs de leurs conjoints
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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