Des sites historiques inscrits par l’Unesco et leurs politiques patrimoniales. L’exemple de Porto, de Lyon et de Vérone

Une pléiade de manifestations et de festivités consacre chaque année l’attachement de notre société à son passé. Partout en Europe, la conservation, l’entretien et la transmission de « notre héritage » sont devenus une évidence. Ce phénomène résulte d’un élargissement typologique, chronologique et spatial de la notion de patrimoine opéré pendant près d’un siècle. D’abord limité au simple bâtiment remarquable, le champ patrimonial recouvre désormais des domaines assez éclectiques : paysage urbain, langues mortes, activités humaines, milieux naturels… Certains auteurs qualifient cette croissance « d’exponentielle » « d’inflation » ou encore « d’abus monumental » . L’élargissement de la notion de patrimoine «constitue un phénomène majeur de notre époque, témoignage très significatif de sa sensibilité, de ses angoisses, de ses préoccupations » . Cette métamorphose s’accompagne également d’un formidable mouvement de démocratisation. En effet, la prise en considération du patrimoine n’est plus seulement l’apanage d’une certaine « élite aristocratique, culturelle ou scientifique » mais une préoccupation partagée par l’ensemble des citoyens. Comme l’explique Patrice Beghain, adjoint à la Culture à la ville de Lyon, « ces nouveaux acteurs du patrimoine ne se contentent pas de le contempler, de s’en délecter, ils le font vivre, ils en vivent, ils l’habitent » . L’importance du patrimoine est telle que les villes envisagent désormais celui-ci comme une ressource pouvant apporter des solutions aux problèmes récurrents qu’elles rencontrent. Ainsi, sur fond de développement durable, le patrimoine devient susceptible de renforcer le lien social en améliorant le cadre de vie ou encore de dynamiser un secteur économique atone par l’apport de la manne touristique. « Face aux nécessités de retrouver des bases de développement économique, de lutter contre la marginalisation et le dualisme social, et de créer un cadre de vie soutenable, le patrimoine est évoqué comme une ressource à la fois héritée et stratégique » . De ce fait, le patrimoine, à l’origine constitué d’un ou plusieurs éléments indépendants, devient une composante incontournable de la politique globale des villes. « D’un patrimoine centré sur l’objet on en est venu à un patrimoine mobilisé autour de projets » . S’intéresser au patrimoine revient donc à envisager celui-ci dans toute sa diversité et à l’appréhender sous l’angle des politiques urbaines. La liste du patrimoine mondial de l’UNESCO incarne parfaitement cette nouvelle conception du patrimoine en mettant en exergue l’universalité d’un bien et son appartenance à l’ensemble de l’humanité, en prenant en compte l’élargissement de la notion de patrimoine mais aussi en offrant la possibilité d’un développement ou d’une mise en valeur accrue. Cette thèse propose d’analyser l’élargissement conceptuel du patrimoine et la place toujours plus importante que tient ce dernier dans les politiques urbaines actuelles. Il s’agit d’analyser et de comprendre la façon dont les villes concilient essor économique, développement touristique, renforcement du lien social, amélioration du cadre de vie ou encore participation citoyenne pour tendre vers un territoire durable. Quelle place accorder à la protection et à la valorisation du patrimoine sans remettre en cause la vitalité du territoire, comment permettre l’adaptation du tissu urbain ancien et prendre en compte les habitants dans une double logique d’appropriation territoriale ? Face à des intérêts souvent divergents, l’objectif est de comprendre comment les villes gèrent « les compromis indispensables entre les enjeux patrimoniaux et les autres enjeux du développement urbain » .

LES SITES HISTORIQUES DE PORTO, DE LYON ET DE VÉRONE

Madame Maria Gravari-Barbas, professeur de géographie à l’Université d’Angers et chercheur à l’UMR 6590, explique que « plusieurs chercheurs ont souligné, notamment depuis les années 1980, l’élargissement notable de la notion du patrimoine (élargissement à la fois notionnel, chronologique, spatial) (Choay 1992). En termes géographiques en particulier, cet élargissement patrimonial s’est exprimé par le passage progressif du monument isolé, au périmètre de protection autour du monument en question, pour concerner par la suite le site, le secteur historique, la ville historique, voire, potentiellement, le territoire dans son ensemble. Cet élargissement constitue un phénomène majeur de notre époque, témoignage très significatif de sa sensibilité, de ses angoisses, de ses préoccupations » . Aujourd’hui, la tendance est telle que tout peut a priori devenir patrimonial, même l’immatériel comme les langues mortes ou un bâti contemporain. L’une des évolutions les plus notoires du concept de patrimoine apparaît en 1972 avec la convention de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO). Celle-ci permet la reconnaissance de biens ayant « un caractère universel et exceptionnel » aux yeux de l’humanité.

Les sites historiques de Porto, de Lyon et de Vérone illustrent parfaitement l’élargissement géographique et typologique du concept de patrimoine. Les qualités patrimoniales communes à ces trois villes ont conduit l’UNESCO à raisonner non plus à l’échelle du simple monument, mais à celle de site historique. Il s’agit là d’une acceptation moderne du concept de patrimoine, symbole de l’évolution des courants de pensée au sein de l’institution onusienne. L’élargissement du concept de patrimoine, les raisons de l’inscription de Porto, de Lyon et de Vérone sur la liste du patrimoine mondial, les critères retenus et les arguments de l’UNESCO pour justifier ces inscriptions plutôt inattendues, se trouveront au cœur des réflexions de ce premier chapitre. Les deuxième et troisième chapitres mettront en exergue, les conditions géographiques et historiques ayant conduit à la naissance de territoires désormais reconnus par l’ensemble de la communauté internationale comme des sites historiques aux qualités exceptionnelles et universelles.

Une inscription possible grâce à l’élargissement de la notion de patrimoine

Films historiques, journées du patrimoine, anniversaires d’évènements historiques, succès des musées, engouement pour les recherches généalogiques, volonté d’affirmation des cultures régionales, goût pour la réhabilitation d’immeubles anciens ayant un cachet constituent autant d’exemples prouvant notre attachement grandissant à notre histoire et à notre patrimoine. Aujourd’hui, force est de constater que notre société tend vers la protection de ce qu’elle considère appartenir à sa culture, à son histoire et à son patrimoine, c’est-à-dire à la protection de l’« Ensemble des biens qu’une génération veut transmettre aux suivantes parce qu’elle estime que cet exemple constitue le talisman qui permet de comprendre le temps » . Cette définition du patrimoine paraît simple. Pourtant, définir le patrimoine n’est pas aisé d’autant que les valeurs et les objets auxquels se rattache cette notion changent selon les époques. En effet, les premières conceptions patrimoniales au XIXe siècle et au début du suivant ne prenaient en compte qu’un nombre restreint de monuments, puisque seuls étaient considérés les monuments préhistoriques, antiques ainsi que les grands bâtiments du Moyen Âge et de la Renaissance appartenant à l’État. La conception de patrimoine s’est ensuite élargie progressivement conduisant à une prise en compte des abords des Monuments historiques (1951 à Porto, 1943 à Lyon, 1939 à Vérone), puis de l’ensemble d’un quartier ancien (1974 à Porto, 1962 à Lyon) et enfin du paysage (1993 à Lyon, 1966 à Vérone). L’élargissement de la notion de patrimoine a été non seulement spatial mais aussi typologique, toutes les époques de construction pouvant désormais être prises en compte. Le concept de patrimoine a aussi évolué lorsqu’en 1972, la convention de l’UNESCO a donné au patrimoine une valeur universelle. On entend par « universel », tout site culturel ou naturel présentant un intérêt pour l’ensemble des nations. Les sites du patrimoine mondial concernent tous les peuples et «appartiennent » donc à la communauté internationale.

Du monument au site historique 

La notion de patrimoine fut d’abord liée à « une conception très réelle d’un objet ou d’un monument à protéger » . Puis, à l’aube des Trente Glorieuses et en réponse au mouvement progressiste, le champ patrimonial s’est considérablement élargi.

Les prémices de la protection du patrimoine

En Italie, dès le XVe siècle, les papes entreprennent de protéger le patrimoine italien. En 1516, Léon X charge le peintre Raphaël de veiller sur les beautés de Rome. Déjà les bulles de Sixte IV (1474), de Pie II (1462) et plus tard, les interventions de Paul III (1534), de Pie IV (1562) et de Grégoire XIII (1574) furent l’expression du souci constant de sauvegarder les monuments romains. En 1646, le cardinal Lazzaro Botti établissait une liste des biens en périls. En préambule, il affirma que « la ville de Rome et les propriétaires de ces œuvres sont privés et dépouillés des choses les plus belles… tant anciennes que modernes » . Toutefois, la législation envisagée par les États pontificaux ne proposait qu’une réorganisation et un perfectionnement de l’ancien droit romain. Par exemple, un écrit de Valentinien et Valens de 364 donna à Symmaque, préfet du prétoire romain, la tâche de restaurer les édifices en ruine. Durant la même période, Valentinien décida de répartir les investissements d’urbanisme de la manière suivante : 70 % pour la réhabilitation des édifices anciens et 30 % pour la construction de nouveaux bâtiments . Contrairement aux papautés, les différentes monarchies françaises et portugaises n’eurent pas la volonté aussi prononcée de sauvegarder leur patrimoine. Toutefois, en France, François 1er en créant l’archivage permit les débuts de la désignation patrimoniale et de son inventaire. Les guerres de Religion et les destructions opérées par les huguenots contre le patrimoine religieux catholique en 1562 et 1563 firent également émerger le souci de la protection et de la conservation du patrimoine. Sous les règnes de François 1er et de Louis XIV, la conception de la ville et de l’espace révélait un parti pris pour le modernisme, à l’origine de l’antagonisme entre patrimoine et modernité. Des châteaux considérés comme obstacles à la modernité furent détruits comme le château neuf de Saint-Germain-enLaye. Au Portugal, le roi Dom João V fonde l’académie d’histoire par la charte du 20 août 1721. Celle-ci affirme que « dorénavant, personne, quels que soit son statut, sa qualité ou sa condition, ne peut dissoudre ou détruire la totalité ou la partie de n’importe quel bâtiment qui peut apparemment avoir une valeur historique, même si ce dernier est endommagé en partie, cela s’applique également aux marbres et pierres tombales » . Ainsi fut mis en place le premier système portugais de protection qui, s’il avait été appliqué, aurait sauvé de nombreux biens. Au Portugal, en France et en Italie, les royautés ou les papautés commencèrent, dès le XVIe siècle à prendre conscience de l’importance et de la qualité de leur patrimoine. Selon Madame Gravari-Barbas « Si la tradition d’un héritage culturel matériel, s’inaugure en Occident dès la Renaissance, la notion des « Monuments historiques » ne s’institutionnalise que dans la première moitié du XIXe siècle » .

L’émergence de la notion de Monument historique, premier élément concret de la protection du patrimoine 

En France, la colère de l’abbé Grégoire employant le terme de « vandalisme » pour parler de la fièvre destructrice des Révolutionnaires envers les biens nationaux marque le début du débat patrimonial. Cette prise de conscience se concrétise avec la création, en 1790, d’une commission des Monuments et d’une commission des Arts. Il faut attendre un rapport du ministre Guizot du 21 octobre 1830 pour que soit consacrée la notion de Monument historique et créée la charge d’inspecteur de Monuments historiques. L’instauration de la commission des Monuments historiques en 1837 s’inscrit donc dans la continuité. Mais les opérations de rénovation avec les grandes percées haussmanniennes du Second Empire ont considérablement accéléré le processus destructeur des bâtiments anciens et ce, au nom de la modernité. La première loi sur les Monuments historiques est promulguée en 1837, puis complétée par un règlement en 1889 et formulée enfin, dans son énoncé définitif, en 1913 . Ce texte de référence sert encore aujourd’hui à classer ou à inscrire les monuments français. Au Portugal, le mouvement patrimonial ressemble fortement à celui de la France. Le 22 novembre 1863, à la suite d’une réunion entre huit architectes est fondée la plus ancienne institution archéologique de la péninsule ibérique. Créée à l’initiative de Joaquim Possidónio da Silva sous la dénomination « Association des architectes civils », elle établit officiellement son siège social en 1865, dans les ruines historiques du monastère de Nossa Senhora do Monte do Carmo , prêté par le gouvernement de l’époque. Cette association change de nom en 1872 pour devenir : « Association royale des architectes civils et de l’archéologie portugaise » avec pour mission la conservation des monuments. Plus tard, en 1880, le Ministère des Travaux Publics charge l’association de réaliser un inventaire des monuments nationaux. La première classification de monuments connue au Portugal est alors réalisée et répartie ainsi :
➤ mémoires historiques, valeurs artistiques, magnificence des édifices, (1er et 2e critères),
➤ monuments militaires riches en traditions historiques (3e critère),
➤ monuments commémoratifs (4e et 5e critères),
➤ monuments préhistoriques (6e critère).

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 UNE INSCRIPTION POSSIBLE GRÂCE À L’ÉLARGISSEMENT DE LA NOTION DE PATRIMOINE
1. Du monument au site historique
1.1. Les prémices de la protection du patrimoine
1.2. L’émergence de la notion de Monument historique, premier élément concret de la protection du patrimoine
1.3. La prise en compte des quartiers anciens et du paysage
1.4. La notion de patrimoine mondial
1.4.1. Le patrimoine mondial, une convention reconnue dans le monde entier
1.4.2. Les biens culturels inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO
2. L’inscription de Porto, de Lyon et de Vérone au patrimoine mondial de l’UNESCO
2.1. La notion moderne de site urbain appliquée à Porto, Lyon et Vérone
2.2. Les catégories et critères retenus pour l’inscription des trois sites
2.3. La délimitation des sites historiques de Porto, de Lyon et de Vérone
CHAPITRE 2 DES FACTEURS GÉOGRAPHIQUES SIMILAIRES
1. Des atouts naturels communs
1.1. Des collines et des cours d’eau d’une importance rare
1.1.1. La vallée encaissée du Douro et l’ouverture de Porto sur l’océan Atlantique
1.1.2. Un site lyonnais caractérisé par une confluence, une presqu’île et deux collines
1.1.3. Deux méandres très marqués et une colline pour Vérone
1.2. Des situations géographiques stratégiques facilitant les échanges commerciaux et culturels
1.2.1. L’interface fluvio-maritime portuense
1.2.2. Deux carrefours continentaux : Lyon et Vérone
2. Un lien fort entre éléments géographiques et habitants
2.1. Des sites favorisant très tôt l’établissement humain
2.1.1. Des collines et des cours d’eau au rôle défensif
2.1.2. Des atouts permettant le développement de la vie
2.2. Des contraintes géographiques toutefois difficiles à maîtriser
CHAPITRE 3 DES TEMPS FORTS HISTORIQUES COMMUNS
1. La structuration et le développement des sites historiques à l’époque romaine
1.1. Une implantation romaine mettant en valeur les atouts naturels
1.2. La structuration de l’espace urbain sous influence romaine
2. La pérennisation des sites du XIIe siècle à la Renaissance
2.1. Le renouveau des villes de Porto et de Lyon sous l’influence cléricale
2.1.1. Développement du quartier de la Sé et de la Ribeira, peuplement du quartier « da encosta do Morro Olival » à Porto
2.1.2. Émergence de quartiers fortement urbanisés : Saint-Georges, Saint-Jean, Saint-Paul, SaintNizier, et occupation de la Presqu’île à Lyon
2.2. La pérennisation du centre historique de Vérone sous l’influence féodale
3. Le développement des villes et l’essor économique du XVIe au XVIIIe siècle
3.1. Une forte croissance économique et démographique au tournant du XVe et du XVIe siècle
3.2. Une densification et un embellissement du tissu urbain du XVIe au XVIIIe siècle
3.2.1. La montée en puissance du quartier de la Ribeira et la création de la rue Santa Catarina das Flores à Porto
3.2.2. La densification de la Presqu’île à Lyon
3.2.3. La densification du tissu urbain véronais intra-muros
4. Des sites historiques dévalorisés à partir du XIXe siècle
4.1. Une nécessité de plus en plus pressante de franchir les limites des sites
4.2. L’émergence de nouvelles centralités dans l’espace urbain
4.2.1. L’avènement de la place da Libertade et des quartiers de la Baixa à Porto
4.2.2. L’urbanisation de la rive gauche du Rhône à Lyon
4.2.3. L’extension extra-muros de Vérone
4.3. Des secteurs menacés après la Seconde Guerre mondiale
CONCLUSION

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