Les représentations du changement climatique, peu étudiées à l’échelle d’une collectivité
En amont de la réalisation de l’enquête, le travail a commencé par un état de l’art des différents travaux menés au sujet des représentations du changement climatique. Tout d’abord, il s’agissait de recherches théoriques sur les différents thèmes abordés, parmi lesquels le changement climatique, les cadrages dont il fait l’objet, et le concept de représentation. Ce premier travail de recherche a permis de conceptualiser ces différents thèmes, ce qui a été présenté dans l’introduction. Parallèlement à cela, un travail de recherche bibliographique a été conduit afin de recenser les différents travaux qui avaient été menés, en rapport avec les différents termes évoqués et dont la méthodologie d’entretien pouvait apporter des pistes pour la préparation de l’enquête.
Cet inventaire a permis de tirer plusieurs conclusions des travaux qui ont été menés. Tout d’abord, si le changement climatique est un objet de plus en plus étudié par les sciences sociales, les représentations du changement climatique sont pour l’instant moins traitées que la perception de ce phénomène. D’autre part, les travaux menés l’ont souvent été sur des territoires où l’impact du changement climatique est déjà fortement visible. Parmi les plus fréquents, on peut citer le littoral, avec par exemple le travail de Salvador Juan sur le cas du littoral normand. La montagne est aussi un territoire propice à ce type d’enquête. Par exemple, dans les Pyrénées Orientales, un travail a été mené par Mihaela Marc sur l’analyse des représentations et pratiques du dérèglement climatique dans les stations de sports d’hiver.
Enfin, les acteurs ciblés pour ce type d’enquête étaient souvent issus des mêmes catégories. Il s’agissait par exemple des habitants d’un territoire spécifique : c’est le cas du travail d’Anouk Bonnemains, sur les Perceptions et représentations du changement climatique auprès des populations dans leur cadre de vie. Dans d’autres cas, il s’agissait d’acteurs issus d’activités économiques spécifiques, impactées par le changement climatique (les agriculteurs, les acteurs du tourisme balnéaire ou de montagne…).
Technique d’enquête : du choix de l’échantillonnage à la mise en place d’entretiens semi-directifs
La réalisation de cette enquête a impliqué un choix dans l’établissement de l’échantillonnage. En effet, un stage d’une durée de trois mois ne peut suffire à s’entretenir avec un nombre considérable de personnes. Il a donc été convenu de mettre en place une liste d’environ 20 personnes comprenant à la fois des élus de l’agglomération ainsi que des personnes issues de différents services de la collectivité. Il paraissait intéressant de ne pas interroger seulement un type d’acteurs, mais deux ayant des rôles différents au sein de la collectivité. En plus de cette distinction première, il a été convenu de solliciter des personnes dont les domaines de compétences étaient variés (environnement, urbanisme, transports…). L’intérêt était d’interroger des personnes impliquées dans des domaines différents afin de brasser diverses thématiques potentiellement en lien avec la problématique climatique.
Au total, 22 personnes ont été interrogées, dont 9 élus et 13 personnes issues de 7 directions différentes de la Communauté d’agglomération (directeurs et chefs de services principalement). Au niveau des élus, 9 ont été choisis selon différents critères : la thématique de leur fonction (l’environnement, les transports, l’aménagement…) ou leurs responsabilités dans l’agglomération. Il a aussi été décidé de solliciter des élus de communes différentes, celles-ci variant notamment par leur densité ou ayant récemment rejoint la Communauté d’agglomération. Au niveau des directions, 13 personnes ont été sollicitées parmi 7 directions qui avaient été ciblées26, notamment en raison de l’impact que le changement climatique peut avoir sur les différentes activités de ces services.
Le changement climatique comme domaine réservé ? Remise en cause d’un cadrage erroné
Peu importe les personnes sollicitées pour répondre aux questions, il est important de souligner que la majorité d’entre-elles a répondu favorablement à la participation à cette enquête. Cela illustre déjà un premier intérêt pour la question du changement climatique, qu’il soit par la suite important ou non. D’autre part, toutes les personnes interrogées ont été capables de s’exprimer sur ce sujet, indépendamment de leur sensibilité propre à cette question, de leurs connaissances respectives ou de l’implication du changement climatique dans leur activité. Ainsi, beaucoup de personnes interrogées, dès la prise de rendez-vous ou lors de l’entretien, ont signalé qu’elles n’étaient pas spécialistes de la question. D’autres s’estimaient ne pas être les plus concernées : «Je le regrette, je suis pas la personne la plus sensibilisée à ces questions là […] honnêtement c’est un domaine que je connais très mal […] je suis pas plus concerné que ça. Enfin je me sens pas plus concerné que ça. » (E4)
Pourtant, comme l’ont montré ensuite les entretiens, peu importe leur durée, chaque personne interrogée avait des choses à dire par rapport au changement climatique. Pour reprendre le langage bourdieusien utilisé pour parler du champ politique, le changement climatique n’est pas seulement une affaire de «professionnels». Dans le cas présent, ces «professionnels» prennent le costume des scientifiques ou des experts qui sont souvent considérés comme des références de confiance : « J’suis pas spécialiste, mais je fais assez confiance à la science quand elle explique tout ça. » (E9)
« […] régulièrement, des experts s’expriment, sur les changements climatiques, avec les rapports du GIEC… donc on a l’impression qu’à peu près tout le monde, prend un peu plus conscience de l’impact que l’on a sur notre environnement et la planète. » (E12)
Lutter contre le changement climatique ne se réduit pas à un combat entre les « écolos » et les « affreux pollueurs »
Ce premier élément conduit donc à revenir sur la notion de cadrage évoquée en introduction. En effet, la manière dont a été portée la question climatique, donc son cadrage, a souvent été mise en cause dans les entretiens. Il ne s’agit pas directement d’une remise en cause du cadrage onusien, dans le cas présent, mais plutôt de ceux qui ont porté la lutte contre le changement climatique jusqu’à présent. En effet, ce portage est jugé comme étant caricatural et cela mène à voir les défenseurs de cette cause de manière négative : « […] au départ c’est porté par des gens qui en ont fait une caricature, et donc ils sont mal perçus de manière générale par l’ensemble de la société […] ». (E4)
« le problème c’est que les gens…c’est binaire quoi, dès que vous parlez de climat vous êtes un écolo là-dessus et inversement quoi. » (E13)
La lutte contre le changement climatique a ainsi été mal portée par « ceux qui voulaient défendre ça » (E4). Or, se préoccuper de la question du changement climatique ne signifie pas pour autant en faire un cheval de bataille et se ranger ainsi dans la case des « écolos » : « […] même si je suis pas une écolo en étiquette, je le suis dans l’âme. Voilà j’ai pas besoin d’avoir…une étiquette sur le front. » (E17). Une vision manichéenne des choses est donc mise en cause ici : le changement climatique ne se résume pas à l’affrontement des « écolos » contre les « affreux pollueurs » (E12) contrairement à l’idée qu’un portage simpliste du problème a longtemps véhiculé.
D’autre part, ce cadrage erroné a aussi conduit à la définition du problème climatique comme problème indépendant d’autres problématiques, le présentant comme problème environnemental seulement.
Une représentation du changement climatique erronée conduisant à l’inaction
La faible perception du changement climatique conduit à se forger une représentation erronée de ce phénomène, voire même contradictoire avec la réalité du changement climatique. Finalement, même si la science et les médias sont là pour informer l’individu là où la perception lui fait défaut, il semble toutefois compliqué de saisir l’importance du phénomène. Une personne interrogée souligne alors l’apparition d’une déconnexion entre la réalité et la perception du changement climatique : « […] les gens ils voient le ciel bleu, les feuilles aux arbres, les oiseaux volent, donc ils pensent que tout va bien ; mais je pense qu’il y a un gros souci, une grosse déconnexion entre la réalité et la perception qu’ont les gens du changement climatique. » (E14)
Cette déconnexion entre perception et réalité n’est pas sans conséquences : elle conduit à une faiblesse de l’action de lutte contre le changement climatique. En effet, la faible perception du changement climatique provoque alors une prise de conscience jugée insuffisante par la majorité des personnes interrogées. L’action découlant de cette prise de conscience est donc proportionnelle à la faiblesse de celle-ci. Une réaction de l’homme « au pied du mur » (E10) est alors souvent déplorée et un certain fatalisme est visible dans les discours : « […] tant que ça fait pas des millions de morts on…enfin, on fait pas ce qu’il faut. » (E14)
Dans les discours, cette incapacité de l’homme à anticiper le mal est souvent illustrée par des comparaisons avec d’autres situations similaires. L’homme incapable d’agir face au changement climatique est alors comparé à un enfant face à la menace du redoublement : « Un enfant, à l’école…vous avez un enfant à l’école, en 4e et puis il débute l’année scolaire, les notes sont moyennes et puis….il textote un peu trop, il découvre que les filles sont agréables, il fait le con et puis petit à petit, ça décline. Les parents vont lui dire, « si tu continue tu va redoubler, si tu continue tu va redoubler ! ». Mais l’enfant il sait pas ce que c’est, il a jamais redoublé. Et puis en juin, paf il redouble. Et là il pleure. Parce que tous ses copains sont passés et lui il est là. Donc c’est…paf, le mur, faut réagir après. Pour ça, c’est un peu pareil. » (E10).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : CADRE ET MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE DES REPRESENTATIONS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
1. Présentation de la commande : une enquête dans le cadre de l’élaboration du Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) de l’agglomération paloise
1.1. Une enquête réalisée au sein de la Communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées
1.2. Une enquête s’inscrivant dans le processus d’élaboration du Plan Climat Air Énergie Territorial
(PCAET)
2. Technique d’enquête au sujet des représentations du changement climatique
2.1. Les représentations du changement climatique, peu étudiées à l’échelle d’une
collectivité
2.2 Technique d’enquête : du choix de l’échantillonnage à la mise en place d’entretiens semi-
directifs
3. Une analyse inductive des discours
3.1. La démarche inductive, point de départ de l’analyse des discours
3.2. De l’analyse des discours à l’élaboration d’une typologie de logiques d’action
PARTIE 2 : LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, DES LIEUX COMMUNS AUX PARADOXES QU’IL IMPLIQUE
1. Déconstruction de lieux communs sur le changement climatique
1.1. Le changement climatique comme domaine réservé ? Remise en cause d’un cadrage erroné
1.2. Lutter contre le changement climatique ne se réduit pas à un combat entre les « écolos » et les « affreux pollueurs »
1.3. Lutter contre le changement climatique : une question de générations ?
2. Le changement climatique : de la perception à la représentation, de la représentation à l’action
2.1. Une faible perception du changement climatique dans l’agglomération paloise
2.2. Une représentation du changement climatique erronée conduisant à l’inaction
3. Le changement climatique, au cœur de situations paradoxales
3.1. Un décalage entre le savoir et l’action
3.2. Des temporalités contradictoires
PARTIE 3 : QUATRE LOGIQUES D’ACTION PORTEUSES DE DIFFÉRENTES VISIONS DU MONDE
1. La rationalité en finalité : une lutte conditionnelle contre le changement climatique
1.1. Définition théorique et caractéristiques générales
1.2. Une même logique d’action pour différentes représentations du changement climatique
1.2.1. La lutte contre le changement climatique est une opportunité
1.2.2. La lutte contre le changement climatique est à première vue une contrainte
1.2.3. La lutte contre le changement climatique est impossible
2. La rationalité circonstancielle : une lutte proportionnelle à l’urgence du changement climatique
2.1. Définition théorique et caractéristiques générales
2.2. Vers une analyse de détail : doubles conclusions possibles sur le changement climatique
2.2.1. Le sentiment de ne pas être concerné par le changement climatique
2.2.2. Une posture fataliste face au changement climatique
3. La rationalité en valeur : lutter contre le changement climatique est un devoir
3.1. Définition théorique et caractéristiques générales
3.2. Trois sous-types de discours
3.2.1. L’élu, figure détentrice du réel pouvoir d’agir contre le changement climatique
3.2.2. L’effort citoyen, clé de la lutte contre le changement climatique
3.2.3. Lutter contre le changement climatique, devoir moral de l’homme
4. La rationalité réflexive : aborder le changement climatique comme phénomène complexe
CONCLUSION
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