Une activité professionnelle à l’origine d’un questionnement
Enseignante de mathématiques depuis plus de dix ans aux cycles moyen et secondaire au Liban, nous nous sommes toujours préoccupée de l’apprentissage des élèves et posé la question des liens qui existent entre l’enseignement qui se déroule en classe et les apprentissages qui en découlent. L’objectif principal de cette recherche est de documenter l’intérêt que portent les chefs d’établissement, formateurs et enseignants à la réussite scolaire des élèves. Nous sommes tous convaincus de l’importance de l’enseignement et du rôle de l’enseignant accompagnateur dans le développement des acquis des élèves en mathématiques, mais il faut encore l’attester et en prendre la mesure.
Une certaine convergence de point de vue apparait en ce qui concerne les formations continues. Les chefs d’établissement, préoccupés par l’image de leur établissement, encouragent la participation des enseignants aux formations afin de développer leurs connaissances, leurs compétences professionnelles et d’améliorer la qualité de leur enseignement. La plupart sont aussi soucieux de remonter les résultats scolaires de leurs élèves.
Cette convergence de préoccupations nous invite à observer le travail des enseignants dans leurs classes et son impact sur l’apprentissage de leurs élèves, afin d’étudier l’influence de cet enseignement sur l’acquisition des compétences. Nous nous interrogeons alors sur la mise en relation et sur les différents liens possibles entre l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques . L’objet de la didactique des mathématiques est l’étude des processus de transmission et d’acquisition des différents contenus de cette science, particulièrement en situation scolaire et universitaire. Elle se propose de décrire et d’expliquer les phénomènes relatifs aux rapports entre son enseignement et son apprentissage. Elle ne se réduit pas à chercher une bonne manière d’enseigner une notion fixée (Douady, 1984, cité dans Artigue et Douady, 1986, p. 69). Nous inscrivons donc notre recherche dans le cadre de la didactique des mathématiques et nous choisissons d’étudier le processus d’ « enseignementapprentissage » en mathématiques. Une recherche qui porte sur l’enseignement et le travail des enseignants et sur l’apprentissage des élèves nécessite une observation minutieuse des classes et une évaluation précise des connaissances des élèves. Nous avons pour cela rencontré un obstacle principal qui concerne la réticence des enseignants à accueillir quelqu’un d’ « étranger » à la classe. En demandant à des collègues de nous ouvrir les portes de leurs classes, nous avons constaté une certaine réserve chez la plupart d’entre eux. Suite aux échanges que nous avons eus, nous avons réalisé qu’ils appréhendent d’une part d’être jugés et, d’autre part, que nous ne comprenions pas les difficultés qu’ils vivent concernant l’effectif des classes, le programme assez chargé qu’ils doivent enseigner et les demandes de la direction. S’ajoute aussi une contrainte liée au contenu du manuel utilisé ; une connaissance recommandée dans le curriculum peut ne pas être enseignée parce qu’elle ne figure pas dans le manuel. Par conséquent les réticences des enseignants ont éveillé notre intérêt à suivre de près leur enseignement en classe et à remarquer son impact sur l’acquisition des connaissances et sur le développement des compétences de leurs élèves. Pour plus de précisions et afin de mieux cibler le déroulement des séances en classe, il fallait opter pour un domaine bien déterminé, nous avons choisi celui de l’algèbre élémentaire en EB7 (5e ) et en EB8 (4e), nous nous en expliquons ci-après.
Choix du domaine de l’algèbre élémentaire
Nous avons choisi de limiter notre recherche au domaine de l’algèbre élémentaire pour deux raisons principales. D’abord, l’apprentissage de l’algèbre est important et utile dans la formation du raisonnement tout au long de la vie scolaire. En effet, Chevallard (1989) distingue deux grands objectifs de l’apprentissage de l’algèbre au collège, conduisant à la maîtrise formelle du calcul fonctionnel. Le premier objectif consiste à assurer un maniement formel satisfaisant du calcul algébrique, c’est-à-dire à maîtriser les aspects formels ou les formalismes du calcul algébrique (tout en distinguant entre les formalismes mathématiques et le formalisme dans l’enseignement). Le second objectif porte sur la maîtrise de la dialectique entre maniement formel des calculs algébriques et connaissance des systèmes de nombres, c’est-à-dire la dialectique entre le numérique et l’algébrique.
Par ailleurs, les études didactiques en algèbre élémentaire sont nombreuses et diverses. Certaines portent sur l’épistémologie de l’algèbre (Chevallard, 1989 ; Gascón,1994), d’autres sur l’enseignement et l’apprentissage de ce domaine (Kückemann, 1981 ; Booth, 1984 ; Bednarz et al, 1996 ; Kieran, 1989, 2006), et encore sur les aides et les remédiations apportées aux élèves en difficulté (Vergnaud, 1988 ; Combier et al, 1996), etc. Comme il existe des travaux définissant et développant des profils algébriques d’élèves et des parcours différenciés d’enseignement (Grugeon, 1995 ; Pilet, 2012), d’autres s’intéressant aux pratiques de l’enseignant et aux interactions en classe pendant des séances d’algèbre (Schmidt, 1996 ; Coulange, 2000 ; Robert, 2001 ; Al Mouhayar, 2007 ; Abou Raad et Mercier, 2009).
Combier et al (1996, p. 5) listent un ensemble de connaissances et de compétences désignées par le terme de langage algébrique ou d’ « algèbre » :
– L’utilisation de lettres comme représentation générale des nombres et des calculs qui y sont associés ou « calcul littéral » vu comme une combinatoire de règles de transformations autorisées ;
– La mise en équation d’un problème qui est un domaine en soi, qui nécessite outre le choix approprié de lettres pour représenter les quantités inconnues, d’écrire sous une forme syntaxiquement correcte les relations décrites dans l’énoncé du problème;
– La résolution d’équations qui s’appuie à la fois sur des compétences en calcul littéral et sur l’idée que seules certaines transformations des membres d’une équation permettent de conserver l’équivalence entre ceux-ci.
Quant à Mercier (2012), il considère que « l’algèbre » ainsi appelée par les didacticiens, relève du « calcul littéral » nommé de la sorte aujourd’hui par les professeurs en France.
L’apprentissage en tant que produit et l’enseignement en tant que processus
Par apprentissage, nous désignons l’apprentissage scolaire auquel s’associent plusieurs définitions, pouvant varier selon la perspective de l’auteur et sa discipline de référence (Gauquelin, 1973, dans Vienneau, 2005, p. 10). Le dictionnaire des concepts clés (Raynal et Rieunier, 2010) propose deux définitions pour apprendre, selon le courant pédagogique correspondant :
– Dans la conception behaviorale, « apprendre, c’est modifier son comportement ».
– Dans la conception cognitive, « apprendre c’est modifier durablement ses représentations et ses schèmes d’action ». (Raynal et Rieunier, 2010, p. 34).
Vienneau (2005, p. 13) définit l’apprentissage scolaire comme étant « le processus interne et continu par lequel l’apprenant construit par lui-même sa connaissance de soi et du monde. Il s’agit d’un processus interactif, alimenté par les interactions sociales entre pairs et par la médiation de l’adulte. » .
Les définitions peuvent varier aussi selon qu’il s’agisse de l’apprentissage en tant que processus ou en tant que produit (Vienneau, 2005). Lorsqu’il est perçu en tant que processus, l’accent est placé sur sa dynamique interne, le développement au contact du monde et des autres, l’actualisation du potentiel des apprenants et l’adaptation. Lorsque l’apprentissage est perçu principalement comme produit, il est considéré comme le résultat atteint par l’enseignement des programmes d’études ou comme l’acquisition de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être (Vienneau, 2005, p. 5). Ces « deux moments de l’apprentissage » sont complémentaires : aucun résultat ou produit n’est possible sans le processus qui le précède ou qui l’accompagne.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 INTRODUCTION
2 MOTIFS DE LA RECHERCHE
2.1 Une activité professionnelle à l’origine d’un questionnement
2.2 Choix du domaine de l’algèbre élémentaire
2.3 L’apprentissage en tant que produit et l’enseignement en tant que processus
3 CONTEXTE DE LA RECHERCHE
4 PRINCIPAUX CHOIX THÉORIQUES
4.1 La double approche didactique et ergonomique des pratiques enseignantes
4.2 La théorie anthropologique du didactique
5 LA PROBLÉMATIQUE ET LES HYPOTHÈSES GÉNÉRALES
6 LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
7 LA MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE
7.1 Du côté de l’analyse institutionnelle
7.2 Du côté de l’enseignement ordinaire
7.3 Du côté des apprentissages algébriques des élèves
CHAPITRE 1 LA THEORIE ANTHROPOLOGIQUE DU DIDACTIQUE
1.1 LE CONCEPT DE PRAXÉOLOGIE
1.1.1 La tâche et le type de tâches
1.1.2 La technique
1.1.3 La technologie
1.1.4 La théorie
1.2 L’AGRÉGATION DE PRAXÉOLOGIES
1.3 LA CONVOCATION DES TYPES DE TÂCHES
1.4 ORGANISATION MATHÉMATIQUE ET ORGANISATION DIDACTIQUE
CHAPITRE 2 QUELQUES ELEMENTS SUR LES TRAVAUX EN DIDACTIQUE DE L’ALGEBRE
2.1 LES DIMENSIONS OUTIL ET OBJET DE L’ALGÈBRE
2.1.1 L’algèbre dans sa dimension outil
2.1.2 L’algèbre dans sa dimension objet
2.2 LE MODÈLE DE L’ACTIVITÉ ALGÉBRIQUE (KIERAN, 2007)
2.2.1 Les sources de signification de l’algèbre
2.2.2 L’activité générative
2.2.3 L’activité transformationnelle
2.2.4 L’activité globale
2.3 UNE PRAXÉOLOGIE DE RÉFÉRENCE RELATIVE AUX EXPRESSIONS ALGÉBRIQUES (PILET, 2012)
2.3.1 La praxéologie régionale relative aux expressions algébriques
2.3.2 Les trois praxéologies locales de référence
2.3.3 Les types de tâches et les techniques des trois praxéologies locales de référence
CHAPITRE 3 LES PRATIQUES ENSEIGNANTES DANS LE CADRE DE LA DOUBLE APPROCHE
3.1 LA THÉORIE DE L’ACTIVITÉ ET LES PRATIQUES ENSEIGNANTES
3.2 LA DOUBLE APPROCHE DIDACTIQUE ET ERGONOMIQUE (ROBERT, 2001)
3.2.1 Le découpage en composantes
3.2.2 Niveaux d’organisation du travail des enseignants
3.2.3 Le modèle d’analyse des niveaux de mise en fonctionnement des connaissances
3.3 UNE APPROCHE DIDACTIQUE DE LA RÉGULATION DES APPRENTISSAGES
3.3.1 Les feedback de l’enseignant dans la note de synthèse de Crahay (2007)
3.3.2 L’évaluation formative de l’apprentissage dans la revue de littérature francophone par Allal et
Mottier-Lopez (2005)
3.3.3 La régulation des apprentissages selon Allal (2007)
3.3.4 Des régulations des apprentissages vers les régulations didactiques
3.3.5 Une catégorisation des régulations didactiques
CONCLUSION
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