Des mousses liquides aux mousses solides
Les mousses solides sont souvent obtenues depuis une mousse initialement à l’état liquide, qui subit par la suite une étape de solidification suivant différents procédés. C’est ce que l’on appelle communément le procédé en deux étapes. La structure de la mousse liquide précurseur sera donc celle de la mousse solide (si la solidification n’entraîne pas d’évolution morphologique) ou servira de point de départ à la structure finale (si la solidification présente des mécanismes de type retrait, très fréquents pour certains élastomères par exemple). Ainsi, pour les procédés de génération de mousses solides en deux étapes, contrôler finement la structure initiale de la mousse liquide permet de contrôler celle de la mousse solide et d’étudier plus aisément ses propriétés. La compréhension des mousses à l’état liquide a été le sujet de nombreuses études depuis une trentaine d’année qui ont apporté un grand nombre d’informations quant à leur organisation structurelle et les raisons de leur stabilité. Nous allons nous intéresser dans cette partie à l’origine de la stabilité des mousses liquides et à l’organisation géométrique du réseau de la phase continue. Dans un second temps, nous regarderons les conséquences sur le comportement des mousses liquides dans le temps dont va beaucoup dépendre la capacité de solidifier une structure contrôlée. Nous ne ferons pas de distinction entre mousses aqueuses et mousses organiques qui, si elles sont souvent plus visqueuses, ne sont pas si différentes en termes de propriétés structurelles et obéissent aux même lois de comportement.
Stabilité des mousses liquides
Mousses et tension superficielle
La stabilité des mousses est régie par un ensemble de phénomènes présents à différentes échelles. C’est tout d’abord la tension superficielle qui permet l’existence des surfaces de film qui sont partagées entre deux bulles. Elle trouve son origine dans les interactions de Van der Waals qui assurent la cohésion entre les molécules de la phase liquide. Ces dernières contribuent notamment à placer le système dans un état d’énergie minimale en réduisant l’énergie libre. Dans le cas de la présence d’une interface, les molécules qui y sont présentes ne pourront pas se lier avec celles de la phase gaz et ne pourront donc pas diminuer leur énergie aussi efficacement que les molécules de bulk le font en se liant entre elles. L’interface présente donc une énergie libre plus importante que le reste de la phase continue.
Les tensioactifs
Les tensioactifs sont des molécules amphiphiles qui, de par leur nature chimique, vont diffuser favorablement à l’interface. On distingue différents types de tensioactifs que sont les tensioactifs anioniques (la tête polaire porte une charge négative), cationiques (charge positive), amphotères (charges positives et négatives) ou non ioniques (pas de charge). Dans le cas d’une mousse aqueuse, la tête polaire des tensioactifs est orientée favorablement vers la phase aqueuse et la chaîne aliphatique hydrophobe vers la phase gaz. Dans cette configuration, les tensioactifs diminuent la tension superficielle de l’interface en venant y former une monocouche comme présenté sur la figure 2a. Celle-ci est complète avant que la concentration en tensioactifs atteigne la concentration micellaire critique (CMC) et les autres molécules tensioactives vont ensuite rester en solution et favorablement former des micelles, des agrégats de tensioactifs sphériques. L’augmentation de la concentration n’a alors plus d’impact sur la tension superficielle [19]–[21]. La valeur de la CMC est principalement dépendante de la nature chimique du tensioactif. Les tensioactifs à l’interface ne restent en réalité pas en place, mais rétrodiffusent en continu dans le bulk et sont ainsi remplacés par les tensioactifs qui restent en solution [22]. Cette dynamique de diffusion est grandement responsable de la viscoélasticité des films de mousse dont la tension superficielle augmente localement là où le film s’amincit lors de sollicitations mécaniques. La différence de tension superficielle conduit alors à un phénomène de diffusion des tensioactifs vers ces zones affaiblies, connu sous le nom d’effet Marangoni [23], qui tend à replacer le système à l’équilibre. Ainsi, la quantité de tensioactifs présents en solution doit être suffisante pour que le film puisse encaisser certaines déformations et les conditions optimales de stabilité d’une mousse sont généralement atteintes pour des concentrations en tensioactifs bien au-delà de la CMC. Les têtes polaires des tensioactifs jouent également un rôle important pour la stabilité des films de mousses. En effet, elles apportent une contribution (sous forme d’opposition stérique et/ou électrostatique si le tensioactif est chargé) à la pression de disjonction, qui s’oppose au rapprochement des deux interfaces liquide/gaz constituant le film, évitant ainsi sa rupture [19], [24]–[26]. Les tensioactifs sont donc un des acteurs principaux de la stabilité des mousses. On peut également différencier les tensioactifs par leur poids moléculaire. Les tensioactifs imposants ont une cinétique de diffusion plus lente à l’interface et ne sont donc pas de très bon agents moussant, mais les mousses obtenues seront plus stables dans le temps à condition de ne pas être sollicitées mécaniquement [27]. Les petits tensioactifs diffusent beaucoup plus vite à l’interface, ce qui facilite grandement le moussage, mais les mousses obtenues seront cinétiquement moins stables. La combinaison en co-tensioactif est parfois privilégiée pour l’obtention de systèmes moussant facilement et stables dans le temps [28].
Lois de Plateau
La structure élémentaire du réseau interstitiel liquide d’une mousse a été pour la première fois décrit en 1873 par Jospeh Plateau [30] lors de l’étude de films de savons. Ses observations, décrites par les lois de Plateau, ont seulement été démontrées dans les années 1970 par Almgren et Taylor [31]. Les lois de Plateau décrivent localement l’assemblage de bulles qui assure la minimisation de la surface d’empilement et la conservation du volume des bulles. Ces lois, valables tant qu’on ne s’éloigne par trop de l’hypothèse d’une mousse idéale (mousse très sèche, au repos, incompressible pour des surpressions petites devant la pression atmosphériques et dotée de films sans épaisseur de tension superficielle 2?), constituent des conditions nécessaires et suffisantes pour assurer un équilibre mécanique et sont les suivantes [19] :
➤ 1ère Loi de Plateau : Chaque film a une courbure moyenne constante fixée par la loi de Laplace.
➤ 2ème Loi de Plateau : Les films se rencontrent par trois aux bords de Plateau avec des angles de 120°.
➤ 3ème Loi de Plateau : Les bords de Plateau se rencontrent par quatre aux nœuds (ou vertex) avec des angles de 109,5°.
Organisation géométrique des mousses
Mousses monodisperse ordonnées
Les mousses monodisperses sont généralement considérées comme telles lorsque leur indice de polydispersité est inférieur à 5% [33]. Contrairement à la majorité des mousses qui sont plutôt polydisperses, les mousses monodisperses sont capables de s’ordonner spontanément, et une analogie peut même être faite entre leur structure et un empilement classique de sphères solides. On peut distinguer deux cas limites.
Dans le cas d’une mousse en limite sèche où ?? est très faible, le problème des empilements parfaits de bulles a été très tôt étudié. Le physicien Lord Kelvin énonce ainsi en 1887 une conjecture sur l’existence d’un pavage complet de l’espace à 3 dimensions par des cellules de volumes identiques et de surfaces minimales. Longtemps, l’octaèdre tronqué qui présente 14 faces (8 hexagones et 6 carrés observables sur la figure 6a), connu aujourd’hui sous le nom de cellule de Kelvin, était présenté comme la solution optimale de ce problème et correspondait à la géométrie d’une tesselation de Voronoi d’un empilement cubique centré (CC). Cependant, la structure de Weaire et Phelan, découverte en 1994, est venue contredire cette solution [34][35]. Elle consiste en un assemblage de dodécaèdres réguliers avec 12 faces pentagonales et de trapézoèdres hexagonaux tronqués avec 12 faces pentagonales et 2 faces hexagonales comme présenté sur la figure 6b. Plus récemment, une nouvelle structure a été proposée par Opsomer et Vandewall [36] à l’aide d’un algorithme de recherche des structures. Cependant, la solution ici proposée est un assemblage de cellules à 12 et 16 faces qui ont un volume significativement différent et ne respectent donc plus la conjoncture de Kelvin. Il est également important de noter que si la cellule de Kelvin est facilement obtenue expérimentalement [33], [37], [38], la structure de Weaire et Phelan n’a été observée qu’en contact avec une surface modifiée qui prend en compte les conditions aux limites de la structure [39]. Ainsi, la majeure partie des études se basant sur des hypothèses de mousses sèches ont été réalisées en considérant la géométrie de la cellule de Kelvin.
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Table des matières
Table des Matières
Introduction
1. Des mousses liquides aux mousses solides
1.1. Stabilité des mousses liquides
1.1.1. Mousses et tension superficielle
1.1.2. Les tensioactifs
1.2. Structure des mousses liquides
1.2.1. La fraction liquide
1.2.2. Loi de Young-Laplace
1.2.3. Lois de Plateau
1.2.4. Organisation géométrique des mousses
Mousses monodisperse ordonnées
Mousses monodisperses désordonnées
Mousses polydisperses
1.2.5. Structure des éléments de réseau, effet de la fraction liquide volumique
1.3. La pression osmotique
1.4. Phénomènes de vieillissement
1.4.1. Processus de réarrangement T1 et T2
2.4.2. La coalescence
1.4.3. Le mûrissement
1.4.4. Le drainage
Drainage gravitaire
Drainage forcé
2. Mécanique des mousses solides
2.1. Morphologie des mousses solides
2.1.1. La fraction solide ou densité relative
2.1.2. Microstructure
2.2. Mécanismes de déformation
2.2.1. Compression
2.2.2. Elongation
2.3. Comportement mécanique avec la fraction solide, les modèles de mousses cristallisées
2.3.1. Les approches historiques
2.3.2. Le modèle cubique de Gibson et Ashby
2.3.3. Le modèle de Kelvin
2.3.4. Le modèle cubique face centrée
2.4. Comportement viscoélastique des mousses polymères
2.4.1. Principe et modélisation
2.4.2. Comportement mécanique de mousses viscoélastiques
3. Génération de mousse, l’outil microfluidique
3.1. Génération de mousse dans une géométrie microfluidique
3.2. Mécanisme de rupture et taille des objets
Conclusion
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