Des maladies parkinsoniennes aux synucléinopathies

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Biochimie de l’agrégation

Le repliement des protéines

Comment expliquer qu’une protéine puisse changer de structure et adopter une autre conformation que sa structure native ? Pour comprendre cela, il faut d’abord expliquer comment les protéines se replient. Une première réponse nous vient du paradoxe de Levinthal (Levinthal, 1969). Levinthal questionne le fait qu’une protéine ne peut pas explorer toutes les conformations qui lui sont permises de façon aléatoire pour trouver sa conformation native. En effet, dans un tel scénario, le temps de repliement serait trop long. Or, les protéines adoptent leurs conformations en seulement quelques secondes voire millièmes de seconde. De plus, Anfinsen montra que, lorsque la ribonucléase A, un enzyme, est dénaturée par de l’urée, celle-ci perd sa structure et donc son activité. Cependant, dès lors que l’agent dénaturant est retiré du milieu (par dialyse), l’enzyme retrouve sa structure illustrée par son activité enzymatique (Anfinsen, 1973). Ceci, couplé au paradoxe de Levinthal, permet de  comprendre que l’information du repliement se trouve dans la séquence même de la protéine. Toutefois, il est important de noter que des facteurs extérieurs jouent aussi un rôle important dans ce repliement comme, par exemple, la température, la force ionique, le pH ou encore les chaperons moléculaires. Tous ces aspects vont pousser les protéines à adopter une conformation active plus ou moins stable (Fig. 2).
Figure 2 : Schéma des niveaux d’énergies des protéines lors de leurs repliements et agrégations. La rugosité de la ligne d’énergie illustre la multitude d’états conformationnels des protéines. Le schéma est divisé en deux parties. En gris clair sont illustrés les niveaux d’énergies dans la recherche d’une conformation stable en état monomérique, c’est-à-dire par des interactions intramoléculaires seules. En gris foncé sont illustrés les niveaux d’énergies des assemblages protéiques montrant la stabilité des fibres amyloïdes grâce aux liaisons intermoléculaires. Adaptée de (Jahn et Radford, 2008).
Néanmoins, même repliées, les protéines ne sont pas statiques et oscillent autour d’une ou plusieurs conformations (Fersht, 1999). Par exemple, dans le cas des protéinopathies, les protéines incriminées sont souvent partiellement non-repliées (ex : PrP), voir sans aucune structure définie (ex : α-synucléine), ce qui leurs permet d’explorer constamment de nombreuses conformations. De plus, le repliement peut survenir lors d’une liaison avec un partenaire. Par exemple, la protéine Tau, qui n’a pas de conformation définie dans le cytoplasme, adopte un repliement lorsqu’elle se lie à de la tubuline en solution ou à des microtubules (Cleveland et al., 1977; Kadavath et al., 2015; Li et al., 2015). Finalement, la fréquence de chacune des conformations d’une protéine est définie par de nombreux facteurs tels que : la stabilité des interactions intramoléculaires, les conditions physico-chimiques, ou encore la présence de ligands permettant des interactions intermoléculaires.

De la structure native à l’agrégat

Dans le cas où une protéine adopte une mauvaise conformation, pathologique ou non, celle-ci peut avoir plusieurs destins. Premièrement, cette structure peut disparaître d’elle-même. En effet, comme nous avons vu, si cette conformation n’est pas stable, ou stabilisée par des interactions, alors elle ne sera que transitoire. Deuxièmement, dans le cas où cette structure persiste, alors elle sera prise en charge par le système des chaperons moléculaires. Effectivement, ce système est défini comme l’ensemble des protéines cellulaires dont la fonction est de permettre le repliement de polypeptides (Ellis, 1987). Cette activité survient, entre autres, lors de la synthèse protéique, dans un contexte de stress cellulaire affectant la structure des protéines, ou encore pour aider les polypeptides à passer au travers des membranes (Chang et al., 2007; Tang et al., 2007). Il est toutefois important de préciser que, dans le cas des encéphalopathies spongiformes transmissibles, les chaperons pourraient aussi accélérer l’agrégation de PrP (DebBurman et al., 1997; Stöckel et Hartl, 2001; Stroylova et al., 2014). Troisièmement, dans le cas où la protéine persisterait dans sa mauvaise conformation, le système de dégradation ubiquitine-protéasome ( » Ubiquitin-Proteasome System  » : UPS) peut la prendre en charge. Celui-ci peut être défini par deux groupes agissant conjointement. Le premier groupe est composé d’ubiquitines ligases qui vont marquer les protéines mal-repliées par une chaîne poly-ubiquitine. Le deuxième groupe, constitué du protéasome 26S, est composé du complexe 20S, ayant l’activité de dégradation des protéines, et d’un ou deux complexes régulateurs 19S, ayant une activité ATPase. Ainsi, les protéines mal-repliées seront marquées par une chaîne poly-ubiquitine, permettant l’adressage de celles-ci au protéasome pour être dégradées (Glickman et Ciechanover, 2002; Goldberg, 2003). Cependant, dans le cadre d’une encéphalopathie spongiforme transmissible, l’UPS fonctionne moins bien. En effet, dans ces pathologies, il a été démontré que PrPsc est retrouvée ubiquitinée mais non dégradée (Kang et al., 2004). Ceci serait la conséquence de l’agrégation de PrP qui inhiberait le protéasome en interagissant avec celui-ci. De plus, il a été montré qu’avec le vieillissement, ces systèmes sont moins performants (Labbadia et Morimoto, 2014).
Cette diminution d’efficacité des systèmes de contrôle pourrait permettre l’accumulation de protéines mal-repliées, sous forme de fibres extrêmement stables, appelées fibres amyloïdes (Fig. 2 et 3) (Peelaerts et al., 2018). Les fibres amyloïdes sont définies par des propriétés bien précises : 1- elles s’allongent aux extrémités par l’incorporation de protéines monomériques ayant la bonne conformation ; 2- elles ont des propriétés spécifiques de marquage (par exemple : le rouge congo ou la thioflavine T) ; 3- elles présentent une résistance à la protéolyse ; 4- elles ont une apparence fibrillaire en microscopie électronique ; 5- elles ont un fort contenu en feuillet β (Soto, 2003; Cobb et Surewicz, 2009).
Figure 3 : Schéma de l’agrégation d’une protéine nativement non-repliée. Une protéine non-repliée (à gauche) peut, de manière réversible, acquérir une conformation pouvant s’agréger. Si cette structure entre en contact avec une autre protéine, de la même conformation, alors elles pourront s’assembler en oligomère dont la stabilité augmentera avec le nombre d’interactions (illustré par le gradient de blanc à rouge). Il est à noter que ce phénomène est réversible tant que des liaisons latérales ne stabilisent pas l’ensemble. La stabilité de ces assemblages dépendra de la constante d’association de la protéine, et de nombreux autres facteurs tels que la concentration en monomère, le taux de conversion sous forme agrégante, ou encore l’encombrement moléculaire. L’assemblage deviendra très stable une fois des liaisons latérales établies. Au-delà d’une certaine taille, les fibres peuvent se fragmenter en des assemblages plus ou moins stables qui, par augmentation du nombre d’extrémités pouvant s’allonger, vont permettre la propagation de la forme amyloïde. Adaptée de (Melki, 2018a).
Ainsi, lorsque PrPc adopte sa forme pathogène, PrPsc, celle-ci peut former des fibres amyloïdes qui s’accumulent dans le cerveau des patients atteints (Bolton et al., 1982; Prusiner et al., 1983; DeArmond et al., 1985; Caughey et Raymond, 1991; Borchelt et al., 1992; Gasset et al., 1993; Saborio et al., 2001; Deleault et al., 2005; Barria et al., 2009; Zhang et al., 2013).

La complexité de l’étude des maladies à prion

Le principe de souches

Durant le 20ème siècle, de nombreuses formes d’encéphalopathies spongiformes transmissibles furent produites et décrites, par exemple chez la souris (Fraser, 1976; Dickinson et Fraser, 1977), chez le hamster (Chandler et Turfrey, 1972; Kimberlin et Walker, 1977; Safar et al., 1998), ou encore chez le vison (Bessen et Marsh, 1992). Ainsi, les différentes formes de pathologies, appelées souches, ont pu être classées dans des groupes selon les paramètres suivants (Dickinson et Meikle, 1969; Fraser et Dickinson, 1973; Kimberlin et Walker, 1979; Bruce et al., 1989, 1991; Bruce, 1993) : 1- dans une espèce donnée, la concentration d’agent infectieux, dans le cerveau des animaux, est la même au moment du développement des symptômes, et ne dépend pas de l’âge, de la dose injectée, ou de la zone d’injection ; 2- le temps d’incubation, soit le temps entre l’injection et le développement des symptômes, est stable dans une lignée animale définie, et ne varie que par le site d’injection et la quantité injectée ; 3- les lésions retrouvées pour une souche sont toujours les mêmes et sont indépendantes du site d’injection et de l’espèce.
Cependant, comment expliquer les différences entre les souches ? Une première hypothèse fut que chaque souche est définie par l’interaction de matériels génétiques avec la forme pathologique de PrP (Weissmann, 1991). Cette hypothèse fut rapidement abandonnée par la suite, notamment par l’observation que des hautes doses d’ionisation, ou d’ultra-violet, n’influent pas sur la stabilité de la souche (Bruce, 1993). Une deuxième hypothèse est que les modifications post-traductionnelles de la PrP permettent de discriminer les souches. En effet, le ratio de PrP mono-glycosylé sur di-glycosylé n’est pas le même entre la CJD classique et le nouveau variant de la CJD (Collinge et al., 1996; Hill et al., 1997). Toutefois, cette hypothèse n’est pas suffisante pour expliquer la large gamme des souches qui a été caractérisée (Somerville et Ritchie, 1990). Enfin, sachant que les séquences de PrPc et de PrPsc sont identiques, mais que leurs structures secondaires sont différentes, une troisième hypothèse serait que chaque souche est caractérisée par une structure distincte de la PrPsc (Safar et al., 1993; Stahl et al., 1993). Cette hypothèse a pu être validée par l’observation, chez le vison ou le hamster, que les souches sont caractérisées par différentes conformations de PrPsc (Bessen et Marsh, 1994; Safar et al., 1998). Par la suite, chez l’Homme, il put être démontré que dans l’insomnie fatale familiale PrPsc a une structure différente que dans la CJD (Telling et al., 1996). De même, le nouveau variant de la CJD (Will et al., 1996) a été caractérisé comme ayant une structure, différente de celle retrouvée dans une CJD sporadique, mais identique à l’encéphalopathie spongiforme bovine. Ceci permit d’ailleurs de conclure qu’il y a eu une transmission de la pathologie de la vache à l’Homme (Collinge et al., 1996; Bruce et al., 1997; Hill et al., 1997). Par ailleurs, la stabilité de la structure des souches a aussi été mise en avant. En effet, au fil des passages d’animaux en animaux, la pathologie reste la même, témoignant d’une conservation de la souche (Bruce, 1993; Bessen et Marsh, 1994; Collinge et al., 1996; Telling et al., 1996; Bruce et al., 1997). Dans l’idée de confirmer que c’est bien la structure de la PrPsc qui fait la souche, il a été démontré chez l’animal, avec différentes fibres amyloïdes synthétiques de PrP, que les temps d’incubations et les profils pathologiques ne sont pas les mêmes selon la structure des assemblages (Legname et al., 2004, 2005; Colby et al., 2009).
Figure 4 : Illustration du phénomène de souches. Dans la multitude de structure que peut adopter une protéine (jaune, turquoise, bleu, violet, ou vert), seules certaines de ces conformations ont la capacité de former des fibres amyloïdes. Par exemple, ici, les conformations turquoise, bleue et violette se feront et se déferont sans formation de fibres. Cependant, lorsque la protéine adoptera la structure jaune, ou verte, celle-ci pourra former des fibres amyloïdes. Pour cela, il faudra que la protéine interagisse avec d’autres monomères, ayant la même structure, afin de s’allonger. Ainsi, à partir d’une protéine monomérique, différentes fibres amyloïdes, ayant des caractéristiques structurales distinctes, pourront être obtenues. La capacité d’assemblages aux extrémités des fibres dépend de la conformation compatible ou non des monomères. Il n’est pas possible d’incorporer des monomères aux structures incompatibles. Cela explique l’homogénéité structurale des amyloïdes. Adaptée de (Brundin et Melki, 2017)
Finalement, il fut suggéré que l’information pathologique est présente dans la fibre via la structure des monomères (Fig. 4). Cette information est conservée car, lorsqu’une protéine est incorporée dans l’assemblage amyloïde, celle-ci possède la même conformation que celle présente dans la fibre (Bessen et al., 1995; Legname et al., 2004).

Le phénomène de barrière d’espèces

Dans la recherche, pour comprendre le phénomène de souches, une autre caractéristique du prion fut mise en avant : la barrière d’espèces (Pattison, 1965b). Ainsi, Zlotnik et Rennie (Zlotnik et Rennie, 1965) mirent en avant que le temps d’incubation d’une souche, provenant de chèvres ou de moutons infectés, décroit au fil des passages chez la souris. Au contraire, une souche stable chez la souris verra son temps d’incubation augmenter si, avant réinjection chez la souris, il y a eu passage chez la chèvre ou le hamster. Par la suite, il fut démontré que cette adaptation de la souche va, au fil des passages chez une même espèce, faire baisser le temps d’incubation jusqu’à ce que celui-ci se stabilise (Kimberlin et Walker, 1977), tout en augmentant le temps d’incubation chez l’hôte d’origine (Kimberlin et Walker, 1978). L’explication de ce phénomène peut venir des différences dans la séquence de PrP entre les espèces. En effet, si une souris possède le gène codant la PrP de hamster, alors le temps d’incubation d’une souche provenant d’un hamster sera réduit proportionnellement à la quantité de PrP d’hamster exprimée, dès le premier passage (Carlson et al., 1989; Scott et al., 1989; Prusiner et al., 1990). De même, au sein d’une espèce, des mutations ponctuelles dans la séquence de la PrP vont aussi faire varier le temps d’incubation d’une souche (Lowenstein et al., 1990). Finalement, il a été conclu que le temps d’incubation dépend de la souche, de la barrière d’espèces et du génotype de l’individu (Hill et al., 1997).

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Table des matières

Introduction
I. Historique des maladies à prion
A. Les encéphalopathies spongiformes transmissibles
1. Historique des encéphalopathies spongiformes transmissibles
2. PrP : la cause des encéphalopathies spongiformes transmissibles
B. Biochimie de l’agrégation
1. Le repliement des protéines
2. De la structure native à l’agrégat
C. La complexité de l’étude des maladies à prion
1. Le principe de souches
2. Le phénomène de barrière d’espèces
II. Les maladies parkinsoniennes
A. La maladie de Parkinson
1. Présentation
2. Les symptômes et le diagnostic
3. La théorie de Braak
B. Les démences à corps de Lewy
1. Présentation
2. Les symptômes et le diagnostic
3. L’histopathologie
C. L’atrophie multi-systématisée
1. Présentation
2. Les symptômes et le diagnostic
3. L’histopathologie
III. Des maladies parkinsoniennes aux synucléinopathies
A. Découverte de l’α-synucléine
1. L’α-synucléine dans les maladies parkinsoniennes
2. Historique des synucléines
B. Description de l’α-synucléine
1. La séquence de l’α-synucléine
2. Le rôle de l’α-synucléine
C. L’α-synucléine dans les synucléinopathies
1. Epidémiologie des synucléinopathies
2. D’une forme saine à une forme pathologique
3. Les mutations de l’α-synucléine
4. La structure toxique des fibres d’α-synucléine
IV. Les synucléinopathies : des maladies prions ?
1. La forme prion a une structure différente de la forme native
2. La pathologie nécessite l’expression de la protéine prion
3. La forme prion peut recruter la protéine endogène saine
4. La forme prion résiste à la protéolyse
5. La forme prion s’accumule dans les tissus
6. La forme prion induit la dégénérescence cellulaire
7. Existence d’une barrière d’espèces
8. La forme prion se propage de cellule à cellule
9. Il existe un phénomène de souches pouvant causer différentes pathologies
10. Conclusions
Travaux de thèse
I. Mise en place d’une méthode fiable d’amplification des assemblages amyloïdes d’α-synucléine présents dans des tissus de patients atteints de synucléinopathies
II. Mise en évidence d’agents permettant la décontamination de matériels de laboratoire souillés par diverses protéines en fibres amyloïdes
III. Etude de la propagation de différents assemblages d’α-synucléine dans un réseau de neurones corticaux induits
Conclusions et perspectives
I. Conclusions
A. La PMCA comme outil d’étude des synucléinopathies
B. Procédures de décontamination des fibres amyloïdes
C. Propagation d’assemblages d’α-synucléine dans un réseau de neurones
II. Perspectives
A. Caractérisation structurale des dépôts amplifiés
1. La protéolyse ménagée
2. La microscopie électronique
3. La spectrométrie de masse
4. La résonance magnétique nucléaire à l’état solide
B. Caractérisation fonctionnelle des dépôts amplifiés
1. Mesurer les propriétés de propagation des souches
2. Tester la pathogénicité
3. Identification des partenaires des fibres issues d’amplification
C. Vers une généralisation de la caractérisation des synucléinopathies par PMCA
D. Utilisation des agrégats amplifiés pour la recherche translationnelle
E. Vers une méthode de diagnostic ?
Bibliographie

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