Des dispositifs centrรฉs autour de la carcasse ร partir des annรฉes 1960ย
Des dispositifs rรฉglementairesย
Lโestampille labelย
Jusquโen 1960, lโabsence rรฉglementaire dโindexation du paiement des carcasses sur une grille de classement unique crรฉait des disparitรฉs de prix importantes sur les diffรฉrents marchรฉs rรฉgionaux, y compris sur le marchรฉ parisien de la viande. Si bien quโau mois de septembre 1952, suite au rapport dโAlexandre Verret (1952), le Conseil Economique recommande que soit รฉtudiรฉ ร nouveau le problรจme de lโunification รฉventuelle du marchรฉ parisien des viandes. Le 7 novembre 1952, nous dit Haddad (1995), le directeur de la Police รฉconomique convoquait les reprรฉsentants du syndicat de la Boucherie en gros, quai de Gesvres, afin de leur faire connaรฎtre les rรฉsultats de lโenquรชte effectuรฉe par ses services sur les prix de la viande au marchรฉ aux bestiaux et aux abattoirs. Il rรฉsultait de cette enquรชte que les chevillards achetaient environ 5 % dโanimaux au prix de ยซ lโextra ยป, proportion confirmรฉe par les commissionnaires en bestiaux, mais quโils en revendaient plus de 30 % en extra dans les รฉchaudoirs. Lโadministration estimait que cette pratique, consistant ร reclasser les animaux en qualitรฉ, permettait ร la boucherie en gros et ร la boucherie de dรฉtail de faire de larges bรฉnรฉfices au dรฉtriment des consommateurs et des producteurs. Le manque de rรฉfรฉrences sur la qualitรฉ des carcasses bovines aboutissait donc ร un manque de transparence de la mise en marchรฉ des viandes.
Une dizaine dโannรฉes plus tard, lโarticle 37 de la loi dโorientation agricole du 5 aoรปt 1960 prรฉvoit quโร partir du 1er juillet 1961, tous les abattoirs publics et les abattoirs industriels agrรฉรฉs, doivent รชtre munis d’une estampille ยซ label ยป destinรฉe ร marquer d’une faรงon indรฉlรฉbile et apparente les carcasses de qualitรฉ extra et de premiรจre qualitรฉ. L’estampille ยซ label ยป porte le nom de la race de l’animal abattu. Les vรฉtรฉrinaires inspecteurs des viandes, ou leurs prรฉposรฉs en leur prรฉsence, sont habilitรฉs ร apposer cette estampille ยซ label ยป. En aucun cas l’estampille ยซ label ยป ne peut รชtre appliquรฉe sur la carcasse d’un animal abattu dans une tuerie particuliรจre (loi nยฐ 60-808 du 5 aoรปt 1960, titre IV, article 37). Malgrรฉ lโimprรฉcision de ce type de marquage de la carcasse, reposant davantage sur son apprรฉciation que son classement, lโestampille ยซ label ยป pose les jalons dโune identification toujours plus poussรฉe des caractรฉristiques de la carcasse.
De la grille de classification FRANCE ร la grille SEUROP
Rapidement, lโarrรชtรฉ ministรฉriel du 24 octobre 1961 รฉtablit le classement des carcasses selon leur conformation et attribue une valeur commerciale ร chacune des classes dรฉfinies. Cette classification sโinspire largement des travaux du vรฉtรฉrinaire A. Houdiniรจre (1957) sur les profils concaves, convexes ou rectilignes des quartiers arriรจres des carcasses. Cette codification repose sur la dรฉfinition dโune classe dโanimal selon lโรขge, le sexe et la race et des caractรฉristiques propres ร la carcasse (la conformation, la qualitรฉ du muscle, lโimportance de lโos, le degrรฉ dโengraissement, la qualitรฉ de la graisse). Un peu plus tard, la loi du 8 juillet 1965 rรฉglemente les conditions nรฉcessaires ร la modernisation du marchรฉ des viandes parmi lesquelles la classification des viandes bovines prรฉvue par lโarticle 13. Il prรฉcise que lโidentification des animaux, lโidentification et la classification des viandes, la dรฉcoupe des carcasses destinรฉes ร la commercialisation sont rรฉglementรฉes par arrรชtรฉs conjoints du Ministre de lโAgriculture et du Ministre chargรฉ du Commerce en tenant compte de la nรฉcessitรฉ dโharmoniser ces mรฉthodes dans le cadre de la communautรฉ รฉconomique europรฉenne et des รฉchanges extรฉrieurs. Cette nouvelle identification prend effet le 9 juillet 1966. Elle est dรฉsormais pratiquรฉe par un Service dโEtat dโhygiรจne alimentaire composรฉ de vรฉtรฉrinaires fonctionnaires spรฉcialisรฉs. Dans un article dรฉdiรฉ ร la classification des viandes, la revue AZ รฉlevage (1966) avance que lโinspection qualitative obligatoire des carcasses est prรฉsentรฉe dans lโarticle premier de la loi comme devant รชtre procรฉdรฉe dans lโintรฉrรชt de la protection de la santรฉ publique. Il ne fait cependant aucun doute que cette qualification a รฉtรฉ prรฉvue dans un but รฉconomique afin de pouvoir servir la politique. Le discours de Valรฉry Giscard dโEstaing devant lโAssemblรฉe Nationale en atteste : ยซ avant de procรฉder ร lโexamen des articles, je voudrais vous rappeler les objectifs que nous poursuivons dans cette partie du texte. La crรฉation de nouveaux รฉquipements en matiรจre de viande, la construction de nouveaux abattoirs plus rationnels, nโont de sens que si, simultanรฉment, la commercialisation de la viande est elle-mรชme rรฉorganisรฉe ยป. Des critรจres dโidentification sont mis en place tout au long du circuit commercial. Ils prรฉvoient essentiellement lโapprรฉciation de la race, de lโรขge, de la conformation et du degrรฉ dโengraissement de lโanimal. Des expรฉriences ont lieu dans des abattoirs tรฉmoins dans un double objectif. Le premier vise ร objectiver et uniformiser cette nouvelle classification des viandes. Le second doit aboutir ร un nombre de classes suffisamment restreint pour permettre des transactions claires et des commandes ร distance. Ce deuxiรจme objectif inquiรจte fortement la corporation des bouchers qui redoute la fin de la spรฉcialisation du commerce de la viande. Ce systรจme de classement des carcasses permettait ร dโautres opรฉrateurs profanes en matiรจre de viande (notamment les magasins ร succursales prรฉcurseurs des grandes surfaces) dโacheter ร distance des carcasses quโils nโavaient pas รฉvaluรฉes euxmรชmes dโun niveau de qualitรฉ homogรจne. Au cours des 5 annรฉes qui suivront la promulgation de la loi, cette classification sera gรฉnรฉralisรฉe en commenรงant par les 23 grands abattoirs dont la construction est prรฉvue, puis sโรฉtendant progressivement ร lโensemble des transactions sur les viandes. Cโest aussi ร cette pรฉriode que la controverse autour de la reconstruction des abattoirs de La Villette oppose le gouvernement et le prรฉsident du Syndicat de la Boucherie en gros ร la Fรฉdรฉration Nationale des Syndicats dโExploitants Agricoles (FNSEA). Tandis que le gouvernement et le Syndicat encourageaient le plan de reconstruction, une politique de rรฉnovation des abattoirs menรฉe par les Fรฉdรฉrations Dรฉpartementales des Syndicats dโExploitants Agricoles (FDSEA) se dessinait en province et dans le pรฉrimรจtre de la rรฉgion parisienne, ยซ ce qui allait รชtre fatal quelques annรฉes plus tard au nouveau complexe parisien ยป (Haddad, 1995). Marcel Bruel, alors secrรฉtaire gรฉnรฉral de la FNSEA, proposait une nouvelle vision de la mise en marchรฉ de la viande. Pierre Belleville (1962) reprend les arguments de M. Bruel : Premiรจre proposition de ce plan : ยซ changer le lieu des transactions de bรฉtail, cโest-ร -dire pratiquement en finir avec la vente ร la traverse , quโelle ait lieu ร la ferme ou sur le champ de foire. Sโinspirant dโexemples รฉtrangers : suรฉdois, hollandais, voire amรฉricains. Bruel demande que se gรฉnรฉralise, que soit seule admise, la vente ร lโabattoir, au rendement en viande de la carcasse. Cela signifie que le paysan voulant se dessaisir dโune bรชte, tรฉlรฉphonerait ร sa coopรฉrative, ou au centre de ramassage ou conduirait lui-mรชme son bรฉtail ร lโabattoir primaire. Il toucherait alors un acompte, mais le prix exact de la bรชte vendue ne serait dรฉterminรฉ quโaprรจs abattage, pesรฉe et classification. Avec ce systรจme apparaรฎt pour la premiรจre fois la possibilitรฉ dโun prix qui corresponde ร quelque chose de rรฉel. A condition toutefois, que les prix nationaux des diffรฉrentes qualitรฉs ne dรฉcoulent plus des transactions spรฉculatives de La Villette. Les producteurs, dโaprรจs le plan Bruel, demandent que le prix national soit รฉtabli ร partir de la moyenne des prix dโune dizaine dโabattoirs ยป.
Cette controverse nโรฉtait pas indรฉpendante de la rรฉnovation gรฉnรฉrale de lโorganisation de la production et des marchรฉs de la viande mise en ลuvre suite ร la loi dโorientation agricole de 1960 visant ร plus de transparence dans la commercialisation des viandes.
Des dispositifs de recherches
Modรฉlisation du lien entre composition corporelle des carcasses et quantitรฉ de viande produiteย
La loi dโorientation agricole (en lโoccurrence lโarticle 37) a orientรฉ, depuis les annรฉes 1960, les enjeux de la Recherche autour de la caractรฉrisation de la viande bovine et particuliรจrement de lโรฉtude des relations entre un animal vif, sa carcasse et enfin sa viande. Ainsi, les recherches engagรฉes en France, depuis 1935 pour les porcins puis ร partir des annรฉes 1960 pour les bovins, sont fondรฉes sur lโรฉtablissement de modรจles biomรฉtriques reliant les รฉtats de lโanimal au cours de sa transformation : de lโanimal vif ร sa carcasse jusquโau morceau de viande. Elles ont cherchรฉ ร mettre en correspondance la composition corporelle des bovins ร partir de lโรฉtude de leur carcasse. Lโenjeu รฉtait dโabord de connaรฎtre la valeur commerciale de la carcasse en estimant sa composition ร partir de prรฉlรจvements de morceaux de muscles sur le ยซ pan traitรฉ ยป. La carcasse idรฉale devant fournir une quantitรฉ maximum de muscles pour une quantitรฉ optimum de dรฉpรดts adipeux. Les Amรฉricains furent les pionniers dans le domaine grรขce notamment aux travaux dโHopper (1944). Mais les mesures effectuรฉes sur la carcasse au niveau du morceau tricostal (9, 10 et 11รจme cรดte) nโรฉtaient pas envisageables en France sans dรฉvalorisation commerciale de la carcasse puisque le pan traitรฉ y est vendu intact. Pour y remรฉdier, Dumont et al. (1961(a), 1961(b) et 1964) lancent une sรฉrie de recherches visant prรฉdire le poids des diffรฉrents muscles de la carcasse ร partir des mensurations dโune demi-carcasse et de sa conformation gรฉnรฉrale. Ils concluent que les diffรฉrences constatรฉes dans la conformation se retrouvent trรจs attรฉnuรฉes dans les proportions des morceaux de dรฉcoupe. De mรชme, ils constatent une faible variabilitรฉ des morceaux de premier choix entre diffรฉrentes conformations de carcasses malgrรฉ une trรจs forte diffรฉrence de valeur commerciale entre animaux. Malgrรฉ lโabsence de relations entre conformation de carcasse et importance des divers morceaux, ils prรฉconisent tout de mรชme dโorienter la sรฉlection vers le raccourcissement des animaux et leur รฉlargissement au niveau des trochanters.
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Table des matiรจres
Introduction gรฉnรฉrale
1. DES DISPOSITIFS CENTRES AUTOUR DE LA CARCASSE A PARTIR DES ANNEES 1960
1.1 Des dispositifs rรฉglementaires
1.1.1 Lโestampille label
1.1.2 De la grille de classification FRANCE ร la grille SEUROP
1.2 Des dispositifs de recherches
1.2.1 Modรฉlisation du lien entre composition corporelle des carcasses et la quantitรฉ de viande produite
1.2.2 Extension de la modรฉlisation du lien entre les types dโanimaux vifs et la quantitรฉ de viande produite
1.2.3 Mise en relation directe du lien entre lโanimal sur pieds et de sa viande
1.2.4 Intรฉgration du fonctionnement des activitรฉs dโรฉlevage dans les modรจles zootechniques
1.2.5 Des connaissances nombreuses, mais difficilement utilisables pour la qualification
1.2.6 Une approche plus globale
1.2.7 โฆ ou plus approfondie au niveau biologique
1.2.8 Synthรจse des facteurs influenรงant la qualitรฉ de la viande bovine
1.2.9 Perspectives de recherches
1.3 Des dispositifs techniques, professionnels et commerciaux
1.3.1 Un dรฉplacement des lieux et des fonctions dans la filiรจre
1.3.2 De nouveaux dispositifs techniques
1.3.3 Un changement dans les mรฉthodes de nรฉgociation de la viande
2. DEVELOPPEMENT DES MARQUES DEPOSEES OU CERTIFIEES
2.1 Aperรงu des marques, label rouge et certificat de conformitรฉ existants
2.2 Des dรฉmarches fondรฉes sur la connaissance des facteurs permettant de produire une viande de qualitรฉ supรฉrieure
3. PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE : LA QUESTION DE LโORIGINE DES VIANDE BOVINE
3.1 Le marquage du lien ร lโorigine : รฉtat de lโart
3.1.1 La dimension physique au terroir
3.1.2 La dimension socio-historique du terroir
3.2 Spรฉcificitรฉs de la qualification de lโorigine dans le cas de la viande bovine
3.2.1 Quelle place pour lโorigine par rapport ร la provenance et la qualitรฉ supรฉrieure?
3.2.2 Ce que la crise a mis en รฉvidence
3.3 Un renforcement des exigences rรฉglementaires
3.4 Les enjeux de la diffรฉrenciation des viandes bovines selon leur origine
3.4.1 Protection de la dรฉnomination gรฉographique
3.4.2 Production de rรฉfรฉrences
3.4.3 Dรฉveloppement territorial
3.5 Exploration des obstacles pour qualifier lโorigine des viandes bovines
3.5.1 Des obstacles attenants au produit lui-mรชme et aux savoir-faire de transformation
3.5.2 Des obstacles liรฉs aux acteurs en prรฉsence dans la filiรจre
3.5.3 La mise en รฉquivalence des carcasses neutralise le lien ร lโorigine
3.5.4 Une question de disciplines cloisonnรฉes
3.6 Quelles sont les voies possibles de qualification de lโorigine puis de son transport?
3.6.1 Explorer les arcanes de la boucherie
3.6.2 Dรฉcloisonner les activitรฉs dโรฉlevage et de boucherie : faire dialoguer lโรฉleveur et ยซ son ยป boucher
3.6.3 Dire lโorigine dโune viande : des dispositifs spรฉcifiques pour reconnaรฎtre lโaltรฉritรฉ
3.6.4 Lโindiscipline des disciplines
3.7 Proposition dโhypothรจses
4. CHOIX DES CHANTIERS ET METHODOLOGIE DโAPPROCHE
4.1 Echantillonnage
4.2 Constitution dโun jeu de donnรฉes
4.2.1 Donnรฉes informatives
4.2.2 Donnรฉes dโobservations en situation des pratiques
4.2.3 Donnรฉes dโenquรชtes par entretiens semi directifs
4.2.4 Donnรฉes issues du cours dโaction et auto-confrontation par enregistrements vidรฉoscopiques
4.2.5 Reconstruction ex post des couplages entre le fonctionnement des activitรฉs
4.3 Mode de traitement : analyse du discours
4.3.1 Mise ร disposition des donnรฉes de natures diffรฉrentes
4.3.2 Intรฉrรชts du recours ร lโanalyse de donnรฉes textuelles : accรฉder aux savoir-faire
4.3.3 Logiciels disponibles pour lโanalyse de donnรฉes textuelles
4.3.4 Principes mรฉthodologiques de Tropes et dโAlceste
4.3.5 Mise en forme des donnรฉes textuelles
4.3.6 Dรฉtails des aides ร lโinterprรฉtation des donnรฉes ร disposition sous Alceste
5. CONSTRUCTION DU DISPOSITIF DE THESE : LES SITUATIONS PERTINENTES A OBSERVER
5.1 Recension systรฉmatique des situations reconnues ou en cours de reconnaissance de leur origine
5.2 Organisation de cette diversitรฉ
5.2.1 Limite du systรจme initial de catรฉgorisation des situations
5.2.2 Identification dโune nouvelle clรฉ typologique mettant en avant les fondements du marquage de lโorigine
5.2.3 Des choix nรฉcessaires : partition des terrains entre ยซ principaux ยป et ยซ satellitesยป
5.2.4 Organisation du travail dโenquรชte sur chaque terrain
Conclusion gรฉnรฉrale
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