Des convergences d’écritures dans la réécriture des romans historiques

Entre la norme et la transgression : le péritexte, les personnages et la distorsion temporelle 

Le genre dépend du contrat de lecture proposé par l’auteur et de l’interaction entre le texte et le lecteur. Ce champ de relation est sans doute un des lieux privilégiés de ce que l’on nomme volontiers, depuis les études de Philippe Lejeune « le contrat » ou « le pacte générique ».  En règle générale, le contrat concernant le roman historique, semble clairement établi :

L’inscription « roman historique » sur la couverture signifie que l’auteur s’engage à contredire l’histoire officielle. (…) On constate que la notion de « contrat de lecture » a pour corollaire celle d’ « horizon d’attente ». Toutes les indications données par le texte avant que ne commence la lecture dessinent un champ de possibles que le lecteur intègre plus ou moins consciemment. Si cet horizon d’attente est déçu par le texte, il y a violation du pacte de lecture et la communication ne fonctionne plus.

Or l’inscription « roman historique » sur la couverture ne signifie plus la même chose; et, d’ailleurs elle tend à disparaitre. Aujourd’hui le nouveau roman historique exige un nouveau pacte de lecture, intelligible grâce à une nouvelle grille d’analyse qui isolerait des éléments tels que: le paratexte, l’incipit et la clausule, les marques d’historicité, les événements, les personnages et les modalités de l’écriture ou les procédés internes de l’œuvre littéraire . Tout roman, d’une certaine manière, programme sa réception et propose au lecteur un mode d’emploi : un roman policier ne suscite pas les mêmes attentes qu’un roman historique.

Le paratexte et l’incipit sont des emplacements privilégiés ou se noue le pacte de la lecture. Intéressons nous en premier lieu au paratexte, puis au personnage puis à la narration dans les romans Peuls, Le roi de Kahel et Le terroriste noir pour voir si ses composantes traditionnelles y sont respectées ou rénovées voire violées. Le paratexte renvoie à tout ce qui entoure le texte sans être le texte proprement dit. Genette décrit le paratexte comme un seuil du texte, une zone de passage ou celui-ci se fait lire et se propose comme tel à son public, une transaction entre son intérieur et son extérieur :

Lieu privilégié d’une pragmatique et d’une action sur le public, au service, bien ou mal compris et accompli, d’un meilleur accueil du texte et d’une lecture plus pertinente-plus pertinente s’entend, aux yeux de l’auteur et de ses alliés.

En s’appuyant sur des critères d’emplacement, Genette distingue deux sortes de paratexte : le péritexte à l’intérieur du livre et l’épitexte situé, du moins à l’origine à l’extérieur du livre. Le péritexte n’est jamais séparé du texte et relève de l’autorité auctoriale, et c’est ce à quoi nous nous intéressons ici ; l’épitexte quant à lui peut parfois être adjoint à postériori, comme le propose certaines éditions érudites dans le but d’élargir le contexte biographique et bibliographique.

Le péritexte

Le péritexte (du grec peri « pourtour ») est constitué par les éléments paratextuels qui entourent le texte dans un espace qui reste compris à l’intérieur du livre. Nous y incluons le titre, la préface et la postface, les dédicaces et épigraphes, les notes en bas de pages, la table des matières, etc. Notons que la forme du péritexte est loin d’être figé, ce qui modifie parfois le contrat de la réception. Par ailleurs, dans le cas du roman historique, il est clair qu’en absence de tout avertissement, le public inexpérimenté aura de quoi être confus.

Le titre
Bien évidemment, le titre joue le rôle fondamental dans la relation du lecteur du texte. Sa fonction première est celle de désigner un livre : dans ce sens, le titre est au livre ce que le nom propre est à l’individu. Outre la fonction d’identification, le titre a également une fonction descriptive : il oriente le lecteur sur le contenu et, parfois sur la forme de l’ouvrage.

Il joue donc un rôle important dans la lecture et englobe plusieurs fonctions. C’est ce qui est confirmées par Hoek quand il dit que le titre du roman joue:

– une fonction « apéritive » : le titre doit appâter, éveiller l’intérêt
– une fonction abréviative : le titre doit résumer, annoncer le contenu sans le dévoiler totalement
– une fonction distinctive : le titre singularise le texte qu’il annonce, le distingue de la série générique des autres ouvrages dans laquelle il s’inscrit .

Nous pouvons dire que c’est donc le titre qui va indiquer au lecteur s’il a affaire à un roman – et, éventuellement un roman historique. Selon la terminologie proposée par Gérard Genette, le titre thématique désigne le thème de l’ouvrage, tandis que le titre rhématique décrit sa forme ou paragénérique. Partant de ces indications, nous allons tenter de déchiffrer ces «messages codés » dans l’œuvre de Monénembo.

L’inscription « Peuls », « Le roi de Kahel », « Le terroriste noir » suivie du terme «Roman » sur la première page de couverture des œuvres fait voir qu’il s’agit de titres thématiques et rhématiques à la fois. Car du point de vu du thème des ouvrages, ces titres sont thématiques du type littéral par ce qu’ils renvoient à leur sujet central. Le premier retrace quatre siècles de l’histoire des Peuls, le second ne s’intéresse qu’aux Peuls du Fouta Djalon et rapporte des événements liés à la vie de l’explorateur français Aimé Victor Olivier de Sanderval qui se déroulent sur quarante ans (1879-1919), le troisième raconte l’histoire d’un peul, Addi Ba, tirailleur sénégalais, soldat français, arrivé par hasard dans un petit village des Vosges en France. Du point de vue du genre, il s’agit bien des romans. Toutefois, rien ne permet de supposer qu’il s’agit de romans historiques. En effet, il faudra parcourir quelques pages ou lire la quatrième de couverture pour se rendre compte qu’il s’agit de romans historiques. Ceci entraine une modification du pacte de lecture. Dès lors, le titre devient dans ce cas une énigme pour le lecteur qui, dès le départ, doit répondre à la question : est-ce un roman historique ou non ? Donc, ces titres peuvent susciter une curiosité profonde, attirer l’attention et même inciter à la lecture. Ils suffisent à eux seuls d’attiser les sens du lecteur pour ne pas manquer les perspectives thématiques éventuelles d’après ce qu’avance Genette:

Un lieu (tardif ou non), un objet (symbolique ou non), un leitmotiv, un personnage, même central, non pas à proprement parler des thèmes, mais des éléments de l’univers diégétique des  œuvres qu’ils servent à intituler. Je qualifierai pourtant tous les titres ainsi évoqués de thématiques, par une synecdoque généralisant qui sera, si l’on veut, un hommage à l’importance du thème dans le contenu d’une œuvre .

En plus, ce qui est notoire au niveau de ces titres, c’est qu’ils sont aux antipodes de la position défendue par Leo .L . Hoek dans sa monographie monumentale : « les noms des lieux et ceux de personnages historiques caractérisent les titres du roman historique » . Le roi de Kahel et Le terroriste noir, même s’ils portent sur une partie de la vie de personnages historiques, ceux à qui ces périphrases renvoient restent énigmatiques pour le lecteur qui n’a pas encore lu le contenu de ces romans. Même si l’emploi de l’article défini « le » donne l’impression du déjà lu. En effet, ce choix de l’écrivain guinéen pourrait s’interpréter d’une part par son désir d’embrasser à sa guise une grande partie de l’histoire des peuls dans Peuls et non pas se focaliser sur tel lieu ou tel personnage historique qui a marqué l’histoire de ce peuple. Même si c’est le cas dans les deux autres romans où il met essentiellement l’accent, dans chacun de ses romans, sur un personnage historique, l’auteur l’a fait avec beaucoup de liberté car les titres sont énigmatiques (des périphrases). D’autre part cette attitude est le reflet de son profond désenchantement contre l’histoire officielle, sa version écrite et autorisée sur les peuls et le fait que l’on omette le rôle important que « les tirailleurs sénégalais » aient joué dans la libération de la France de l’occupation allemande. Nous voyons en cela une triple quête : une quête de vérité, une quête de liberté dans son écriture et une véritable quête identitaire. Cette forme de transgression est propre au nouveau roman historique auquel se conforme Monénembo.

Rappelons que dans les années 70 du 20ème siècle, Charles Grivel pouvait encore estimer que « le titre affiche la nature du texte et donc le genre de lecture qui lui convient » . Aujourd’hui, Umberto Eco soupire que « un titre est déjà – malheureusement- une clef interprétative » . Par ailleurs ces rapprochements avec le nouveau roman historique permettent de supposer une certaine influence de ce phénomène latino-américain dans l’œuvre de l’écrivain guinéen et traduisent ainsi son ouverture à de nouvelles techniques d’écriture ou la transculturalité de son écriture.

Les épigraphes

Courte citation en tête d’un livre ou d’un chapitre ; l’épigraphe en donne le ton. « La présence ou l’absence d’épigraphe signe, à elle seule, à quelque fraction d’erreur près, l’époque, le genre ou la tendance, d’un écrit.» – écrit Genette . Fréquente chez les essayistes du 18e siècle, l’épigraphe fait ensuite son entrée dans le domaine de la littérature grâce aux romans gothiques anglais, et plus tard grâce à certains romans de Walter Scott, comme Rob Roy (1817) ou Ivanhoé (1819). En générale, la fonction de l’épigraphe est de souligner les liens unissant le roman historique à la tradition épique, au roman de chevalerie, de légendes, et à la tradition orale. Cette fonction reste valable jusqu’à nos jours. L’épigraphe dans sa forme la plus traditionnelle apparaît déjà chez Carpentier, à l’aube du nouveau roman historique : dans El reino de este mundo (le règne de ce monde)  nous trouvons un dialogue entre le démon et la providence, extrait d’une pièce de Lope de Vega. Plus tard Carpentier continuera à user de l’épigraphe aussi bien au début qu’au milieu de son roman. Aussi, Monénembo, se conforme-t-il à la tradition en ignorant la préface, en mettant dans ses romans des épigraphes.

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Table des matières

Introduction Générale
Première partie : Généalogie du roman historique
Chapitre1 : Origines plurielles et évolution du roman historique en France
1.1 Remarques générales
1.2 Le roman, l’Histoire et le roman historique
Chapitre 2 : Walter Scott et ses épigones français
2.1 Le modèle scottien
2.1.1 La naissance du roman historique
2.1.2 L’agencement de l’intrigue romanesque et la conception de l’histoire
2.1.3 Le narrateur et sa crédibilité
2.2 Le roman historique français entre la tradition et la nouvelle perspective
Deuxième partie : Relecture: des nouvelles théories du roman (postmodernisme, postcolonialisme et le nouveau roman historique) et contexte de naissance du roman historique africain francophone subsaharien
Chapitre 1 : Cadre théorique
1.1 Le postmoderne
1.1.1 L’aperçu historique du postmoderne
1.1.2 Les traits distinctifs du roman postmoderne
1.2 Le postcolonial
1.2.1 Colonisé, décolonisé et postcolonial
1.2.2 Colonisation et décolonisation de l’Afrique noire
1.2.2.1 Colonisation
1.2.2.2 Décolonisation
1.2.2.3 Le roman africain francophone postcolonial
1.3 Le nouveau roman historique
1.3.1 La naissance du nouveau roman historique
1.3.2 Les traits de caractéristiques du nouveau roman historique
Chapitre 2 : Contexte de naissance du roman historique en Afrique noire francophone
2.1L’Histoire et la culture de l’Afrique noire occultée ou l’altérité étriquée
2.1.1 Discours postcolonial
2.1.2 Discours colonial proprement dit
2.1.3 Discours et idéologie coloniale
2.1.4 Le rôle des historiens coloniaux
2.1.5 Le rôle de l’anthropologie coloniale
2.1.6 Le rôle du clergé
2.1.7 Le rôle de la littérature coloniale
2.2 Changement de perspective : émergence d’une littérature africaine postcoloniale
2.2.1 La littérature de l’Afrique subsaharienne
2.2.2 De la négritude à la littérature postcoloniale
2.2.3 Littérature africaine d’expression française
2.2.4 La réécriture de l’Histoire de l’Afrique noire à travers la littérature
2.2.4.1 Le premier roman historique africain francophone
2.2.4.2 Le roman historique africain francophone dans l’histoire de la littérature
Troisième partie : Des convergences d’écritures dans la réécriture des romans historiques de Monénembo
Chapitre 1 : Entre la norme et la transgression
1.1 Le péritexte
1.1.1 Le titre
1.1.2 Les épigraphes
1.1.3 La postface
1.1.4 La dédicace
1.1.5 La table des matières
1.1.6 Les autres éléments
1.2 Les personnages
1.2.1 Les catégories de personnages
1.2.2 Le premier plan et le second plan
1.3 La distorsion temporelle
Chapitre 2 : La subversion des codes : de l’intertextualité à l’hypertextualité en passant par le pastiche
2.1 L’intertextualité
2.1.1 Oralité et écriture
2.1.1.1 Le cadre énonciatif
2.1.1.2 Les métalepses
2.1.1.3 L’abondance des proverbes
2.1.1.4 La parenté à plaisanterie
2.1.1.5 Le discours laudatif ou l’éloge
2.1.1.6 Le mythe
2.1.2 La référence à des documents historiques
2.2 Le pastiche : le mélange des genres
2.2.1 Mythe roman historique
2.2.2 Epopée roman historique
2.2.3 Conte roman historique
2.2.4 Une narration hybride
2.2.4.1 Le modèle énonciatif du griot
2.2.4.2 Le dialogue comme médium privilégié dans la quête de la mémoire
2.3 L’hypertextualité : la révision de l’Histoire
2.3.1 La lecture critique ou démystificatrice du passé
2.3.2 La réparation symbolique d’une injustice
2.3.4 La construction d’un contre discours
Conclusion
Bibliographie

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