Des composites carbone/carbone aux composites à matrice céramique autocicatrisante : protection contre l’oxydation

Des composites carbone/carbone aux composites à matrice céramique autocicatrisante : protection contre l’oxydation 

Composites carbone/carbone

Des pièces telles que les tuyères d’engins propulsifs ou encore les boucliers thermiques des corps de rentrée atmosphérique nécessitent des matériaux de type ablatif présentant à la fois une réfractarité et une tenue mécanique très élevées. Les composites C/C ont été développés dès les années 60 pour remplacer les matériaux en carbone massif. En effet, en plus d’une bonne résistance à l’ablation, ces matériaux présentent également un rapport résistance mécanique / densité favorable, un faible coefficient de dilatation ainsi que des propriétés mécaniques accrues à haute température (notamment en termes de module élastique et de résistance à la rupture) sous atmosphère contrôlée, et une bonne résistance aux chocs thermiques. Depuis, d’autres applications ont été développées pour les composites C/C, notamment dans le domaine du freinage (caractéristiques de friction) et des biomatériaux (biocompatibilité du carbone). La matrice des composites C/C est principalement élaborée par infiltration en phase vapeur (Chemical Vapor Infiltration ou CVI). En revanche, ces matériaux s’oxydent dès 400°C. Des travaux destinés à améliorer leur résistance à l’oxydation ont donc été menés rapidement après leur création. De nouveaux matériaux ont ainsi vu le jour : les composites C/C à revêtement céramique [CHRISTIN 1979]. Cette protection devait répondre à plusieurs critères : une faible perméabilité à l’oxygène, une bonne adhérence ainsi qu’une compatibilité chimique et thermomécanique avec le substrat. Les céramiques à base de silicium présentent une excellente résistance à l’oxydation et une bonne compatibilité chimique avec le carbone. Elles ont donc été les candidates les plus étudiées pour la protection des composites C/C et le remplacement partiel ou global de la matrice carbonée. Les matériaux les plus souvent étudiés sont le carbure de silicium SiC et plus rarement le nitrure de silicium Si3N4, qui ont la faculté de s’oxyder en formant une couche de silice limitant la diffusion de l’oxygène.

Composites C/SiC et SiC/SiC 

Les composites C/SiC 

Dès les années 70, des matrices à base de SiC ont été élaborées pour protéger de l’oxydation les renforts fibreux en carbone. Les composites C-C à revêtement externe SiC (C/C/SiC), dans lesquels une partie de la matrice de carbone est remplacée par du carbure de silicium, ont par la suite été produits industriellement pour des applications thermostructurales [CHRISTIN 1979]. Puis, la totalité de la matrice a été fabriquée en SiC. Bien que les propriétés mécaniques des composites C/SiC soient améliorées par rapport aux composites C/C (module élastique plus élevé et anisotropie moins marquée), la différence de coefficient de dilatation entre les fibres et la matrice (αf ≤ αm) provoque une fissuration matricielle dès le stade de l’élaboration. Dès lors, les fibres de carbone ne sont plus protégées contre l’oxygène, qui peut alors se propager le long des fissures et provoquer la destruction du composite [CHRISTIN 1979].

Par ailleurs, bien qu’économiques et possédant d’excellentes propriétés mécaniques jusqu’à 2000 °C sous atmosphère neutre, les fibres de carbone ne résistent pas à plus de 400 °C sous atmosphère oxydante. La nécessité d’avoir des fibres plus résistantes à l’oxydation a conduit au développement des fibres de carbure de silicium [YAJIMA 1975]. Contrairement aux matériaux C/C/SiC, les composites SiC/SiC ne comportent pas par construction de matériaux lamellaires à l’interface fibre/matrice apte à dévier les fissures. L’introduction d’un matériau d’interphase entre les fibres et la matrice s’est donc révélée indispensable.

Matériaux d’interphase 

Lorsque la liaison fibre-matrice est trop forte, une rupture fragile du composite peut se produire. En revanche, si la liaison est trop faible, le transfert des efforts appliqués sur le composite ne se repartit pas correctement entre les fibres et la matrice, ce qui engendre l’ouverture des fissures matricielles et donc une mauvaise tenu du matériau en fatigue. Une liaison bien adaptée joue le rôle de fusible mécanique, c’est-à-dire d’une part qu’elle permet à la fissure matricielle d’être déviée parallèlement à la fibre ; et d’autre part qu’elle assure un transfert de charge effectif entre les fibres et la matrice. En plus d’assurer le transfert de charge entre les fibres et la matrice et de permettre les déviations des fissures matricielles, ce matériau d’interphase doit constituer une barrière à la diffusion de l’oxygène et être chimiquement compatible avec les fibres et la matrice.

Le pyrocarbone (dépôt de carbone obtenu en phase vapeur (Chemical Vapor Deposition ou CVD)) s’est révélé être un matériau de choix. Il est chimiquement compatible avec la fibre de carbone et la matrice de SiC et sa texture lamellaire orientée parallèlement à la fibre dévie efficacement les fissures matricielles le long de la fibre. En revanche, tout comme les fibres de carbone, il résiste très mal à l’oxydation. Quand la matrice SiC du composite est fissurée, l’oxygène peut alors pénétrer jusqu’aux interphases, les oxyder et provoquer une détérioration des propriétés mécaniques du composite. D’autres matériaux équivalents mais plus résistants à l’oxydation ont donc été développés. La recherche s’est orientée vers des matériaux lamellaires tels que le nitrure de bore hexagonal (BN) [PROUHET 1991] ou encore le pyrocarbone enrichi en bore [JACQUES 1995]. Tout cela a abouti à la création des composites à renforts de SiC et matrice de SiC.

Les composites SiC/SiC

La résistance à l’oxydation des composites à matrice céramique (CMC) a été fortement accrue par l’association des fibres de carbure de silicium à une matrice en carbure de silicium [FILIPUZZI 1991] [LAMOUROUX 1992]. L’utilisation des interphases a quant à elle permis de conserver de bonnes propriétés mécaniques (en particulier le comportement non fragile) mais, la durée de vie des composites SiC/SiC s’est malgré tout révélée limitée. En s’inspirant des propriétés de la nacre, les recherches se sont par la suite orientées vers des matrices multicouches. En effet, le séquençage de la matrice permet de multiplier le nombre d’interfaces déviatrices de fissure et ainsi de retarder la rupture des fibres [LACKEY 1989]. Une alternative consiste à réaliser des interphases multicouches microséquencées de type (PyC/SiC)n [LOPEZ 1991]ou encore nanoséquencées de type (PyC/SiC)n et (BN/SiC)n [BERTRAND 1998].

Les différences de coefficients de dilatation entre les constituants des composites C/SiC ainsi que les sollicitations mécaniques des composites SiC/SiC conduisent à une microfissuration de la matrice. Or, à une température inférieure à 1100 °C, la silice ne se forme pas en quantité suffisante et n’est pas assez fluide pour combler les fissures et protéger les renforts fibreux contre l’oxydation  [LAMOUROUX 1992]. Pour pallier ce problème, les composites à matrice séquencée autocicatrisante (constitués d’une alternance de couches de SiC et de céramiques appartenant aux systèmes chimiques B-C et Si-B-C) ont été développés [GOUJARD 1990]. Ainsi, le verre cicatrisant se formant dans plusieurs zones de la matrice, bouche les fissures et limite l’accès des gaz oxydants vers les fibres .

Les composites à matrice céramique autocicatrisante 

Origine et choix des matériaux

L’amélioration de la résistance à l’oxydation de composites SiC/SiC et C/SiC repose sur deux concepts [LAMOUROUX 1999] :
– Un meilleur contrôle du réseau de fissuration se propageant dans la matrice,
– L’utilisation d’un ou plusieurs matériaux cicatrisants pour améliorer la cicatrisation sur une grande plage de température.

Pour protéger le composite sur une grande plage de température (comprise entre 500 et 1200 °C), l’élément bore a été introduit dans certaines couches matricielles sous deux formes : l’une binaire B-C et l’autre ternaire Si-B-C. En effet, lors de l’oxydation des couches B-C, l’oxyde de bore B2O3 se forme dès 450 °C. Ce dernier présente une faible viscosité ce qui lui permet de s’écouler à l’intérieur des fissures et de les remplir par capillarité. Malheureusement, en présence d’humidité dès la température ambiante ou à partir de 900°C sous air sec, B2O3 se volatilise faisant progressivement disparaître son caractère protecteur. De plus, comme sa viscosité diminue de façon très rapide lorsque la température augmente [CHENG 2001], il a tendance à s’écouler vers l’extérieur du composite. Pour pallier cet inconvénient, Goujard et al. [GOUJARD 1994a 1995] ont eu l’idée d’introduire dans les composites de nouvelles céramiques composées de bore, carbone et silicium. La composition optimale de l’oxyde doit être riche en SiO2 car la volatilisation de l’oxyde SiO2-B2O3 est d’autant plus forte que celui-ci est riche en B2O3. Dès 800°C, un liquide borosilicaté (B2O3- SiO2)  se forme, plus fluide que SiO2. Le pouvoir cicatrisant de B2O3-SiO2 sera donc supérieur à celui de SiO2 et de B2O3 pris séparément pour une température d’environ 900 °C car sa viscosité est plus élevée que celle de B2O3 (grâce à la formation de liaisons SiO-B).

Actuellement, la réalisation de matrices multicouches autocicatrisantes ne peut se faire que par infiltration en phase vapeur (CVI). En effet, cette technique permet d’obtenir une homogénéité d’infiltration ainsi qu’un contrôle de la composition de la céramique infiltrée. La composition de la céramique peut alors être choisie de façon à améliorer les propriétés mécaniques et de résistance à l’oxydation du composite. De plus, la réalisation à des températures peu élevée (850-1100 °C) d’un dépôt homogène et régulier permet d’obtenir des composites présentant une tenue mécanique meilleure que si les céramiques étaient élaborées par d’autres moyens (voie polymérique et recuit par exemple). Infiltrer des préformes fibreuses par cette technique permet également l’utilisation de fibres céramiques dites bas coût, qui se dégradent à des températures supérieures à 1300 °C et qui, si elles étaient utilisées comme préforme de composites infiltré par voie liquide, ne résisteraient pas au traitement thermique à haute température (T ≥ 1300 °C) nécessaire à la céramisation des précurseurs polymériques. Bien que ces matériaux soient déjà utilisés dans l’industrie aéronautique, peu d’études ont été consacrées à la relation entre composition et structure et à leur comportement à haute température. A cet effet, la suite de ce chapitre aura comme sujet principal la caractérisation des matériaux (Si)-(B)-C élaborés en phases vapeur.

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre 1 : Synthèse bibliographique
Introduction
1. Des composites carbone/carbone aux composites à matrice céramique autocicatrisante : protection contre l’oxydation
1.1. Composites carbone/carbone
1.2. Composites C/SiC et SiC/SiC
1.2.1. Les composites C/SiC
1.2.2. Matériaux d’interphase
1.2.3. Les composites SiC/SiC
2. Les composites à matrice céramique autocicatrisante
2.1. Origine et choix des matériaux
2.2. Le carbure de silicium
2.3. Les céramiques B-C
2.3.1. Généralités
2.3.2. Caractérisations physico-chimiques des matériaux B-C
2.3.3. Propriétés mécaniques des phases B-C
2.4. Les céramiques Si-B-C
2.4.1. Généralités
2.4.2. Caractérisation des dépôts CVD Si-B-C
2.4.3. Propriétés mécaniques des matériaux Si-B-C
2.5. Comportement mécanique et vieillissement des composites à matrice céramique autocicatrisante
2.5.1. Durée de vie en traction des composites à matrice céramique autocicatrisante : résultats obtenus sur un composite 3D SiC/MAC, le CERASEP®A410
2.5.2. Fluage des composites SiC/MAC de type CERASEP®A410
3. Objectifs et contenu de la thèse
Chapitre 2 : Moyens d’élaboration et de caractérisation
Introduction
1. Le procédé d’élaboration : CVD (Chemical Vapor Deposition)
1.1. Généralités sur la CVD
1.2. Etude bibliographique
1.2.1. CVD des matériaux B-C
1.2.2. CVD/CVI des phases Si-B-C
1.3. Conditions expérimentales employées
1.3.1. Réacteur CVD et substrats utilisés
1.3.2. Conditions expérimentales
2. Analyses physico-chimiques et structurales en volume
2.1. Diffraction des rayons X
2.1.1. Principe
2.1.2. Conditions expérimentales
2.2. Résonance magnétique nucléaire (RMN) du solide
2.2.1. Intérêt et principe
2.2.2. Conditions expérimentales
2.3. Diffusion des neutrons
2.3.1. Principe
2.3.2. Conditions expérimentales
3. Analyses physico-chimique de surface
3.1. La microspectroscopie Raman
3.2. La spectrométrie de photoélectrons X (XPS)
3.3. LE XANES (X-ray Absorption Near Edge Structure)
3.3.1. Principe
3.3.2. Conditions expérimentales
4. Analyses morphologiques et structurales locales : microscopies électroniques
4.1. Microscopie électronique à balayage (MEB)
4.2. Microscopie électronique en transmission (MET)
5. Moyens utilisés pour la sollicitation thermique et/ou mécanique des matériaux
5.1. Four à effet Joule
5.2. Dispositif d’essais micromécaniques à haute température
6. Conclusion
Chapitre 3 : Structure des céramiques (Si)-B-C
1. Etude de la structure des matériaux B-C
1.1. Choix des matériaux
1.1.1. Influence du paramètre δ sur la composition et vitesse de dépôt
1.1.2. Influence du paramètre γ sur la composition et la vitesse de dépôt
1.1.3. Influence de la température sur la composition et la vitesse de dépôt
1.1.4. Choix des conditions pour la suite de l’étude
1.2. Caractérisations physico-chimiques des céramiques B-C
1.2.1. Mesure de densité par pycnomètrie hélium
1.2.2. Quantification par sonde ionique (SIMS) de l’hydrogène dans les matériaux B-C mesuré
1.2.3. Spectroscopie Raman
1.2.4. Diffraction des rayons X
1.2.5. RMN11B-MAS
1.2.6. Diffusion des neutrons : détermination des fonctions de distribution de paires (PDF)
1.2.7. Spectroscopie photoélectronique :XPS
1.2.8. Spectroscopie d’absorption X :XANES
1.3. Confrontation des résultats expérimentaux avec la simulation
1.4. Conclusion : structure des matériaux B-C
2. Etude de la structure des matériaux Si-B-C
2.1. Choix des matériaux
2.1.1. Influence du paramètre α sur la composition du dépôt
2.1.2. Influence du paramètre β sur la composition du dépôt
2.1.3. Influence de l’augmentation de la température sur la composition et la vitesse de dépôt
2.1.4. Choix des matériaux
2.2. Caractérisations physico-chimiques des céramiques Si-B-C
2.2.1. Mesure de densité par pycnomètrie hélium
2.2.2. Quantification de l’hydrogène dans les matériaux Si-B-C par analyse par sonde ionique (SIMS)
2.2.3. Spectroscopie Raman
2.2.4. Diffraction des rayons X
2.2.5. RMN11B-MAS
2.2.6. RMN29Si-MAS
2.2.7. Diffusion des neutrons : détermination des fonctions de distribution de paires
2.2.8. XANES
2.3. Conclusion : structure des matériaux Si-B-C
3. Conclusion
Chapitre 4 : Evolution structurale des céramiques (Si)-B-C sous sollicitations thermiques
1. Evolution structurale après traitement thermique (1300 °C-2h)
1.1. Matériaux B-C
1.1.1. Spectroscopie Raman
1.1.2. Diffraction des rayons X
1.1.3. RMN11B-MAS
1.1.4. RMN13C-MAS
1.1.5. Diffusion des neutrons : Détermination des fonctions de distribution de paires
1.2. Matériaux Si-B-C
1.2.1. Spectroscopie Raman
1.2.2. DRX
1.2.3. Microscopie électronique en transmission : Si0,44B0,92C
1.2.4. RMN11B-MAS
1.2.5. RMN29Si-MAS
1.2.6. Conclusion
2. Suivi de l’évolution structurale en fonction de la température et du temps
2.1. Matériaux B-C
2.1.1. Choix des matériaux
2.1.2. Evolution de la structure en fonction de la température
2.1.3. Evolution de la structure en fonction du temps
2.1.4. Conclusion
2.2. Matériaux Si-B-C
2.2.1. Choix des matériaux
2.2.2. Influence de la température sur l’évolution structurale des matériaux Si-B-C
2.2.3. Influence du temps sur l’évolution structurale des matériaux Si-B-C pour une température de traitement thermique de 1300°C
2.2.4. Conclusion
3. Conclusion générale
CONCLUSION

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