Des appels pour une prise de décision collégiale de plus en plus
fréquents
La pratique des soins palliatifs à domicile par les médecins généralistes (MGs) est en constante évolution afin de répondre au mieux à la demande des patients. Dans le sondage de l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP) de 2010 (1), 81 % d’entre eux déclaraient vouloir mourir à domicile. Pourtant selon l’Observatoire National de Fin de Vie (ONFV) (2), seulement 25 % des décès y ont lieu. Une étude récente (3) a montré que les personnes âgées décédées en 2010 avaient en moyenne une probabilité de 19 % plus faible de mourir à domicile que les personnes âgées décédées en 1990.
Un des objectifs majeurs du programme national triennal (4) pour le développement des soins palliatifs et de l’accompagnement en fin de vie établi pour la période de 2015 à 2018 est de développer les soins palliatifs de proximité en favorisant les prises en charge à domicile. La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 (5) va dans ce sens et plus particulièrement son article 4 qui indique que « toute personne est informée par les professionnels de santé de la possibilité d’être prise en charge à domicile, dès lors que son état le permet ». Afin d’atteindre cet objectif, il est nécessaire de favoriser la mise en œuvre des soins palliatifs par les professionnels de santé de soins primaires en facilitant le recours aux expertises et en veillant à une bonne coordination avec les équipes d’appui spécialisées et les réseaux.
Dans le département du Maine-et-Loire, le réseau de soins palliatifs s’appuie sur la plateforme de Coordination de l’Accompagnement en SoinS Palliatifs Angevine 49 (CASSPA49) (6), et s’organise en quatre secteurs autour des villes d’Angers, Saumur, Cholet et Doué-laFontaine. Sur le territoire d’Angers, l’Equipe Mobile d’Accompagnement Soins de Support et Palliatifs (EMASSP) rattachée au Centre Hospitalo-Universitaire (CHU) a pour principal objectif d’aider à accompagner les patients en soins palliatifs hospitalisés au CHU mais aussi d’aider ceux qui évoluent dans le secteur extrahospitalier: dans les établissements sanitaires, médicosociaux et à domicile. Ces missions comprennent des rôles de conseil, d’expertise et de soutien.
Plusieurs études ont montré que l’accompagnement des patients en soins palliatifs par les MGs à domicile est complexe et qu’ils peuvent être amenés à solliciter un appui des équipes ressources. Pour adapter l’offre proposée par les équipes-ressources, il paraît donc nécessaire d’identifier précisément les besoins de soutien des MGs.
L’objectif principal de cette étude était d’identifier les caractéristiques des situations palliatives et les difficultés rencontrées par les MGs qui motivent l’interpellation d’une équiperessource. L’objectif secondaire était d’évaluer si le contenu de ces demandes d’avis s’est modifié depuis la mise en application de la loi Claeys-Leonetti de 2016.
MÉTHODES
Design
Il s’agissait d’une analyse rétrospective des comptes-rendus rédigés par l’EMASSP du CHU d’Angers sur les avis donnés en réponse aux demandes téléphoniques de MGs, entre le 1er janvier 2015 et le 31 juillet 2017.
Sélection des avis étudiés
Les avis examinés concernaient des patients en situation palliative à domicile, c’est-àdire habitant dans leur logement, en maison de retraite, ou en Maison d’Accueil Spécialisée (MAS). Toutefois, les demandes des médecins coordinateurs d’Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) n’ont pas été prises en compte dans l’étude si le médecin-appelant n’était pas également le médecin traitant du patient. De même, les appels des médecins coordinateurs de l’Hospitalisation A Domicile (HAD) n’ont pas été étudiés.
Analyse quantitative
Recueil des données
L’analyse quantitative des dossiers a été réalisée à partir d’une grille de recueil établie en trois parties. La première partie a permis de recueillir des informations concernant la situation justifiant l’appel .
Analyse statistique
Les statistiques descriptives ont été réalisées à l’aide du logiciel Excel. Les tests statistiques en sous-groupes ont été réalisés avec l’aide du logiciel BiostaTGV. En fonction des effectifs des groupes, les tests du Khi2 ou de Fisher (pour les effectifs inférieurs à 5) ont été utilisés. Un p < 0,05 a été retenu comme seuil de significativité.
Analyse qualitative
La partie qualitative du travail visait à analyser de manière inductive le contenu thématique des comptes-rendus d’appels de façon à repérer des thèmes émergents qui n’auraient pas été inclus dans la grille de recueil. Cette analyse complémentaire a été réalisée à l’aide d’un journal de bord par le chercheur principal de l’étude puis discutée avec les deux autres chercheurs.
Considérations éthiques et réglementaires
Dans la mesure où cette étude consistait en une analyse rétrospective des seules informations contenues dans les dossiers médicaux, elle n’était pas concernée par la réglementation sur les recherches impliquant la personne humaine.
Tous les lieux de vie concernés
Il y avait quasiment autant de patients qui logeaient dans leur logement personnel (48 %) qu’en EHPAD (49 %). Les 3 % restants vivaient dans une structure médico-sociale (foyer logement, résidence-service, MAS).
Des appels pour une prise de décision collégiale de plus en plus fréquents
Dans 22 % des cas, l’appel contenait une demande d’aide à la prise de décision collégiale. Lorsqu’une demande de collégialité existait, dans 68 % des cas il s’agissait d’une aide à la prise de décision d’une LATA, et dans 24 % des cas d’une aide à la décision de mise en place d’une sédation. Deux demandes de collégialité (8 %) portaient sur un projet de soins pour des patients en refus de soins. Dans l’une de ces situations, l’appel du MG était motivé par l’existence d’un désaccord entre la famille et le patient, ce dernier étant sorti récemment d’hospitalisation contre avis médical.
Les décrets d’application de la loi Claeys-Leonetti ont été effectifs le 5 août 2016. Parmi les dossiers étudiés, 72 étaient antérieurs à cette date et 42 dossiers postérieurs.
L’EMASSP identifiait plus fréquemment des besoins de collégialité après la mise en application de la loi (38 %) qu’auparavant (19 %) (p < 0,05). Parmi ceux-ci, il existait également une différence significative des demandes d’aide pour une décision de LATA (31 % après versus 11 % avant (p < 0,05)).
Parmi les demandes de collégialité adressées à l’EMASSP et liées à une décision de sédation, 4 ont eu lieu avant la loi Leonetti-Claeys et 3 après. L’étude n’a pas fait apparaître de différence significative.
Des demandes majoritairement tournées vers une expertise ciblée
89 % des appels contenaient des demandes d’expertise ciblées. Les demandes pouvaient être multiples en abordant différents champs. La plupart (66 %) étaient motivées par l’existence d’un symptôme d’inconfort réfractaire . Par ailleurs, l’analyse qualitative mettait en évidence une tendance progressivement croissante à l’envoi de documents écrits par email (protocoles médicamenteux) en complément de l’échange téléphonique.
L’expertise de l’EMASSP permet un décalage de la demande initiale
Élargir la compréhension des difficultés posées par la situation
5 demandes initiales (4 %) des MGs portaient sur les difficultés relationnelles rencontrées avec les patients alors que l’EMASSP en comptabilisait 14 (12 %), l’étude a mis en évidence une différence significative pour p < 0,05.
On retrouvait également une différence significative avec davantage de problèmes relationnels avec les équipes paramédicales mis en évidence par l’EMASSP pour p < 0,10 qui retient 6 dossiers (5 %) contre 1 dossier (1 %) identifié par le médecin traitant.
Inscrire l’interpellation de l’EMASSP dans un suivi et dans une démarche d’équipe
37 demandes des médecins généralistes (33 %) ont été suivies d’une intervention de l’EMASSP parmi lesquelles 27 % d’appels téléphoniques, 89 % de déplacements à domicile et 24 % d’hospitalisation, toutes ces interventions pouvant se cumuler. L’examen des données a mis en évidence une différence significative pour p < 0,05 avec moins de demandes du MG de déplacement de l’EMASSP (8 %) que de déplacements réellement réalisés par l’EMASSP (20 %). Elle ne faisait cependant pas apparaître de différence significative entre les demandes d’hospitalisation (6 %) et le nombre d’hospitalisations réellement réalisées (8 %). Par ailleurs, la démarche qualitative a permis de mettre en exergue un sentiment de solitude vécu par les MGs au travers d’une recherche de réassurance dans la prise en charge de leurs patients.
Résultats principaux
Notre étude a montré que les situations nécessitant l’avis de l’EMASSP concernaient des prises en charge palliatives tardives où un plan d’aide était déjà le plus souvent en place. La plupart des appels concernaient une demande d’expertise technique et un quart des appels une demande d’ordre éthique. Nous avons recensé davantage de demandes de collégialité lorsqu’une décision de LATA était à prendre depuis l’application de la loi Claeys-Leonetti. Par ailleurs, nous avons constaté que l’échange téléphonique avec l’EMASSP a permis de relever davantage de difficultés entre le patient et l’équipe paramédicale que celles mentionnées explicitement par les MGs.
Des situations palliatives tardives
Il ressort de nos travaux que les MGs ont recours à l’EMASSP dans des situations palliatives avancées, le stade OMS étant le plus souvent élevé et le patient bénéficiant d’un traitement spécifique de la maladie dans seulement 16 % des cas. La première hypothèse à ce constat est que les MGs ne sont pas en difficulté pour « gérer » en autonomie la phase palliative initiale et qu’ils ont recours à leur réseau local de soignants pour soutenir ces situations. Ainsi dans notre étude, 94 % des patients bénéficiaient d’un accompagnement professionnel paramédical. Le fait qu’il y ait peu de patients en HAD est sans doute dû à l’exclusion des appels des médecins coordonnateurs de l’HAD de notre étude. On peut aussi supposer que dans les situations d’HAD, les MGs avaient d’abord recours à l’avis du médecin coordonnateur avant d’avoir recours à l’EMASSP.
Les besoins des MGs et les envies des professionnels des équipes-ressources parfois différents
L’EMASSP a un rôle de conseil, d’expertise et de soutien pour les équipes de soins. Elle intègre le principe de « non-substitution » des soignants, c’est-à-dire qu’elle intervient en appui sans réaliser d’actes de soins (16). Concrètement, ses missions consistent en une évaluation des symptômes et des besoins de la personne malade, à un accompagnement avec une réassurance des équipes libérales, à une aide à la prise en charge de l’entourage du patient, à la mise en place de formations pour les équipes médicales et paramédicales et à une aide à la réflexion éthique pour les situations complexes .
CONCLUSION
Les outils disponibles sur internet fournissant une expertise ciblée se trouvent le plus souvent sur des sites dédiés aux soins palliatifs mais ne sont peut-être pas assez visibles des MGs (site de la SFAP, site de la CASSPA49…). Il pourrait être intéressant de développer un site internet plus centré sur les pratiques ambulatoires, à l’image du site Antibioclic, référençant les protocoles médicamenteux, comme le propose un travail de thèse réalisé en 2017 (13). Cela permettrait aux MGs d’obtenir une réponse rapide pour la gestion de symptômes d’inconfort lors des consultations et d’optimiser la compétence des équipes ressources en réservant leurs interventions aux demandes complexes. Cependant un tel site ne doit pas entraîner une perte de l’échange interprofessionnel dont notre étude a illustré l’intérêt.
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Table des matières
INTRODUCTION
MÉTHODES
1. Design
2. Sélection des avis étudiés
3. Analyse quantitative
3.1. Recueil des données
3.2. Analyse statistique
4. Analyse qualitative
5. Considérations éthiques et réglementaires
RÉSULTATS
1. Avis étudiés
2. Description des situations motivant l’appel des MGs
2.1. Des situations palliatives tardives
2.2. Des patients rarement isolés
2.3. Tous les lieux de vie concernés
3. Des appels pour une prise de décision collégiale de plus en plus
fréquents
4. Des demandes majoritairement tournées vers une expertise ciblée
5. L’expertise de l’EMASSP permet un décalage de la demande initiale
5.1. Élargir la compréhension des difficultés posées par la situation
5.2. Inscrire l’interpellation de l’EMASSP dans un suivi et dans une démarche d’équipe
DISCUSSION ET CONCLUSION
1. Résultats principaux
2. Des situations palliatives tardives
3. Les besoins des MGs et les envies des professionnels des équipesressources parfois différents
4. Demande de soutien : entre attentes exprimées et besoins réels
5. Forces et limites
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