Des analyses de psychologie individuelle sans référence au travail

Des analyses de psychologie individuelle sans référence au travail

Les dirigeants d’entreprise font l’objet de multiples investigations en raison du pouvoir explicatif qui leur est attribué pour rendre compte des différentiels de performance entre les entreprises.

Des portraits psychopathologiques du dirigeant d’entreprise

Ayant constaté l’existence d’erreurs stratégiques et de dérives dans la conduite des entreprises, les chercheurs en psychologie des organisations se sont interrogés sur l’origine de l’irrationalité manifeste de certains dirigeants. Ce courant de recherche vise une meilleure connaissance des pratiques de leadership et a été initié par Abraham Zaleznik, ingénieur et professeur de stratégie. Ses travaux présentent la particularité de ne pas souligner uniquement les qualités requises pour être leader mais de rendre également compte des zones de fragilité liées à la tenue de cette fonction . Ces premières recherches ont été poursuivies, quelques années plus tard, par Manfred Kets de Vries, psychanalyste et Professeur d’Organizational Behavior qui a consacré l’essentiel de son activité à l’étude du fonctionnement psychique des cadres, des dirigeants d’entreprise et des entrepreneurs . L’originalité de son travail tient, en partie, à ce qu’il opte pour une démarche clinique. En appui sur sa pratique en cabinet, elle l’autorise à dépasser les approches traditionnelles des sciences de gestion, habituellement centrées sur l’observation des comportements manifestes.

Les objectifs de Manfred Kets de Vries étaient alors multiples : identifier les facteurs de succès ou d’échec des entreprises , « devenir un détective de la vie des organisations », « comprendre les comportements en apparence irrationnels que l’on rencontre dans le monde de l’entreprise » mais aussi contribuer à l’amélioration des prises de décision . Destinés à un lectorat de cadres et de cadres dirigeants, les résultats de ses recherches sont largement diffusés dans des ouvrages dont le genre littéraire s’approche parfois de celui de guides pratiques. Ces publications fournissent une galerie de portraits-types du dirigeant qui offre au lecteur néophyte (responsable du recrutement ou membre d’un Comité de Direction) un outil de diagnostic opérationnel des chances de réussite de son entreprise, suivant la personnalité de son dirigeant. Elles passent en revue des cas avérés de pathologies, préviennent les lecteurs des risques encourus (par eux-mêmes ou par leur hiérarchie) et leur proposent des manières de se protéger contre d’éventuels dérapages.

Une analyse des comportements des dirigeants d’entreprise

Les recherches de Manfred Kets de Vries mettent en avant le besoin de maîtrise des dirigeants d’entreprise, leur fantasme de toute-puissance, leur désir de reconnaissance sociale dont l’origine serait à rechercher, par exemple, dans la relation « fusio-catastrophique » du dirigeant à sa mère . L’entrepreneur, figure particulière de dirigeant, est l’objet d’une attention toute particulière : il choisit préférentiellement la voie comportementale pour exprimer ses conflits, accepte mal les limites des situations structurées et se méfie de toute personne en position d’autorité. Son manque de confiance en lui est mis en exergue. Ses projets ambitieux sont présentés comme les manifestations contradictoires de ses sentiments d’infériorité et d’impuissance. Sa suractivité s’explique comme une réaction à la passivité anxiogène. Le prestige et le pouvoir sont des armes de réassurance auxquels il recourt volontiers. Ainsi, par exemple, pour faire face à une faible estime de soi, il crée des environnements où lui seul sera le centre de l’action et le détenteur du pouvoir et de la maîtrise .

Une classification taxinomique des dirigeants suivant leur structure psychique

Manfred Kets de Vries classe ensuite les dirigeants d’entreprise suivant leur structure psychique. Parmi les différentes catégories retenues, celle des personnalités narcissiques l’emporterait sur les autres par son nombre : la caractéristique narcissique serait donc prédominante dans le monde des affaires . Il note, à ce titre, « l’existence d’un lien étroit entre le narcissisme et l’aptitude à diriger » , il écrit qu’« (…) il faut s’attendre à ce que de nombreuses personnalités narcissiques, avec leur besoin de pouvoir, de prestige et d’admiration soient appelées à des positions de leaders. Leur sens du drame, leur capacité à manipuler autrui, leur truc pour établir des relations rapides et superficielles, leur sont utiles dans la vie organisationnelle » . Il classe ensuite ces personnalités narcissiques suivant leurs positions (paranoïaque ou perverse), suivant les mécanismes de défense auxquels elles recourent préférentiellement (déni, projection, rationalisation, etc.) et suivant la forme que prend leur lutte constante contre la dépression (fuite en avant dans l’hyperactivité, addictions diverses, etc.). Une distinction supplémentaire a été plus récemment établie entre deux profils-types de dirigeants : les hypomaniaques, « volcans actifs », fougueux, passionnés mais imprévisibles et les « poissons morts », froids, impassibles et ultra pragmatiques . L’incapacité de ces derniers à ressentir ou à exprimer leurs émotions est alors mise en avant. Associée à un modèle de discours toujours factuel et dépourvu de tout substrat fantasmatique ainsi qu’au développement d’une façade d’hyper-adaptation de surface, cette défaillance est analysée en référence au concept d’alexithymie trouvant son origine dans les défaillances de la relation précoce à la mère.

L’influence de la structure psychique du dirigeant sur l’entreprise dirigée 

A partir de cette exploration du « monde intérieur » des dirigeants, Manfred Kets de Vries a mis au jour l’existence d’un lien entre leurs traits de personnalité et la performance de l’entreprise qu’ils dirigent. Il a démontré ainsi, clinique à l’appui, l’existence d’un lien entre le dysfonctionnement psychologique individuel du dirigeant, les défaillances du management et, in fine, l’échec de l’entreprise dirigée. Ainsi, par exemple, la méfiance du dirigeant à l’égard de son entourage, sa propension à la rétention d’informations, son refus de toute critique, sa prise de décisions «aberrantes », « sa fuite dans des réactions comportementales, impulsives et non réfléchies » sont dénoncées comme autant de comportements pouvant affecter l’organisation du travail. Et, pour ce qui concerne les « poissons morts », leur manque d’empathie, leur absence d’intérêt pour autrui remettraient en cause leur capacité à gérer et à motiver leurs équipes .

Le type psychique du dirigeant définit donc ici la forme que prend la pathologie organisationnelle : les bureaucraties sans croissance sont liées au style dépressif de leur dirigeant ; les sociétés dites « impulsives », caractérisées par un pouvoir centralisé et par une orientation marquée vers la croissance au prix de décisions risquées, s’expliquent par la personnalité dite « dramatique » de leur dirigeant et par leur besoin d’impressionner les autres par leurs actions voyantes ; enfin, les organisations dirigées par des dirigeants apathiques, en retrait sur le plan émotionnel, seraient schizoïdes . Ce lien entre le dirigeant et l’entreprise qu’il dirige s’expliquerait par des effets de miroir et de reflets, associés à des processus d’intériorisation, de projection et d’idéalisation . Il s’expliquerait aussi, en partie, comme une conséquence du processus de recrutement qui favorise la conformité des salariés au style du dirigeant (effet de moule). Il s’expliquerait enfin par la prégnance de la culture instillée par le dirigeant dans l’entreprise , c’est-à dire par le mythe, les légendes et les histoires qu’il propose et qui permettent aux salariés d’asseoir leur sentiment d’appartenance à une communauté.

L’influence de la « pathologie » de l’entreprise et du statut sur le fonctionnement psychique du dirigeant

Ainsi, c’est d’abord l’impact du fonctionnement psychique du dirigeant sur l’organisation dirigée qui est souligné : impact sur la stratégie , impact sur les procédures d’organisation du travail et sur la nature des relations interpersonnelles qui se nouent dans l’entreprise (culture, ambiance, etc.). Toutefois, au détour d’un chapitre conclusif – et sans jamais s’y appesantir – il arrive aussi que Manfred Kets de Vries s’interroge sur l’existence d’une influence réciproque ou « inversée » qui désigne l’effet en retour de la « pathologie de l’organisation » sur la santé mentale de son dirigeant. « Il me paraît souhaitable de souligner que la personnalité du dirigeant influence de manière vitale l’organisation mais que la relation inverse se produit également. Une entreprise en perte de vitesse, envahie par la déception, peut provoquer une dépression chez son leader. Parallèlement, une série de menaces sérieuses de la concurrence peut réveiller une paranoïa dormante » , écrit-il alors. Il ne cache rien, non plus, de l’effet pathogène de la gestion de restructurations et de l’organisation de licenciements massifs pour ceux qui, à l’origine, se définissent, « pour la plupart comme les bâtisseurs de l’entreprise et les gardiens du bien-être du personnel » et qui, en raison du contexte, doivent « (…) contrevenir à leur mission, telle qu’ils la concevaient » . « Cette tâche déplaisante peut les bouleverser profondément », écrit-il encore .

D’autres analyses portent aussi sur l’incidence du statut du dirigeant sur sa subjectivité. Ainsi, la solitude du poste occupé et la séparation d’avec les anciens collègues, faisant suite à toute nomination à un poste de direction, pourraient nuire aux besoins de réassurance du dirigeant narcissique et précipiter les risques de décompensation. Ce statut particulier comme sa surexposition seraient alors à l’origine d’une « maladie du dirigeant ». Celle-ci se manifesterait soit par une dérive, caractérisée par un affaiblissement du pouvoir sur soi, soit par une « situation de mainmise » dans laquelle le dirigeant utiliserait tous les moyens de conquête du pouvoir à sa disposition : folie des grandeurs, jeux et manipulations, séductions et menaces .

Enfin, après avoir mis en avant la prévalence des organisations narcissiques dans cette population, Manfred Kets de Vries se demande s’il n’y a pas aussi des « pressions psychologiques exercées sur le leader, qui encouragent le narcissisme » . Et, concernant les populations de dirigeants qu’il annonce alexithymiques, il rappelle la confusion régnant sur les causes de l’alexithymie et s’interroge : « Est-ce un trait de caractère ou une forme de comportement adaptée à une situation spécifique ? Est-ce le prix à payer pour un travail sous tension et pour le stress ? » . Egalement intrigué par le fonctionnement automatique et robotisé de certains dirigeants comme par leurs réactions inadaptées à des situations tendues, il se demande ce qui conduit à un tel comportement et si ce comportement ne se trouve pas favorisé par certains types d’organisations.

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Table des matières

INTRODUCTION
Introduction
I – Des analyses de psychologie individuelle sans référence au travail
A – Des portraits psychopathologiques du dirigeant d’entreprise
1) Une analyse des comportements des dirigeants d’entreprise
2) Une classification taxinomique des dirigeants suivant leur structure psychique
3) L’influence de la structure psychique du dirigeant sur l’entreprise dirigée
4) L’influence de la « pathologie » de l’entreprise et du statut sur le fonctionnement psychique du dirigeant
B – La nature des liens entre le dirigeant et l’organisation
1) Les interprétations psychanalytiques du pouvoir
2) La place des dirigeants dans le système « managinaire »
3) Les liens entre types psychiques de dirigeants et formes d’organisation
C – L’évacuation de la question du travail
1) Le travail est ignoré
2) Un travail caché qui n’en porterait pas le nom ?
3) Les conséquences sur l’action
II – Des analyses de l’activité du dirigeant d’entreprise sans référence à sa subjectivité
A – L’exercice héroïque du leadership
B – La prise de décision cognitive
C – Les rôles et les missions du dirigeant d’entreprise
III – L’analyse du rapport entre subjectivité et travail sans référence au dirigeant
A – La prise en compte de la subjectivité
B – La centralité du travail
1) Le travail et la subjectivité
La souffrance créatrice et le plaisir au travail
La souffrance pathogène
2) Le travail, médiateur entre subjectivité et champ social
La coopération et la dynamique de la reconnaissance
Les stratégies collectives de défense contre la souffrance au travail
3) Le travail dans l’articulation entre sphère sociale et sphère privée
Les effets de miroir et les situations de déchirement identitaire
La résonance du travail dans l’espace privé
La contamination des relations avec les enfants par le travail
C – L’analyse étiologique des nouvelles pathologies liées au travail
D – Le dirigeant, oublié par la psychodynamique du travail
IV – Le dirigeant est un sujet de recherche risqué
A – Manager, actionnaire, capitaliste : de qui parle-t-on ?
1) Manager ?
2) Actionnaire ?
3) « Capitaliste » ?
4) Cadres dirigeants ?
5) Dirigeants ?
B – Le dirigeant d’entreprise est-il un produit de l’imaginaire social ?
1) Un personnage réputé héroïque et tout-puissant
2) Un être réputé maléfique
V – Une nouvelle voie à inventer dans l’entre-deux
A – Le dirigeant des sciences de gestion
B – Le cadre conceptuel de la psychodynamique du travail
1) Rejet des autres alternatives théoriques
2) Des fondements théoriques cohérents et adaptés
La perspective contingente d’un dirigeant, acteur
Le travail, l’engagement du corps et la centralité du travail
La rationalité subjective, pathique
La normalité et le déploiement de stratégies de défense contre la souffrance
La dimension collective du travail
Le travail et les rapports sociaux de domination
C – Une approche ad hoc
1) Des questions habitées par la psychodynamique du travail
2) Une méthode à définir dans l’entre-deux
3) Un dialogue critique maintenu avec la psychodynamique du travail
4) Des enjeux mixtes de connaissance et d’action
Conclusion
CONCLUSION

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