Déroulement d’une leçon de morale à l’école primaire autour de 1960

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Les aspects culturels et esthétiques de la littérature

Lire la littérature à travers le prisme de certaines valeurs peut comporter des risques sur lesquels des chercheurs mettent en garde : un texte peut être compris et interprété tout à fait différemment du fait qu’il soit lu par des lecteurs polarisés ou pas par des valeurs, un texte peut prendre des sens différents du fait qu’il soit écrit par un auteur polarisé par des valeurs, comme par exemple: une féministe, un laïque, un religieux, un politique… Ceci expliquerait pourquoi l’école favoriserait plutôt la compréhension fondée sur des données partagées par la communauté et non l’interprétation basée sur la réflexion individuelle et parfois sur des idéologies canalisantes ou réductrices. Christian Vandendorpe29 distingue la compréhension et l’interprétation dans ce sens. Il définit la compréhension comme un processus mécanique et immédiat, plus stable que l’interprétation, un processus fortement socialisé qui repose sur le fonctionnement du langage tel qu’il est intériorisé dans une communauté donnée : « Ce sont les règles discursives, l’organisation sémantique de la
langue et les schèmes culturels en usage dans une communauté donnée qui garantissent pour un locuteur-lecteur la validité de sa compréhension immédiate et lui permettent de la partager avec d’autres30 ».
Les modes de lecture, de compréhension, d’interprétation, et même d’impression et d’analyse convoquent quasiment systématiquement l’aspect culturel des lecteurs et les règles sociales auxquelles ils répondent.
Soit la compréhension est le fruit « d’un processus automatique et l’interprétation celui d’un processus délibéré et conscient, fortement socialisée. La compréhension repose « sur le fonctionnement du langage tel qu’il est intériorisé par une communauté donnée » et a une validité partageable d’où le fait qu’elle soit favorisée à l’école au détriment de l’interprétation, qui elle est une activité de relation fondée sur le postulat de cohérence, gouvernée par des règles sociales et des codes culturels qui déterminent les coups permis et interdit » selon CH. Vandendorpe31.
Soit « la compréhension s’exerce aussi automatiquement sur la fraction de la saisie du texte qui ne pose aucune difficulté ; elle varie en fonction de la culture du lecteur, la transparence n’est donc pas une propriété du texte mais un effet de lecture ; l’interprétation quant à elle sert à résoudre une illisibilité résiduelle ; la ligne de démarcation entre compréhension et interprétation est donc fluctuante, mais les deux processus sont en interaction dialectique. De ce cas, l’interprétation (en tant qu’activité de mise en relation du texte avec d’autres discours et savoirs qui peuvent jouer le rôle d’interprétant) est une activité culturelle, qui représente des risques et pour cette raison doit être validée par une communauté interprétative », selon B. Gervais32.

La littérature souvent prise en otage

La littérature ne serait-elle qu’un moyen ? Ne pourrait-elle trouver sa raison d’être qu’à travers cette fonction, certes très honorable, d’ouvrir l’esprit des élèves et de les initier à la vie, à travers les valeurs qu’elle véhicule ? Ne serait-ce que de se poser ces questions, quelques chercheurs s’élèvent en criant à l’inacceptable.
La littérature de jeunesse souffre encore actuellement de reconnaissance vis-à-vis de la littérature « experte ». Pour quitter cette place de subalterne, elle gagnerait peut-être à être étudiée pour son aspect esthétique. Lors du colloque du 22 juin 2011 intitulé L’état des lieux sur la recherche et la formation en matière de littérature de jeunesse, c’est l’interrogation que soulève C. Tauveron en ces termes : « […] elle n’est envisagée que sous l’angle de sa fonctionnalité : elle serait plus considérée comme un prétexte à une réflexion informelle sur le monde que lue comme un objet esthétique à part entière. Comment former alors des « amateurs éclairés ? ».
Est-ce faire acte de non-respect que de détourner la littérature de son rôle esthétique et artistique ? Une œuvre d’art n’a pas d’autre fonction que de rappeler le beau à travers des canons reconnus et séculaires, admirables et inaltérables. Ces canons ou points communs, Yves Reuter les liste durant son intervention aux journées d’étude organisées à Paris, à l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP), avec l’équipe de recherche « Didactisation de la lecture littéraire du récit à l’école. Cycles 2 et 3 » des 23 juin et 15 décembre 1999 :
– « Le postulat d’une relation intime au texte (conférer le « tête à texte » cher à Pierre Kuentz) ;
– La valorisation du texte en tant qu’il est littéraire ;
– La valorisation de la lecture en tant qu’elle est littéraire ;
– La valorisation du lecteur en tant que sujet doté d’une culture et d’une sensibilité particulière ;
– La valorisation du discours porteur des valorisations précédentes en tant qu’il est lui-même tendanciellement littéraire ;
– La gestion d’une tension entre singularisation (une œuvre, un auteur, un lecteur…) et généralisation (la littérature, l’art, l’humain, le monde…) ;
– La mise en relation avec d’autres œuvres d’art (mises en relation présentées sur le mode de la naturalité, c’est-à-dire sans justification de leurs principes et de leur organisation) ;
– Les mises en relation – non fondées théoriquement et non organisées de façon explicite – avec une ou plusieurs théories de référence desquelles quelques isolats sont extraits ;
– Le brouillage discursif entre compréhension, interprétation, impression et analyse théorique37 ».

Les différents genres littéraires

En littérature de jeunesse, différents genres sont proposés : l’album illustré, le conte, la fable, l’apologue, le journal intime, la bande dessinée, la poésie, la nouvelle, le documentaire, le roman, le théâtre, le conte philosophique. Notre recherche visera à sélectionner parmi ces objets ceux qui seront les plus à même de servir, si possible, le questionnement des valeurs avec des élèves de cycle 2 et de cycle 3.
L’Apologue : l’hyper genre qui interpelle le lecteur
L’apologue est un hyper genre rassemblant plusieurs genres littéraires partageant les caractéristiques d’un récit bref, narratif et démonstratif qui a des visées argumentatives, didactiques et allégoriques. Il peut être illustré par les genres suivants : les nouvelles, les fables, les contes merveilleux, les contes philosophiques,
les albums. Il est « un récit en vers ou en prose qui renferme des enseignements dont il est tiré une morale pratique41 ».
Dans le cadre de notre recherche, nous questionnerons les apologues à travers deux exemples, l’album et la fable.
L’album
L’album illustré est un genre qui appartient à la littérature de jeunesse et dans lequel beaucoup d’auteurs s’expriment. Ce genre rencontre un très grand succès à la fois dans les familles et à l’école, cela s’explique peut-être du fait qu’il sait s’adapter au lecteur dès son plus jeune âge et peut même parfois servir l’apprentissage de la lecture. L’album de jeunesse fait aussi partie de l’hyper-genre des apologues en tant que récit court et portant très souvent sur des sujets idéologiques et moraux. Les thèmes rencontrés peuvent être la différence, l’exclusion, le respect, la tolérance, l’amitié… Des éditeurs proposent des albums élaborés (textes poétiques et/ou symboliques, illustrations artistiques et de qualité) sur des thèmes variés légers (farces répétitives) ou des thèmes forts (la mort), mais ils se risquent aussi sur des thèmes politiquement incorrects dans le but d’amuser les adultes et les enfants comme par exemple Le dragon dégoûtant aux éditions Gallimard.
Il existe différents types d’albums :
– l’album narratif (de fiction) pouvant être surréaliste ;
– l’album documentaire ;
– l’album énumératif ;
– l’album pour compter …
L’album narratif de fiction est le seul à avoir un aspect littéraire et associe l’image au texte, il existe même des albums sans texte. Il fait voyager son public dans un monde merveilleux (les animaux parlent, des personnages peuvent avoir des pouvoirs particuliers…). Les illustrations ont un rôle quant à la compréhension du récit, elles donnent du sens au texte en renforçant l’impact du texte, elles aident à récapituler la trame de l’histoire. L’album se rapproche de l’œuvre littéraire et de l’œuvre d’art par sa typographie, ses illustrations, son esthétique soignée et ses caractéristiques propres à chaque artiste et chaque auteur.
C’est tout d’abord la première de couverture qui sert de fiche d’identité à l’album, le titre et l’illustration forment un tout indissociable par lequel l’apprenti lecteur se fait une idée de l’histoire. La couverture donne des informations sur le sujet du livre mais l’implicite peut être questionné, grâce à elle des hypothèses peuvent être émises : Qui sont les personnages et le personnage principal ? Quelle quête va-t-il mener et pourquoi ? A quel endroit et à quel moment ? Le sujet de l’album parait-il comique, joyeux, inquiétant… ? Cette première de couverture synthétise l’album, permet de prendre globalement possession du livre et d’éveiller la curiosité des jeunes lecteurs. L’album se prête bien à toutes sortes d’activités pédagogiques et notamment aux parcours de lecture. Il existe des récits à structure quinaire (schéma narratif de base de certains contes), à structure répétitive et à structure en alternance. Des lectures offertes permettent aux enfants de s’imprégner de ces structures. L’album de jeunesse est un genre qui se prête bien au débat interprétatif, qui par la discussion permet de formuler des hypothèses à valider par le texte et l’image. Ses textes ne sont pas forcément « lisses » malgré le fait qu’ils s’adressent avant tout aux enfants dès leur plus jeune âge. Ils incitent à la réalisation d’inférences logiques, pragmatiques et créatives. L’album permet le développement de l’imaginaire, essentiel pour la construction de l’enfant.
Pour développer l’esprit critique et la sensibilité à l’esthétique des élèves, il est nécessaire de leur donner des outils pour analyser la qualité une œuvre. C’est dans les illustrations qu’ils puisent leurs réponses. A ce titre l’album de jeunesse réconcilie pleinement l’axiologique et l’esthétique, préparant ainsi le jeune lecteur à apprécier une œuvre littéraire pour sa portée sémiologique et axiologique, mais aussi pour sa beauté (beauté de ses mises en page, de ses typographies, de son texte et de ses images, illustrations ou métaphores, mais aussi sa dimension, la forme de ses illustrations, leur cadre, leurs couleurs, leurs technique et style graphiques, leur plan et angles de vue…).
La fable
La fable présente en apparence une transparence cristalline d’après M. Tournier42 et au fond une complexité appelant l’interprétation.
La fable propose aussi l’analyse d’une situation décrite servant d’exemple et d’illustration à la morale qu’elle livre43. L’auteur par cette proposition ne veut pas forcément imposer une façon de voir les choses, mais livre à son lecteur une conclusion, base de départ d’une réflexion personnelle : « Et moi, lecteur, suis-je pleinement d’accord avec cette conclusion ? A la place d’un des personnages qu’aurais-je fait ? Et pourquoi ? », « A la place de cette cigale, qu’aurais-je fait ? A la place de cette fourmi, qu’aurais-je fait ? Et dans quel personnage me reconnais-je le plus ? ».
Par des personnages merveilleux, proches de ceux des contes, elle met en scène des animaux bien souvent, qui ne choquent personne à tenir une conversation et dans lesquels le lecteur peut s’incarner. Elle joue avec les figures de style, l’esthétique de la langue française, s’exprimant en vers et proposant un jeu de rimes de toute sorte.
Mais en plus de son statut littéraire, la fable a pour fonction d’instruire sur la relation avec l’autre, d’appeler à la réflexion, d’interroger des valeurs, et contribue au développement de la personnalité du lecteur. Elle a une fonction à la fois esthétique, axiologique et psychologique qui permet au lecteur de se projeter lui–même dans l’histoire et de questionner sa propre moralité. « Et si j’étais plus fort, est-ce que j’aurais mangé cet agneau, cette belette, ce petit lapin ? Et pourquoi ? ». Comment donner du sens à sa vie, si ce n’est en se questionnant, puisque selon l’expression de Levinas : « être libre, c’est faire ce que nul autre ne peut faire à ma place ? ».
Même si la fable peut faire l’objet de sévères critiques notamment de la part d’Hegel : « La fable manque de profondeur symbolique, ses idées (d’Esope) ne sont que des traits d’esprit sans énergie, sans inspiration vraie, sans poésie, ni philosophie », son apparente simplicité a pour but de capter l’attention du jeune lecteur, de le séduire comme le ferait un message publicitaire, nous précise Michel Fabre44. Au même titre que le message promotionnel, elle transmet d’une manière concise et quasi injonctive sa conclusion, permettant au lecteur de s’interroger sur le sens et les valeurs qui lui sont proposés.
Au premier degré, à la manière des campagnes publicitaires, la fable impose son message et incite à l’action telle qu’elle la conçoit. Au second degré, elle force à la réflexion, semblant lancer le dialogue : « Mais toi lecteur, vas-tu croire chaque mot de ma morale, et en faire ta propre pensée ? Ou bien vas-tu avant de te l’approprier, te demander si tes propres schèmes font vraiment écho à cette morale ? ». La fable entraîne cette confrontation entre la proposition (la morale) qu’elle fait et la pensée du lecteur. Cette confrontation questionne le lecteur qui peut chercher les réponses en lui, mais décuplerait son champ de possibles en échangeant avec d’autres lecteurs sur leurs pistes d’interprétation envisagées et leurs pourquoi.
La transparence des fables est parfois trompeuse, par exemple : la morale peut en fin de compte être une antimorale (comme dans Le Loup et l’Agneau). Elle peut aussi se trouver au début de la fable, au lieu d’être placée à la fin. Selon la distinction de Michel Fabre, un personnage, pourtant présenté comme victime, peut représenter un contre-exemple, et un héros peut n’avoir qu’un rôle rhétorique neutre (comme c’est le cas de la fourmi dans La Cigale et la Fourmi)45.
Elle n’est pas un texte littéraire « lisse » et n’est pas toujours si transparente. La fable demande un travail de déchiffrage des marques de persuasion de la thèse.
Celle-ci va dépendre de l’attitude du lecteur, des facultés de ce lecteur à dialoguer avec le texte, de son acceptabilité de la morale, de ses propres opinions et de la distinction qu’il sait ou non réaliser entre lecture et critique. Elle est un véritable outil à persuader, mais peut devenir un objet de questionnement au service de l’interrogation des valeurs et de la construction du sens critique du lecteur. La fable, par la réflexion qu’elle suscite, amène son lecteur à la citoyenneté. C’est ce type de textes que nous attendions pour le cadre de notre recherche : un support littéraire permettant de livrer d’une seule traite sa thèse, souvent axiologique, d’interroger son lecteur et de lui permettre de construire son sens du discernement. Par son apparente «clarté» et la brièveté de son format, elle permet d’aborder de façon imagée la question posée, d’interpeller le lecteur rapidement et de lancer la réflexion et le débat. C’est bien un des outils qu’il nous fallait trouver pour notre étude. Par la pratique en classe de cycle 2 ou cycle 3 nous interrogerons la valeur réservée à la littérature de jeunesse, les thèmes les plus fréquemment rencontrés, les enjeux des fables pour aborder la morale et la citoyenneté, la faculté des fables à entraîner l’esprit critique notamment. Notre recherche nous mène maintenant vers le choix d’outils appropriés visant à mettre en acte une pédagogie du questionnement des valeurs adaptées aux enfants, élèves des cycles 2 et 3.

Kohlberg
Le développement moral de l’enfant est lié aux attitudes et aux savoir être.
Les stades de développement moral, ou l’échelle du développement moral, sont une série de six stades de développement moral postulés et développés par le psychologue américain Lawrence Kohlberg à partir de la théorie des paliers
d’acquisition de Jean Piaget. De nombreux chercheurs ont travaillé à partir des travaux de Piaget en matière de développement moral. Kohlberg en fait mention en 1958 dans sa thèse de doctorat The Development of Modes of Thinking and Choices in Years 10 to 16 de l’Université de chicago. Il développera cette théorie tout au long de sa vie. Par la suite, d’autres chercheurs, comme Eliot Turiel48 ou James Rest49, contribueront à l’approfondissement des thèses de Kohlberg.
Kohlberg caractérisait le développement moral de la sorte.
1 – Le développement moral est séquentiel, c’est-à-dire qu’il se développe par étapes successives qui ne peuvent être devancées.
2 – Il est irréversible : sauf dans le cas de dégénérescences telles que la maladie d’Alzheimer, une fois l’un des stades acquis, une personne ne peut régresser à un stade antérieur.
3 – Il est intégratif : une personne ayant acquis un stade supérieur étant à même de comprendre les raisonnements des individus ayant atteint les stades inférieurs, le contraire n’étant pas forcément vrai.
4 – Il est transculturel, c’est-à-dire que dans toutes les cultures, le développement moral suit les mêmes étapes.
5 – La stagnation est possible, tout le monde n’atteint pas nécessairement le stade suivant. Par exemple, un adulte peut aisément avoir atteint le stade 1 sans jamais atteindre le prochain.
Kohlberg distingue trois niveaux, à savoir, le niveau inconventionnel, conventionnel et post-conventionnel, incluant chacun, deux stades de l’évolution du développement moral.
Le niveau inconventionnel se caractérise par l’égocentrisme, par des règles exogènes (venant de l’adulte) et par l’importance accordée à la punition et à la récompense.
C’est le niveau dans lequel se trouve l’enfant, mais une personne peut demeurer dans ce niveau toute sa vie. Ce niveau est composé de deux stades, celui de la punition / récompense (stade 1) et celui dit « instrumental » (stade 2).
Le stade 1 de la punition / récompense décrit l’individu comme quelqu’un d’incapable de reconnaître le bien et le bon sans une autorité hors de lui. Le bien correspond à des actes qui sont récompensés et le mal, à des actes qui sont punis. L’individu ne considère pas encore l’intérêt des autres. La vertu importante de ce stade est l’obéissance.
Au stade 2, dit « Instrumental », le bien est ce qui satisfait les besoins personnels et accessoires, ce qui satisfait ceux des autres. L’individu y apprend la valeur du marchandage et du donnant-donnant. Les autres commencent à prendre de l’importance, mais l’individu demeure égocentrique. Au niveau conventionnel, l’altérité prend de l’importance. L’individu apprend à satisfaire des attentes. Le surmoi devient intériorisé. C’est le stade de l’adolescence, mais une grande partie des adultes y demeurent. Il comprend deux stades de développement, celui des « relations interpersonnelles » (stade 3) et celui de la « conscience morale » (stade 4).
Le stade 3 des « relations interpersonnelles » est le stade de la relation à l’autre. L’individu appelle le désir de l’autre, son attention, son appréciation. À ce stade, il a une perspective réduite des relations humaines et le bien correspond à l’approbation que le groupe peut lui apporter pour ses actes.
Au stade 4 de la « Conscience morale », la société est vue comme un tout et ses normes comme des absolus. La personne y recherche l’ordre social et le bon fonctionnement. Le bien, à ce stade, est la loi et l’ordre. L’homme bon est un bon citoyen qui suit les règles de fonctionnement de la société. Ce peut aussi être les règles de la religion qui agissent comme guide pour l’action.
Au niveau post-conventionnel, l’individu se base sur une réflexion éthique, des valeurs morales et des principes qu’il juge valide. Les règles sont devenues endogènes. C’est le niveau auquel on peut habituellement s’attendre d’un adulte, bien que plusieurs n’atteignent pas ces stades et que seule une petite partie de la population atteigne le stade 6. Ce niveau comporte deux stades du développement moral, celui du droit social et des droits individuels (stade 5) et celui des principes moraux universels (stade 6).
Au stade 5 du contrat social et des droits individuels, l’individu passe de l’égoïsme àl’altruisme. Ses intérêts, bien qu’ils soient pris en compte, prennent moins de place que l’intérêt collectif. Le bien vient d’un équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. Les valeurs y guident l’action.
Au stade 6 des principes moraux universels, le système moral de l’individu peut être compris comme un tout intégratif. La conscience morale y est pertinente, cohérente, globale et universelle, et repose dans une autonomie complète. La figure universelle qu’on pourrait prendre comme exemple d’une personne ayant atteint le stade 6 serait Gandhi.
Ce développement moral a été accompagné à l’école élémentaire notamment jusqu’en 1971, mais depuis cette date les leçons de morale ont laissé place à d’autres enseignements comme notamment le sport (qui peut jouer, lui aussi, un rôle dans l’apprentissage de la citoyenneté par le respect des règles, des partenaires et des adversaires)… Parallèlement, l’enfant est plus éveillé, plus sollicité par les différents média s’offrant à lui, et l’autorité parentale se voit parfois débordée ou contrainte à des mises en garde, voire des interdictions perpétuelles. Sur le plan moral notamment, les enfants ont grandi pendant cinquante années sans l’aide de l’Institution, avec le risque de rester au stade inconventionnel de leur développement moral, sachant qu’à ce stade ils sont considérés comme irresponsables concernant leurs droits et leurs devoirs, immatures au niveau de l’esprit critique et inaptes à la coopération50. Certes le rôle des familles n’est pas négligeable dans la majorité des cas, toutefois, le lien entre morale, civisme et citoyenneté n’est pas toujours établi explicitement. Il existe une différence importante entre connaître les règles de conduite, connaître le rôle dans la vie politique et collective du citoyen, et en acquérir le statut de citoyen après avoir fait preuve de qualités citoyennes. Pour l’intégration  de ces règles de vie commune par chaque individu, elles doivent lui être explicitées, elles doivent lui faire sens par des exemples, des modèles… qui ne sont pas forcément ceux que les média diffusent.
Nous avons profité d’un stage sur le terrain pour constater auprès d’un petit échantillon certes, mais constater quand même, l’état du « développement moral » des élèves rencontrés. Nous avons intitulé cette étude Le dilemme de Myriam.
Le dilemme de Myriam
Nous avons réalisé cette étude afin d’effectuer un constat, une sorte d’état des lieux, sur le niveau de développement moral des élèves actuels. Comme nous l’avons vu dans l’introduction, ils sont présents dans un monde qui les expose à toujours plus d’incivilité et parfois de violence. D’ailleurs, pour faire écho à ces propos, Marc Dupuis51 signe un article s’appuyant sur une étude réalisée d’avril à juin 2010 par l’institut Trajectoires-Reflex sur 760 élèves. Il en ressort que 73,3% des enfants interrogés « aiment peu, voire pas du tout aller à l’école ou au collège », et que 52,8% « reconnaissent avoir été victime de violence dans l’enceinte de leur établissement ». Au cours du premier stage de l’année de Master 1, nous avons eu l’idée d’actualiser une des études de Kohlberg visant à mesurer le niveau moral des enfants. L’école dans laquelle se déroulait ce premier stage était située à la périphérie est de Nantes, bassin appelé à se développer et à créer des quartiers nouveaux  où  l’habitat  sera  plus  abordable.  Les  catégories  socioprofessionnelles moyennes et nécessiteuses étaient les plus représentées parmi les familles des élèves.
Kohlberg avait mis au point une technique de mise en situation grâce à l’écoute et à la compréhension d’une histoire racontée, un dilemme, débouchant sur une question telle que : « Si tu étais à la place du personnage principal de l’histoire, que ferais-tu et pourquoi ? », incitant l’enfant questionné à un jugement moral. C’est ce que nous avons voulu mettre en place auprès de 179 élèves de l’école élémentaire, de deux classes de cycles 2 et cinq classes de cycle 3. Tous les textes de Kohlberg avaient comme  particularité  d’être  courts,  mystérieux  et  construits  sous  la  forme  de dilemmes. Aucune réponse ne pouvait être satisfaisante à cent pour cent. Le choix était forcément difficile à faire. Nous nous apprêtions à reprendre les textes d’origine. Malheureusement, les enfants de 2010 trouvent plusieurs solutions à un dilemme qui tenait pourtant en suspens des enfants de 1958. Surannés, dépassés par le progrès, les textes ne faisaient absolument pas écho aux oreilles des élèves actuels, qui par conséquent ne pouvaient s’identifier. Il fallut donc construire un dilemme nouveau.
Nous écrivions Le dilemme de Myriam, en nous inspirant de faits divers issus du milieu scolaire. Sur les derniers jours du mois de juin 2010, l’actualité titrait que la recette d’une fête de fin d’année avait disparu. Les acteurs de ce méfait n’avaient rien pris d’autre. Ils avaient agi rapidement sur l’heure de midi, sans même voir le matériel informatique à leur portée. De plus, à cette époque, des projets se montaient: une structure de jeux pour une cour de récréation et une classe verte dans les Pyrénées. Les discussions des élèves ne portaient que sur ces sujets tellement leur attente était grande. Nous tenions les principaux ingrédients de notre dilemme52.
Kohlberg recensait les réponses des enfants dans une grille type reprenant les différents stades du développement moral, permettant d’établir le niveau moral de chacun. Sur la base de son expérience, et grâce à la coopération des enseignants et enseignantes qui nous ont eu la gentillesse d’adapter pour nous leur emploi du temps, nous avons procédé en quatre étapes : lecture du dilemme à haute voix à toute une classe, échange sur les mots incompris et reformulation de l’histoire par les élèves. Enfin, nous avons relu le dilemme à chaque élève en particulier, avant de lui demander sa réponse.
Afin de bien établir une corrélation avec les résultats de Kohlberg, deux classes de cycle 2 ont été sondées. Cela nous a juste permis de questionner l’évolution53 dans le développement des élèves en fonction de leur âge et d’apporter une véracité aux résultats obtenus. Nous nous sommes focalisés sur les chiffres concernant le cycle 3 pour l’analyse des données. Selon notre étude54, pour le cycle 3 (C3), il en ressort que 51% (76% en C2) des enfants se trouvent aux stades 1 et 2 (niveau inconventionnel, explicité dans le paragraphe ci-dessous), 39% (20% en C2) montrent un stade 3 ou 4 (niveau conventionnel) et que 10% (4% en C2) d’entre eux se situent déjà au stade 5. Afin de nous assurer que les enfants de C2 notamment avaient bien compris l’histoire, nous leur avons demandé de la dessiner55. Même si le panel peut être jugé restreint, il est suffisant vis-à-vis des règles du sondage qui fixent un minimum de 150 questionnaires afin d’établir sa représentativité. En conclusion, les résultats montrent, d’une façon générale, un développement moral en corrélation avec l’âge des enfants interrogés. Toutefois en croisant ces chiffres avec des données du type « difficultés scolaires » et « profession des parents »56, 80% des enfants qui expliquent leur réponse en révélant une crainte de la violence et une acceptation du vol sont issus d’un milieu social et familial déstabilisé et/ou défavorisé, et rencontrent des difficultés en classe,
notamment dans la maîtrise de la langue. Ils représentent environ 20% de la totalité des élèves.
De l’Antiquité à nos jours (civisme, morale, éthique…)
La morale est l’ensemble des règles de conduite et des valeurs qui définissent les normes d’une société. Elle refait son apparition dans les textes officiels depuis les programmes scolaires de 2008 par le biais de la culture humaniste. Mais qu’en a-t-il été auparavant ? Etait-elle présente ? Et si oui, quelle place lui était-elle réservée ?
Avait-elle les mêmes finalités qu’aujourd’hui ?
Le concept de citoyenneté est né dans l’antiquité grecque, il reconnaît à ceux qui en disposent le droit de participer à la gestion des affaires publiques58. Il repose sur le principe que tous les citoyens sont égaux devant la loi et interviennent de manière égale à la prise de décision politique, qu’ils peuvent jouir du « droit de cité59 ».
Toutefois, cette citoyenneté ne concerne à l’époque qu’une minorité d’habitants d’Athènes, les femmes, les enfants, les esclaves, les «barbares» (les étrangers) en sont exclus. A Rome, cette notion évolue vers l’augmentation du nombre de citoyens. Par conséquent, l’édit de Caracalla en 212 après J.-C. stipule que tous les habitants de l’empire sont dès ce moment considérés comme citoyens. La notion de citoyenneté se voit éclipsée pendant toute la période des monarchies, jusqu’à la Révolution française qui la remet à l’honneur avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1793. Le statut de citoyen est lié à la possession de la nationalité française. Toutefois, au début, un citoyen ne peut voter et se faire élire qu’à la condition d’un certain seuil d’imposition60. Cette conception restreinte disparaîtra avec le suffrage universel instauré en 1848 (sauf pour les femmes encore exclues du vote). A côté de cette citoyenneté politique qui attribue des droits (liberté de parole, de penser, de religion, de propriété…) et des devoirs (respect de la loi…), Audigier (1999) propose deux autres formes de citoyenneté: la citoyenneté sociale (droits économiques, droits à la santé, droits à l’éducation) et la citoyenneté civile renvoyant aux libertés relatives à la personne (liberté de pensée, de communication, d’information…). Depuis les principes suivants régissent notre pays : la limite de ces libertés renvoie à la liberté des autres et le respect des lois se fait dans le cadre des limites arrêtées par la loi.
Déroulement d’une leçon de morale à l’école primaire autour de 1960 Voici comment les leçons de morale étaient réalisées en 1960 d’après Robert Riou, Instituteur retraité et élève à qui Jakès Hélias auteur du «Cheval d’orgueil» à l’Ecole normale de garçons de Quimper a transmis le goût de l’oralisation des textes.
Tout d’abord une histoire tirée d’un recueil de contes moraux était racontée par le maître. Ensuite, il posait des questions pour s’assurer que les enfants avaient bien compris le sens de l’histoire et le dialogue se poursuivait pour obtenir des enfants la leçon de morale qui allait en devenir la trace écrite.
La leçon de morale durait entre 15 et 20 minutes. Il fallait donc être directif. Ce rituel était la première leçon de la journée et commençait par les expressions : «Asseyez-vous! Bras croisés!». Le maître se plaçait avec assez de recul pour voir les yeux des élèves et être vu de tout le monde. Il évitait de se déplacer. Le débit des paroles était assez lent et il articulait soigneusement. Le thème choisi portait, le plus souvent, sur les bonnes pratiques de vie en société: l’ordre et le soin, l’obéissance, l’écolier travailleur et attentif, le respect des parents ou des maîtres, la politesse, le bon camarade….
Commençant par la lecture du texte, par exemple l’Histoire de Guillot61, le maître poursuivait par des questions pour se rendre compte du niveau de compréhension de l’histoire par les élèves, comme par exemple : Qui est Guillot ? Où vit-il ? En quoi son travail consiste-t-il ? Quelle farce va-t-il faire aux paysans de la vallée ? Combien de fois ? Pourquoi les paysans ne sont-ils pas venus au secours de Guillot au dernier appel aux loups ? Par ses questions, demandant majoritairement la réalisation d’inférences logiques se référant au texte, mais aussi pragmatiques, le maître testait principalement la compréhension des élèves (fondée sur des données partagées par tous). Toutefois la courte séance se poursuivait par la dernière question ouverte du maître: « D’après vous quelle est la morale de cette histoire ? ». La phrase qui illustrait ou résumait l’entretien était écrite au tableau et recopiée par les enfants: « Je prendrai grand soin de mes affaires », « j’écouterai toujours le maître », « Je serai un élève attentif »….. Les élèves écrivaient sur leur cahier cette phrase qui devait les aider à devenir un bon citoyen. Evidemment, le maître avait déjà pensé à ce texte, l’avait écrit sur sa fiche de préparation. Mais bien souvent, à l’issue de l’entretien ou des dialogues, ce texte sera amélioré et sensiblement différent de l’original.
A l’époque, avant d’écrire la phrase de morale au tableau afin d’être écrite sur le cahier du jour, l’entretien se poursuivait un peu en employant des termes plus abstraits avec une question telle « Ne vous est-il pas arrivé à vous-même une telle mésaventure avec, heureusement, une fin moins tragique ? ». Ce travail pouvait être poursuivi plus tard en vue de la préparation d’une rédaction. La phrase de morale ressemblait à celle-ci : « Je ne dois pas mentir, un menteur ne devient plus crédible ».
En ce temps là, le conte moral n’était pas qu’une leçon de vocabulaire ou d’étude de texte. L’oralisation de ce dernier par le maître influençait beaucoup l’impact que l’histoire avait sur les élèves. La lecture du texte devait bénéficier des techniques de mise en voix, voire même de mises en scène comme celles pratiquées par les conteurs dans les veillées au coin du feu.
La lecture à haute voix entraînait l’enseignant à prendre une inspiration à chaque signe de ponctuation afin d’acquérir un automatisme, marquer un temps d’arrêt entre chaque phrase, explique R. Riou62. La pratique régulière de la leçon de morale permettait au maître de fortifier sa voix s’il faisait bien attention à sa respiration. Il mémorisait ses textes de leçons de morale, travaillait sa posture, sa prestance tel un acteur.
Si un élève se dissipait, raconte Robert RIOU, le maître regardait dans sa direction et baissait la voix progressivement jusqu’à interrompre l’histoire si nécessaire. Un problème de discipline pendant une leçon de morale était extrêmement rare. À force d’entraînement et de pratique régulière, la classe devenait respectueuse et la leçon de morale était un réel plaisir pour les élèves et le maître. C’était aussi une bonne prise en mains de la classe pour la suite de la journée.
Nous retenons que le rituel de la leçon de morale explicité par R. Riou, préparait les élèves pour leur travail en classe, et leur faisaient prendre conscience du passage entre la cour de récréation et l’intérieur de la classe. Le calme et le silence demandé aux enfants avant de commencer l’histoire permettaient aux élèves de mobiliser toute leur attention. La grande majorité des enfants aiment écouter des histoires et y  accordent intérêt. L’histoire lue à haute voix a deux avantages, susciter leur goût e leur plaisir pour la lecture, mais aussi les faire réfléchir sur des sujets de citoyenneté et les amener à questionner des valeurs, comme par exemple ce qu’est un comportement responsable.
Ces observations nous ont permis d’avancer dans notre questionnement sur la transmission et le développement d’une morale civique et citoyenne des élèves de l’école élémentaire aux cycles 2 et 3.
L’enseignement de la morale était quotidien au XIXe siècle. L’Instruction Civique complétait la morale pour que les élèves deviennent de bons citoyens. Elle s’adressait surtout aux garçons puisque les femmes n’ont eu le droit de vote qu’en 194463.
Les lois Guizot (1833) et Falloux (1850) entraînent la laïcisation de l’école et un rejet total de la dimension religieuse de l’école publique. Alors qu’elle remplaçait la prière du matin dans les écoles privées, la pratique de la leçon de morale journalière à l’école primaire publique n’a pas disparu avec l’instauration de l’école laïque (lois Ferry de 1882). La morale était enseignée en tant que vertu civique dans le but de faire l’éloge du patriotisme et de l’attachement aux valeurs de la République: liberté, égalité, fraternité, qui se sont transformées sous le régime de Vichy par: travail, famille, patrie. En 1883, quelques jours avant que Jules Ferry ne quitte son poste de ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts pour le ministère des Affaires Etrangères, il adresse à tous les enseignants de France une lettre (circulaire du 17 novembre 188364). Elle interpelle chacun d’eux individuellement, cherchant évidemment à défendre et à pérenniser ce qu’il y a d’essentiel mais aussi de plus controversé dans son oeuvre en tant que ministre de l’instruction. Effectivement, Jules Ferry montre par cette lettre qu’il souhaite faire des instituteurs et des enfants les « auxiliaires » de la République. S’adressant directement aux professeurs, il les flatte, fait appel à leur honneur, à leur dévouement, présente leur travail comme difficile mais si utile à la nation qu’il doit être sources d’énormes satisfactions. En fait, il les élève au rang de nouveaux notables. C’est ainsi qu’il cherche à en faire ce que l’on appellera plus tard les hussards noirs de la République. Toutefois, s’il prétend leur laisser une large liberté, ils sont en réalités très encadrés par des «programmes» précis, des «listes d’ouvrages officiels65» et des «recommandations» qui, comme cette lettre, leur dicte leur conduite. De plus, le rôle confié aux enfants est aussi important : ce dont on les aura convaincus, il faudra qu’ils en convainquent leurs parents par leur exemple. Ainsi « la cause de l’école laïque » et implicitement de la République, « sera gagnée », explique Jules Ferry.
Toute idée ne peut être décontextualisée de son époque. Tel un outil, la morale n’est ni bonne, ni mauvaise. Tout dépend de ce que l’on en fait. Nous pouvons ici souligner deux approches bien distinctes. Près de quatre-vingts ans après la lettre de Jules Ferry, la morale commence à devenir non plus un outil de propagande en faveur de l’unité nationale, mais un vrai moyen positif de construire la citoyenneté du futur individu, à savoir l’élève. « Je n’ai pas peur de parler de morale. Le mot « morale » a disparu de notre vocabulaire, comme si c’était un mot qui faisait peur. La morale civique commence par la morale tout court. Le bien et le mal, le respect de l’autre, sont des valeurs qu’il faut enseigner en tant que telles, sans aucune réserve ». La citation est de Claude Allègre lorsqu’il était ministre de l’Education nationale. Nous voyons ici que la morale peut être un outil au service de la citoyenneté. Alors, peut-elle être interrogée à partir d’un apologue afin de construire un esprit critique, autonome et responsable ?
Les textes officiels, les programmes, le socle commun
Pendant longtemps, la citoyenneté politique a été enseignée à l’école primaire sous forme d’«éducation civique», à laquelle se rajoutait l’enseignement de la morale, qui règle les relations sociales. La leçon quotidienne de morale a été supprimée après les bouleversements sociaux de 1968, sous la présidence de Pompidou lors de la création du tiers-temps pédagogique (disparition des programmes en 1971). Il fallait aussi faire place aux six heures hebdomadaires d’éducation physique (récréations incluses).
Deux générations ont donc été privées de ces leçons ou de ces réflexions axiologiques et méta-comportementales. Mais depuis quelques années, cet enseignement réapparaît dans les programmes scolaires, notamment ceux de 2008.
De nombreux textes officiels portent sur l’importance de cette notion de citoyenneté dont la place se renforce au cours du temps: Loi d’orientation de 1989, «le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre […] d’exercer sa citoyenneté» ; le rappel d’une attitude citoyenne se retrouve dans une circulaire aux chefs d’établissements du 20 septembre 1994 à propos de l’interdiction de signes religieux ostentatoires, «la Nation n’est pas seulement un ensemble de citoyens détenteurs de droits individuels […]. Cet idéal laïque et national est la substance même de l’école de la République et le fondement du devoir d’éducation civique qui est le sien» ; en 1995 les programmes de l’école primaire comportent l’éducation civique (connaissance des institutions, de leur fonctionnement, de la vie démocratique) et l’apprentissage de la vie sociale qui seront abordés dans toutes les disciplines par des compétences transversales (règles de vie, prise de conscience de sa vie de citoyen…). Nous pouvons citer aussi les initiatives citoyennes (BO n°40 du 13 novembre 1997) qui visent à favoriser la mise en pratique de l’apprentissage de la citoyenneté et de la civilité, dans lesquelles plusieurs rubriques sont présentes : apprendre à vivre ensemble (morale civique), à devenir citoyen (valeurs de la démocratie), à s’insérer dans la vie active, à lutter contre l’incivisme (politesse, tolérance…), à apprendre les droits et les devoirs de chacun. Ces textes rappellent un des enjeux majeurs du développement de la morale à l’école, à savoir, la culture, la tolérance et le respect, et établissent un lien direct avec la maîtrise des langages (dans la mesure où leur non maîtrise nourrit un sentiment d’exclusion et ouvre la voie à l’agressivité et à la violence). Enfin les programmes de 2008 lui réservent une part importante.

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Table des matières

INTRODUCTION
1 – POURQUOI ENSEIGNER LA LITTERATURE AUX CYCLES 2 ET 3 ?
1.1 DEFINITION ET RAPIDE RETOUR HISTORIQUE SUR LA LITTERATURE
1.2 LA LITTERATURE DANS LES TEXTES OFFICIELS ET LA RECHERCHE
1.3 ENSEIGNER LA LITTERATURE A L’ECOLE
1.3.1 Statut de la littérature de jeunesse
1.3.2 Une expérience de lecture…
1.3.3 …pour quels enjeux ?
1.4 LES ASPECTS CULTURELS ET ESTHETIQUES DE LA LITTERATURE
1.5 LA LITTERATURE SOUVENT PRISE EN OTAGE
La dimension esthétique au service de l’interprétation ?
1.6 COMMENT ENSEIGNER LA LITTERATURE POUR ELLE-MEME, LE BEAU POUR LE BEAU ?
1.7 LE BEAU A-T-IL LE DROIT DE FAIRE REFLECHIR EN LITTERATURE ?
1.8 LES DIFFERENTS GENRES LITTERAIRES
L’Apologue : l’hyper genre qui interpelle le lecteur
L’album
La fable
2 – L’ENFANT AUX CYCLES 2 ET 3, SON DEVELOPPEMENT MOTEUR, INTELLECTUEL ET MORAL
2.1 PEDIATRES
2.2 PIAGET
2.3 KOHLBERG
Le dilemme de Myriam
3 – POURQUOI ENSEIGNER LES VALEURS AUX CYCLES 2 ET 3 ?
3.1 DE L’ANTIQUITE A NOS JOURS (CIVISME, MORALE, ETHIQUE…)
Déroulement d’une leçon de morale à l’école primaire autour de 1960
3.2 LES TEXTES OFFICIELS, LES PROGRAMMES, LE SOCLE COMMUN
3.3 LES VALEURS QU’UN PROFESSEUR DES ECOLES DOIT TRANSMETTRE
3.4 LES VALEURS SUR LESQUELLES ON PEUT S’INTERROGER AVEC LES ELEVES
3.5 COMMENT TRANSMETTRE LES VALEURS A L’ECOLE ?
4 – DES OUTILS DIDACTIQUES AU SERVICE DE LA RECONCILIATION DE CE COUPLE INFERNAL : LE PARCOURS DE LECTURE, LE DEBAT INTERPRETATIF ?
4.1 QU’EST-CE QU’UN PARCOURS DE LECTURE ?
4.2 QU’EST-CE QU’UN DEBAT INTERPRETATIF ?
4.3 QUELS SONT LES ENJEUX DES DEBATS INTERPRETATIFS ?
4.4 DES ŒUVRES QUI SE PRETENT VOLONTIERS AU DEBAT OU AU PARCOURS
5 – ANALYSE DE PRATIQUES DIDACTIQUES
5.1 L’AFRIQUE DE ZIGOMAR, DE P. CORENTIN ET LE PARCOURS DE LECTURE
5.2 LE LOUP ET L’AGNEAU DE JEAN DE LA FONTAINE (CYCLE 3) ET LE DEBAT INTERPRETATIF
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTES DES ANNEXES

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