Déroulement de la thèse de sciences et mobilité
Cette thèse de science intitulée « Athérosclérose coronaire prématurée : facteurs de risque, pronostic, prévention et nouvelles approches mécanistiques », a été débutée en novembre 2018, sous la direction du Pr Johanne Silvain et la codirection du Pr Jean-Philippe Collet, au sein de l’unité INSERM UMRS166. L’objectif était de développer et mener des travaux de recherche sur l’athérosclérose coronaire prématurée, en exploitant en particulier les données de la cohorte AFIJI (Appraisal of risk Factors in young Ischemic patients Justifying aggressive Intervention) et des registres nord-américains similaires. Ainsi, la première année de ce doctorat (2018 – 2019) s’est effectuée en mobilité aux Etats-Unis à Durham en Caroline du Nord, au sein de l’Université de Duke, au Duke Clinical Research Institute, sous la direction du Pr Tracy Wang et du Pr Matthew Roe, et au Duke Molecular Physiology Institute dirigé par le Pr Svati Shah. Les travaux de recherche effectués pendant cette mobilité ont été soutenus par des bourses de recherche accordées par la Fédération Française de Cardiologie, l’Institut Servier, et Action Cœur.
Registre AFIJI : Histoire & Contribution aux connaissances sur la maladie coronaire
Depuis 1996, sous la direction du Pr Gilles Montalescot et du Pr Jean-Philippe Collet, l’étude de cohorte prospective AFIJI inclut les patients atteints d’une maladie coronaire prématurée – définie par des lésions coronaires significatives symptomatiques avant l’âge de 45 ans. Cette étude de cohorte, initialement monocentrique puis multicentrique, comprend dans son protocole une hospitalisation de jour entre 1 et 2 mois après la découverte de la maladie coronaire, puis un suivi annuel. Lors de cette hospitalisation de jour, des données cliniques spécifiques aux jeunes patients telles que le niveau socio-économique, l’activité sportive, mais aussi la présence de pathologies auto-immunes et inflammatoires sont collectées. Ce registre comprend une banque de données d’imagerie avec les angiographies coronaires, les échographies et doppler des artères carotides et fémorales ainsi que les imageries aortiques en IRM. Des échantillons sanguins sont également prélevés et préservés pour chaque patient inclus, permettant ainsi d’effectuer des analyses en fonction des projets de recherche : étude de la fibrine, de la viscoélasticité du caillot, recherche de thrombophilie, étude de la réactivité plaquettaire, du métabolisme du cholestérol ou de l’inflammation. L’étude AFIJI a permis des découvertes scientifiques majeures dans le domaine de la maladie coronaire. En 2006, l’équipe de l’INSERM UMRSS 1166 a collaboré avec Penn University dans un projet de recherche visant à analyser les propriétés morphologiques de la fibrine chez des patients atteints d’une maladie coronaire prématurée (1). En comparaison avec des volontaires sains appariés sur l’âge et sur le sexe, les jeunes patients coronariens présentaient une augmentation significative de la concentration plasmatique de fibrinogène ainsi qu’une fibrine plus rigide, constituée de fibres plus nombreuses et plus courtes (figure 1) ; par ailleurs la fibrine des jeunes coronariens était lysée à une vitesse plus lente que celle des témoins. Il s’agissait d’une première étude physiopathologique visant à expliquer la survenue d’une thrombose coronaire prématurée. Ces travaux ont ensuite été poursuivis par l’étude de la rigidité du caillot et de la réponse à la fibrinolyse dans une étude cas témoins incluant également une étude génotypique du profil de la fibrinolyse(2).
En 2009, l’exploitation du registre AFIJI a permis la publication d’une avancée majeure concernant la compréhension du mécanisme physiopathologique responsable des récidives ischémiques coronaires liées à des thromboses de stents des patients traités par une double antiagrégation plaquettaire par aspirine et clopidogrel. L’analyse biologique et clinique de 259 jeunes patients du registre AFIJI ayant survécu à un premier infarctus du myocarde a permis de décrire le polymorphisme génétique responsable de la variabilité inter-individuelle de réponse au clopidogrel. En particulier, cette étude a mis en évidence l’association entre l’allèle CYP2C19*2 codant pour un cytochrome P450 non fonctionnel et la résistance au clopidogrel. Dans cette étude publiée dans la revue The Lancet en 2009, ce polymorphisme était responsable d’un risque de récidive ischémique ou de thrombose de stent multiplié par 3,5 (figure 2) (3). Cette première étude, issue du registre AFIJI, a entrainé une révolution dans le traitement des patients atteints d’un infarctus du myocarde en contribuant à la naissance des thérapies antiplaquettaires non dépendantes de ce polymorphisme génétique ou guidées par la génétique, qui font encore l’objet d’essais randomisés aujourd’hui (3, 4).
Athérosclérose coronaire ou thrombose coronaire prématurée ?
L’athérosclérose est une maladie systémique complexe affectant les moyennes et grandes artères, y compris les artères coronaires. Au cours des dernières décennies, la compréhension de l’athérosclérose est passée de la considération d’un simple processus d’accumulation passive de lipides dans l’endothélium à la description d’une interaction entre inflammation locale et systémique, dysfonction endothéliale et accumulation active de lipides (8). Une plaque d’athérosclérose est une structure complexe composée de tissu conjonctif, de calcium, de cellules inflammatoires et de lipides dans des proportions différentes d’une plaque à l’autre. La consistance des plaques dépend de la proportion de leurs éléments constitutifs : une plaque fortement fibreuse et calcifiée est dure, alors qu’une plaque composée majoritairement d’esters de cholestérol et de macrophages contenant des lipides est molle. Une rupture ou une fissure de plaque permet au sang de pénétrer dans la plaque en favorisant ainsi la thrombose dans la lumière de l’artère, suivie d’une fragmentation et d’une embolisation. La relation entre la thrombose et l’athérosclérose est complexe ; le modèle le plus souvent explicatif est la rupture de la plaque et l’érosion superficielle provoquant la formation d’un thrombus localisé, potentiellement occlusif. Le déclenchement du système de coagulation via le facteur XIIa, le facteur VIIa, le facteur tissulaire et finalement la thrombine joue un rôle central dans la médiation de l’athéro-thrombose. La perturbation de la surface endothéliale conduit également à l’adhésion plaquettaire, principalement par la liaison des récepteurs plaquettaires au collagène exposé et au facteur von Willebrand de la matrice sous-endothéliale exposée. De plus, les plaquettes sont activées via la voie de la coagulation et la thrombine (9, 10).
La survenue d’une thrombose coronaire chez un patient jeune a initialement questionné la relation athérosclérose – thrombose ; en effet, les premières descriptions angiographiques du début des années 1990 rapportent la présence d’un « thrombus dans des coronaires lisses, ou avec seulement de l’athérosclérose ». Dans l’une des premières séries descriptives angiographiques de 504 jeunes patients admis pour un infarctus du myocarde, Zimmerman et al. ont observé que jusqu’à 30 % de ces individus avaient des coronaires normales, avec des plaques non obstructives (11). Par ailleurs, la majorité de ces patients présentait une atteinte coronaire modérée, mono tronculaire dans 60 à 80 % des cas (11–13). L’absence de suivi fiable et à long terme de ces patients – clinique ou angiographique – a contribué à renforcer l’hypothèse d’accidents thrombotiques ponctuels sans athérosclérose évolutive, avec un pronostic semblant correct dans la mesure où ils sortaient vivants de l’hôpital et se portaient mieux que leurs aînés durant les quelques mois de suivi décrits par les rares études de registres (11–13). Cette hypothèse a été remise en cause au début des années 2000 par les études physiopathologiques et d’imagerie intra-coronaire, avec l’émergence de deux concepts permettant de mieux comprendre la thrombose résultant d’une athérosclérose minime chez un jeune patient :
– l’importance des facteurs inflammatoires et du stress mécanique comme facteur de rupture de petites plaques et de thrombose (14).
– la capacité d’une rupture de plaque à déclencher une thrombose à distance, dans l’ensemble de l’arbre coronaire (15).
Premières hypothèses physiopathologiques sur la maladie coronaire prématurée
L’infarctus du myocarde chez un individu d’âge jeune a longtemps été considéré comme un accident de parcours secondaire à une pathologie sous-jacente, ou encore plus simplement une forme identique mais précoce d’une maladie qui est normalement celle du sujet âgé. Comme décrit précédemment, l’hypothèse physiopathologique longtemps défendue et recherchée en pratique clinique était celle de la présence d’anomalies de l’hémostase, entrainant une thrombophilie. Comme expliqué précédemment, cette hypothèse reposait sur les observations angiographiques initiales des coronaires des jeunes patients atteints d’un infarctus du myocarde, décrivant un « thrombus dans des coronaires normales ou peu athéromateuses » (11, 16). Au début des années 1980, l’imputabilité des troubles de l’hémostase dans la survenue d’accidents thrombotiques veineux est bien établie avec la découverte des déficits en protéine C et protéine S (17, 18). Au début des années 1990, l’avancement dans les techniques de séquençage et la multiplication des études cas-témoins permettent de démontrer que des mutations dans les gènes codant pour des protéines impliquées dans la formation de thrombus jouent un rôle important dans la prédisposition à un état d’hypercoagulabilité persistant et spontané (19, 20). Parmi ces avancées, la plus connue est probablement la découverte de l’implication de la mutation du facteur V de Leiden dans la résistance à la protéine C (21–23). De manière concomitante, une équipe de chercheurs danois met en évidence au début des années 2000 la mutation en position 20210 du gène codant pour la prothrombine, présente chez 2% de la population danoise, et associée à un risque de thrombose veineuse multiplié par 3 (24). Par ailleurs, de nouvelles anomalies héréditaires potentiellement associées aux thromboses vasculaires ont été décrites : anomalies du facteur VII et du fibrinogène, homocystéinémie et polymorphisme de la glycoprotéine GPIIIa (25–27).
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Table des matières
I. PREAMBULE
1. Déroulement de la thèse de sciences et mobilité
2. Registre AFIJI : Histoire & Contribution aux connaissances sur la maladie coronaire
3. Duke Databank of Cardiovascular Disease : Histoire & Contribution aux connaissances sur la maladie coronaire
II. INTRODUCTION
1. Athérosclérose coronaire ou thrombose coronaire prématurée ?
2. Premières hypothèses physiopathologiques sur la maladie coronaire prématurée
3. Place de l’hypercholestérolémie familiale hétérozygote
4. Contribution de l’inflammation
5. Définitions de la maladie coronaire prématurée en Europe et aux Etats-Unis
6. Incidence de la maladie coronaire prématurée
III. JUSTIFICATION SCIENTIFIQUE DE LA THESE
IV. OBJECTIFS DE LA THESE
1. Phénotypes cliniques et biologiques des individus atteints d’athérosclérose prématurée
2. Contribution de l’inflammation à l’athérosclérose coronaire prématurée et à son pronostic
3. Mesure expérimentale du vieillissement vasculaire par IRM aortique
4. Evaluation des stratégies et traitements selon les recommandations internationales
V. PUBLICATIONS DE LA THESE
1. Long-Term Evolution of Premature Coronary Artery Disease
2. Risk factor burden and long-term prognosis of patients with premature coronary artery disease
3. GlycA is a biomarker for premature coronary artery disease and events in patients with stable outpatient chest pain: a PROMISE trial substudy
4. Interleukin-1 and Risk of Premature Death in Patients with Myocardial Infarction
5. Reduced Proximal Aortic Distensibility is related to recurrent ischemic events in Young Adults with Premature Coronary Artery Disease
6. Guideline Performance in Detection and Treatment of Young Patients with Premature Myocardial Infarction
7. 2019 ESC/EAS Guidelines for management of dyslipidaemia: strengths and limitations
VI. DISCUSSION ET PERSPECTIVES
1. Importance de l’hérédité coronaire : discussion sur la prédisposition génétique
2. Hérédité coronaire et hérédité des habitus : interaction gènes et environnement
3. Syndrome métabolique : le patient américain est-il le patient français de demain ?
4. Evolution de l’athérosclérose coronaire prématurée
5. Une pathologie évolutive grevée d’un mauvais pronostic
6. Contribution de l’inflammation à l’athérosclérose prématurée
7. Contribution de l’inflammation au cours de l’infarctus du myocarde
8. Modulation de l’inflammation pour prévenir l’athérosclérose prématurée
9. Modulation de l’inflammation en prévention secondaire
10. Développement des outils d’imagerie pour mesurer l’âge vasculaire
11. Détection des individus à risque de maladie coronaire prématurée
VII. CONCLUSIONS