Dépression sub-syndromique à l’adolescence
Définition de la dépression sub-syndromique
Comme nous l’avons vu en introduction, la dépression sub-syndromique se définit par la présence de symptômes dépressifs, sans que les critères pour un épisode dépressif majeur ne soient remplis (Cuijpers & Smit 2004). Cette définition, par son manque de critères, englobe un nombre important de définitions qui dépassent largement le cadre de la rubrique « Autre trouble dépressif spécifié » (F32.8;) du DSM-5 encore récent, ou même de celui du DSM-IV-R (dépression mineure ou trouble dépressif bref récurrent), probablement trop restreint. Ainsi de très nombreuses définitions de la dépression sub-syndromique sont proposées chez l’adolescent –comme chez l’adulte-, selon que sont pris en compte ou non:
– Le nombre de symptômes dépressifs,
– Le type de symptômes dépressifs (présence nécessaire ou non de tristesse, de perte d’intérêt et/ou d’irritabilité chez l’adolescent),
– La durée des symptômes,
– La présence d’une altération du fonctionnement psychosocial,
– Le score à une échelle de dépression,
– Une évaluation par un parent ou un enseignant,
– Les antécédents vie-entière d’épisode dépressif majeur.
De façon indépendante à la définition utilisée, la terminologie varie également selon les études: dépression sub-clinique, sub-syndromique, sub-diagnostique ou sous-le-seuil, trouble dépressif sous-le-seuil, épisode dépressif sub-syndromique, dépression mineure, ou trouble dépressif mineur, trouble dépressif bref récurrent, trouble dépressif non spécifié, trouble dépressif bref récurrent sub-syndromique, syndrome partiel, symptômes dépressifs modérés, subdiagnostics ou sub cliniques ou symptômes dysphoriques sous-le-seuil. Les termes de dépression sub-syndromique, sub-dépression et adolescents sub-déprimés sont utilisés dans ce travail de thèse.
Prévalence de la dépression sub-syndromique
Les chiffres de prévalence de la dépression sub-syndromique divergent très largement en fonction des études, selon la définition utilisée et la population étudiée (population générale ou clinique, âge moyen, proportion de filles… ; ). Il apparaît cependant que la prévalence instantanée de la dépression mineure (critères DSM-IV-R) en population générale s’établit aux alentours de 2 à 2.5% ( Kashani et al. 1983; Kessler & Walters 1998; Cuijpers et al. 2008). En revanche, lorsque des critères plus larges sont utilisés, celle-ci est estimée entre 10 et 20% (Pickles et al. 2001; Ybarra et al. 2005; Gallerani et al. 2010; Balázs et al. 2013), voire à 30% pour une étude récente (Balázs et al. 2013). La prévalence annuelle en population générale apparaît faible jusqu’à 12 ans, puis augmente jusqu’à l’âge de 14-15 ans avant de baisser légèrement en fin d’adolescence (Rohde et al. 2009). Ainsi, la prévalence vie-entière s’établit aux alentours de 20-30% en fin d’adolescence (Fergusson et al. 2005; Rohde et al. 2009; Yang et al. 2010). La dépression sub-syndromique apparaît globalement plus fréquente que la dépression majeure, notamment en milieu d’adolescence , excepté lorsque les critères stricts de dépression mineure du DSM IV-R sont utilisés.
Facteurs de risque de dépression sub-syndromique
Le genre
La proportion de filles parmi les adolescents présentant une dépression sub-syndromique s’établit de 53 à 75% selon les études. La majorité des études observent un effet significatif du genre, avec des odds ratio allant de 1.6 à 3.3 pour les filles (Oldehinkel et al. 1999; González-Tejera et al. 2005; Sihvola et al. 2007; Shankman et al. 2009; Balázs et al. 2013;). Cette différence de genre augmenterait avec l’âge (Oldehinkel et al. 1999). Elle augmente ainsi à partir de la puberté, suggérant que cette prépondérance féminine serait, en partie au moins, liée à des facteurs hormonaux qui seront décrits plus loin.
Cependant, certaines études montrent une proportion de filles moindre chez les adolescents sub-déprimés comparativement aux adolescents déprimés (Kessler & Walters 1998; Sihvola et al. 2007; Chalouhi et al. 2012; Balázs et al. 2013) tandis que d’autres ne retrouvent pas cette différence (Oldehinkel et al. 1999; Ford et al. 2003; Michaud-Tomson 2003).
L’origine ethnique
Les adolescents issus de minorités ethniques seraient plus à risque de dépression subsyndromique selon les résultats d’une étude américaine (Rohde et al. 2009). Les auteurs suggèrent que cette différence pourrait être liée à des facteurs génétiques (de nombreuses répartitions alléliques différant entres ethnies), biologiques (par exemple lié à une puberté plus précoce), socio-économiques et culturels (les phénomènes d’acculturation entrainant une augmentation du stress perçu).
Les facteurs environnementaux
Les facteurs suivants ont été observés plus fréquemment chez les adolescents présentant une dépression sub-syndromique comparativement à des adolescents non déprimés : événements de vie négatifs, négligences, violences, abus physiques et sexuels, conflits entre les parents ou avec les parents, troubles psychopathologiques chez le père ou la mère, difficultés sociales, pratiques disciplinaires négatives (González-Tejera et al. 2005; Díaz et al. 2008; Krackow & Rudolph 2008; Jonsson et al. 2011). Ces événements de vie négatifs favoriseraient la survenue de symptômes dépressifs par le biais du stress perçu. Ce point sera discuté plus loin. En revanche, le chômage ou les difficultés financières, la séparation des parents et la perte d’un proche n’ont pas été montrés comme étant plus fréquents chez les adolescents subdéprimés (González-Tejera et al. 2005; Díaz et al. 2008).
Comorbidités de la dépression sub-syndromique
Plusieurs études ont observé une association entre dépression sub-syndromique et autres troubles psychiatriques. Le détail de ces études est présenté en Annexe 5. Selon les études, la fréquence des comorbidités varie cependant de façon importante, allant de 12 à 70% (Kessler & Walters 1998; González-Tejera et al. 2005; Sihvola et al. 2007; Shankman et al. 2009). Les troubles associés sont principalement les troubles anxieux syndromiques ou subsyndromiques et les troubles des conduites (Kessler & Walters 1998; González-Tejera et al. 2005; Sihvola et al. 2007; Jonsson et al. 2011). En revanche, aucune association n’a été retrouvée avec le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) ni avec les troubles des conduites alimentaires. Concernant les addictions, une étude suggère qu’elles sont plus fréquentes, de façon générale, chez les adolescents sub-déprimés (Kessler & Walters 1998), une autre décrit un tabagisme quotidien plus fréquent (Sihvola et al. 2007).
Concernant le risque suicidaire, l’ensemble des quelques auteurs (Goodyer & Cooper 1993; Kessler & Walters 1998; Sihvola et al. 2007; Jonsson et al. 2011; Balázs et al. 2013) ayant étudié la fréquence des idées suicidaires et des antécédents de passage à l’acte suicidaire ont montré un risque accru chez les adolescents présentant une dépression subsyndromique comparativement aux adolescents non déprimés. La fréquence des idées suicidaires chez les adolescents sub-déprimés était estimée entre 20 et 30% (Sihvola et al. 2007; Balázs et al. 2013). Ce risque apparaît cependant inférieur à celui des adolescents déprimés qui étaient 50 à 60% à rapporter des idées suicidaires (Sihvola et al. 2007; Balázs et al. 2013).
Une altération du fonctionnement social d’adolescents présentant une dépression subsyndromique est notée par plusieurs auteurs (Pickles et al. 2001; Price et al. 2002; González-Tejera et al. 2005; Keenan et al. 2008; Balázs et al. 2013). Sur le plan scolaire, l’absentéisme apparaît fréquent, avec 10% d’adolescents sub-déprimés rapportant au moins un jour dans le mois pour lequel ils n’ont pas pu aller à l’école du fait de leurs symptômes dépressifs (Kessler & Walters 1998). Les performances scolaires, notamment subjectives (c’est-à-dire l’impression de bien travailler à l’école indépendamment des notes obtenues), semblent abaissées chez ces adolescents (Salmela-Aro et al. 2009; Humensky et al. 2010). Enfin, l’utilisation de services de santé est accru comparativement à des adolescents non déprimés (Goodyer & Cooper 1993; Kessler & Walters 1998; Sihvola et al. 2007; Jonsson et al. 2011; Balázs et al. 2013), mais également comparativement à des adolescents déprimés (Kessler & Walters 1998; González-Tejera et al. 2005).
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Table des matières
Introduction
I) Dépression sub-syndromique à l’adolescence
I-A) Définition de la dépression sub-syndromique
I-B) Prévalence de la dépression sub-syndromique
I-C) Facteurs de risque de dépression sub-syndromique
I-C-1) Le genre
I-C-2) L’origine ethnique
I-C-3) Les facteurs environnementaux
I-D) Comorbidités de la dépression sub-syndromique
I-E) Devenir des adolescents présentant une dépression sub-syndromique
I-E-1) Risque de récurrence d’épisodes dépressifs sub-syndromiques
I-E-2) Risque d’évolution vers un trouble dépressif majeur
I-E-3) Risque d’évolution vers d’autres troubles de l’humeur
I-E-4) Risque d’évolution vers d’autres troubles psychiatriques
I-E-5) Risque d’évolution vers un trouble de la personnalité
I-E-6) Risque suicidaire ultérieur
I-E-7) Retentissement fonctionnel ultérieur
II) IRM structurale
II-A) Séquences permettant l’évaluation de la macro-structure: pondération T1
II-A-1) Principes généraux
II-A-2) Limites de l’IRM pondérée en T1
II-B) Séquences permettant l’évaluation de la micro-structure: pondération en diffusion
II-B-1) Principes généraux
II-B-2) Tenseurs de diffusion
II-B-3) Tractographie
II-B-4) Limites de l’IRM pondérée en diffusion et des techniques de tractographie
III) IRM structurale et maturation cérébrale à l’adolescence
III-A) Substance grise
III-B) Substance blanche
IV) IRM structurale et dépression
IV-A) Changements structuraux chez l’adulte déprimé
IV-A-1) Changements macro-structuraux chez l’adulte déprimé
IV-A-2) Changements micro-structuraux chez l’adulte déprimé
IV-B) Changements structuraux chez l’enfant/l’adolescent déprimé
IV-B-1) Changements macro-structuraux chez l’enfant/ l’adolescent déprimé
IV-B-2) Changements micro-structuraux chez l’enfant/l’adolescent déprimé
IV-C) Changements structuraux chez le sujet à risque de dépression
IV-C-1) Changements structuraux chez le sujet présentant des antécédents familiaux de dépression
IV-C-2) Changements structuraux secondaires aux événements de vie négatifs
IV-C-3) Changements structuraux chez le sujet présentant une dépression subsyndromique
Hypothèses et objectifs
Matériel et méthode
I) Présentation de l’étude IMAGEN
II) Etude des données socio-démographiques et cliniques
II-A) Recueil de données
II-A-1) Evaluation à T1
II-A-2) Evaluation à T2
II-B) Définition des groupes d’adolescents
II-C) Analyses statistiques
III) Etude des données de neuro-imagerie macro-structurale
III-A) Recueil de données
III-A-1) Contrôle qualité des images natives
III-A-2) Pré-traitement des images
III-A-3) Contrôle qualité post pré-traitement
III-B) Définition des groupes d’adolescents
III-C) Analyses statistiques
III-C-1) Analyses principales
III-C-1.a) Caractéristiques socio-démographiques et cliniques
III-C-1.b) Volumétrie cérébrale globale
III-C-1.c) Analyses voxel-à-voxel
III-C-2) Analyses post-hoc
III-C-2.a) Corrélation avec les scores d’événements de vie
III-C-2.b) Analyses de médiation causale
IV) Etude des données de neuro-imagerie micro-structurale
IV-A) Recueil de données
IV-A-1) Acquisition des images
IV-A-2) Pré-traitement des images
IV-A-2.a) Calculs de tenseurs
IV-A-2.b) Tract-Based Spatial Statistic (TBSS)
IV-A-2.c) Tractographie probabiliste
IV-B) Définition des groupes d’adolescents
IV-C) Analyses statistiques
IV-C-1) Analyses TBSS
IV-C-1.a) Mesures globales des paramètres de diffusion
IV-C-1.b) Comparaisons de groupes voxel à voxel
IV-C-2) Tractographie probabiliste
IV-C-3) Analyses post-hoc
IV-C-3.a) Corrélation avec les scores d’événements de vie
IV-C-3.b) Analyses de médiation causale
Résultats
Conclusion