Rappels sur l’interaction en régime nanoseconde
Lorsqu’un faisceau laser intense irradie une cible solide, la matière est très rapidement ionisée, sur des temps très courts. Au niveau de la surface éclairée, des électrons sont violemment arrachés des atomes par ionisation multiphotonique et sont ensuite accélérés par le champ électrique du laser. Par un phénomène d’avalanche, les collisions de ces premiers électrons avec les autres espèces ioniques génèrent un plasma dans lequel le laser peut se propager. La matière chauffée et ionisée se détend vers le vide (mécanisme d’ablation) et le plasma créé présente un gradient de densité partant du solide jusqu’au « vide ». L’onde laser (de longueur d’onde! pénètre jusqu’à une densité électronique limite, la densité critique nc (cm3) = 1.1·1021·λ-2 (µm), pour laquelle la pulsation du plasma égale celle du rayonnement. On définit naturellement dans ce plasma trois zones distinctes (cf. fig. 1.2).
La couronne, pour des densités inférieures à nc, est la région où les mécanismes d’absorption laser ont lieu. Dans cette région la température électronique atteint des valeurs de l’ordre du keV.
La zone de conduction, pour des densités comprises entre nc et la densité du solide ns , est la région dans laquelle l’énergie laser absorbée dans la couronne est transportée par conduction thermique ou par rayonnement X vers les régions plus denses de la cible. La température est ici comprise entre 10 eV et 1 keV.
La troisième zone est la zone sous choc, caractérisée par des densités supérieures à ns . Le mécanisme d’ablation produit, par effet fusée, une mise en vitesse de la matière dans le sens du laser. Ce mouvement soudain interne de la matière génère alors une onde de choc qui se propage vers les parties plus profondes de la cible en les comprimant. La température atteint quelques eV et une densité de 3-4 fois ns .
Le plasma d’interaction en régime femtoseconde
Sur la figure 1.2, nous montrons la structure du plasma-laser en régime femtoseconde avec une représentation schématique des profils spatiaux de densité et de température dans la cible. Par clarté, nous avons également indiqué les profils typiques d’un plasma laser nanoseconde (cf. §:I.1.1). Les modifications apportées par le champ laser intense et par la courte durée d’impulsion, conduisent à la formation des suivantes trois zones:
la zone d’expansion (pour les densités inférieures à ns ) est constituée par le plasma en détente devant la cible. Cette zone est caractérisée par la longueur typique de décroissance de la densité vers le vide, la longueur de gradient, définie par: Lgrad = τ·vabl. Le plasma se détent à la vitesse du front d’ablation vabl sur un temps de l’ordre de la durée de l’impulsion laser. Le comportement hydrodynamique du plasma et la durée du laser utilisé caractérisent, comme on a vu, la longueur de gradient. Elle peut prendre des valeurs qui vont de la dizaine de nanomètres jusqu’au micron. En régime nanoseconde cette zone (la couronne) a typiquement les dimensions de plusieurs centaines de microns.
l’épaisseur de peau, au delà de la densité critique. Cette zone est délimitée par le profil de la partie évanescente de l’onde laser, qui s’amortit sur une longueur typique définie par Lpeau = c/ωpe. L’épaisseur de peau, pour un plasma à la densité du solide, est de l’ordre de la dizaine de nanomètres. La faible expansion place la densité critique du plasma proche de la densité du solide. Le couplage direct du champ électrique laser avec le solide, qui a lieu essentiellement dans cette zone, devient un processus important.
la zone de conduction thermique dans laquelle, comme pour le cas du régime nanoseconde, l’énergie est transportée par les électrons thermiques vers les régions plus profondes de la cible. Cette zone est classiquement décrite par la théorie de Spitzer (Spitzer and Härm, 1953), qui suppose que le libre parcours moyen des électrons est inférieur à la longueur caractéristique du gradient thermique. Pour des intensités laser très importantes (I > 1017 Wcm-2), la théorie n’est plus valable et le transfert thermique doit être traité de façon différente (Rozmus and Tikhonchuk, 1990) (Ng et al., 1995).
L’absorption résonnante
Le champ laser peut facilement exciter plusieurs types d’ondes de plasma. Le courant associé à ces ondes peut, à son tour, aussi bien accélérer des particules chargées (électrons ou ions) que produire de la lumière diffusée (diffusion Brillouin ou Raman stimulée). L’excitation directe, au niveau de la densité critique, des oscillations de plasma électroniques, prend le nom d’absorption résonnante (Kruer, 1988). Ce mécanisme est le plus connu et le plus étudié parmi ceux qui sont responsables de l’absorption de l’énergie laser en régime femtoseconde. Signalons toutefois que son comportement en fonction d’un gradient de densité très raide n’est pas encore tout à fait compris. Pour une onde laser de polarisation p, en incidence oblique sur la cible, il existe toujours une composante du champ électrique qui est parallèle au gradient de densité. Le champ longitudinal peut, de manière résonnante (ωl = ωpe), faire osciller les électrons dans la direction du gradient. Une partie de l’énergie laser est donc transférée à une onde de plasma électronique de grande amplitude. Il est toutefois important de souligner ici que,même dans les conditions d’une incidence normale du laser, ce qui impliquerait en théorie la disparition du mécanisme d’absorption résonnante, il existe toujours une projection non nulle du champ électrique dans la direction longitudinale (en raison, par exemple, de la rugosité de la surface de la cible). L’onde laser en incidence oblique d’angle ! , est réfléchie à une densité de rebroussement donnée par nr = nc cos2 ! . La distance entre la région de réflexion et la région à la densité critique est approximativement donnée par Lgrad sin2 ! . Lorsque cette distance est égale à la distance caractéristique de pénétration de l’onde laser (l’épaisseur de peau Lpeau = ! / 2″ sin# ), l’efficacité de l’absorption résonnante est maximum.
L’effet Brunel
Dans le cas limite opposé, de gradient très raide, l’efficacité de l’absorption résonnante diminue drastiquement car l’amplitude spatiale de l’oscillation des électrons dans le champ laser (xosc = vosc/ωlaser) dépasse la longueur de gradient. Dans ces conditions, où Lgrad/λ < (2πc)-1 vosc, la résonance se brise et l’onde de plasma est continuellement détruite et reformée à chaque cycle laser. Il apparaît alors un autre mécanisme d’absorption non collisionnelle, important à de très hautes intensités et pour des gradients très raides: l’effet Brunel ou « vacuum heating » (Brunel, 1987; Brunel, 1988). Dans ce cas, le laser ne pénètre pas profondément dans le plasma et il interagit pratiquement avec une surface solide. La composante du champ laser normale à la cible, dans la première demie–période, accélère fortement les électrons qui se trouvent sur la surface éclairée. Ils vont s’échapper de la cible vers le vide (dans le vide les électrons ne voient que le champ laser, tandis que dans la matière leur mouvement est limité par la résistance électrique du milieu). Lorsque le champ change de signe, ils sont brusquement rappelés vers l’intérieur de la cible avec une énergie équivalente à l’énergie d’oscillation. Plus le champ laser est intense et se propage dans la cible, plus le nombre d’électrons arrachés est important. Une charge d’espace alors se crée qui contribue à les rappeler vers la cible, et qui, en même temps écrante le champ laser. Ils sont alors aussitôt découplés de l’onde laser et donc absorbés de telle sorte que le chauffage devient irréversible. L’efficacité de l’absorption laser par effet Brunel sature à très hautes intensités à cause de la force de Lorentz associée au champ magnétique laser qui dévie les électrons de leur trajectoire initiale.
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Table des matières
Introduction
I Génération des électrons suprathermiques
I.1. INTERACTION LASER-MATIERE A HAUT FLUX
I.1.1 Rappels sur l’interaction en régime nanoseconde
I.1.2 Le régime femtoseconde: effets de l’intensité et de la courte durée d’impulsion
I.1.3 Le plasma d’interaction en égime femtoseconde
I.2. L’ABSORPTION LASER: MECANISMES DE GENERATION D’ELECTRONS SUPRATHERMIQUES
I.2.1 Absorption collisionnelle
I.2.2 Mécanismes d’absorption non collisionnelle
I.2.2a. absorption résonnante
I.2.2b. effet Brunel
I.2.2c. force pondéromotrice et « chauffage JxB »
I.3. CARACTERISTIQUES DE LA SOURCE D’ELECTRONS: CAS DES EXPERIENCES EFFECTUEES
II Propagation des électrons rapides dans la matière: rappels théoriques
II.1. LES EFFETS COLLISIONNELS: LA DIFFUSION DES ELECTRONS RAPIDES
II.1.1 La dispersion angulaire
II.1.2 La perte d’énergie: le pouvoir d’arrêt
II.1.2a. propagation dans un solide froid
II.1.2b. propagation dans un plasma chaud
II.2. LES EFFETS DU CHAMP ELECTRIQUE INDUIT
II.2.1 La séparation de charge, le courant de retour
II.2.2 La description de la conductivité
II.3. LE RAYONNEMENT Kα COMME DIAGNOSTIC DES ELECTRONS RAPIDES
II.3.1 La génération du rayonnement Kα
II.2.2 Caractéristiques spectrales de l’émission
II.4. BUT ET PRINCIPE DES EXPERIENCES EFFECTUEES
II.5. LES CODES NUMERIQUES: SIMULATION DE LA PROPAGATION
II.5.1 Le code collisionnel
II.5.2 Le code « hybride »
III Propagation des électrons rapides dans la matière comprimée
III.1. PARTIE A: LA COMPRESSION DE LA MATIERE
III.1.1. L’état de la matière sous choc laser
III.1.2. Dispositif expérimental et laser
III.1.3. Mesure de la vitesse du choc laser
III.1.3a principe de la mesure
III.1.3b résultats
III.1.4. Détermination des paramètres du plasma comprimé
III.2. PARTIE B: CARACTERISATION DE LA SOURCE D’ELECTRONS RAPIDES
III.2.1. Dispositif expérimental
III.2.1a. le laser CPA
III.1.2b. les cibles
III.2.2. Diagnostic des électrons rapides
III.2.2a. les micro-sêctromètres à cristal
III.2.2b. le « CR39 »: détecteur de traces ioniques
III.2.3. Résultats d’émission Kα
III.2.3a. spectres expérimentaux, nombre de photons émis
III.2.3b rendement Kα en fonction de l’énergie laser
III.2.3c rendement Kα en fonction de l’épaisseur traversée
III.2.4. Estimation de la température des électrons
III.2.4a température électronique déduite des mesures CR39
III.2.4b interpolation avec le modèle de Harrach et Kidder
II.3. PARTIE C: DEPOT D’ENERGIE DES ELECTRONS RAPIDES DANS LA MATIERE COMPRIMEE
III.3.1. Résultats Kα dans les cibles comprimées
III.3.2. Discussion: effets collisionnels
III.3.3. Le chauffage induit par les électrons rapides
III.3.4. Discussion: effets électriques
III.3.5. Conclusions
IV Propagation des électrons rapides dans un matériau isolant ou conducteur
IV.1.DISPOSITIF EXPERIMENTAL
IV.1.1. Enceinte d’interaction et laser
IV.1.2. Les cibles
IV.1.3. Diagnostic des électrons rapides: la caméra CCD
VI.1.3a. principe de fonctionnement en mode « spectroscopie »
VI.1.3b. étalonnage de la caméra
IV.2.RESULTATS D’EMISSION Kα
IV.2.1. Caractéristiques de l’émission
VI.1.2a spectres expérimentaux
VI.1.2b comportement de rendement Kα
IV.2.2. Comparaison avec les prévisions théoriques de type collisionnel
VI.2.2a caractérisation de la température électronique
VI.2.2b pénétrations expérimentales et théoriques
IV.3.COMPARAISON DU COMPORTEMENT ISOLANT/CONDUCTEUR
IV.3.1. Propagation dans les deux matériaux: inhibition dans le plastique
IV.3.2. Champ de rappel électrique
IV.3.3. Images d’ombroscopie: évidence de deux populations électronqiues
Conclusions et perspectives
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