Dépendance au secteur agricole

Dépendance au secteur agricole

Contexte de la zone d’étude, la commune d’El Tuma-La Dalia

Localisation et mouvements de population dans la commune

La zone d’étude se situe dans le département de Matagalpa, situé au centre Nord du Nicaragua, et se centre sur la commune d’El Tuma-La Dalia. La commune d’El Tuma-La Dalia s’étend sur 462 km² et comptait en l’an 2000 une population de 64 287 habitants essentiellement rurale (85.84% selon l’INIFOM, 2000). Cette commune s’est peuplée avec l’introduction du café dans les années 60. Beaucoup de familles originaires de Matagalpa ont émigré vers la commune pour répondre à l’appel grandissant de main d’œuvre des haciendas caféières. La colonisation de cette zone est assez récente. Aujourd’hui la population s’élèverait à environ 70 000 habitants répartis dans 182 communautés. La tendance à l’urbanisation aurait récemment poussé les anciens ouvriers agricoles des haciendas à partir vivre dans le centre urbain de La Dalia comme le déclare un caféiculteur: « Beaucoup de gens sont partis de la campagne pour aller vivre à La Dalia. La plus grande partie de la population de La Dalia sont des ouvriers agricoles. La force agricole vit à La Dalia, ils se suivent. »

Conditions pédoclimatiques

La commune est localisée entre la cordillère Isabelia et Dariense. Le massif de Peñas Blancas situé au Nord domine la commune à 1745 m d’altitude. Le relief est montagneux avec des pentes pouvant aller de 8% à 75%  Le climat de la commune d’El Tuma La-Dalia réunit les caractéristiques de la classe bioclimatique des forêts subtropicales, semi-humides. Il est marqué par deux saisons contrastées : l’été (ou saison sèche) qui s’étend de décembre à avril et l’hiver (ou saison des pluies) qui s’étend de mai à novembre avec des périodes de fortes pluies tropicales causant des dégâts notamment dans les zones à fortes pentes. Les températures oscillent entre 20 et 24°C en moyenne. Le diagramme ombrothermique  a été construit à partir des données d’une hacienda caféière localisée dans la partie la plus en altitude de la commune d’El Tuma-La Dalia (au niveau du massif de Peñas Blancas) où le climat est plus froid et humide que dans le reste de la commune. Le réseau hydrographique de la commune est composé d’une rivière principale : la rivière Tuma et de cinq principaux affluents. Les sols sont plutôt de texture argileuse développés sur des roches volcaniques intermédiaires basiques. On rencontre aussi quelques vertisols dans les bas fonds.
De par les conditions bioclimatiques particulières, trois cycles de cultures annuelles sont possibles. Le cycle de primera s’étend du mois de mai au mois d’août. Puis, le cycle de postrera s’étend du mois d’août au mois d’octobre-novembre. Enfin, le cycle d’apante qui s’étend de novembre-décembre à février (Bainville et al., 2005).

Changements structurants de la commune

Les changements structurants propres à la commune d’El Tuma-La Dalia sont étroitement liés à l’évolution du contexte national nicaraguayen et aux différents cadres politiques qui se sont succédés. La figure 5 représente d’une part les changements politico-institutionnels nationaux ayant eu une influence ou incidence sur la situation des habitants de la commune d’El Tuma La Dalia ; et d’autre part les changements d’importance rencontrés dans la commune par les personnes ressources interrogées lors de la phase exploratoire de l’étude.

Changements fonciers: L’agriculture au niveau de la commune a subi de nombreuses reconfigurations au cours du siècle dernier en fonction du contexte national. En effet, trois réformes agraires ont modifié de manière structurale le paysage agricole autour d’enjeux fonciers. La première eu lieu dans les années 60 sous la pression des paysans sans terres et de « l’alliance pour le progrès ». La deuxième conduite par le gouvernement sandiniste « FSLN » en 1981 fut de plus grande ampleur avec la création de fermes d’états et de diverses formes associatives de production (coopératives de production étatique, coopératives de défense etc.). La troisième « Assistée par le marché » menée par les gouvernements libéraux des années 1990 à l’an 2000, aboutit à la privatisation des fermes d’état et à la redistribution des terres aux travailleurs.
Aujourd’hui, nous retrouvons quelques exploitations privées de types capitalistes (Haciendas), quelques coopératives de production et beaucoup d’agriculteurs individuels de types familaux (Davila et al., 2010).
L’accès à la terre est un facteur déterminant qui a rythmé l’évolution de la commune d’El Tuma-La Dalia. Le foncier représente aujourd’hui pour beaucoup d’agriculteurs de la commune à la fois une ressource identitaire, un facteur de production et un capital qui leur est cher. En effet, l’accès à la terre a été l’objet de conflits et de luttes sociales et partisanes.
Le mouvement de Las Tunas illustre cet enjeu d’importance. En 2002, les paysans sans terres et les ouvriers agricoles sans emplois (dû à l’abandon en 1999 des grandes exploitations agricoles) partirent manifester afin d’accéder à la terre et à de meilleures conditions de vie (sortir de la famine pour beaucoup). Cette lutte d’accès au foncier aboutit en 2002 avec la signature des accords de Las Tunas qui représentent « une contre réforme agraire ». Les ouvriers agricoles de l’entreprise Agrisami obtiennent finalement du gouvernement des parcelles agricoles familiales destinées à assurer leur alimentation d’auto-subsistance

Changements agraires: L’agriculture est depuis la création de la commune, sa principale activité économique. Elle est tournée vers la production de cultures pérennes (café et cacao – notamment en système agroforestiers associant bananiers et arbres), de grains de base (maïs de primera, haricots de postrera et apante, riz), et d’élevage bovin.
La production et l’exportation de café est depuis longtemps l’activité agricole prédominante de la commune avec une moyenne de 199 600 quintaux de « café oro3 » récoltés par an entre 1999 et 2000 ce qui représente environ 10% de la production nationale (CENAGRO, 2001). Les types de producteurs de café ont changé au cours du temps depuis son implantation dans les années 1920. La production est passée successivement dans les mains d’haciendas privées, de fermes d’état, de
coopératives de production puis d’entreprises privées (haciendas) et de petits agriculteurs individuels. Aujourd’hui, la tendance est à l’individualisation de la population agricole provoquant un
démembrement des terres des coopératives agricoles. Les grands producteurs de café (haciendas) se situent sur les hauteurs de la commune, principalement au niveau du massif de Peñas Blancas. Les petits producteurs individuels se répartissent dans les plaines vallonnées de la commune.
La production de grains de base a connu un grand essor dans les années 1980 après la guerre. Elle occupe aujourd’hui un second ordre d’importance avec la culture de maïs et d’haricots rouges.
Contrairement au café, les cultures de grains de bases (maïs, haricots) permettent d’assurer l’alimentation de beaucoup de familles d’agriculteurs à l’année. En 2010, 6000 agriculteurs produisaient des grains de base dans la commune (Davila et al., 2010) .
L’élevage bovin a connu son âge d’or dans les années 1950-60 du temps des grandes haciendas caféières. Les propriétaires de ces haciendas ont vendu leurs troupeaux dans les années 1980 et seulement quelques fermes d’état ont par la suite repris cette activité. En 2010, 15 000 têtes de bovins étaient répartis entre bovins laitiers (50%), bovins à viande (30%) et bovins destinés à l’autoconsommation (20%) au sein de la commune (Davila et al., 2010).

Changements économiques: Un mouvement social de moindre ampleur que le mouvement de Las Tunas initié en 2011 reflète les problèmes économiques que rencontrent aujourd’hui beaucoup de petits agriculteurs individuels ; c’est le mouvement « No pago ». Une cinquantaine de petits producteurs individuels avaient des difficultés pour rembourser les prêts qui leur avaient été financés par des organismes de microcrédits. Ils se sont unis à travers ce mouvement dans le refus de payer. Un employé d’un organisme local de micro-crédit le précise : « Il y a deux ans, un groupe s’est levé, le mouvement « No pago ». Ce mouvement réunissait cinquante personnes. Elles ne pouvaient plus rembourser leurs crédits car la situation économique de la commune allait mal. Elles ont manifesté et refusé de payer. »
Un problème économique de grande ampleur à récemment touché la commune. C’est une épidémie d’un champignon ravageur originaire d’Amérique du Sud qui s’est propagé en 2012 au Nicaragua. La rouille orangée (Hemileia vastatrix) ravage les plantations de café. Ce champignon aurait affecté 60% des caféiers d’Amérique centrale. Les pertes actuelles s’élèveraient à 383 millions d’euros au niveau de l’Amérique Latine, région qui concentre 14 % de la production mondiale de café. Le Nicaragua est le troisième pays le plus touché. La propagation du champignon serait favorisé par le réchauffement climatique et par un manque de mesures de prévention et de contrôle (Avelino et al., 1993; Studer, 2013).
Dans le but de repérer les forces et faiblesses du territoire d’un point de vue économique, une analyse SWOT a été faite (Zúñiga, 2009). Cette analyse est fondée sur une revue de littérature grise et sur le discours des personnes ressources enquêtées, elle est donc subjective et qualitative. Elle permet cependant de se rendre compte des menaces et opportunités économiques qui s’exercent

Changements d’ONGs de développement

A partir des années 90, poussés par la politique de reconstruction d’après-guerre du gouvernement, des organismes internationaux ont appuyé des projets de développement locaux visant à réduire l’extrême pauvreté. Au niveau de la commune d’El Tuma-La Dalia, des acteurs internationaux, nationaux et locaux sont entrés en action et ont mis en place des projets de développement associant les thématiques socio-économiques, de santé et de protection de l’environnement. La plupart des organismes internationaux qui intervenaient localement ne sont plus présents aujourd’hui sur le territoire, principalement par manque de financement. C’est le cas de l’Union Européenne, de l’USAID, de l’Aide Populaire de Norvège et de Charité Internationale. Aujourd’hui, on retrouve une dizaine d’ONGs qui œuvrent sur la zone.

Changements politiques

Le parti politique actuel reçoit une ferveur populaire de la part des habitants de la commune et ce depuis longtemps. Comme le précise le maire : « La mairie de la commune a depuis 1979 toujours été Sandiniste. ». Il n’y a donc pas de changements politiques propres à la commune d’El Tuma-La Dalia.

La Réserve de la Biosphère de Bosawás

En 1991, la présidente du Nicaragua V. Barios de Chamorro, poussée par la conjoncture internationale, créée la réserve Bosawás dans le but de freiner l’avancée du front pionnier agricole sur le territoire forestier de la Région Atlantique Autonome Nord (RAAN). En 1997, Bosawás est désignée comme réserve de la Biosphère par l’UNESCO et faisant partie intégrante du Corridor Biologique Mésoaméricain (CBM) (Godoy Herrera, 2003);(Roiz).
Le territoire forestier de l’Est du pays est depuis longtemps menacé par des colons métisses qui coupent illégalement des arbres et vendent le bois pour développer de l’élevage extensif et des cultures agricoles. Du temps de la dictature militaire d’A. Somoza Debayle, cette avancée du front pionnier agricole vers l’Est était promue par le modèle productiviste libéral et la politique ouverte qui
poussait les gens à coloniser ces terres forestières. La stratégie du gouvernement était de donner à la population rurale pauvre accès à la terre, afin d’éviter qu’elle ne se rebelle.
Aujourd’hui, les raisons qui poussent ces colons métis à s’aventurer dans les zones forestières sont
multiples : (i) Le manque d’accès à la terre pour cultiver ou développer de l’élevage, (ii) La volonté d’améliorer leur situation économique, (iii) la croyance que la réserve avec ses grandes extensions de terre peut leur générer des revenus à travers la vente de bois, l’introduction de cultures, d’élevage et l’exploitation artisanale d’or. (iv) Ces zones servent également de refuge aux délinquants qui se sentent en sécurité. (Bonilla Toruño, 2009) . Les habitants se trouvant sur le territoire de Bosawás, formé d’un ensemble de communes rurales essentiellement agricoles, sont parmi les plus pauvres et les moins bien lotis du pays (en termes de services, de biens publics, etc.). C’est particulièrement le cas des communautés indigènes de la RAAN. C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, des communes métis de la Région Centre-Nord qui fait partie des régions les plus inégalitaires du pays où les indicateurs de développement humains sont parmi les plus faibles (Wieting, 2001). Paradoxalement, la région Centre-Nord fait partie du « poumon économique » du pays. C’est dans cette région où s’est historiquement développée la culture caféière (caractéristique du Tropique Humide d’altitude du Nicaragua) qui représente aujourd’hui une grande source d’entrée de devises.La réserve Bosawás, comme les autres aires protégées du Nicaragua, reste aujourd’hui menacée par l’avancée de la frontière agricole, l’abattage illégal du bois, et plus récemment, par la pollution des cours d’eau qui est le plus souvent associée à l’activité agricole.

La Réserve Naturelle du Massif de Peñas Blancas (RNMPB)

La commune d’El Tuma-La Dalia inclue (sur la zone située la plus au Nord de la commune) une partie d’une réserve naturelle protégée : la Réserve Naturelle du Massif de Peñas Blancas (RNMPB) La RNMP fait partie intégrante de la réserve de la biosphère Bosawás. C’est l’une de ses six zones « centrales ». Elle s’étend sur une superficie de 115 Km² et se situe à cheval sur trois communes (El Cuá; El Tuma-La Dalia; et Rancho Grande). La RNMPB se décompose (tout comme la réserve Bosawas) en une « zone centrale » ou « zone cœur » et une « zone tampon ». La commune d’El Tuma La Dalia comprend 22% de la zone centrale de la RNMPB et 12% de sa zone tampon. Les zones centrales et tampon sont chacune soumises à des règles de gestion des ressources naturelles distinctes et présentent des caractéristiques d’occupation du sol singulières.
La majeure partie du territoire de la zone centrale de la RNMPB située dans la commune d’El TumaLa Dalia est occupée par de grandes exploitations de café (haciendas) qui ont besoin d’une grande force de travail lors de la période de récolte et emploient peu d’ouvriers agricoles le reste de l’année (Edgar et al., 2011).

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Table des matières

1 Introduction
2 Cadre institutionnel et thème de l’étude
2.1 L’accueil au sein de plusieurs structures de recherche en partenariat
2.1.1 Le CIRAD, les Unités Mixtes de Recherche ART-Dev et Innovation et les dispositifs
prioritaires PP-AL et PCP-Agroforesterie en Amérique Centrale
2.1.2 La UCA et son Institut de Recherche et Développement Local Nitlapán
3 Contexte et questions de recherche
3.1 Contexte national
3.1.1 Pauvreté et inégalités
3.1.2 Dépendance au secteur agricole
3.2 Contexte de la zone d’étude, la commune d’El Tuma-La Dalia
3.2.1 Localisation et mouvements de population dans la commune
3.2.2 Conditions pédoclimatiques
3.2.3 Changements structurants de la commune
3.3 La Réserve de la Biosphère de Bosawás
3.4 La Réserve Naturelle du Massif de Peñas Blancas (RNMPB)
3.5 Les questions et les hypothèses de recherche et le choix du dispositif de terrain
4 Cadres d’analyses de l’étude et méthodes
4.1 Les références théoriques
4.1.1 Les pressions environnementalistes
4.1.2 Les représentations sociales
4.1.3 Les stratégies
4.1.4 Les conventions
4.2 Matériel et méthode
4.2.1 Méthodes de collecte des données
4.2.2 Méthodes de traitement et analyse des données
4.2.3 Restitutions
5 Résultats
5.1 Les acteurs à l’origine des pressions environnementalistes, leurs stratégies et leur répartition sur le territoire
5.1.1 Une myriade d’acteurs de l’environnement
5.1.2 Caractérisation des pressions environnementalistes et stratégies des acteurs de
l’environnement
5.1.3 Les acteurs d’importance qui n’exercent pas de pressions environnementalistes
5.2 Les stratégies des acteurs utilisateurs des ressources naturelles (agriculteurs familiaux
individuels, haciendas, coopératives agricoles et organisme conservateur de terres)
5.2.1 Caractérisation des « acteurs de la terre » de la région d’étude
5.2.2 Les diverses pressions rencontrés par les utilisateurs des RN de la zone d’étude
5.2.3 Représentation et influence des pressions environnementalistes sur les stratégies des
« acteurs de la terre »
5.3 Discussion
Conclusion

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