Les vanilliers aphylles sont des lianes dépourvues de feuilles de la famille des Orchidaceae et classés parmi les plantes grimpantes utilisant des racines. Cette absence de feuilles est une forme d’adaptation visant à diminuer l’évapotranspiration car les vanilliers aphylles se sont adaptés à des habitats où la disponibilité en eau est réduite. Comme la plupart des plantes grimpantes, les vanilliers réclament un ou plusieurs tuteurs qui sont en général des arbres mais quelques fois des rochers. Ils s’agrippent sur ces supports pour accéder à un endroit plus éclairé afin d’exposer les rameaux à la lumière (Gianoli, 2015). A Madagascar, les vanilliers aphylles sont utilisés traditionnellement comme plantes médicinales (Raveloarison et al., 2017) mais ils pourraient servir aussi, comme pour la plupart des lianes, de connexion entre les arbres lors du déplacement des primates et des animaux arboricoles (Montgomery et Sunquist, 1978 ; Rendings et al., 2003 ; Dunn et al., 2012, Yanoviak, 2015 ; ArroyoRodriguez et al., 2015).
Les écosystèmes tropicaux abritant les vanilliers sauvages subissent de sérieux dégâts dus à la dégradation rapide des forêts au profit de l’agriculture itinérante, des exploitations minières mais aussi de l’abattage sélectif des arbres de grande taille (Styger et al., 2007 ; Schuurman et Lowry, 2009 ; Watson et al., 2010). Ces perturbations entrainent une exposition des lianes à un habitat plus ouvert, mais en plus les forcent à utiliser des supports de plus faible diamètre. Il est intéressant de comprendre comment les espèces grimpantes utilisant des racines, comment les vanilliers, arrivent-ils à remonter des arbustes de petite taille. En effet, les grimpeuses à racines semblent s’adapter mieux aux tuteurs de grande taille contrairement aux grimpeuses à vrilles qui préfèrent les supports de petite taille (Putz, 1984 ; De Walt et al., 2000 ; Nabe-Nielsen, 2001 ; Carrasco-Urra et Gianoli, 2009). Il a été rapporté que les lianes deviennent de plus en plus abondantes et diverses dans les forêts fragmentées, en particulier celles ayant une lisière importante ou celles présentant des ouvertures récurrentes au niveau de la canopée (Campbell et al., 2015). Deux facteurs ont été identifiés comme susceptibles d’affecter la diversité des lianes au sein des fragments forestiers : (i) les impacts négatifs de l’isolement des populations, la limitation de la dispersion des propagules et la raréfaction des pollinisateurs obligatoires d’une part (Aizen et Feinsinger, 1994 ; Young et al., 1996 ; Benitez-Malvido et Martínez-Ramos, 2003), et (ii) la diminution importante du nombre d’arbres qui peuvent servir de tuteurs d’autre part (Muthuramkumar et al., 2006 ; Arroyo-Rodríguez et Toledo-Aceves, 2009 ; Addo-Fordjour et al., 2012). Le taux élevé de déforestation (environ 8%) enregistré à Madagascar (Green et Sussman, 1990 ; Ganzhorn et al., 2001 ; Harper et al., 2007) entrainerait des transformations profondes au niveau des populations de lianes y compris les vanilliers sauvages (Cribb et Hermanns, 2007) même si, jusqu’à maintenant, peu d’études ont été effectuées à ce propos.
Milieu d’étude
L’étude a été effectuée dans des forêts localisées dans six communes de Madagascar et a reçu l’aval de la Direction des Aires protégés Terrestres avec l’autorisation de recherche N° 004/17/MEEF/54/DGF/DSAP/SCB.Re. Ambohitralanana, Darainy, et Bevoay sont les sites sélectionnés au Nord ; Antanimenalava, Ankililoake et Betioky sont ceux du Sud. Les forêts rencontrées dans ces localités sont très différentes les unes des autres notamment par leur relief géographique et appartiennent à différentes zones bioclimatiques . Les forêts de la partie Nord de Madagascar sont soumises à un climat moins rude et reçoivent une pluviométrie plus abondante contrairement aux forêts du Sud composées de végétation xérophiles, caractéristiques d’un climat sec. Toutes ces forêts abritent des populations de vanilliers aphylles.
Dénombrement et caractérisation des vanilliers et de leurs tuteurs
Pour déterminer la densité des vanilliers dans chaque site, des plots de 50 m X 20 m ont été établis dans une zone homogène de la végétation (Braun-Blanquet J., 1928). Le nombre de plots varie de deux à trois en fonction de la superficie des sites. Un individu de vanillier est défini comme une liane avec l’ensemble de ses rameaux ; le nombre d’individus à l’intérieur de chaque plot a été compté. Ensuite, les racines agrippantes et descendantes ont été dénombrées pour chaque individu, leur longueur a été mesurée et leur forme, aplatie ou filiforme, notée. Le nombre de ramifications de la tige, leur longueur et leur diamètre ont été aussi déterminés. Dans le cadre de cette étude, seules les caractéristiques morphologiques des tuteurs ont été retenues. La hauteur, le type d’écorce (lisse, rugueuse ou crevassée), et le diamètre à hauteur de poitrine ont été considérés.
Etude des facteurs pouvant influencer la morphologie et la longueur des racines
Les relations entre les différents types de racines agrippantes (RA) et la rugosité de l’écorce mais aussi avec le diamètre du tuteur ont été étudiées afin de comprendre les stratégies d’ancrage du vanillier à son tuteur. Puis des comparaisons du nombre de racines agrippantes, de racines descendantes (RD), de ramifications et de la longueur des vanilliers au niveau des deux habitats dont l’un est dégradé et l’autre préservé ont été effectuées à Bevoay, près d’Ambanja. Cette analyse comparative a pour objectif de déterminer les stratégies d’adaptation des vanilliers lorsqu’ils sont confrontés à une dégradation de leur habitat. Elle n’a pas pu être réalisée au niveau de tous les sites car les habitats plus ou moins intacts sont devenus rares (le site préservé d’Ambatofaly est une forêt sacrée dont l’accès est régi par des règles coutumières locales, il fait partie d’un ensemble de territoire géré actuellement par une organisation privée). Ensuite, les relations entre la longueur des RA et l’âge des rameaux ont été testées. Pour cela, l’âge relatif de l’individu a été estimé en fonction du nombre de rameaux développés en admettant qu’un individu âgé possède plus de 5 rameaux.
Comparaison des traits anatomiques des racines entre les vanilliers du Nord et du Sud selon un gradient d’humidité
Il s’agit de comparer les traits anatomiques des racines entre des individus venant de différentes zones géographiques au Nord et au Sud de Madagascar. Les matériels biologiques collectés sont constitués de segments de racines agrippantes et descendantes d’environ 5 cm de long. Pour la racine descendante dont la longueur peut atteindre 15 m, cinq échantillons correspondant à cinq niveaux différents ont été prélevés successivement à partir de la zone d’insertion à la tige jusque dans le sol. Il s’agit de la racine descendante haute (RDH, partie de la racine comprise dans les 10 cm à partir du nœud de la liane), la racine descendante médiane (RDM, partie de la racine à mi-hauteur), la racine descendante basse (RDB, partie de la racine descendante comprise dans les 10 cm au-dessus du niveau du sol), la racine principale souterraine (RDSLPP), et les racines secondaires souterraines (RDSLS, correspondant à des ramifications à partir de la racine principale souterraine). Pour la racine agrippante, elle a été prélevée en entier. L’échantillonnage a été réalisé à raison de 15 individus par localité. Les échantillons de racines ont été préservés dans de l’alcool à 70°. Pour l’observation anatomique, des coupes transversales à main levée ont été effectuées à l’aide d’un microtome équipé d’une lame rasoir donnant des coupes de type 20 µm d’épaisseur puis colorées avec le carmino-vert de Mirande (Mirande, 1920), et montées entre lames et lamelle dans de l’eau distillée. Les coupes ont été observées avec un microscope à champ lumineux Olympus® BX 43. Les images ont été ensuite capturées à l’aide d’un appareil photo Canon® EOS 5D Mark I. L’analyse morphométrique des différents tissus de l’organe a été effectuée avec le logiciel libre Java® 2 platfom, Standard Edition. Les caractéristiques anatomiques suivantes ont été prises en compte : le diamètre de l’organe, l’épaisseur de l’épiderme, l’épaisseur de l’écorce, le diamètre du cylindre central, le diamètre de la moelle, l’épaisseur du parenchyme de l’écorce, le nombre de faisceaux libéro-ligneux, le nombre des lacunes, le diamètre des lacunes, le diamètre des vaisseaux du métaxylème et le diamètre du phloème.
Analyses statistiques
Dans l’ensemble des études portant sur la morphologie des racines, 574 vanilliers répartis du Nord au Sud de Madagascar ont été considérés. L’analyse de ces individus correspond à une évaluation des caractéristiques de 13694 racines agrippantes (RA) et de 1615 racines descendantes (RD). Pour l’étude anatomique, 390 échantillons de racine ont été prélevés et 515 coupes effectuées.
Le test de Pearson a été utilisé pour évaluer les corrélations entre les différentes formes de RA et leur longueur d’une part, et les types d’écorce des tuteurs d’autre part. Une analyse de variances (ANOVA) à un seul facteur a été utilisée pour évaluer l’influence de la dégradation de l’habitat sur l’abondance des racines agrippantes, descendantes, la ramification, et la longueur et le nombre d’individus de vanillier. Un niveau de P < 0,05 a été interprété comme étant significatif. Pour comprendre les relations entre les caractères anatomiques des racines de vanillier et leur origine géographique, une analyse en composantes principales a été effectuée. Toutes les analyses ont été faites avec le logiciel R avec les extensions suivantes :
– Factoextra facilite l’extraction et la visualisation des résultats d’analyses exploratoires de données multivariées ;
– FactoMineR permet de mettre en œuvre des méthodes d’analyses de données telles que l’analyse en composantes principales (ACP) ainsi que des analyses plus avancées ;
– ggplot2 permet de construire tous les graphiques à partir d’un petit nombre d’éléments (un jeu de données, un ensemble de repères visuels) qui représentent les points de données et un système de coordonnées ;
– Rcmdr est une interface permettant de réaliser un certain nombre de tâches plus ou moins complexes sous R sans avoir besoin de saisir de code.
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODES
I. Milieu d’étude
II. Méthodes
II.1 Dénombrement et caractérisation des vanilliers et de leurs tuteurs
II.2 Etude des facteurs pouvant influencer la morphologie et la longueur des racines
II.3 Comparaison des traits anatomiques des racines entre les vanilliers du Nord et du Sud selon le gradient d’humidité
III. Analyses statistiques
RESULTATS
I. Caractéristiques morphologiques de la racine agrippante
II. Caractéristiques morphologiques de la racine descendante
III. Caractéristiques anatomiques des racines descendantes et agrippantes
III.1 Comparaison des caractéristiques anatomiques entre racine agrippante et racine descendante
III.2 Variation spatiale des caractéristiques anatomiques des racines descendantes
III.3 Variation des caractères anatomique des racines descendantes suivant la localisation géographique
DISCUSSIONS
I. Relations entre vanilliers et arbres hôtes
II. Plasticité phénotypique pour une colonisation spatiale rapide
III. Modifications pour optimiser la capture des ressources minérales et adaptation au stress hydrique
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXE