Démarche interrégionale d’optimisation de la pharmacothérapie chez le sujet âgé

Les progrès de la médecine concourent à augmenter l’espérance de vie et donc à augmenter la propension au vieillissement de la population. Différents enjeux sont alors à prendre en compte, aussi bien démographique, financier que la qualité et la pertinence des soins.

En 2015, 9,1% de la population avait plus de 75 ans alors que ce pourcentage est estimé à 14,6% en 2040 (1). Si la France peut se vanter d’offrir à sa population une des espérances de vie les plus avancées d’Europe, ce n’est pas le cas pour l’espérance de vie en bonne santé. Un des enjeux majeurs de notre société est donc d’éviter que cette population vieillissante ne soit en perte d’autonomie. En effet, plus la population vieillit, plus la probabilité de polypathologie augmente et donc de polymédication également. Le nombre moyen de médicaments consommés quotidiennement par les sujets âgés de 70 à 80 ans est de 8 médicaments (2). De facto, le risque de iatrogénie médicamenteuse est majoré alors qu’elle représente déjà un fardeau de santé publique. Les erreurs médicamenteuses ou les effets indésirables médicamenteux sont à l’origine de plus de 10 000 décès par an et 130 000 hospitalisations (3). En effet, en France, l’incidence des hospitalisations liées à un effet indésirable médicamenteux est de 10,6% (4). De plus, le risque de iatrogénie médicamenteuse est doublé dans la population âgée et cause plus de 20% des hospitalisations des octogénaires contre 10% chez les personnes âgées de plus de 60 ans .

La volonté nationale est donc d’accompagner sa population vieillissante en lui permettant de vieillir en bonne santé. Promouvoir le bon usage des médicaments en participant à la démarche d’optimisation des thérapeutiques chez la personne âgée fait partie des étapes primordiales de ce processus. Cependant, notre système de soins doit également évoluer. La nouvelle loi « ma santé 2002 » vise à décloisonner les organisations pour favoriser les nouvelles façons d’appréhender la santé, par le développement de nouveaux parcours de soins en encourageant le travail en interprofessionnalité. Le suivi pharmaceutique par exemple, dont la résolution est désormais adoptée, implique un processus de coopération entre le pharmacien, le patient et l’ensemble des professionnels de santé pour concevoir, mettre en œuvre et assurer le suivi d’un plan thérapeutique .

PROCESSUS D’OPTIMISATION DE LA PHARMACOTHÉRAPIE DU SUJET ÂGÉ 

Il existe deux grands types de prescriptions médicamenteuses, celles dites appropriées, où le médicament est prescrit à la bonne posologie, selon la bonne indication et avec une galénique adaptée au patient et les prescriptions potentiellement inappropriées (PPI). Ces dernières, responsables d’une augmentation de la morbidité, sont sources de problèmes pharmacothérapeutiques dont les plus courants sont les suivants :
– Une indication non traitée : le patient ne reçoit pas un médicament dont il a besoin,
– Un médicament non indiqué :
o Le patient reçoit un médicament autre de celui qu’il faut,
o Le patient reçoit un médicament sans indication médicale,
– Un sous-dosage / surdosage : le patient reçoit le médicament correct avec à une mauvaise posologie (trop faible / trop forte),
– Un effet indésirable observé : le patient présente une réaction médicamenteuse indésirable,
– La présence d’interactions : le patient souffre d’interaction médicament-médicament ou médicament-aliment,
– Un problème d’observance : le patient ne prend pas le médicament prescrit.

Les PPI sont caractérisées par la présence de médicaments potentiellement inappropriés (MPI) ainsi que par l’absence de médicaments potentiellement nécessaires, appelés médicaments potentiellement omis (MPO), définis notamment par les listes STOPP/STARTv2 . Les MPI se répartissent en deux sous-groupes selon une classification commune :
– Overuse (sur-utilisation) : sur-prescription d’un médicament n’ayant pas d’efficacité démontrée ou présence d’un médicament non indiqué. Exemple de la co-prescription d’héparine de bas poids moléculaire (HBPM) avec un anticoagulant oral direct (AOD)
– Misuse (mauvaise utilisation) : dose inadaptée, galénique inappropriée, contreindication présente, non recommandé selon les recommandations de bonnes pratiques, balance bénéfice/risque défavorable avec alternative plus adaptée, etc. Exemple de la prescription d’un antivitamine K (AVK) non adapté à l’INR (international normalized ratio).

Les MPO quant à eux, sont définis selon la même classification commune :
– Underuse (sous-utilisation) : sous-utilisation ou omission de prescription d’un médicament, pour une pathologie donnée, ayant une efficacité démontrée dans ladite situation. Exemple de l’absence de prescription d’anticoagulant en cas d’arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire (ACFA) (NNT (number needed to treat) = 27 soit 27 personnes à traiter pour éviter l’apparition d’un événement indésirable .

Outils existants de réévaluation de la pharmacothérapie du sujet âgé

Afin d’optimiser les ordonnances médicamenteuses et pour repérer les PPI, deux approches sont possibles . D’une part, l’approche explicite qui consiste en l’application de listes standardisées de MPI, constituées de critères rigides applicables à tous les patients. Et d’autre part, celle dite implicite, permettant l’analyse de chaque patient dans sa globalité, traitement par traitement, en prenant compte de l’environnement. Il s’agit d’une approche individualisée, dans laquelle le clinicien considère l’ensemble des facteurs gravitant autour du patient (antécédents, comorbidités, situation socio-culturelle, autonomie, …). La collaboration pluridisciplinaire intervient pour améliorer et compléter la prise en charge du patient.

Exemples d’approches explicites 

o Liste STOPP/START
La liste STOPP/START (screening tool of older persons’ prescriptions/screening tool to alert to right treatment) aide à la révision des traitements médicamenteux de sujet âgé d’au moins 65 ans grâce à un outil simple, validé, basé sur des preuves ou expériences cliniques. La première version de cet outil date de 2008 et une mise à jour en 2015, validée par la méthode Delphi, a permis de recenser 115 critères dont 43 nouveaux et d’adapter la liste STOPP/START.v2. en français (13). Pour utiliser cet outil, il faut renseigner les différents  traitements pris par le patient ainsi que sélectionner ses pathologies parmi une liste pré-établie. Les critères STOPP permettent de détecter les principales interactions médicamenteuses, les événements indésirables liés à la prescription de certains médicaments tout en prenant en compte les comorbidités des patients. Ils mettent en lumière le plus souvent des « overuse » (surutilisation) ou « misuse » (mauvaise utilisation) de certains médicaments. Les critères START quant à eux, indiquent des situations où la prescription de certains médicaments serait jugée appropriée. Voici l’exemple d’un patient souffrant d’une ACFA pour lequel aucun anticoagulant n’est prescrit, le critère START A1 : « Antivitamine K ou inhibiteurs directs de la thrombine ou inhibiteurs du facteur Xa dans la fibrillation atriale (FA) (paroxystique, persistante ou permanente). En cas de fibrillation atriale induite par une cardiopathie valvulaire mitrale ou par un syndrome coronarien aigu ou récent, seul l’antivitamine K est recommandé – (risque cardioembolique élevé) (ACFA) » apparait lorsque l’on renseigne la notion d’ACFA dans les pathologies de l’outil STOPP/STARTv2 permettant de mettre en lumière ce MPO.

o Critères de Beers
Les critères de Beers 2015 de l’American Geriatrics Society classent en 3 groupes les MPI chez les sujets âgés de plus de 65 ans : inapproprié (à toujours éviter), potentiellement inapproprié (à éviter selon certaines comorbidités) et à utiliser avec prudence (selon la balance bénéfice/risque) (14). En 2019, une réévaluation permet d’inclure des listes de médicaments à éviter ou dont les doses doivent être ajustées à la fonction rénale et enfin des interactions médicamenteuses associées à des effets indésirables chez la personne âgée (15). Le dabigatran par exemple, anticoagulant oral direct, est classé selon cette liste actualisée de 2019 dans deux catégories :
– Potentiellement inapproprié (tableau 2) car il augmente le risque de saignement gastrointestinal en comparaison à la warfarine et les autres anticoagulants oraux directs lorsqu’il est utilisé au long cours pour traiter les thromboses veineuses profondes ou la fibrillation atriale chez les sujets de plus de 75 ans. Cette liste recommande de l’utiliser avec prudence dans le traitement de ces deux pathologies évoquées selon un niveau de preuve modéré mais dont la force de recommandation est forte.

– A éviter ou dont le dosage doit être diminué selon la gravité de l’insuffisance rénale du sujet âgé . En effet, pour une fonction rénale dont la clairance de la créatinine (Clcr) est estimée à moins de 30 ml/min, les critères de Beers concluent que l’efficacité et l’innocuité du dabigatran n’ont pas été prouvées. Ils recommandent ainsi d’éviter la prise de dabigatran en cas de clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/min et d’ajuster la posologie de cet AOD lorsque la clairance de la créatinine est supérieure à 30 ml/min en présence d’interactions médicamenteuses, selon un niveau de preuve modéré mais dont la force de recommandation est forte.

L’utilisation des critères de Beers, bien qu’exhaustifs et faciles d’emploi, est cependant limitée en Europe et donc en France car les pharmacopées sont différentes et qu’aucune adaptation officielle en français n’existe à ce jour.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I PROCESSUS D’OPTIMISATION DE LA PHARMACOTHÉRAPIE DU SUJET ÂGÉ
I.1 Outils existants de réévaluation de la pharmacothérapie du sujet âgé
I.1.1 Exemples d’approches explicites
I.1.2 Exemples d’approches implicites
I.1.3 Recommandations et guides de bonnes pratiques gériatriques
I.1.4 Les autres outils d’optimisation de la pharmacothérapie en gériatrie
I.2 Le plan de médication partagé, méthodologie d’élaboration interprofessionnelle
I.2.1 Le plan de médication partagé : les étapes
I.2.2 Le PMP : un outil fédérateur nécessitant l’implication de tous les acteurs
I.2.3 Le PMP : un outil applicable au patient âgé
I.2.4 Les outils numériques comme levier de déploiement du PMP
I.3 « Article 51 » : projets nationaux d’optimisation de la pharmacothérapie du sujet âgé et coordination interprofessionnelle
PARTIE II DÉCLINAISON GÉNÉRALE DE LA DÉMARCHE D’OPTIMISATION DE LA PHARMACOTHÉRAPIE DU SUJET ÂGÉ EN NORMANDIE
II.1 Contexte
II.1.1 Étude « médicaments potentiellement inappropriés » en Normandie
II.1.2 Appels à candidatures régionaux
II.2 Outils à destination des professionnels de santé
II.2.1 Programme interrégional de formations interprofessionnelles
II.2.2 Plusieurs modèles de formations déclinés en région
II.3 Outils de sensibilisation pour les patients et leurs aidants
II.4 Campagne régionale de communication
PARTIE III DÉMARCHE SPÉCIFIQUE POUR LES ANTICOAGULANTS
III.1 Contexte iatrogène des anticoagulants
III.2 Méthodologie
III.2.1 Objectifs
III.2.2 Matériel et méthode
III.3 Outils à destination des professionnels de santé
III.3.1 Guide de bon usage des anticoagulants
III.3.2 Les situations iatrogènes identifiées et spécificités du sujet âgé
III.3.3 Posters « Anticoagulants : les incontournables » destinés aux salles de soins
DISCUSSION ET PERSPECTIVES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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