L’espace souterrain est exploité dans le cadre de diverses activités anthropiques. Dans les villes, l’espace en surface est généralement saturé ce qui pousse à transférer certaines activités sous terre (métros, parking, centres commerciaux). Les secteurs de la construction et de l’énergie sont soutenus par l’exploitation de mines et de carrières, à ciel ouvert et en souterrain, et la construction de barrages nécessite la création de cavités enfouies dans les versants rocheux. L’extension des réseaux de transport, poussée par les progrès technologiques, implique le creusement de passages souterrains (tunnels) à travers les montagnes (tunnel du Gothard, du Somport, du Fréjus…) ou sous-marins (tunnel sous la manche). Enfin, de manière plus ponctuelle, le milieu souterrain peut être une zone favorable au développement de certains projets : l’hôpital d’Ural en Russie pour le traitement d’allergies, le parc à thème de Santa Claus en Laponie, ou encore le site funéraire de Jérusalem.
Tous ces projets nécessitent une conception basée sur le terrain environnant : le massif rocheux. L’ingénieur doit tout d’abord comprendre la réponse de ce massif à l’excavation. La réaction du massif peut conduire à l’apparition de modes de ruine de l’ouvrage, c’est-à-dire des conditions d’instabilité du massif. Elles peuvent retarder l’avancée d’un projet, nécessiter des mesures de réparation, causer des dommages matériels et plus gravement des dommages humains. L’un des objectifs est donc d’éviter l’ensemble de ces conséquences. Dans cette optique, l’ingénieur doit utiliser les méthodes de calcul les plus adéquates et concevoir des solutions de soutènement. Lorsque le massif est fracturé, le croisement des discontinuités naturelles peut délimiter des blocs. Le creusement vient alors mettre en évidence ces blocs qui sont susceptibles de glisser ou de tomber et provoquer une instabilité par chute de blocs.
Démarche et méthodes d’analyse de stabilité de blocs
La conception d’ouvrages souterrains consiste à évaluer la stabilité du massif lors du creusement. Si le massif n’est pas auto-porteur, c’est-à-dire stable sans action extérieure, la démarche de conception comprend la recherche d’une solution de soutènement pour venir stabiliser l’ouvrage. Ce processus repose sur un ensemble d’étapes qui vise à comprendre le comportement du massif à l’excavation et l’action du soutènement. Le massif est un ensemble caractérisé par la partie continue (matrice), les discontinuités qui viennent entrecouper cette partie continue, un état de contraintes, un état hydrique, et une température. La caractérisation de ces éléments varie en fonction du problème étudié. Si la problématique est d’étudier le potentiel géothermique d’un massif, la caractérisation reposera sur la perméabilité du massif (caractérisation de l’écoulement dans les fractures), et éventuellement les paramètres thermiques. La définition même de chaque élément repose également sur le problème étudié. Le creusement de l’ouvrage implique une perturbation du massif dont la réponse varie suivant ces éléments constitutifs (quantité de discontinuités, présence plus ou moins importante d’eau), les caractéristiques individuelles de ces éléments (résistance mécanique, déformation…), et les caractéristiques du creusement (taille et forme de l’excavation). Dans le cas d’une excavation souterraine, on recherche a minima la stabilité du creusement, puis suivant le type de creusement on peut vouloir, par exemple, conserver les dimensions et la forme de l’ouverture (tunnel ferroviaire). A partir de ces exigences, on peut définir un mode de ruine potentiel comme une réponse du massif qui ne permet pas de tenir ces exigences. Ces modes sont variés et l’objet de cette thèse s’intéresse à un en particulier : celui de la chute de bloc.
Un bloc est défini par une géométrie et des paramètres mécaniques. La détermination de la géométrie du bloc est dépendante de la connaissance et du mode de représentation des discontinuités dans le massif. Déterminer la stabilité d’un ouvrage souterrain au creusement dans un massif avec un mode de ruine prédominant de chute de blocs, consiste à évaluer la stabilité de tous les blocs autour de l’excavation. Ces blocs sont soumis à un état de contraintes initial, et possiblement en intersection. Les méthodes de blocs multiples sont des méthodes numériques qui permettent de prendre en compte tous ces éléments. Toutefois, les calculs mis en œuvre restent lourds et nécessitent de nombreuses hypothèses d’entrée. En considérant chaque bloc indépendamment des autres, cela permet de simplifier le problème par celui de blocs isolés. Parmi ces techniques, la méthode des blocs clés [47] est la plus utilisée. Elle s’appuie sur d’autres hypothèses supplémentaires pour simplifier d’avantages le problème : limitation du mode de mouvement, une force par face, pas de prise en compte du comportement des joints, pas de prise en compte de l’état de contraintes sur les faces du bloc. Cette méthode a subi plusieurs améliorations pour prendre en compte la rotation, ou un état de contraintes autour du bloc… mais chacune de ces limitations est levée individuellement. La méthode Isobloc est également une méthode de blocs isolés qui s’appuie cependant sur une résolution rigoureuse du problème de la mécanique du bloc pour déterminer la stabilité. La conception de tunnels en milieux rocheux fracturé et discontinu est donc un processus en plusieurs étapes. Tout d’abord, il faut caractériser le massif rocheux et sa fracturation naturelle dans le cadre d’un creusement. Cette caractérisation se fait dans le but de déterminer le mode de ruine envisagé. La suite du processus est définie suivant ce mode de ruine potentiel. Dans le cas d’une chute de blocs, l’analyse commence par la génération des blocs pour ensuite calculer leur stabilité ou non. Pour finir, au niveau des blocs trouvés instables, il reste à définir une solution de soutènement.
Caractérisation du massif rocheux
Dans le cas d’un ouvrage souterrain, le massif rocheux représente le matériau dans lequel sera opéré le creusement. Sa caractérisation est un point essentiel dans le processus de conception d’un ouvrage souterrain. Le massif rocheux est un ensemble composé de :
— la matrice rocheuse qui correspond à la partie homogène découpée par une ou plusieurs discontinuités ;
— les discontinuités (ou joints) qui regroupent toute rupture mécanique qui présente une résistance à la traction nulle (ou relativement faible) dans le massif (Priest et Hudson, 1981 [89]) ;
— l’état initial de contraintes qui correspond à la qualification des contraintes aux abords de l’ouvrage à creuser.
Pour caractériser de manière exhaustive le massif rocheux, s’ajoutent à cela les conditions hydrogéologiques et la température. Il s’agit d’une structure complexe dont chaque composant doit être identifié individuellement dans un premier temps. Cette identification permet par la suite de comprendre le comportement du massif à l’excavation et donc de déterminer une démarche de conception. Les conditions hydrogéologiques consistent à qualifier et quantifier la présence d’une nappe souterraine ou d’un ruissellement. Dans le cadre de ce travail de thèse, nous nous intéressons uniquement à l’aspect mécanique. Par conséquent nous limiterons les conditions hydrogéologiques à la caractérisation d’une pression hydrostatique. De manière similaire, la température ne sera pas prise en compte dans la suite dans la mesure où elle a peu d’influence dans notre problème.
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Table des matières
Introduction
1 Démarche et méthodes d’analyse de stabilité de blocs : état de l’art
1.1 Caractérisation du massif rocheux
1.1.1 Matrice rocheuse
1.1.2 Discontinuités
1.1.3 Etat initial de contraintes
1.1.4 Classification des massifs rocheux
1.2 Analyse des modes de ruine dans les excavations souterraines
1.2.1 Modes de ruines dans les excavations souterraines
1.2.2 Approche continue ou discontinue du massif rocheux
1.3 Boulonnage
1.3.1 Types de boulonnage
1.3.2 Rôles du boulonnage
1.4 Génération de blocs
1.4.1 Génération du réseau de discontinuités
1.4.2 Génération du réseau de blocs
1.5 Méthodes de calcul de blocs
1.5.1 Approches simplifiées
1.5.2 Méthodes numériques de blocs multiples : modélisation complète du massif
1.5.3 Méthodes des blocs clés
1.6 Apport de la méthode Isobloc
1.6.1 Principe de la méthode
1.6.2 Modèle linéaire
1.6.3 Modèle non linéaire
1.6.4 Soutènement dans Isobloc
1.7 Conclusion
2 Développements complémentaires sur le modèle non linéaire d’Isobloc
2.1 Développement d’un pré-processeur et post-processeur pour l’utilisation d’Isobloc
2.1.1 Présentation du pré-processeur
2.1.2 Présentation des fonctions du post-processeur
2.1.3 Ensemble de blocs
2.2 Influence des paramètres numériques
2.2.1 Version initiale d’Isobloc
2.2.2 Influence du maillage
2.2.3 Influence du pas de calcul
2.2.4 Synthèse sur l’influence des paramètres numériques
2.3 Impact de la loi de comportement des joints
2.3.1 Développement d’une loi semi-logarithmique adaptée
2.3.2 Cadre et hypothèses de calcul
2.3.3 Résultats des modèles
2.3.4 Etude de sensibilité
2.3.5 Synthèse sur l’impact de la loi de comportement normale
2.4 Estimation du degré de sécurité
2.4.1 Taux de déconfinement remarquables
2.4.2 Évaluation de la sécurité du bloc
2.4.3 Etude paramétrique sur l’indice de sécurité
2.4.4 Synthèse sur les indices
2.5 Conclusion
3 Solutions de soutènement avec la méthode Isobloc
3.1 Pression limite équivalente
3.1.1 Principe de la méthode
3.1.2 Définition d’un cas de référence
3.1.3 Comparaison avec Unwedge
3.1.4 Etude paramétrique
3.2 Soutènement surfacique
3.2.1 Principe
3.2.2 Quantification de la sécurité
3.2.3 Application de la méthode de soutènement surfacique
3.3 Soutènement localisé par boulonnage
3.3.1 Principe
3.3.2 Application de la méthode de boulonnage localisé
3.4 Conclusion
4 Utilisation pratique d’Isobloc avec des données d’un cas d’ingénierie
4.1 Description du projet TELT et du site de sécurité d’Avrieux
4.1.1 Contexte
4.1.2 Géologie
4.1.3 Analyse du site
4.1.4 Détermination du mode de rupture
4.2 Calcul de stabilité avec la méthode Isobloc
4.2.1 Capitalisation des données d’entrée nécessaires
4.2.2 Calcul Isobloc avec des données de la phase projet
4.2.3 Application sur un bloc au front
4.2.4 Application aux blocs en paroi de puits
4.2.5 Application aux excavations phasées
4.2.6 Calcul Isobloc avec des données locales issues des travaux
4.2.7 Calcul Isobloc en modifiant l’état initial de contraintes
4.3 Conclusion
Conclusion