La démarche des plans d’expériences
Depuis la création des « méthodes des plans d’expériences » qui permettent d’optimiser le travail des expérimentateurs, les études de formalisation du processus de l’expérimentation sont devenues indispensables [GOUPY 89], [ALEXIS 95]. Elles permettent une application plus aisée et plus efficace de ces méthodes.
La démarche des plans d’expériences est le programme complet d’une expérimentation. Elle comprend la mise en place du dispositif, le déroulement des opérations et la collecte des données adéquates au traitement prévu.
J. DEMONSANT a souligné que « l’adoption de la démarche des plans d’expériences conduit à rompre avec certaines habitudes dans la façon de poser le problème, dans la façon de construire les campagnes d’essais et dans la façon de conduire les essais » [DEMONSANT 96].
La démarche des Plans d’expériences de TAGUCHI est l’une des plus utilisées dans la recherche et l’innovation pour un bon nombre de domaines d’activité. Elle devient la référence de la recherche expérimentale. Elle fait objet de la norme AFNOR X 06-080 et ISO 3534/3-1985 et 1998. Mais l’utilisation de la méthode TAGUCHI se limite dans le cas où le problème posé pourrait se présenter sous forme de «boîte noire» [LEGENDRE 97]. Ce qui exclue les essais de découverte dont les réponses en sortie ne sont pas identifiées auparavant, et les tests de validation de produit dans lesquels les relations entre les paramètres d’entrée et ceux de sortie sont connues.
Selon PILLET, afin d’utiliser toute la puissance de la méthode des plans d’expériences de TAGUCHI, il est important de suivre une démarche d’expérimentation rigoureuse. Il propose donc une démarche de mise en œuvre de l’expérimentation en 7 étapes .
Processus de conception de produits
Selon RODENACKER, le processus de conception des produits est une transformation d’informations permettant de passer de l’abstrait au concret. VADCARD considère la conception d’un produit comme une transformation depuis une idée jusqu’à un produit [VADCARD 96]. Dans notre cas, la conception de MES ne commence pas depuis une idée abstraite mais depuis un problème expérimental bien précis. Dans ce paragraphe, nous avons abordé ce sujet.
Les méthodes générales en conception sont développées pour modéliser le processus de conception. Nous consacrons ce paragraphe à étudier ces méthodes.
La modélisation du processus de conception des produits a fait l’objet de plusieurs recherches avec des approches différentes. Les études récentes [DENEUX 02], [POVEDA 02], [LONCHAMPT 04] synthétisent trois approches méthodologiques principales: approche algorithmique, approche axiomatique et approche intégrée.
Approche algorithmique dans la modélisation du processus de conception
Cette approche est le principe d’une tendance de modélisation qui considère que la nature du processus de conception est plutôt séquentielle, [PAHL 94], [GAUSS 95], [FINKELSTEIN 95]. Selon l’approche algorithmique, le processus de conception se caractérise par un ensemble de tâches de conception distinctes. Chaque tâche est associée à un ensemble d’étapes permettant de fournir les résultats indispensables à l’enclenchement de la tâche avale.
Dans l’optique de rationaliser l’activité de la conception, l’approche algorithmique est très employée. A titre d’exemples, les méthodes de conception générales de PAHL & BEITZ [PAHL&BEITZ 96], de ERTAS & JONES [ERTAS&JONES 94], de BOCQUET [BOCQUET 94], de ULLMAN [ULLMAN 92], de AOUSSAT [AOUSSAT 90], de HUBKA [HUBKA 88] et de QUARANTE [QUARANTE 84]. Les travaux effectués dans le cadre de la commission du projet pédagogique de PRIMECA [BOCQUET 94] sont aussi favorables à cette approche. Ces méthodes forment une courant dit « les modèles séquentiels » du processus de conception [LONCHAMPT 04]. Elles sont contractuelles, pédagogiques et donc très adaptées aux petits projets [WESTNEY 91], [CHVIDCHENKO 94]. La plupart des projets de développement des MES en fait partie. Dans sa thèse, Philippe VADCARD [VADCARD 96] a synthétisé ces méthodes en proposant la méthode de conception de produits en 4 phases [VADCARD 96, p. 62-63] qui va de «la caractérisation pluridisciplinaire du besoin» pour aboutir au lancement de l’industrialisation en passant par «la recherche de concepts de solutions», «la définition préliminaire du produit» et «la définition détaillée du produit» .
Approche axiomatique dans la modélisation du processus de conception
Cette approche repose d’une part sur l’utilisation d’axiomes généraux susceptibles de mener à une «bonne conception», d’autre part sur l’adoption d’un cheminement itératif entre les différents domaines du développement de produits, sans toutefois imposer d’étapes rigoureuses.
Cette approche a été initié par SUH puis NAKAZAWA YOSHIKAWA et SOHLENIUS, [NAKAZAWA 84], [YOSHIKAWA 89], [SUH 90], [SOHLENIUS 92]. Elle permet une modélisation mathématique et une optimisation de l’activité de conception selon deux axiomes principaux : l’indépendance fonctionnelle et le minimum d’informations [SUH 90].
Selon l’approche axiomatique, le concepteur fait constamment un parallèle mental entre différents domaines : domaine client, domaine fonctionnel, domaine physique et domaine processus.
Typologie des méthodes de conception
Que ce soit le coût, la qualité, le délai ou un objectif quelconque, les différentes méthodes de conception consistent à définir la manière de mener le projet de conception. Elles identifient et utilisent les outils d’aide à la conception pour suivre le processus dans un but commun.
Selon leur objectif, on peut citer ici quelques groupes principaux :
Le groupe des méthodes de la valeur qui regroupe des méthodes de conception en vue d’optimiser la Valeur : Analyse de la Valeur (AV) Conception pour un Coût Objectif (CCO) ; Conception pour un Coût Global Objectif (CCGO) et etc. [AFAV **], [NF X 50-150 153].
Les méthodes de qualité dont l’objectif est la qualité du produit: Total Quality Control (TQC) [JUSE 93], Sûreté de fonctionnement [VILLEMEUR 97], [CHERFI 02] ;
Le groupe des méthodes de conception pour un objectif défini : Ingénierie intégrée : [***] ; « design for X » [HUANG 96] comme son nom l’indique, elle vise aux différents objectifs qui sont tous intégrés dans le «concurrent engineering».
Le groupe des méthodes de la conception robuste dont l’objectif est la robustesse du produit à concevoir [TAGUCHI 00] [***]. Ils ne permettent pas d’optimiser le coût mais de développer un produit robuste insensible aux changements de l’environnement. Une des applications de ces méthodes porte sur la conception des produits unitaires [WHITFIELD 98].
Le groupe des méthodes de conception axiomatique [SUH 00] visent à la conception dite «optimale» qui respecte les axiomes proposés par SUH. Le but de ces méthodes est d’éviter les interactions entre les fonctions et donc de minimiser les contradictions dans la structure et de minimiser les effets perturbateurs que peut engendrer la non-qualité du produit
Le groupe des méthodes d’intégration des métiers permet d’atteindre des objectifs autres que les fonctions d’usage du produit : design [COLIN 88], ergonomique [ROUSSEL 96], environnement [AKAO 93], etc.
La frontière entre les groupes n’est pas complètement distincte. La valeur représente un des critères de la qualité totale. Dans les méthodes de «design for X», on trouve le «design for quality». Le respect des deux axiomes proposés par SUH dans la conception axiomatique permet une conception plus robuste du produit. La conception robuste permet d’améliorer la qualité du produit en minimisant l’impact des paramètres de « non-qualité » sur la qualité finale du produit, etc.
Outils méthodologiques pour la conception des systèmes
Comme les machines spéciales, les MES sont des produits du type « système » (selon la définition de NF E 90.001). Dans beaucoup d’études, on différencie la conception des systèmes de celle des produits. Une approche seulement structurelle ne suffit pas pour représenter un système. La conception des systèmes nécessite une approche globale « l’approche des systèmes » [TEIXIDO 98]. Elle permet d’appréhender trois aspects : l’aspect fonctionnel, l’aspect structurel, l’aspect temporel.
L’aspect fonctionnel d’un système consiste à « faire ressortir l’aspect dynamique des systèmes, c’est-à-dire les interactions qu’ils créent, d’une part avec l’environnement (il s’agit des fonctions de service), et d’autre part entre les composants (ce sont les fonctions techniques ou fonctions élémentaires) » [TEIXIDO 98]
L’aspect structurel représente la structure de système sous forme des plans, des nomenclatures, des architectures qui relient les composants du système dans espace.
L’aspect temporel est indispensable pour analyser les différentes activités du système lors de son utilisation.
Dans l’ouvrage «Conception en mécanique industrielle» [BARLIER 95], TEIXIDO recense les outils méthodologiques sous forme d’une matrice en fonction d’une part de ces trois aspects et d’autre part des étapes contenues dans une démarche générale de conception ou une démarche «analyse de la Valeur». Dans la phase de saisie et de définition du besoin, c’est grâce à l’ analyse des états, des séquences, des procédés, des protocoles, etc. que l’on aborde le besoin en terme de fonction à remplir et que l’on construit le chronogramme des fonctions dans un espace temporel.
Prendre en compte le contexte de développement et les caractères spécifiques des MES
Dans le domaine de développement des systèmes de production et des machines spéciales, les études récentes [ABT 00], [MARTIN 99], [LOSSENT 97], démontrent un manque d’outil méthodologique pour la conception des produits unitaires. Selon eux, « les recherches actuelles dans le domaine de la conception s’intéressent essentiellement aux produits de grande série et rarement aux produits unitaires » [ABT 00]. Une action AV nécessite un spécialiste interne à l’entreprise ou issu d’un cabinet de conseil. Pour être efficace, le groupe de travail pluridisciplinaire doit rassembler de 6 à 10 personnes qui souvent n’existe pas au sein des laboratoires.
On comprend qu’une telle importance de moyens occasionne un surcoût lié à l’action AV que le caractère unitaire des MES permet rarement d’amortir. Le contexte du laboratoire ne favorise pas non plus le recours à une Action AV dont le coût peut être comblé grâce aux quantités fabriquées et qui est donc surtout adaptée aux produits industriels.
Même dans les projets qui rassemblent les conditions favorables à l’application de l’AV, la cohérence dans la répartition du coût et des performances est confiée à l’expérience du concepteur. Dans les domaines émergents de la recherche et dans l’innovation technologique, les concepteurs des MES n’ont en général pas acquis suffisamment d’expériences sur le sujet. Ce qui explique les re-conceptions successives et la non-optimisation des MES développés.
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Table des matières
Introduction générale
1 Positionnement de notre étude
2 Expérimentation – quelques définitions
3 Définition du moyen d’expérimentation
4 Périmètre de notre étude
5 Objectif de la thèse
6 Enjeu économique de notre étude
7 Structure du document
CONTEXTE et Problématique de notre recherche
INTRODUCTION – STRUCTURE DE LA PARTIE
CONTEXTE DE NOTRE ETUDE
1 Recherche et développement
1.1 Quelques définitions
1.2 Processus de la recherche et développement
2 Positionnement de l’expérimentation et du ME dans la recherche et le développement
2.1 Expérimentation dans la recherche et le développement
2.2 Positionnement des ME dans le processus de la recherche et développement
3 Typologie de l’expérimentation et du moyen d’expérimentation
3.1 Typologie de l’expérimentation
3.2 Typologie des ME
4 Caractéristiques du MES
5 Conclusion
ETAT DE L’ART SUR LE DEVELOPPEMENT DES MOYENS D’EXPERIMENTATION
1 Introduction
2 Enquête sur le développement et l’utilisation de ME
2.1 Objectifs de l’enquête
2.2 Résultats de l’enquête
2.2.1 Développement des ME
2.2.2 Acquisition et exploitation des ME
2.2.3 Analyse des attentes des chercheurs et des concepteurs
2.3 Remarque sur les résultats de l’enquête
3 Analyse des projets de développement des MES
3.1 Analyse documentaire sur le développement des MES
3.2 Analyse des projets concrets de conception des MES
3.2.1 Projet « machines de flambement des plaques sandwich »
3.2.2 Projet banc d’essais de flambement avec frottement conditionné de poutres
composites
3.2.3 Micro-platine de traction
3.3 Synthèse des expériences acquises sur la conception des MES
4 Conclusion – problématique de terrain expérimental
4.1 Contexte de développement des MES
4.2 Problèmes constatés
4.2.1 Décalage par rapport au besoin expérimental
4.2.2 Non-optimisation en « coût, qualité, délai »
4.3 Manque de méthodes de conception adaptées
4.3.1 Besoin d’une méthode de conception pour les MES
4.3.2 Objectifs visés d’une méthode de conception des MES
4.4 Problématique du terrain expérimental
CADRE THEORIQUE DE REFERENCE – PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE
1 Démarches de l’expérimentation
1.1 Démarches expérimentales pour la recherche
1.2 La démarche des plans d’expériences
1.3 Synthèse des démarches de l’expérimentation
1.4 Remarque
2 Processus de conception de produits
2.1 Approche algorithmique dans la modélisation du processus de conception
2.2 Approche axiomatique dans la modélisation du processus de conception
2.3 Approche intégrée dans la modélisation du processus de conception
2.4 Remarques
3 Cadre de référence de notre recherche méthodologique
3.1 Niveaux d’intervention des outils méthodologiques en conception
3.2 Typologie des méthodes de conception
3.3 Typologie des outils d’aide à la conception
3.4 Outils méthodologiques pour la conception des systèmes
3.5 Synthèse des références méthodologiques en conception de produit
4 Analyse de la Valeur – Analyse Fonctionnelle dans la conception des MES
4.1 Principe de l’Analyse de la Valeur – Analyse Fonctionnelle
4.2 Expression du besoin d’expérimentation
4.2.1 Analyse Fonctionnelle du besoin
4.2.2 Quality Function deployment (QFD)
4.2.3 Stratégie d’Elaboration et de Maîtrise du Cahier Des Charges
4.3 Répartition du coût et des performances dans la structure de MES
4.4 Prendre en compte le contexte de développement et les caractères spécifiques des MES
5 Conclusion – Problématique de notre recherche
Hypothèses – premier modèle de la démarche
INTRODUCTION – HYPOTHESE DE BASE
ANALYSE DE L’EXPERIMENTATION ORIENTEE FONCTIONNELLE
1 Introduction – Première sous – hypothèse
2 Principe de l’analyse
3 Mode d’emploi de l’ANEXOF
3.1 Formalisation du problème
3.1.1 Identification du besoin d’expérimentation
3.1.2 Définition du but de l’étude et des objectifs à atteindre
3.1.3 Définition des moyens nécessaires
3.1.4 Définition de l’interface entre le système à étudier et son milieu extérieur
3.2 Définition du modèle expérimental
3.2.1 Analyse des flux d’entrée et de sortie
3.2.2 Identification des facteurs perturbateurs du phénomène à étudier
3.2.3 Construction du modèle expérimental
3.3 Elaboration du cahier des charges fonctionnel
3.3.1 Identification des fonctions de service principales
3.3.2 Définition d’autres fonctions de MES
3.3.3 Caractérisation des fonctions
4 Remarque
ANALYSE DE LA COHERENCE EN COUT – PERFORMANCE
1 Introduction – Deuxième sous – hypothèse
2 Evaluation de la cohérence en coût – performance
2.1.1 Performance
2.1.2 Cohérence
2.1.3 Evaluation de la Cohérence en performance
2.1.4 Cohérence en coût – performance
3 Principe de l’Analyse de la Cohérence en Coût – Performance
3.1 Cohérence approximative – phase descendante de l’ACCP
3.1.1 Analyse des corrélations entre les critères d’appréciation
3.1.2 Équilibrage des critères d’appréciation
3.2 Cohérence affinée – phase ascendante de l’ACCP
4 Remarque
DEMARCHE DE LA CONCEPTION DES MOYENS D’EXPERIMENTATION –PREMIER MODELE
1 Structure de la démarche
2 Pilotage du projet
3 Conclusion
Expérimentation de la démarche
INTRODUCTION – DEUX SERIES D’EXPERIMENTATION
PREMIERE SERIE D’EXPERIMENTATION
1 Introduction – Objectif
2 Validation de l’ANEXOF
2.1 Projet de caractérisation dynamique et d’optimisation du procédé de Collage hors plan des structures composite
2.1.1 Formalisation du problème
2.1.2 Définition du modèle expérimental
2.1.3 Elaboration du cahier des charges fonctionnelle
2.2 Remarque
3 Validation de l’ACCP
3.1 Projet Maîtrise et Asservissement du CHAriot (MACHA)
3.1.1 Contexte de l’étude
3.1.2 Cohérence approximative – phase descendante de l’ACCP
3.1.3 Cohérence affinée – phase ascendante de l’ACCP
3.2 Remarque
4 Synthèse de la première série d’expérimentation
4.1 Validation de la première sous hypothèse – ANEXOF
4.2 Validation de la deuxième sous hypothèse – ACCP
DEUXIEME SERIE D’EXPERIMENTATIONS
1 Introduction
2 Projet banc d’essais en fatigue des endoprothèses aortiques fabriquées sur mesure162
2.1 Contexte – Besoin en expérimentation
2.2 ANEXOF
2.2.1 Formalisation du problème
2.2.2 Définition du modèle expérimental
2.2.3 Elaboration du CdCf
2.3 Conception du banc
2.3.1 Recherche des solutions
2.3.2 Définition préliminaire
2.3.3 Définition détaillée
2.4 Rédaction des documents
2.5 Remarque
3 Synthèse de la deuxième série d’expérimentations
RETOURS D’EXPERIENCES – DEUXIEME MODELE DE LA DEMARCHE
1 Retours d’expériences
2 Deuxième modèle de la démarche
Conclusion générale
1 Apports de la thèse
1.1 Révéler la problématique du développement des MES
1.2 Proposition d’une démarche de conception dédiée au développement des MES
1.3 Développement d’un outil méthodologique qui relie les connaissances scientifiques et technologiques au service du développement des MES
1.4 Développement d’un outil d’optimisation de la performance et du coût dans la conception des MES
2 Limite de notre étude
3 Perspectives
Bibliographie
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