D’Elissa à Didon naissance d’un Mythe
Le personnage historique
Comme toute œuvre littéraire, il y a une variété de personnages. Certains d’entre eux ont une empreinte culturelle car l’écrivain s’est inspiré d’une personne qui a réellement existé, qui a joué un rôle reconnu, significatif, qui a marqué l’Histoire de l’humanité. Donc la construction de ce personnage se veut être complexe car le culturel dialogue avec la fiction et l’histoire avec le mythe. L’étude proposée par Ph. Hamon dans son article : « Pour un statut sémiologique de personnage » nous semble conforme à notre analyse. Hamon étudie le personnage comme un signe linguistique. En plus, il distingue trois catégories de personnages : personnage référentiel, personnage embrayeur et personnage anaphorique. Ce qui nous intéresse dans cette étude c’est le premier type : personnage référentiel et historique.
Il reflète la réalité. Il sert d’ « ancrage » en référence aux grands textes historiques, à la culture. C’est ce que R. Barthes nomme : « l’effet de réel » . Il renvoie à un savoir culturel, récupéré par la mémoire collective. Philipe Sellier considère que parfois un personnage historique peut se transformer avec le temps en mythe
Le mythe
Le mythe c’est l’histoire qui cherche à rendre compte à la fois de l’origine des choses, des êtres et du monde. C’est un récit symbolique à l’origine transmis oralement. Il explique des phénomènes comme le tonnerre, il fixe des règles de conduites. Il est lié au sacré, il est à la fois des histoires et des théories de la connaissance. Ce concept recouvre plusieurs définitions parfois contradictoires. Nous en avons relevé quelques unes qui permettent de comprendre comment le mythe est vue et compris dans des champs culturels différents.
Le mythe vient du grec « muthos », précise le dictionnaire historique de la langue française : il signifie d’abord, « suite de parole qui ont un sens » d’où « discours, propos », souvent associé à épos qui désigne aussi le contenu des paroles, l’avis, la pensée mais il tend à se spécialiser au sens de fiction, mythe, sujet d’une tragédie. »
Vue la complexité du mythe, beaucoup de théoriciens ont essayé de le définir et de le baliser dans un champ particulier alors que c’est un récit qui se manifeste à travers un certain nombre de versions, il est la somme de ces versions. C’est un outil d’élucidation car il propose une interprétation possible du réel, c’est dans ce sens que Mircea Eliade explique que le mythe se trouve être le fondement de la vie sociale et culturelle.
Le mythe littéraire
Le mythe littéraire est un mythe qui a été créé et repris maintes fois par la littérature.
L’œuvre littéraire introduit le mythe, le réécrit pour lui donner une dimension nouvelle, qui correspond à l’époque de l’écrivain. Dans ce cas le mythe littéraire n’est pas un récit auquel on croit mais un récit pour s’interroger. Mais quelle est la relation entre le mythe et la littérature ?
Processus de littérarisation
Entre le mythe et la littérature existe un rapport étroit car nous disposons des textes mythologiques qui donnent lieu au mythe littérarisé en tant que récit structuré et symboliquement saturé transmis sous forme de texte. Le premier qui a utilisé l’expression de « mythe littéraire » est Pierre Albouy, dans son ouvrage: Mythes et mythologie dans la littérature française. Il le définit comme un récit mythique, hérité d’une tradition orale ou littéraire qu’un écrivain traite et modifie avec une grande liberté et auquel s’ajoutent« des significations nouvelles ».
Pour lui, s’il n’y a pas de nouvelles significations, il n’y aura pas de mythe littéraire. Dans la littérature, nous trouvons plusieurs personnages qui ont été mythifiés. Depuis les personnages bibliques tels qu’Abraham, David, jusqu’aux personnages historiques tels que le roi Arthur, Napoléon, en passant par les héros littéraires comme : Don Juan, Robinson Crusoé ou, des héros mythiques tels que Narcisse, Vénus …etc. Il y a plusieurs types de mythes, c’est pour cela que Albouy a cerné une typologie de mythes littéraire : « Nous aurons donc affaire à des mythes de plusieurs espèces, hérités, inventés, nés de l’histoire et de la vie moderne, cosmique. »
Mythe littéraire
C’est la naissance spontanée et inconsciente du mythe de la part de l’écrivain. C’est une création littéraire, un récit raconté où le personnage représenté est élevé au rang de personnage extraordinaire par son être et son faire. Il incarne des traits de la sacralité comme le personnage de Don Juan. En plus, ce récit où ce personnage est fortement repris par d’autres écrivains, d’autres cultures et d’autres époques. Cela prouve que cet être fictif dépasse les frontières de la fiction jusqu’à atteindre l’imaginaire collectif. Donc l’écrivain est inconscient que son personnage va devenir au fil du temps un personnage mythique.
Mythe littérarisé
C’est un mythe qui a déjà existé avant sa mise en littérature. Il peut être historique comme : Jugurtha, Napoléon, Kahina… puis ce personnage mythique va devenir un personnage littéraire auquel nous porterons des changements, des ajouts qui « feront du héros un modèle tantôt négatif, tantôt positif. »
Comme il peut être aussi un mythe fondateur « ethno-religieux » représentant les croyances d’un peuple, puis nous allons l’insérer dans la littérature comme le dieu Anzar (dieu de la pluie chez les Berbères) que nous retrouvons dans quelques romans. Nous déduisons que l’écrivain est conscient car il a choisi d’insérer un mythe quelconque dans sa production soit d’une manière explicite ou implicite.
Le scénario mythique
Dans son ouvrage Anthropologie structurale, Lévi- Strauss propose une méthode d’analyse du mythe dans une optique anthropologique et structurale. Il superpose les différentes versions d’un même mythe en partant des «mythèmes» , les grandes unités qui le constituent et qui correspondent aux séquences du récit.
Le mythe est véhiculé à travers un scénario mythique qui comporte des constantes qui nous permettent de l’identifier en tant que mythe précis. Daniel-Henri Pageaux définit dans son ouvrage, La littérature générale et comparée, le scénario mythique comme : « syntagme minimal » , «canevas mémorisable ».
Nous retenons que le mythe garde sa forme basique en même temps il s’enrichit avec des ajouts et Lévis Strauss dit à ce propos :
« Puisque le mythe se compose de l’ensemble de toutes ses variantes, l’analyse structurale devra les considérer toutes au même titre. (…) il n’y a pas de version « vraie » dont toutes les autres seraient copies ou des échos déformés. »
Donc le mythe voyage à travers les temps, d’une œuvre à une autre, d’un espace à un autre. Dans l’imaginaire individuel de l’écrivain, il prend une forme et une version nouvelle.
Les différentes versions provoquent des changements au mythe par rapport à la version «authentique». Pour appréhender le mythe de Don Juan, Jean Rousset a suivi l’analyse structurale où il a parlé des « invariants » et les « variations » d’un mythe au sein de la narration.
D’Elissa à Didon
Présentation de poète Virgile et de l’épopée Enéide
Virgile est considéré comme le plus grand poète romain. Il est auteur du chef-d’œuvre l’Enéide. Il a trouvé de l’inspiration pour cette œuvre dans les grandes épopées d’Homère : il s’agissait de donner à la culture romaine une épopée digne de l’Iliade et l’Odyssée, sous le règne d’Auguste. C’est pour cela que l’œuvre est vue comme le plus prestigieux exemple de ce genre littéraire en langue latine. Ce récit raconte les exploits d’Enée et les origines de Rome. Enée et ses compagnons débarquèrent sur la terre africaine, à Carthage plus précisément. Ils étaient bien accueillis par la reine Didon (chant I) où la reine demande au Troyen de lui relater la chute de Troie. Les chants II et III constituent un récit enchâssé. Enée raconte à Didon la prise de Troie et les années de l’errance qui ont succédé à la chute de la ville. Le chant IV qui nous intéresse met l’accent sur l’amour de Didon et d’Enée.
Chant IV : La passion de Didon
Didon est tombée amoureuse du prince troyen Enée. Elle confia son amour à sa sœur Anne tout en affirmant son désir de rester fidèle au souvenir de son premier mari, Sychée.
Anne encouragea sa sœur à céder à cet amour pour un hôte envoyé par les dieux. Sûrement pour l’intérêt de Carthage. Sa sœur finit par persuader Didon : « ces paroles attisent le feu qui brûlait le cœur de Didon ; elle rend l’espoir à son âme anxieuse et délient sa pudeur. »
La reine chercha par des rites et des sacrifices, à rendre les dieux favorables à son projet, or elle ne réussit pas à apaiser la passion qui la dévorait secrètement, tout en cherchant à convaincre Enée de s’installer définitivement à Carthage.
Le départ d’Enée et la mort de Didon
A l’aube, Didon aperçut au-delà des remparts que le rivage était vide et elle se rendit compte qu’Enée était parti :
« déjà l’aurore, quittant la couche empourprée de Tithon, commençait à baigner la terre de sa lumière nouvelle. Du haut de son palais, la reine vit à la fois le matin blanchir et s’éloigner les vaisseaux, tous du même coup d’aile : le rivage était désert et le port sans rameur. Alors trois et quatre fois, elle frappa de sa main sa belle poitrine et arracha ses blonds cheveux. »
Elle maudit le prince, sa race et ses compagnons, elle regretta de ne pas anéantir l’étranger et les siens. Puis, elle prononça contre Enée toutes les malédictions. La reine prise de chagrin, demanda à Barcé, la nourrice de Sychée, d’aller chercher Anne pour accomplir la cérémonie magique. La reine monta sur bûcher. En regardant les affaires, elle retraça le parcours de sa vie, puis elle maudit Enée de nouveau. Didon tomba sur l’épée d’Énée. Le suicide de la reine gagna toute la ville qui réagit comme devant un grand désastre.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre n°1 : de l’histoire vers le mythe quelle méthodes ?
Introduction
1. Le personnage historique
2. Le mythe
3. Le mythe littéraire
3. 1. Processus de littérarisation
3. 2. Le mythe littéraire
3. 3. Mythe littérarisé
4. Le scénario mythique
4. 1. Les invariants
4. 2. Les variations
5. Approche mythocritique
5. 1. L’émergence
5. 2. La flexibilité
5. 3. L’irradiation
Conclusion
Chapitre n°2 : d’Elissa à Didon naissance d’un Mythe
Introduction
1. La version historique et légendaire de la reine Elissa
1. 2. Les sources
1. 3. Le récit de la fondation de Carthage
2. D’Elissa à Didon
2. 1. Présentation du poète Virgile et de l’épopée Enéide
2. 2. Chant IV : La passion de Didon
2. 3. Le départ d’Enée et la mort de Didon
3. De l’Enéide à la peinture
3. 1. Définition de l’Ekphrasis
3. 1. Claude Gellée, dit le Lorrain : Didon montrant Carthage à Enée
3. 1. 1. Présentation du peintre
3. 1. 2. La description du tableau
3. 1. 3. Explication du tableau
3. 2.Le tableau de Pierre-Narcisse Guérin :Enée racontant à Didon les malheurs de la ville de Troie
3. 2. 1. Présentation du peintre
3. 2. 2. La description du tableau
3. 2. 3. Explication du tableau
3. 3. Le tableau de Sébastien Bourdon : La mort de Didon
3. 3. 1. Présentation du peintre
3. 3. 2 La description du tableau
3. 3. 3 Explication du tableau
3. 4. Le tableau de Pierre Paul Rubens : La mort de Didon
3. 4. 1. Présentation du peintre
3. 4. 2. La description du tableau
3. 4. 3. Explication du tableau
3. 5. Le tableau de Pierre Lacour : Enée et Didon dans la grotte
3. 5. 1. Présentation du peintre
3. 5. 2. La description du tableau
3. 5. 3. Explication du tableau
3. 6. La sculpture de Claude-Augustin Cayot : La mort de Didon
3. 6. 1. Présentation du sculpteur
3. 6. 2. Description de la sculpture
3. 6. 3. L’explication de la scuplture
3. 7. Le tableau de J. Mallord William Turner :Didon faisant construire Carthage
3. 7. 1. Présentation du peintre
3. 7. 2. La description du tableau
3. 7. 3. Explication du tableau
3. 8. L’enluminure d’Octovien de Saint-Gelais : Didon accueille Énée à Carthage
3. 8. 1. Présentation du peintre
3. 8. 2. Définition d’une enluminure
3. 8.3 La description du l’image
3. 8. 4. Explication du l’image
3. 9. Le tableau de David Ligare :Dido in resolve
3. 9. 1. Présentation du peintre
3. 9. 2. La description du tableau
3. 9. 3. Explication du tableau
3. 2.Synthèse des tableaux
4. Les invariants du mythe Elissa-Didon
Conclusion
Chapitre n°3 : l’émergence des éléments mythiques
Introduction
1. Elissa
1. 1. Elissa émerge dans le titre
1. 2. Elissa émerge dans l’énonciation
2. La reine Elissa rend la fuite
3. Les escales de la reine durant le voyage
4. Le débarquement en Afrique du Nord
5. Le stratagème de la peau de bœuf
6. Le suicide de la reine Elissa
Conclusion
Chapitre n° 4 : la flexibilité des éléments mythiques
Introduction
1. Elissa en tant que personnage
1. 1. La description corporelle d’Elissa
1. 1. 1. L’aspect vestimentaire
1. 1. 2. L’aspect physionomique
2. Le motif de la fuite d’Elissa
2. 1. Rêve ou cauchemar ?
2. 2. Elissa pècheresse
3. Les espaces visités
3. 1. Chypre : l’inhospitalité des chypriotes
3. 1. 1. L’accueil des Chypriotes
3. 1. 2. Les vingt sept vierges
3. 1. 3. La querelle des vierges
3. 2. Sabratha : un peuple naïf
3. 2. 1. La nuit du sacre éphémère
3. 3. Hadrumète : un peuple grossier et primitif
4. Quart Hadasht : la terre propice
4. 2. La nouvelle ville
5. La peau de bœuf
6. L’immolation
6. 1. Acte de sacrifice
7. Elissa personnage épistolier
7. 1. Définition du genre épistolaire
7. 2. Elissa épistolière
8. Elissa personnage romantique
8. 1. Définition du romantisme
8.2. Personnage romantique
8. 3. Elissa, héroïne romantique
Conclusion
Chapitre n°5 : l’irradiation des éléments mythiques
Introduction
1. La figure d’Elissa
1. 1. Elissa féministe
1. 2. Elissa stratège politique
1.3. Elissa, déesse protectrice
1. 4. Elissa, personnage moderne
2. La politique
3. Pygmalion symbole de despotisme
4. Le mythe de l’éternel retour
5. La quête identitaire d’une fugitive
6. Un voyage qui régénère
Conclusion
Conclusion générale
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