Dégénérescence lobaire fronto-temporale de forme comportementale
Les dégénérescences lobaires fronto-temporales (DLFT) constituent un groupe de maladies neurodégénératives qui peuvent se révéler par les différents syndromes suivants : la DLFTc (traitée dans cette thèse), les aphasies progressives primaires (APP) sémantique (APPs) ou non fluente (APPnf), et les syndromes de paralysie supra-nucléaire progressive (PSP) ou cortico-basal (SCB). La sclérose latérale amyotrophique (SLA), maladie apparentée aux DLFT, sera également évoquée mais non traitée dans cette thèse.
Présentation clinico-radiologique
Historiquement, la première description s’apparentant à un cas de DLFTc remonte à 1892 ; le neuropsychiatre Arnold Pick rapporte en effet le cas d’un homme de 71 ans qui présente une altération cognitive progressive associée à des épisodes d’agressivité. L’analyse autopsique permet à Pick de décrire une atrophie cérébrale asymétrique prédominant au lobe temporal gauche (1).
Une modification progressive, et de début insidieux, du comportement et de la personnalité caractérise les patients atteints de DLFTc (2). La présentation clinique est bien synthétisée dans les critères diagnostiques en vigueur, dits de Rascovsky (3), en six points :
✦ on retrouve chez ces patients une désinhibition responsable de comportements socialement inappropriés ou encore d’actions impulsives, l’ensemble pouvant conduire le patient à commettre des actes juridiquement répréhensibles, à se mettre en danger ou à perdre de l’argent.
✦ Une hyperoralité est fréquemment retrouvée avec des prises alimentaires compulsives, une augmentation de l’appétence pour le sucré et l’alcool, le tout pouvant être responsable d’une prise de poids.
✦ Il existe de manière concomitante une apathie, les patients manifestent de moins en moins d’intérêt pour leurs activités habituelles (hobbies, travail), pour les relations sociales ou encore pour leur hygiène.
✦ La perte d’intérêt relationnel s’accompagne généralement d’une perte d’empathie et d’un émoussement affectif ce qui peut générer du ressentiment de la part des proches.
✦ Des stéréotypies peuvent aussi survenir. Il s’agit de mouvements simples (stéréotypies gestuelles), de séquences verbales (propos stéréotypés, idées fixes), ou de rituels compulsifs plus complexes.
✦ Un syndrome dysexécutif est enfin fréquemment retrouvé lors de l’évaluation neuropsychologique. Il est classiquement associé à une préservation relative de la mémoire épisodique et des fonctions visuo-spatiales .
Les patients sont généralement anosognosiques et la plainte émane de l’entourage.
Selon ces mêmes critères de Rascovsky, le diagnostic est conforté par l’imagerie cérébrale. L’imagerie morphologique (idéalement IRM) permet de mettre en évidence chez ces patients une atrophie qui concerne volontiers le lobe préfrontal, dans ses parties médiale, dorsolatérale et orbitale, ainsi que le lobe temporal antérieur, le gyrus cingulaire antérieur, la partie antérieure de l’insula, le striatum (4,5). L’IRM permet également d’éliminer un diagnostic différentiel non neurodégénératif. Lorsque l’atrophie n’est pas visible en imagerie morphologique, il est possible d’orienter le patient vers une imagerie métabolique (TEP/scintigraphie à l’HMPAO), qui montre de façon plus précoce un hypométabolisme/une hypoperfusion dans ces mêmes régions cérébrales .
L’évolution est marquée par une aggravation des symptômes déjà présents, plus ou moins associée à l’apparition de nouveaux. Ces nouveaux symptômes correspondent globalement aux possibles chevauchements qui peuvent exister avec les autres syndromes du spectre des DLFT-SLA. Ainsi, les patients peuvent développer d’autres altérations cognitives, tels que des troubles du langage (APP), mais aussi des symptômes moteurs, en lien avec une atteinte des premiers et deuxièmes motoneurones (propre à la SLA) (7), ou rentrant dans le cadre d’un syndrome parkinsonien atypique (syndrome PSP et SCB) (8). Cette dégradation symptomatique se répercute sur les capacités fonctionnelles, une revue de 2013 montrant que l’autonomie des patients DLFTc est plus impactée encore que chez les patients porteurs d’une maladie d’Alzheimer (MA) ou d’APP (9). Le fardeau des aidants est également plus important dans la DLFTc comparée aux APP (10) ou à la MA (11), Guger et al. (10), ainsi que Boutoleau-Bretonnière et al. (12), montrant que ce retentissement est corrélé aux symptômes comportementaux. Enfin le pronostic vital est globalement comparable à celui de la MA, avec un décès qui intervient après un suivi médian de 6,5 (13) à 9,5 ans (14) selon les études.
Physiopathologie
Sur le plan neuropathologique sont observées une perte neuronale associée à une gliose, éléments classiques des maladies neurodégénératives, dans les mêmes régions qui apparaissent pathologiques en imagerie. Il existe donc une mort neuronale ciblée progressive, dont le mécanisme n’est pas identifié, et qui explique les symptômes. A titre d’exemple, il a été proposé que l’apathie soit notamment liée à la perte neuronale dans les régions préfrontales dorsolatérale, orbitofrontale et cingulaire antérieure, ainsi que dans le striatum (putamen), alors que la désinhibition serait plutôt associée à l’atteinte des structures temporales internes (amygdale et hippocampe) et du striatum (noyau acumbens) .
Un élément important est l’hétérogénéité des protéinopathies associées à la perte neuronale. Les dernières décennies ont permis de préciser la composition protéique principale des inclusions anormales identifiées dans les cellules survivantes (16). Josephs et al. (17), dans une revue de 2011, ainsi que Perry et al.(18), dans une étude de 2017, rapportent chez environ 250 patients DLFTc au total l’identification systématique de la composante protéique principale de ces inclusions et montrent que dans environ la moitié des cas il s’agit de la protéine Tau, dans l’autre moitié de la protéine TDP-43, et plus rarement de la protéine FUS. L’anomalie protéique sous-jacente peut être en lien avec le profil symptomatique, un exemple fort étant celui des patients qui développent une maladie du motoneurone associée (SLA) chez qui on retrouve quasiment 100% d’inclusion TDP-43 positives (17) (figure 2). Un autre élément essentiel pour comprendre la physiopathologie de la DLFTc est la mise en évidence d’anomalies génétiques fréquemment associées. Il existe en effet une part importante des cas de DLFTc dans lesquels on retrouve la notion d’une histoire familiale : Rohrer et al. ont ainsi montré en 2009 sur une cohorte de 74 patients DLFTc que 58% d’entre eux avait au moins un cas de trouble cognitif sévère parmi leurs apparentés et que 20% avait une histoire familial fortement évocatrice d’une transmission autosomique dominante (19). Les gènes les plus fréquemment en cause sont C9orf72 (responsable d’une protéinopathie TDP-43), GRN (qui code pour la protéine progranuline, protéinopathie TDP-43) et MAPT (qui code pour la protéine Tau, protéinopathie Tau) .
A l’heure actuelle, il n’y a pas de théorie physiopathologique uniciste permettant de lier ces différentes observations, ce qui fait donc de la DLFTc un syndrome correspondant à une sous-entité du groupe hétérogène des DLFT. Il existe tout de même des pistes qui permettront peut-être un jour d’expliquer la vulnérabilité spécifique des régions frontotemporales à ces différents processus pathologiques : c’est le cas notamment de la mise en évidence par Kim et al. en 2012 de deux sous-types de neurones (Von Economo et « fork cells ») comme cibles spécifiques du phénomène dégénératif dans la partie antérieure de l’insula de patients porteurs d’une forme précoce de DLFTc .
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Table des matières
INTRODUCTION
1 – Contexte
2-Dégénérescence lobaire fronto-temporale de forme comportementale
a) Présentation clinico-radiologique
b) Physiopathologie
c) Critères diagnostiques
d) Diagnostics différentiels
e) Epidémiologie
f) Traitement
3- Hydrocéphalie chronique de l’adulte idiopathique (HCAi)
a) Présentation clinique
b) Physiopathologie
c) Critères diagnostiques et controverses
d) Diagnostics différentiels
e) Epidémiologie
f) Traitement
g) Lien avec les maladies neurodégénératives
4- Objectifs de notre étude
ARTICLE
Abstract
Introduction
Materials and methods
Results
Discussion
Supplemental Data
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE