Les normales climatiques sont habituellement calculées comme des moyennes sur une période observée de 30 ans et remises à jour tous les dix ans. Durant ces dernières années, les différents organismes de suivi climatique ont eu l’occasion de présenter de nombreuses valeurs de température au-dessus des normales de saison. C’est le cas, par exemple, pour les moyennes mensuelles de Toulouse de ces dix dernières années. La normale y est calculée à l’échelle mensuelle comme une moyenne évaluée pour chaque mois sur la période climatologique de référence, 1981-2010, comme préconisée par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM). On peut y voir, en plus du biais, un nombre d’anomalies chaudes (en rouge) déraisonnablement élevées (environ 3 fois plus) par rapport à la normale. Un constat similaire mais plus erratique peut être fait concernant les variables de températures moyennes journalière. pour le climat Toulousain de août 2016 à août 2019. En rouge, sont représentées les observations de températures moyennes se situant au-dessus de la normale (anomalies positives) et, en bleu, celles se situant en dessous (anomalies négatives). On constate que la proportion d’anomalies positives est en moyenne bien supérieure à celle d’anomalies négatives. Ce biais est également observable sur les séries d’anomalies de la précédente décennie, et semble montrer un retard de la normale sur l’état moyen du climat présent. Cela pose la question suivante : quelle référence représente une normale ? Cela a-t-il même un sens de la considérer dans un climat non stationnaire ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire, dans un premier temps, de préciser les contours du système étudié ainsi que le sens donné au terme « climat ».
Le système climatique
Avant d’introduire la notion de climat, il est nécessaire de définir proprement les contours du système étudié. Nous reproduisons ici la description fournie dans le dernier rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat).
’The climate system is the highly complex system consisting of five major components : the atmosphere, the hydrosphere, the cryosphere, the lithosphere and the biosphere and the interactions between them. The climate system evolves in time under the influence of its own internal dynamics and because of external forcings such as volcanic eruptions, solar variations and anthropogenic forcings such as the changing composition of the atmosphere and land-use change.’ IPCC Special Report on Global Warming of 1.5 ºC, 2018, Glossary, p.545-546.
Il est intéressant de remarquer que cette définition donne, dans un premier temps, les objets constitutifs du système étudié, soit l’atmosphère, l’hydrosphère, la cryosphère, la lithosphère et la biosphère et, dans un deuxième temps, les interactions de ce système entre ses éléments constitutifs ou avec des éléments extérieurs (tels que le soleil et les volcans). Troisièmement, le système climatique est muni d’une chronologie, en effet, il évolue en fonction du temps sous l’influence de ses interactions . Dans la pratique, l’état du système désignera l’ensemble des variables climatiques pouvant permettre de le décrire (e.g. température, pression, albédo, etc.). Les interactions sont alors les dépendances entre une variable et toutes les autres, par exemple, par le biais d’équations différentielles.
La notion de climat
La notion de climat peut être précisée par comparaison à la météo à travers la célèbre formule « Climate is what you expect, weather is what you get. ». Cette formule, popularisée en partie par Robert Heinlein, a le défaut d’être ambiguë. En effet, nous pourrions croire, à tort, que seule la valeur moyenne est d’intérêt en climat et qu’elle exclut de facto l’étude des valeurs extrêmes ou toutes autres parties de la distribution. En réalité, cette version simplifiée trouve son origine dans un ouvrage de 1908 du géographe Andrew John Herbertson [58]. Celui-ci permet de préciser son sens premier : ’By climate we mean the average weather as ascertained by many years’ observations. Climate also takes into account the extreme weather experienced during that period. Climate is what on an average we may expect, weather is what we actually get.’ Autrement dit, pour Herbertson le climat est l’étude de la distribution des valeurs possibles d’une variable climatique sur une période temporelle donnée. Son étude nécessite l’intégration de plusieurs années d’observations. La météo, quant à elle, est une réalisation du climat, un tirage dans cette distribution de valeurs possibles. Par analogie avec un jeu de dés, l’objectif du climat serait de nous donner la probabilité de chaque face ainsi que la dépendance entre chaque lancé, celui de la météo serait de prévoir les lancés suivants. La définition donnée par le GIEC va dans ce sens et permet d’élargir encore un peu plus cette dernière définition.
« Climate in a narrow sense is usually defined as the average weather, or more rigorously, as the statistical description in terms of the mean and variability of relevant quantities over a period of time ranging from months to thousands or millions of years. The classical period for averaging these variables is 30 years, as defined by the World Meteorological Organization. The relevant quantities are most often surface variables such as temperature, precipitation and wind. Climate in a wider sense is the state, including a statistical description, of the climate system. » IPCC Special Report on Global Warming of 1.5 ºC, 2018, Glossary, p.544. Autrement dit, le climat est l’analyse de l’état du système climatique et, plus particulièrement, à l’aide de statistiques permettant de décrire, tout ou partie, de la distribution de probabilité de la quantité étudiée. Plus simplement, le climat est la distribution probabiliste des évènements météorologiques possibles. Par exemple, dans cette thèse nous nous intéresserons à l’évolution de la distribution des variables climatiques univariées, journalières à une localisation donnée, au cours du 20ème et du 21ème siècles.
Changement climatique
L’étude du climat est, en soit, une science extrêmement intéressante et complexe de par son interaction avec plusieurs disciplines – mathématiques, physique, mécanique, chimie et biologie entre autres. Néanmoins, elle n’aurait pas l’importance que l’on lui octroie aujourd’hui s’il n’était pas question des contraintes qu’un changement climatique aurait sur nos sociétés.
Les implications socio-économiques sont difficiles à prévoir avec précision à l’horizon 2100. Une majeure partie de ces incertitudes est liée à l’évolution des activités humaines, soit principalement aux scénarios d’émission de gaz à effet de serre, ainsi qu’à la vulnérabilité et la capacité d’adaptation des populations. Au cours de l’histoire de l’humanité, les peuples et les sociétés ont réussi, avec plus ou moins de succès, à s’adapter au climat. L’acquisition de cette forme de résilience à été possible par des variations lentes du climat, ce qui n’est pas le cas du changement en cours. Comme l’ensemble des variables climatiques peuvent avoir une incidence, cela motive le GIEC à avoir une définition précise du changement climatique.
Climate change refers to a change in the state of the climate that can be identified (e.g., by using statistical tests) by changes in the mean and/or the variability of its properties and that persists for an extended period, typically decades or longer. Climate change may be due to natural internal processes or external forcings such as modulations of the solar cycles, volcanic eruptions and persistent anthropogenic changes in the composition of the atmosphere or in land use. IPCC Special Report on Global Warming of 1.5 ºC, 2018, Glossary, p.545-546.
D’après la définition du GIEC (reportée ci-dessus), le changement climatique est un changement d’état du système. N’ayant, en général, pas directement accès aux états, il est identifié par ses effets persistants au vu de l’échelle temporelle de la variable étudiée (température, précipitations, etc.). Il est à noter que cette définition diffère selon les organismes. Par exemple, celle de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) demande, de plus, que le changement identifié soit attribué aux forçages anthropiques. Nous ne ferons pas, dans ce manuscrit, cette distinction car notre but premier est de décrire l’évolution chronologique d’une série d’observations.
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Table des matières
Introduction
1.1 Le système climatique
1.2 La notion de climat
1.3 Changement climatique
1.4 Évolution de la compréhension du climat
1.5 Modélisation de l’évolution saisonnière du climat
1.6 Quelles données pour évaluer le changement climatique ?
2 Méthodes statistiques
2.1 Espaces de Hilbert à noyaux reproduisant (RKHS)
2.2 Régression quantile
2.3 Sélection de modèles et erreur de généralisation
3 Étude de l’espérance d’une variable climatique au pas de temps journalier (déformation du cycle annuel)
3.1 Estimating daily climatological normals in a changing climate
3.2 Compléments
4 Étude de la déformation de la distribution d’une variable en climat nonstationnaire
4.1 Estimating daily climatological distribution in a changing climate
4.2 Complements
Conclusion