Défis à la décolonisation de l’éducation

Qallunaaqalaurtinagu

La présence humaine au Nunavik remonte à 4 000 ans, selon les plus récentes recherches (Institut Culturel Avataq, 2015; Raghavan et al., 2014). Trois groupes distinctifs se sont succédés sur le territoire du Nord québécois. D’abord, les Prédorsétiens ont traversé l’Asie pour occuper la région du Nunavik pour une durée de 1 500 ans. Les Dorsétiens ont ensuite pris la place jusqu’au XVIe siècle, selon les dernières estimations. L’hypothèse commune, qui reste contestée encore aujourd’hui, avance que la culture Dorsétienne se serait développée quelque part dans le bassin de Fox et serait issue du développement in situ de la culture Prédorsétienne. Les Dorsétiens se seraient ensuite répandus dans le Bas-Arctique au Nunavut, au Nunavik, au Labrador et à Terre-Neuve (Institut Culturel Avataq, 2015). Finalement, les hommes de Thulé, considérés comme les ancêtres des Inuit modernes, seraient apparus sur le territoire au XIVe siècle (Friesen et Arnold, 2008).
Ces Inuits modernes, dans la période nommée «qallunaaqalaurtinagu » au Nunavik qui signifie: «quand il n’y avait pas encore de Qallunaat, de Blancs» en Inuktitut, étaient nomades et vivaient en groupes familiaux de chasse, de pêche et de cueillette au gré des saisons selon une organisation sociale précise. Le système de croyances spirituelles était basé sur le chamanisme.

Arrivée des Qallunaat

L’éloignement et la rigueur du climat de la région ont prévalu sur l’exploration de la région par les Qallunaat jusqu’au XVIIIe siècle où de premiers contacts ont eu lieu. Dès lors, le mode de vie purement traditionnel a été ébranlé par l’économie de marché. Le goût pour les denrées occidentales (farine, thé, fer) échangées contre des fourrures a entamé la métamorphose d’un mode de vie axé sur la subsistance. Le XIXe siècle marque plus clairement l’entrée des Inuits du Nunavik dans la « modernité ». L’arrivée des premiers postes de traite a ouvert la porte aux premiers missionnaires. Les intérêts économiques des premiers commerçants ont évolué de concert avec les intérêts religieux des deuxièmes.
Durant cette période, bien que certains groupes familiaux se soient installés de façon plus permanente près des postes de traite, les allées et venues sur le territoire au gré des saisons étaient toujours la norme.
Au XXe siècle, la position stratégique du Nunavik pour la protection militaire de l’Amérique du Nord et l’accès aux ressources naturelles jumelé aux avancées technologiques dans les transports, ont accentué la présence des Qallunaat au Nunavik. L’ouverture de bases militaires, le développement des grands projets hydroélectriques et les prises de conscience politiques à l’égard de la présence des Inuits dans le Nord sont tous des éléments qui ont fait « débouler» la pression pour sédentariser et assimiler les Inuits. Entre 1950 et 1970, la sédentarisation était devenue un objectif politique.
Les transitions d’un mode de vie traditionnel nomade vers un mode de vie contemporain sédentaire se sont imposées extrêmement rapidement. Les villages ont été fondés; des maisons développées par des Qallunaat ont accueilli les familles. Le transport sur le territoire a été coupé , modifiant du même coup l’alimentation et les rôles des hommes et des femmes. L’éducation des enfants a été reprise par les écoles et la religion a totalement supplanté le chamanisme. Ce passage du mode de vie traditionnel au mode de vie contemporain extrêmement rapide a occasionné une crise identitaire et des traumatismes intergénérationnels, qui façonnent encore la réalité des communautés aujourd’hui (Vick-Westgate, 2002).

Éducation traditionnelle inuit

L’histoire de l’éducation en milieu autochtone n’est pas neutre, elle est intrinsèquement liée à la colonisation et au processus d’assimilation qui a prévalu au Canada (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015; Laugrand et Oosten, 2009; Vick-Westgate, 2002). Précédant le contact, la population inuit avait un système de transmission des savoirs techniques et de vivre-ensemble précis et adapté à l’ardeur de la vie en milieu arctique.
L’éducation d’un enfant dans la tradition inuit, est de nature informelle. Elle requiert la participation de tous les membres de la communauté immédiate, s’étend sur toute la vie et est intrinsèquement liée au territoire (Commission scolaire Kativik, 2017). Les valeurs et les qualités désirées chez l’enfant inuit sont aussi fondamentales à transmettre que les techniques essentielles à la survie selon le genre (chasse, construction, cuisine, tannage, couture, connaissance du territoire, etc.), comme l’illustre bien Sheila Watt-Cloutier (2007, sect. 2:05 min).
C’est sur le territoire que les valeurs et les savoirs ancestraux sont transmis de génération en génération, et les enfants qui reçoivent des enseignements à même le territoire et sa sagesse sont amenés à développer ces traits de personnalité. Par la naturé et la sagesse du territoire, ce ne sont pas seulement des aspects techniques de la chasse dont il est question, cela suppose de transmettre aux enfants l’ art d’ être patient, d’être sans peur sous la pression, de résister au stress, d’être courageux et non impulsif, de développer un bon jugement et ultimement, d’être sage. Une culture de chasseurs engage naturellement ces compétences. C’est une question de survie sur le territoire.
Le style de transmission de ces qualités, valeurs et techniques à l’enfant se fait sans trop d’intervention parentale ou communautaire. L’enfant apprend par imitation, par essai/erreur, à son rythme et sans limite de temps (Commission scolaire Kativik, 2017).
Ce processus de transfert de connaissances et de sagesse continu permet l’émergence d’un «savoir-être» Inuit chez l’enfant, assurant la survie du clan. Bien entendu, cette description est très sommaire et ne prétend pas rendre la complexité de «l’arrivée à connaître» Inuit. Ces éléments permettent tout de même de cerner les zones de fracture que l’ arrivée de l’éducation formelle a causée dans la transmission du savoir-être inuit.

Introduction de l’éducation occidentale

À l’intérieur de 150 ans, l’éducation dite traditionnelle a fait de la place aux missionnaires qui enseignaient ce qu’ ils pouvaient et quand ils le pouvaient dans les missions, pour être rapidement et totalement mis au second plan avec l’ouverture des écoles fédérales et provinciales. Cette dernière étape a officialisé l’éducation occidentale et du même coup, sorti les enfants du territoire.
Les missionnaires Oblats, Moraviens et Anglicans ont été présents sur le territoire entre 1811 et 1956. Leur présence a joué un rôle important dans l’importation de nouveaux types de savoirs, religieux et académiques, dans la vie des familles inuit. Les enfants et adultes qui suivaient leurs diverses leçons (lecture, écriture, géographie, anglais ou français) se montraient curieux et les écrits des missionnaires témoignent de la grande intelligence et de la rapidité de compréhension des élèves (Commission scolaire Kativik, 2017). Les missionnaires ont précédé l’ouverture des écoles fédérales (1949 à 1963), puis provinciales, l’époque des pensionnats et le début des commissions scolaires nunavimmiut (1970-1978) (Lévesque, 2014).
Les écoles fédérales ont vu le jour à la suite d’une décision de la Cour Suprême du Canada 13, qui a donné la responsabilité des Inuits et de leur éducation au gouvernement fédéral (Vick-Westgate, 2002). Dès 1949, et ce, pendant une quinzaine d’années, des enseignants du sud du Canada ont enseigné les programmes scolaires de l’Ontario aux enfants inuit de plus en plus nombreux dans les écoles qui ouvraient sur le territoire.
Simultanément, entre 1930 et la fin des années soixante, quelques pensionnats recevaient des enfants Inuit au Nunavik même et hors Nunavik (Amos et Chisasibi) (Lévesque, 2014; Nous étions si loin. L’expérience des Inuits dans les pensionnats, 2013; Tremblay, 2008). Le gouvernement du Québec a commencé à s’impliquer auprès des Inuits au début des années soixante. De 1963 à 1978, les deux écoles, fédérales et provinciales, ont opéré dans les villages, l’une offrant une formation en anglais et l’autre en français.
À partir de 1963, des instances provinciales se sont mises en place et une première commission scolaire a vu le jour en 1968, soit la Commission scolaire du Nouveau-Québec, pour être finalement transmutée en 1975 en Commission scolaire Kativik (CSK). Ce n’est qu’en 1978 que celle-ci a obtenu le plein contrôle de l’éducation obligatoire des tous les élèves nunavimmiut, du même coup la gestion des enseignants et des biens des deux systèmes scolaires.

Défis à la décolonisation de l’éducation au Nunavik

Le projet de décolonisation revendiqué en éducation par les communautés autochtones rencontre des résistances diverses selon les contextes (McGregor, 2012). Au Nunavik, les spécificités des villages nordiques s’ajoutent au fait qu’un processus de décolonisation ou d’autochtonisation est depuis longtemps désiré et revendiqué par la CSK sans qu’une réelle mise en œuvre et un aboutissement concret ne soient ressentis dans le réseau des écoles. Le nouveau plan stratégique présenté en 2016 qui met de l’avant la Inuit Centered Education (ICE) est un pas de plus en ce sens vers cette « inuitisation» du système scolaire. Il reste maintenant à voir comment cette nouvelle vision sera déployée dans les 25 prochaines années. Cette aspiration est vaste et complexe et quatre défis ont été identifiés au cours de visites au Nunavik et qui la ralentissent: l’ignorance du concept, le taux de roulement des enseignants, le multiculturalisme chez les enseignants et les curricula mal adaptés à l’intégration culturelle.

Taux de roulement et choc culturel des enseignants

Le taux de roulement des enseignants est un enjeu réel par rapport à l’intégration des savoirs traditionnels, l’implication de membres de la communauté en classe et l’instauration d’une culture d’ école décolonisée. Une centaine de nouveaux enseignants, souvent fraichement diplômés, sont embauchés annuellement à la CSK et la moyenne de séjour d’un enseignant est de 1,3 année (Bertrand, 2016; Riel-Roberge, 2015).
Cela implique que ces nouveaux arrivants vivent un choc culturel, une adaptation à leur nouvelle vie dans une communauté inuit et à l’enseignement dans une école nordique. Cette période d’adaptation dure habituellement deux ans et n’est pas de tout repos. Un calcul rapide illustre bien l’enjeu; si la moyenne de séjour des enseignants est habituellement de moins de deux ans et si la période d’ adaptation dure deux ans, ainsi on ne profite pas longtemps d’employés « adaptés ». Le taux de roulement au sein du bassin des enseignants place les écoles, les élèves, les parents, les communautés et la CSK devant un renouvellement incessant de personnel vivant un choc culturel et une période d’ adaptation.

Haute diversité culturelle dans le personnel enseignant

Un troisième défi est celui de la diversité culturelle chez le corps enseignant. De nombreux immigrants sont embauchés à la CSK. Ceux-ci proviennent d’une diversité de pays des continents européen, africain et asiatique. Dans le cas de ce projet-ci seulement, les trois enseignants de S&T provenaient du Québec, du Nigéria et du Sri Lanka. Dans un contexte où une tension est présente entre la culture locale (inuite) et une culture dominante (occidentale), la diversité des cultures de vie et d’enseignement dans le corps enseignant vient ajouter un niveau de complexité à la négociation culturelle dans les écoles. Ainsi, cette culture dominante occidentale n’est pas monolithique; elle devient plutôt une masse de particularismes culturels dans un contexte déjà interculturel (Bertrand, 2016).
Cette diversité s’ajoute aux différences de cultures déjà présentes entre les enseignants au secteur francophone (surtout Québécois et Acadiens) et les enseignants du secteur anglophone (provenant des provinces canadiennes). En effet, tout dépendamment de l’histoire nationale ou coloniale de la mère patrie, du style d’éducation reçu à la maison et à l’école ainsi que du parcours postsecondaire des enseignants immigrants, leur bagage personnel, leur vision du monde et leurs valeurs varient énormément. Cela ne facilite pas toujours les interactions et collaborations entre collègues de travail ainsi que les interactions entre les enseignants et les élèves. En effet, ces derniers doivent naviguer dans une variété de conduites, d’ attentes et de pratiques qui ne sont pas toutes analogues, dans le contexte déjà exigeant qu’ est l’ éducation en langue seconde (Riel-Roberge, 2015).

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Table des matières

CHAPITRE 1 :INTRODUCTION 
CHAPITRE II :PROBLÉMATIQUE: CONSIDÉRATIONS GÉOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES
2.1 Qallunaaqalaurtinagu
2.2 Arrivée des Qallunaat
2.2.1 Éducation traditionnelle inuit
2.2.2 Introduction de l’éducation occidentale
CHAPITRE III MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE CONNECTÉ À L’ENVIRONNEMENT ET LA CULTURE D’ÉLÈVES DU SECONDAIRE AU NUNAVIK: IMPACTS SUR L’ENGAGEMENT COMPORTEMENT AL EN CLASSE DE SCIENCE ET TECHNOLOGIE 
3.1 Contribution des auteurs
3.2 Résumé de l’article
3.3 Introduction
3.4 Cadre conceptuel et théorique.
3.4.1 Stratégies éducatives
3.4.1.1 Stratégies décolonisantes et stratégies engageantes
3.5 Méthodologie et méthodes
3.5.1 Méthodologie
3.5.2 Choix méthodologiques
3.5.3 Choix des instruments et du lieu de la collecte de données
3.5.4 Durée, échantillon et méthodes
3.5.5 Analyse
3.5.6 Indicateurs
3.6 Résultats
3.6.1 Échelle d’engagement comportemental
3.6.2 Niveaux d’attention
3.6.3 Niveaux d’attention
3.6.3 .1 Attention diffuse
3.6.3.2 Attention intéressée
3.6.3.3 Attention impliquée
3.6.3.4 Attention marquée
3.6.3.5 Attention absorbée
3.7 Discussion
3.8 Conclusion
3.8.1 Limites de la recherche
3.9 Références
CHAPITRE IV : DÉFIS LIÉES À LA DÉCOLONISATION EN ÉDUCATION ET PISTES DE RÉFLEXIONS ET DE SOLUTIONS
4.1 Défis à la décolonisation de l’éducation au Nunavik
4.1.1 Concept méconnu
4.1 .2 Taux de roulement et choc culturel des enseignants
4.1.3 Haute diversité culturelle dans le personnel enseignant
4.1.4 Curriculum ne favorisant pas l’intégration de stratégies pédagogiques décolonisantes
4.2 Besoin prioritaire: l’encadrement des Qallunaat
CHAPITRE V :CONCLUSION

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